L'aube. Je fus le premier réveillé, car j'avais réussi à m'endormir tôt en me sortant de la tête que j'allais sûrement tuer... ou l'être. J'enfilais rapidement une tunique de cuir tannée, de bottes de fourrure et des mitaines de tissu. Pour couronner le tout, j'enfilais une cape et mettais la capuche. Laissant pour l'instant mon armement, j'allais prendre un demi pain pour moi et un autre pour Luktir. Je le secouais rapidement.
« Habille-toi. Je réveille les autres et on part. »
Sans lui laisser le temps de faire autre chose que de grogner, je mettais un petit coup de pied dans les côtes de Winter et de Kriss, le dernier, qui ne m'avait donné son nom qu'hier soir. Dix minutes plus tard, j'avais mon bouclier dans le dos, mon épée et une besace
à la ceinture. Les autres s'étaient aussi équipés : Luktir portait presque la même tunique que moi, avec cependant des gantelets pour protéger ses bras de son arc. Kriss portait un lourd plastron de type militaire, des bottes ferrées et sa hache pendait dans son dos. Winter, quand à lui, était accoutré de façon plus étrange : Une légère robe en soie noire, aux coutures bordées de fils d'argent et d'or, sur laquelle il avait mis un lourd manteau de fourrure retournée.
L'aube se levait doucement, faisant reluire les petites plaques de neige au sol. Aucun oiseau ne chantait, la clairière était silencieuse. Orikur travaillait déjà, et je m'empressais d'aller le voir.
« Alors, vers où vas-on ?
-Le sud. Ils ont étés aperçus à l'ouest de Krindarr.
-Bien. Quels sont les objectifs ?
-Simple : vous y allez, si vous le pouvez, vous les exterminez, et sinon, vous venez faire un rapport.
-D'accord. Nous n'allons pas perdre plus de temps, je vais partir maintenant. »
Sans un mot superflu, je faisais signe à mes compagnons de me suivre. Luktir donna un petit coup de coude à Winter, qui ramassa un vieux bâton en grommelant. Kriss vint se placer à côté de moi dans un cliquètement métallique. Nous étions prêts. Alors que le soleil n’apparaissait pas en entier derrière le Pic des Anges, nous nous enfoncions dans le sous-bois. Rien ne vînt nous déranger durant les premières heures, à part la rosée qui alourdissait les bottes. Vers dix heures, Luktir leva un bras par dessus son épaule, ses jambes se raidissant. Il sortit son arc et encocha une flèche.
« Du bruit. Plusieurs créatures. »
En effet, je ne tardais pas entendre des rires et des voix rauques conversant en une langue inconnue.
Dégainant mon épée, je passais en tête du groupe. D'un chuchotement discret, j'intimai à mes compagnons de se tenir prêts, puis à Winter et à Luktir de monter sur une petite butte rocheuse. Je levais le bras, et, de mes doigts tendus, j'entamai un lent compte à rebours. Ma lame et celle de Kriss brillaient toute deux d'un éclat argenté, renvoyant la lumière du soleil. Celui-ci éclairait les parcelles de neige immaculée et les feuilles mortes, foulées du pied par nos ennemis. Ils s'étaient rapprochés et on voyait distinctement une dizaine de gobelins jacasser entre eux. Lames aux clair, les immondes créatures ne portaient qu'un pagne, voire une peau de bête. J'en repérais rapidement un, qui portait des vêtements et une lame pour le moins potable, et, détail significatif, avait les oreilles et le nez percés d'anneaux et de petits os en tout genres. Ils entouraient une caravane, tractée par deux chevaux de traits. L'adrénaline du combat proche me submergea. Je voyais le monde d'une façon plus posée mais en même temps plus... bestiale. Le moindre bruit, la moindre odeur me parvenait. Mes instincts de mercenaire avaient repris le dessus, et j'en vînt à m'inquiéter du bruit sourd de mon cœur, si fort que j’eus peur qu'il me trahisse. Mes jambes étaient raides, mes mains moites et livides autours de mon arme et de mon bouclier. Puis mon dernier doigt se replia.
Leur première vision fut celle d'un trait argenté qui vînt se ficher dans la tête de l'un d'entre eux. Puis Kriss et moi avons déboulés de la colline dans un grand cri de rage. Lui, en un rien de temps, sa hache s'était balancée pour tracer une ligne dans le torse d'un des gobelins. Mon adversaire se fendit, tentant de m’atteindre à l'aine, mais j’esquivai d'un pas sur ma droite. Emporté par son élan, il me dépassa et lui transperçai la nuque. Retirant ma lame dans un bruit de succion écœurant, je fis quelques pas vers le chariot. Un autre prit rapidement sa place. Une de mes fentes ripa sur son bouclier et il en profita pour m'entailler le poignet. Je vis son sourire se décomposer lorsqu'une hache vînt lui fracasser le crâne. D'un léger signe de tête, je remerciai Kriss. Soudain, dans nôtre dos, un grondement se fit entendre. Comme le tonnerre, mais en plus terrifiant. Nos ombres s'allongeaient sur le sol, et, en me retournant, je fus ébloui par une intense lumière blanche qui émanait du bâton de Winter.
« Wihl... Idemzyh »
Dans un rugissement assourdissant, la boule de lumière au bout du bâton enfla, enfla jusqu'à recouvrir le mage tout entier. Mais sa taille continua d'augmenter, et, alors qu'elle atteignait le premier monstre, celui-ci hurla de rage et de douleur, un cri difforme qui me déchira les tympans. Puis, tel un concerto, tout nos ennemis crièrent, sans discontinuer. J'avais beau fermer les yeux et me boucher les oreilles, rien n'y faisait. Et tout s’arrêta. Le bois redevint sombre. Au milieu des corps à demi-calcinés des gobelins, Kriss et moi, stupéfaits. Winter bascula en avant et Luktir se précipita pour le retenir. Nous avions gagnés. Mais pas d'une façon conventionnelle, pas à la force de nos bras. Tant pis, dans une bataille, seule compte la victoire. Nous ne faisions que peux de cas de l'honneur contre de tels ennemis. Il nous fallu bien quelques minutes pour retrouver nos esprits. Je tombai sur une chaise, épuisé, serrant mon bras de ma main valide. Le grand guerrier qu'était Kriss fit de même, lâchant sa hache à ses pieds.