La journée de la veille fut très mouvementée pour nos aventuriers. Ils avaient vaincu des goules pour leurs petits-déjeuners et anéanti un élan pour leur repas du soir. Depuis qu’ils avaient commencé leur aventure, ils n’avaient pas cessé de se battre ensemble et de rester sur leurs gardes.
Ce fut la première nuit où ils pouvaient enfin se reposer sur leurs deux oreilles. Tous furent heureux de pouvoir bénéficier d’un lit confortable, plus que les sacs de farine de Dola. La soirée à Gondalfen fut à peu près calme et tranquille. Aucun incident n’était à déplorer. Isil était restée éveillée une partie de la nuit, voulant rester vigilante à ceux qui rentraient dans l’auberge et ceux qui en ressortait. Elle s’était donné une mission, aucun débordement ne devait avoir lieu. Ymir avait bien profité de son sommeil. Elle trouvait que la chambre était pauvre, sans aucune âme et sale, mais étant donné la journée éreintante qu’ils vécurent, elle s’endormit facilement. Elaron sentait que le lit était inconfortable et se retourna plusieurs fois avant de plonger dans un long repos. Il repensait à ses exploits depuis sa rencontre avec ses nouveaux compagnons. Il avait l’impression d’avoir découvert un nouveau clan, mais ses pouvoirs l’effrayaient toujours autant. Il avait tellement peur de tuer une fois de plus. Pire encore, il était terrorisé de perdre sa nouvelle famille. Quant à Cattleya, elle s’endormit tard. Elle n’avait pas besoin d’un long sommeil et avait observé par la fenêtre, contemplant l’horizon d’un village qu’elle ne pensait jamais revoir. Le bruit de la nuit était assez différent de ses souvenirs. Les animaux nocturnes semblaient plus nombreux autour du bourg et plus menaçants. L’émotion la regagna, mais elle s’était fait une promesse qu’elle voulait tenir.
Dès les premiers rayons du soleil, Isil décida de descendre dans la grande salle de l’auberge. Sans surprise, elle trouva Cattleya patientant dans un coin de la pièce. Elle avait été la première à rejoindre le rez-de-chaussée. Elle restait debout et attendit les autres. Ymir était arrivée la deuxième. Elle aussi, déjà bien équipée, escomptait reprendre leurs affaires en cours le plus vite possible. Toutefois, elle s’était installée au comptoir. Elle fut rejointe par Elaron qui était venu commander un thé bien chaud pour se réchauffer les mains. Il soufflait par habitude sur la fumée pour refroidir sa boisson. Isil descendit avec la grâce des elfes malgré les breuvages alcoolisés de la veille et retrouva Elaron et Ymir pour demander une tisane. Elle fut servie rapidement, en observant l’absence de Ludwig, et commença à opérer la même action que le demi-elfe au dessus de sa tasse chaude. Elle scruta les alentours et remarqua que l’auberge était occupée, mais pas remplie. Elle pouvait voir des villageois préparer des repas pour les miliciens, des paysans s’apprêtant à retourner aux champs et d’autres étaient tout simplement en train de manger. Elle nota tout de même que Dola n’était pas présente. Peut-être que cette dernière était déjà repartie pour Paçon ou bien une autre ville.
Le petit groupe bénéficia d’un moment calme dans l’auberge. Elaron et Isil continuèrent de profiter de leur boisson chaude pendant qu’Ymir s’impatienta tout en dévorant quelques tranches de pain grillées. Cattleya les fixa pour savoir quand ces derniers seraient prêts à repartir. Elle avait auparavant fait le tour du village à deux reprises depuis son réveil et elle avait décidé de les attendre pour se lancer à la recherche de l’arcaniste qui n’était toujours pas revenu à son échoppe. L’éveil fut tranquille pour Isil qui avait tout de même eu le temps de préparer ses affaires et de descendre avec, comme tous les autres.
Soudain, un groupe de paysans en chapeau de paille et les mains pleines de terre entra dans l’auberge. Ils semblaient étrangement agités et restèrent à l’entrée pour être vus de tous ceux qui se trouvaient dans la grande salle.
— Les quatre aventuriers qui sont allés dans la forêt hier, s’il vous plait ? Nous les cherchons !
Isil fut attirée par l’attention du groupe, tout comme Elaron. Puis, ils se contemplèrent l’un l’autre en se demandant ce qu’ils devaient faire. Ymir était blasée et n’aimait pas entendre les gens crier si tôt le matin. Elle croqua avec force dans sa énième tranche de pain et mâcha fortement pour ne pas les écouter. Cattleya soupira longuement et se décolla du mur où elle se trouvait pour s’avancer vers eux. Elle passa devant les paysans sans les regarder et sortit de l’auberge sans les interpeller.
— S’il vous plait, c’est important ! annonça l’un des fermiers avec gravité.
— C’est urgent même ! déclara un autre.
— Oui ? réclama Isil en attirant l’attention des villageois agités.
— Bonjour, une or… euh. Un druide, quelqu’un est dehors ! Vous cherche pour…
— Tu ne sais pas ? demanda un autre paysan à l’autre.
— Bah non et toi ? répondit l’autre.
— Oui et bien, elle vous cherche. Elle est dehors !
Les fermiers se disputèrent les un et les autres pour se décider si cette druidesse était véritablement une personne ou non. Ils avaient du mal à se prononcer et à la considérer comme leur semblable. L’un d’eux lâcha un mot étrange, orc. L’assemblée de l’auberge se retourna vers eux tout comme nos aventuriers, choqués de ce qu’ils entendaient. Elaron avait de grands yeux ronds et faillit avaler de travers. Isil aussi semblait inquiète, tandis qu’Ymir plissait les yeux avec colère avant de tourner lentement sa tête vers la sortie. Tous les trois finirent par se concerter dans un simple regard et décidèrent de sortir rapidement pour répondre à cet appel étrange.
Ils jaillirent de l’auberge et Cattleya se trouvait devant eux. Elle était figée dans une direction et tenait ses mains prêtes à envoyer une attaque dévastatrice. Elle avait l’air menaçante. Elaron avança vers l’humaine avec inquiétude. Il voulait lui demander pourquoi elle était aussi agressive. Isil et Ymir s’approchèrent d’elle, mais comprirent immédiatement ce qui se passait. Ymir sortit son épée parée à se battre à son tour.
L’orc se trouvait à l’orée de la ville, elle n’osait pas pénétrer davantage à cause des regards. Elle s’affichait dans l’embrasure de la muraille détruite par ceux de sa race quelques années auparavant, à une centaine de mètres du village. Les maisons près de cette muraille étaient également démolies, mais en reconstruction. Ils purent observer une demi-orc de deux mètres de haut, la peau verte, des tatouages tribaux et des vêtements en peau de bête. Elle portait un collier fait de dent et de petits os. Elle avait l’air énervée par les regards sur sa personne et semblait impatiente. Elle tenait une lance posée sur le sol.
Cattleya continua d’hésiter entre l’attaquer sans réfléchir ou attendre l’assaut de tous. Ymir la dévisagea de haut en bas. Elle scrutait sa tenue primitive et se dit qu’elle en viendrait à bout facilement. Elaron fut pris d’une angoisse et resta en retrait derrière Ymir. Il avait autant peur de cette demi-orc que de Cattleya. Isil se voulut plus pacifiste et avança d’un pas. Elle tourna sa tête vers Cattleya.
— Pourquoi veux-tu l’attaquer ? réclama Isil avec douceur.
— Tu me le demandes vraiment ? grinça Cattleya.
— Où est ma javeline ? murmura Ymir qui jeta un œil sur Cattleya, toutes les deux prêtes à bondir.
Isil s’approcha calmement, les mains à proximité de ses dagues, au cas ou. L’elfe savait que si cette demi-orc souhaitait massacrer les villageois, elle l’aurait accompli depuis très longtemps et n’aurait pas attendu d’être face à d’autres guerriers. Isil regarda tout de même si ses compagnons la suivaient. Bien entendu, ils se trouvaient derrière elle pour frapper le moment venu. Ymir restait très méfiante et garda fermement son épée. Cattleya continua de menacer avec quelques nuages de ténèbres du bout des doigts, tandis qu’Elaron avait les mains qui tremblaient, mais prêtes à attaquer si nécessaire.
— Que veux-tu ? cracha Ymir.
— C’est de vous dont j’ai besoin, répondit la demi-orc. Nous avons les mêmes intérêts !
— Vraiment ? rétorqua Cattleya faussement surprise. Lorsque l’on est civilisés, on se présente.
— Thash ! Et vous ?
— Que vous est-il arrivé ? demanda Isil d’un ton calme.
— Je viens de donner mon nom, donnez moi le vôtre ! grogna l’orc.
Isil les présenta un par un, tandis qu’une foule commença à se masser près de l’auberge.
— Très bien, vous quatre, dans la forêt ! Immédiatement ! ordonna Thash.
— Pardon ? s’étonna Cattleya. Mais qui êtes-vous pour oser nous donner des ordres ?
— Maintenant ? s’étonna à son tour Ymir en riant de cette fausse blague.
— Qu’est-ce qui vous arrive ? demanda Isil à leur interlocuteur.
— C’est bien vous qui aviez vaincu l’élan, non ?
— Quoi ? laissa s’échapper Elaron en mettant ses mains sur sa bouche.
— Il était en train d’attaquer d’autres personnes, donc oui, répondit Ymir.
— Oui, et bien nous avions essayé de le combattre depuis un long moment sans y parvenir, annonça Thash. Nous n’étions pas assez, maintenant que vous êtes là, venez !
— Vous n’êtes peut-être simplement pas assez fort, murmura Ymir avec un sourire en direction de Cattleya.
— Mais, pour faire quoi ? demanda Elaron d’une voix enfantine.
Cattleya ne voulait pas la suivre et souhaitait lui envoyer une attaque en plein visage pour l’aider à comprendre que jamais elle ne la suivrait.
— Vous rappelez-vous l’élan que vous avez combattu ? Il n’avait pas l’air normal, reprit Thash en obtenant l’approbation d’Isil. C’est pour vaincre la source de cette épidémie.
— Nous n’avons pas besoin de toi ! répondit sèchement Cattleya. Nous détenons toutes les ressources nécessaires pour l’anéantir. Tu nous excuseras, mais nous devons rendre visite à un arcaniste !
— À moins que tu en saches plus sur lui, réagit Ymir.
— J’ai mieux que ça ! répliqua Thash. Votre arcaniste sera inutile pour ce mal. Allons-y et parlons-en sur la route.
— Moi je préfère que tu en parles, maintenant ! reprit Ymir. Je ne souhaite pas me rendre dans la forêt avec une inconnue !
— Il est vrai que nous ne te connaissons pas assez, ajouta Elaron en essayant de ne pas la vexer.
Un instant de calme et de paix s’installa près de cette muraille détruite et en reconstruction. Ils se trouvaient entre les anciens remparts et les champs autour d’eux. Derrière eux, le bourg demeurait en meilleur état que les murs d’enceinte. Des villageois se rapprochaient pour les observer étrangement et des murmures parvenaient jusqu’à eux. Certains avaient sorti les fourches et les miliciens avaient réuni une petite troupe qui resta malgré tout en retrait.
— Connais-tu Lucan ? demanda Cattleya.
L’orc hocha la tête pour désapprouver.
— Dans ce cas, inutile d’avoir une plus longue conversation.