L’avion devait arriver au milieu de la nuit, et Sofiane avait carburé au café et au soda toute la journée, hésitant jusqu’au dernier moment.
Finalement, il était près de minuit quand il monta dans sa voiture et se mit en route. Leïla ne lui avait toujours pas répondu et un certain agacement s’était entortillé autour de la culpabilité : il était en stress total, elle l’avait pas compris ?
Il roula sans musique ni radio, concentré sur la route pour calmer les battements de son cœur. La lumière des lampadaires battaient à ses yeux comme le son d’un métronome. Quand il sortit de la ville, l’obscurité se renforça, mais ses phares la trouèrent sans mal. La lune était presque ronde, sa lumière laiteuse lui donnant l’impression d’être mis à nu.
Dès que possible, il troqua la route principale pour un chemin caillouteux qui fit vibrer jusqu’à ses cheveux – étranglés dans un bonnet. Repérant l’ombre d’un grand bâtiment, il coupa les phares, roula au pas, puis exécuta un demi-tour maladroit avant de s’arrêter.
Les étoiles pailletaient au-dessus de la campagne odorante. Le mur d’enceinte de l’aéroport privé se découpait sur l’horizon, auréolé d’un éclairage que Sofiane jugea presque discret. Il craignait des projecteurs à n’en plus pouvoir, il estima que s’approcher ne poserait pas trop de problèmes.
Entrer, par contre.
Il fouilla dans le matériel qui traînait au fond du coffre, et pris un pied de biche, des pétards et une bombe de peinture. Il coinça le premier dans l’élastique de son caleçon, le reste dans sa poche, vérifia ses lacets et se mit en route.
L’adrénaline s’était gentiment installée à présent, et le rendait alerte. Il retrouvait des sensations oubliées, une assurance perdue dans les flammes deux ans plus tôt. Son corps, cependant, lui rappela bien vite qu’on ne l’avait pas entretenu.
L’entrée était une porte blindée. Il n’y avait pas de poste de guet, mais tout de même une caméra. Trop en hauteur pour la bombe de peinture. Sofiane ravala sa déception. Ado, dans une épicerie, ça avait marché. Une connerie de gosse que sa mère lui avait fait chèrement payer.
« Tu veux entretenir les clichés sur les arabes ? T’es pas une petite frappe de quartier, mon fils ! »
Puis son ton avait baissé, son regard souligné de khôl s’était fait grave, et elle avait dit :
« T’as un don Sofiane. Quelqu’un a voulu faire de toi le meilleur d’entre nous. C’est pour faire les choses bien. »
Chaque fois qu’il se rejouait cette scène, il retrouvait l’égocentrisme teinté d’anxiété qui l’avait saisi à l’époque. Le meilleur d’entre nous, c’était lourd à porter, surtout quand on ne l’était pas.
Il serra les dents et ramena ses réflexions sur l’instant présent. Dans le ciel, des loupiotes rouges et bleues s’étaient allumées au milieu des étoiles, signe qu’un avion entamait sa descente. Au même moment, sur la route, se fit entendre un ronronnement de moteur. Quitte à envisager toutes ces expériences adolescentes…
Il se baissa pour rester bien hors de vue, tout en retirant chaussures et chaussettes. Un fourgon arriva au ralentit et son conducteur en descendit tout en poursuivant la discussion avec son voisin :
— … à cent quatre-vingt degrés, vingt minutes au four.
Il avait sorti une carte et s’approchait d’un lecteur près de la porte. Ouverture électronique, d’accord. Pour sortir, ça allait être sympa, mais il s’en occuperait plus tard. Sofiane se jeta sous le véhicule et se cramponna des doigts et des orteils à la mécanique. Ses muscles protestèrent, son dos et ses fesses rappèrent stupidement contre l’asphalte – sans dommages pour sa peau, mais au détriment de ses fringues –, et il entra sans se faire repérer.
Il retrouva le sol quand la fourgonnette stoppa, se mit sur le ventre et rampa légèrement pour observer. Ils s’étaient garés à l’extrême bord d’une piste d’atterrissage, vers laquelle piquait un avion.
Le ciel se gonfla du vrombissement de l’engin, le sol vibra, puis le silence et, bientôt, l’avion s’immobilisa sur le tarmac. Deux employés approchèrent un escalier de la porte. Une dizaine d’hommes et femmes sortirent et, même à distance, même aplati au sol, Sofiane devina des vêtements d’intervention. Sombres, possiblement des gilets pare-balles, éventuellement armés.
Le gars à tête de rat avait vu juste : il se passait quelque chose de bizarre. Un déchargement nocturne, okay ; après tout, Sofiane n’y connaissait rien en avion de fret, encore moins en jet privé ou en lubies de riches. Par contre, engager une équipe armée pour superviser des caisses…
— Celle-là, elle va dans le fourgon, déclara quelqu’un.
Les employés entreprirent de mettre la-dite caisse sur un diable, mais l’un d’entre eux questionna :
— Vous transportez un truc vivant, là-dedans ? Y a des trous.
— Ça ne vous regarde pas, répliqua une femme. Contentez-vous de faire votre travail.
— L’est justement pas question que je le perde parce que quelqu’un se fait livrer des bestioles exotiques d’Afrique. J’vous préviens, si on nous pose des questions, on répondra !
Ses deux collègues répondirent par un faible assentiment quand il se tourna vers eux. Certains soldats – Sofiane imaginait que c’était leur métier – se marrèrent.
— Okay, Mère Thérésa, dit un homme, les trous c’est juste pour faire joli. Rassuré ?
— Et si ça te va pas, on refile ta prime à tes collègues, et toi…
Elle laissa sa phrase en suspens, ce qui jeta un froid sur la scène. Sofiane sentit la force de cette menace comme si elle s’adressait directement à lui. L’homme n’insista pas, il baissa la tête et monta dans son chariot élévateur pour s’occuper lui-même de la caisse de la discorde. Il s’approcha du fourgon et Sofiane se demanda sérieusement ce qu’il allait faire.
Si son visiteur nocturne avait vu juste, cet étrange chargement était dangereux. Il ne fallait donc pas qu’il arrive à destination.
Par contre, s’il détournait le véhicule, il pourrait le conduire jusqu’au poste de police. Il appellerait Leïla au préalable, et…
Le grondement du moteur le prit par surprise, et il se dépêcha de se raccrocher au fourgon pendant que la dizaine de soldats y montait.
Encore une fois, désolée pour mon temps de réponse. Ton commentaire m'a rassuré en plus, parce que c'est vraiment ça : je n'y connais rien, et en même temps je passe un moment très court avec ces avions, je voulais cibler l'essentiel.
Ca semble réussi, merci !
Voilà, chose promise chose dûe, je viens commenter ton chapitre 4 ! Je ne sais pas si je l'avais mentionné dans mon commentaire précédent, mais je trouve que tu sais toujours où et quand arrêter un chapitre, ton rythme est excellent. C'est une bonne scène d'infiltration, qui ne va pas trop vite sans pour autant s'éterniser. Je pense que l'un des soucis des auteurs lorsqu'ils écrivent ce genre de scènes, c'est de se perdre dans les détails. Ce n'est clairement pas le cas ici, même si quelque part j'aurais peut-être aimé un peu plus de tension, une brève peur de Sofiane de se faire coincer lorsqu'il passe sous le fourgon, la crainte de se faire voir dans le rétro ou quelque chose comme ça, peut-être ?
Mais après tout, c'est vrai que sa course n'est techniquement pas terminée et que le chapitre 5 continuera sûrement sur cette lancée, donc la tension peut arriver là.
Le dialogue entre les "sbires" est chouette aussi ! C'est justement rare que les sous-fifres s'interrogent les uns les autres, et je trouve que la crainte du transporteur (commerce d'animaux exotiques) est très fondée et très crédible. Bien joué !
PINAILLAGE :
- "elle n’avait pas compris qu’il vivait une situation stressante ?" - je trouve que la phrase fait un peu ampoulée pour le ton que Sofiane utilise habituellement et justement la teneur de la situation. Une formulation plus familière du style "qu'il était vraiment dans la merde/panade" collerait peut-être mieux à l'ambiance ?
- "Il coupa rapidement les phares, roula au pas, puis exécuta un demi-tour maladroit avant de s’arrêter." : dans ce paragraphe en particulier, on ne comprend pas exactement qu'il est arrivé à l'aéroport : il va sur le chemin caillouteux, puis il s'arrête : bêtement, on dirait qu'il s'arrête au milieu de rien. Il faudrait peut-être le mélanger avec le paragraphe suivant !
J'aime quand tes pinaillages rencontrent des phrases qui me convainquait pas à la base. Ce "elle n’avait pas compris qu’il vivait une situation stressante ?" ne m'a jamais plu. Je dois le modifier.
Merci pour ton retour, cher ami ! Un peu de tension, cela me semble rajoutable ! Je suis contente que l'absence de détails te plaise... Je pense que j'aurais été incapable de trop détailler justement xD Je suis pour la simplicité dans ce genre d'action.
Et merci pour mes chutes de chapitres ♥ C'est une bonne nouvelle puisque je ne planifie jamais leur fin (vu que je planifie comme une quiche).
A bientôt !
{*} Pour le moment, la scène que tu décris me fait très fortement penser à ce qu'on voit dans des jeux vidéos. Peut-être qu'il y aurait des façons de la démarquer, de la rendre un tout petit peu plus spécifique ?
{*} J'ai adoré ce souvenir, et cette pression gentille de sa mère d'être le meilleur d'entre nous. Leur relation me touche beaucoup.
La scène que je décris... l'infiltration sous le camion ? Que voudrais-tu dire par la rendre plus spécifique ?
Décidemment sa maman vous aura bien plu, je suis contente ♥
J'ai commencé le chapitre en me disant que Gros aller me manquer, mine de rien c'était le second protagoniste de l'histoire jusqu'à présent !
"Le meilleur d’entre nous, c’était lourd à porter, surtout quand on ne l’était pas." j'aime beaucoup cette phrase ! J'aime beaucoup aussi la phrase qu'a sortit la mère à un Sofiane plus jeune ; jusqu'à présent il n'est pas clair s'il y a réellement des superpouvoirs ou non, surtout avec la mention des films Marvel qui désarmorce l'aspect fantastique en le réduisant au ridicule, mais je ne sais pas si c'est pour mieux te jouer de nous... La mention du "don" est-elle en raison d'un véritable pouvoir, d'une "simple" facilité qu'aurait Sofiane, ou une vision idéalisée de son fils par une mère aimante ? J'apprécie beaucoup toutes ces couches possibles d'interprétation qui servent le mystère de ton histoire.
Bon et sinon... il a l'air en fort mauvaise posture là le Sofiane ! xD
Plein de bisous !
Bon, dans mes chapitres actualisés j'ai rendu plus clair le fait qu'il a un pouvoir. Il est très - très - résistant. C'est pour ça que le type vient le trouver et l'appelle l'Indestructible.
Clairement j'ai raté mon truc, parce que tu n'es pas le premier à douter de ça >< Je lève donc le voile pour toi
Mais qui te dit que Gros ne reviendra pas ? Il n'a pas dit son dernier mot !
Merci pour tes commentaires ♥
Je trouve l'évolution psychologique de Sofiane très réaliste et très intéressante : visiblement, ce qu'il y avait de noté sur le papier l'a piqué, et même si je ne sais pas encore de quoi il en retourne, je comprends qu'il se réveille d'un coup. A voir ce que ce chargement contient et dans quel pétrin Sofiane s'est fourré, of course !
Une 'tite coquille histoire d'avoir un truc un peu plus constructif à dire :
"fourgon arriva au ralentit" : au ralenti
Merci pour Sofiane et pour la coquille ♥
Nous voilà dans l'action ! Il y a eu petit flou pour moi : j'ai compris qu'un fourgon entrait (celui auquel est accroché sofiane), mais que deux ressortaient. Il y en avait déjà un sur place alors ? ou c'ets moi qui déraille ? Bref, je n'ai pas compris le truc... Sinon, RAS, ce chapitre fonctionne bien, Sofiane reprend ses réflexes d'homme d'action et il ne me reste plus qu'à aller voir la suite...
détails
La lumière des lampadaires battaient : battait
son dos et ses fesses rappèrent stupidement contre l’asphalte: rapèrent
Je reprendrai ce passage alors. Il n'y a effectivement rien qui sort. Sofiane entre avec un fourgon, qu'on charge de la marchandise, puis ce même fourgon repart.