Chapitre 4

Par Ley

On avait choisi une petite voiture. Enfin, Daniel avait choisi une petite voiture, une coccinelle rouge. Je voulais chercher une grosse voiture qui aurait fait beaucoup de bruit mais il m'a forcé à choisir la coccinelle qu'on pourrait risquer d'abîmer le temps que j'apprenne. Peut-être aussi qu'il m'y avait forcé parce que les clés avaient étaient abandonnées sur la voiture. Je ne savais pas qui pouvait laisser ses clés de voiture sur la voiture et espérer qu'elle ne soit pas volée mais je n'allais pas lui laisser croire qu'on l'épargnerait.

Daniel me regarda avec amusement mettre quelques minutes à allumer la voiture avant de m'indiquer d'un signe de son feutre de régler mon siège, attacher ma ceinture, vérifier mes rétroviseurs, poser mes mains à dix heures dix... J'obéis avec agacement et appuyai sur une pédale avant que Daniel ne frappe mon genou et ne montre une autre pédale. Apparemment, j'avais appuyé sur la pédale de frein. Il était vrai que je ne connaissais pas grand chose en voiture. Daniel me fit signe en mimant avec sa main d'appuyer tout doucement avant de poser sa main sur le boîtier de vitesse, indiquant ainsi qu'il prenait ça en charge. Je me demandais quand est-ce qu'il avait appris à conduire mais je n'allais pas le lui demander maintenant car il n'avait rien pour écrire que je n'avais toujours pas appris la langue des signes – et même si je l'avais apprise, ce serait dangereux au volant.

J'appuyai alors sur la pédale, près à prendre de la vitesse dans le parking et me voyant déjà partir sur les routes désertes, les cheveux au vent à bord d'une décapotable, vers le soleil couchant avec Daniel à mes côtés et Magicarpe sur ses cuisses. La voiture cala. Daniel pouffa avant de redémarrer la voiture et de me faire signe de recommencer. Cette fois-ci, la voiture démarra. Certes, nous n'allions pas très vite, mais nous roulions et c'était déjà impressionnant. Je me tournai vers Daniel avec un sourire fier et il sembla content pour moi aussi, bien qu'absolument amusé par mon humeur. Je m'en fichai, j'étais au volant et trois ans en avance.

Je me calmai alors. Est-ce que les lois existaient toujours? Daniel m'adressa un regard intrigué.

«Est-ce que les lois existent toujours?»

Daniel sembla hésiter un moment avant de hausser les épaules, ne le sachant pas plus que moi. Puis il se mit à fouiller dans la voiture et trouva un papier roulé en boule au fond de la boite à gant. Il le déplia et sortit son feutre pour écrire dessus avant de me le tendre.

Je ne pense pas vu qu'il n'y a que nous pour appliquer des lois qu'on n'est même pas sûrs de connaître.

«On devrait réfléchir à des règles auxquelles obéir. Comme, interdiction de tuer l'autre.»

Daniel rit mais hocha la tête. Il reprit son papier et écrit en plus petit, avec difficulté, dessus avant de me le rendre.

Tu veux qu'on s'en occupe maintenant?

Je fixai le volant. Je savais qu'il était important que l'on s'occuper de cette question mais j'avais aussi très envie de conduire. Il fallait peut-être être sérieux histoire de nous en sortir et de continuer à agir avec conscience et responsabilité.

Daniel glissa à nouveau le papier dans ma direction.

Tu veux qu'on en discute devant une glace? Je doute qu'on ait tout mangé au fast-food.

La conscience et les responsabilités pouvaient bien attendre un peu.

 

-o-o-o-

 

J'enfonçai une cuillère de glace à la vanille dans ma bouche en regardant Daniel écrire le mot Règles sur un grand tableau blanc avec son feutre indélébile. Il leva ensuite les yeux vers moi avant d'écrire sur la table.

Quelle règle pour commencer?

«Interdiction de tuer l'autre ou qui que ce soit si on trouve quelqu'un d'autre un jour.»

Tu sembles vraiment y tenir. Ça me va, mais j'ai une objection. On s'autorise à le faire si l'autre souffre trop pour qu'on puisse l'aider ou si on pense que l'autre peut représenter un danger pour nous. On n'est que tous les deux, c'est facile de céder à la folie.

Il avait écrit sur une bonne partie de la table ce qui me fit penser que j'allais vraiment avoir besoin d'apprendre la langue des signes. Je grimaçai en admettant sans un mot qu'il n'avait pas tort. Il était possible que l'un de nous deux devienne fou un jour et représente un danger. Il semblait important de le préciser sur notre tableau de règles alors je hochai la tête pour donner mon accord.

Quand il eut fini – et je remarquai qu'il avait fait attention à ne pas écrire trop gros – il se tourna une nouvelle fois vers moi.

J'ai une règle. Il nous faut un moyen plus simple de communiquer.

«Je comptais apprendre la langue des signes.»

Oui mais ça t'obligera à me regarder tout le temps.

«C'est un problème? Tu ne veux pas que je l'apprenne?»

Si, évidemment, ce sera plus pratique. Ce que je veux dire, c'est que parfois on devrait pouvoir communiquer même si on n'est pas face à face.

«Et tu veux qu'on fasse quoi pour ça?»

Apprenons le morse.

Sa dernière phrase était très proche de moi et ne fit d'abord aucun sens car je visualisai un vrai morse et je ne comprenais par en quoi un animal qu'on était sûr de ne jamais voir de notre vie allait nous aider. Daniel dut comprendre mon incompréhension car il précisa.

Le langage morse. Comme à l'armée.

Je compris enfin. Et je n'avais pas la moindre idée de comment j'allais apprendre ça. Mais ce n'était pas comme si c'était impossible donc je l'apprendrais en plus de la langue des signes, pour améliorer ma façon de communiquer avec lui. J'acceptais sa règle et il la nota également. Je pouvais comprendre qu'il ressente le besoin de le marquer, c'était sûrement important pour lui.

«Il va aussi falloir que l'on pense à se répartir les tâches.»

Tu veux en faire une loi officielle de notre nouveau régime politique?

«Ce n'est pas non plus un régime politique. C'est plus comme les règles d'une colocation.»

Tu connais beaucoup de colocation qui commencent leur règlement de vie commune par un rappel de ne pas tuer?

«Je vois ce que tu veux dire mais il faut aussi penser à la possibilité qu'on soit un jour rejoint par d'autres personnes. Le mettre en évidence maintenant, ça vaut aussi pour eux. S'ils veulent nous rejoindre, ils doivent comprendre immédiatement qu'ils doivent participer à la vie commune.»

Daniel sembla réfléchir à mes mots une seconde avant de hocher la tête et d'écrire ce que je venais de dire.

«Tant que tu y es, interdiction de tuer un animal si on a déjà de quoi manger. On ne sait pas quand on perdra l'électricité alors on doit apprendre à faire attention à nos réserves.»

On va devoir quitter la ville pour se trouver un bon endroit où faire pousser des légumes et des fruits. Si on se trouve une poule, on aura même des œufs.

«Jusqu'à ce qu'elle meure.»

Tu n'es pas optimiste. Ce serait déjà génial si on peut trouver une poule.

Il n'avait pas tort. Il écrit la quatrième règle qui finit de remplir le tableau puis se tourna vers moi en bouchant le crayon. Il n'y avait plus de place sur la table alors il grimpa sur les fauteuils et alla écrire sur la vitre.

Le cinquième jour, les deux idiots qui étaient obligés d'être amis s'étaient déjà imposés quatre lois pour s'assurer qu'ils ne s'égorgeraient pas le sixième jour.

Ça me fit rire et Daniel souriait comme un idiot, les mains posées fièrement en poing sur ses hanches et il se pencha vers moi sur le ton de la confidence avant d'écrire une fois de plus sur la vitre.

Une dernière règle, juste pour nous deux: On ne se sépare plus. On reste ensemble jusqu'à la fin.

«Jusqu'à la fin, ça me va.»

Daniel sembla satisfait et on se tourna d'une même tête vers le tableau que je décidai de lire intérieurement avant qu'on la signe tous les deux de notre nom.

Règles d'une colocation

1- Interdiction de tuer l'autre, sauf si on ne peut le sauver ou bien que notre vie se trouve en danger à cause de l'autre

2 - Il faut que tout le monde puisse communiquer de la façon la plus fluide et efficace possible à chaque moment

3 – Tous les membres de la colocation doivent partager leurs tâches de façon égale et respectueuse sans y déroger sous aucun prétexte bidon

4 – Il est interdit de tuer un animal si la nourriture ne manque pas

DANIEL & SUZON

J'étais plutôt fier de nos règles. On en avait fait juste assez pour garder un équilibre sans risquer des problèmes idiots. Puis je regardai la table et la vitre barbouillées et me dis qu'il était peut-être bien grand temps de trouver un carnet pour que Daniel puisse écrire parce qu'il était en train de laisser une trace partout. Mais étrangement, je préférais ainsi, au moins pour le moment. Au moins comme ça, j'étais sûr qu'il était là et ça donnait une réelle impression de vie. Je lui trouverais un carnet quand il n'y aurait plus de place pour qu'il écrive.

 

-o-o-o-

 

Quand le soleil avait commencé à se coucher, on avait décidé de rentrer à l'appartement que Daniel occupait avec Magicarpe. Je n'avais presque pas de difficultés avec la voiture, seulement pour démarrer et tourner dans des rues un peu trop étroites et j'étais fier parce que Daniel avait l'air fier aussi. C'était idiot mais ça me rassurait. On avait profité du fait que les lampadaires fonctionnent toujours pour rentrer à pied, sans rien dire. Ça avait été un peu gênant alors je me mis en tête d'aller chercher une bibliothèque le lendemain pour y chercher un livre sur la langue des signes ou sur le langage morse. Quand on était arrivé, on monta mes affaires ensemble en faisant plusieurs tours. Daniel n'avait fait aucune remarque sur mes talons-hauts, à mon grand soulagement, et avait apprécié le ukulélé qu'il avait essayé immédiatement. On pouvait affirmer qu'il n'avait pas un don pour ça mais ça ne l'empêcha pas de vouloir quand même apprendre.

Daniel avait d'abord nourri Magicarpe qu'il avait ramené avec nous pour que l'on mange tous les trois ensemble devant une série avec des rires enregistrés qui faisait rire Daniel. Je n'avais personnellement pas ris mais je devais bien avouer que c'était divertissant avec une assiette de haricots verts en conserve qui étaient à peine assez chaud. Faire à manger n'était pas non plus un don de Daniel, j'allais devoir m'en occuper, ça me forcerait à mieux manger.

Au moment d'aller se coucher, Daniel m'avait laissé l'accès à la chambre comme il n'osait visiblement toujours pas quitter son canapé, ou peut-être était-ce par politesse. Peut-être qu'il voulait être au plus proche de la porte s'il y avait un problème. J'avais fixé un moment Magicarpe qui tournait inconsciemment dans son bocal, me demandant comment il pouvait encore être là lui aussi, et si ça cachait en fait quelque chose que je ne saurais pas, avant de décider de m'endormir mais je n'arrivais pas à trouver le sommeil, les yeux rivés sur le plafond. C'est alors que j'entendis des petits pas étouffés sur le sol. Je savais que c'était Daniel car il n'y avait personne d'autre mais je ne m'étais pas attendu à le sentir se glisser sous la couette à mes côtés et enrouler ses bras autour de ma poitrine, la tête dans ma gorge.

«Daniel?»

Je ne savais pas pourquoi je chuchotais, ce n'était pas comme si j'allais réveiller quelqu'un. C'était peut-être par timidité vis-à-vis de Magicarpe. Daniel ne répondit rien, sans grande surprise, et ne bougea pas non plus, et bientôt sa respiration se fit plus lente et je compris qu'il dormait. Craignant de le réveiller en essayant de m'arracher à son étreinte, je restai là et très vite je trouvai le sommeil à mon tour, me sentant étrangement en sécurité en ayant une preuve que je n'étais plus seul dans ce grand monde vide.

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