Chapitre 5

Par Ley

Je mis un moment à mon réveil à comprendre pourquoi je n'arrivais pas à bouger comme je le souhaitais, puis je me rappelai que mon colocataire m'avait rejoint dans ce que j'avais craint être une insomnie et on s'était endormi dans les bras l'un de l'autre. Enfin moi dans les siens. Daniel était toujours endormi et semblait définitivement accroché à moi comme si j'étais sa bouée de sauvetage et c'était peut-être le cas. En tout cas, il était définitivement la mienne. Je me rendis d'ailleurs compte que je m'étais également accroché à lui car j'avais enroulé un de mes bras et une de mes jambes autour de lui et j'avais même coincé mes doigts dans ses anglaises. Sans mauvais jeu de mot. J'avais essayé de l'enlever mais ils étaient accrochés alors j'avais du glisser mon autre bras sous celui de mon colocataire pour les retirer et depuis, mon bras gauche était coincé sous le corps de Daniel. Je n'allais jamais réussir à m'échapper avant le réveil de Daniel et ça allait être gênant, au moins pour moi. Je n'étais pas sûr que Daniel s'en formaliserait, c'était lui qui m'avait rejoint après tout.

Je finis enfin par m'arracher à la prise de Daniel mais je rencontrai le vide plus rapidement que je ne l'aurais espéré et m'écrasai sur le sol. Ce n'était clairement pas mon action la plus discrète. Je n'eus pas le temps de me relever qu'un oreiller s'écrasa sur moi visage et quand je l'enlevai, je me retrouvai à faire face à un couteau à viande que Daniel tenait dans ma direction. Comment avait-il eu le temps d'avoir ça? Quand il me reconnut, Daniel baissa son couteau, n'étant dès lors plus une menace. Ma chute avait du lui faire croire que je représentais un danger. Ce n'était tout de même pas rassurant s'il réussissait à cacher des armes comme ça.

Daniel me tendit la main pour m'aider à me relever mais je le fis tout seul, pas spécialement à l'aise avec le fait qu'il ait un couteau sur lui. Il ne sembla pas s'en formaliser.

«Tu as un couteau sur toi.»

Il hocha la tête et sortit son feutre de nulle part. Combien de choses cachait-il sur lui? Le feutre crissa sur le mur avant que je ne lise.

Évidemment, tu veux que je fasse quoi s'il y a le moindre danger? Me laisser être tué en toute cordialité?

«Ouais... Mais si tu pouvais juste éviter de ramener des armes dans notre-... mon... ton... dans le lit, ce serait bien. Au pied du lit à la limite. D'ailleurs, pourquoi tu m'as rejoint?»

Daniel baissa les yeux et quitta le lit, comptant visiblement ne pas me répondre. Ça n'allait pas se passer comme ça. Avant qu'il ne puisse sortir, je me mis dans l'encadrement de la porte, lui bloquant l'accès au reste de l'appartement.

«Il me semble qu'une de nos règles est basée sur la communication. Ça implique que je vais apprendre la langue des signes et le morse et que l'on soit honnête l'un envers l'autre. Ce n'est pas grave que tu m'aies rejoint, je t'aurais poussé hors du lit si ça avait été le cas, mais je veux savoir pourquoi.»

Daniel sembla agacé mais se résigna. Il décapuchonna son crayon et écrit sur le mur à côté de moi.

J'avais peur que tu disparaisse dans mon sommeil. L'idée que je sois à nouveau seul me terrifiait et je n'arrivais pas à m'endormir alors je suis allé te rejoindre pour être sûr que tu ne partes pas. Ça va maintenant, je ne le ferai plus, promis. Laisse-moi passer maintenant.

Je me décalai et le laissai passer. Daniel sembla soulagé et il me dépassa pour aller s'enfermer dans la salle de bain. Je m'appuyai contre la porte et toquai doucement pour attirer son attention.

«Moi aussi, j'avais peur que tu disparaisses alors je comprends ce que tu as fait.» Sans surprise, je n'eus pas de réponse. «Et je suis content qu'on ait pu parler, enfin communiquer.»

Je continuai à fixer la porte quelques secondes avant de me rendre compte que je devais gêner Daniel pour se doucher alors je m'écartai en rougissant.

«Je... Je vais faire quelque chose, je reviens.»

 

-o-o-o-

 

J'étais presque sûr que Daniel était surpris quand il a entendu le klaxon. Je le vis apparaître à la fenêtre et il écarquilla les yeux de surprise. Je pouvais le comprendre mais je m'en fichais. J'avais mis un temps fou pour trouver une voiture qui faisait décapotable et j'espérais franchement que ça lui plairait autant que l'idée me plaisait à moi. Au moins, le temps que je trouve cette voiture, Daniel avait pu se coiffer comme il semblait aimer le faire. Daniel semblait définitivement être coquet pour prendre autant de temps pour se coiffer ainsi. Pas que ça ne lui allait pas mais ce n'était pas souvent que je voyais quelqu'un d'aussi coquet. Personne n'avait jamais le temps de l'être avant.

Je me mis debout dans la voiture et le salua vivement de la main.

«Daniel, descends! Et prends Magicarpe, on l'emmène en promenade.»

Il pencha la tête sur le côté d'incompréhension avant de comprendre et de descendre. Je le vis bientôt arriver en trottinant avec Magicarpe entre ses mains et il grimpa dans la voiture. Il se tourna vers moi avec des yeux brillants et je laissai mes lunettes de soleil tomber sur mon nez en allumant la radio et Should I Stay Or Should I Go démarra avec force. Daniel souriait franchement et semblait à deux doigts de rire ce qui me rassura. C'était mieux si on ne se disputait pas comme on n'avait personne d'autre à étriper que l'autre.

Daniel fouilla dans la boite à gants et en sortit un passeport sur lequel il écrivit.

Tu n'as pas peur d'abîmer cette voiture?

«Si il y a trop de risques, tu prendras le relais vu que tu as l'air d'aller mieux.»

Il me sourit et je démarrai la voiture. Je n'avais jamais connu bien grand chose en matière de voitures mais je savais apprécier qu'en j'en voyais une belle et une voiture comme ça, ça devait aller sur une grande route très vide et très longue. Je me tournai alors vers Daniel.

«Tu sais où on peut trouver une autoroute pour en profiter?»

Daniel secoua la tête négativement et me fit signe de regarder la route. J'obéis et montai encore le son, chantant faux les paroles de la chanson. Amusé, Daniel se mit à rire et lâcha le bocal de Magicarpe posé contre son ventre entre ses cuisses et leva les mains pour les laisser ressentir la force du vent dessus. C'était idiot. On était deux crétins qui profitaient autant que possible sans faire attention ou s'inquiéter pour quoi que ce soit et on savait que ce n'était pas une bonne idée mais on était jeunes et on pouvait profiter de la liberté pour la première fois depuis longtemps alors évidemment qu'on allait en profiter tant qu'on le pouvait.

Rouler dans les rues vides était amusant. Ça donnait presque l'impression d'être dans un jeu vidéo sur un monde post-apocalyptique et je m'attendais à voir des zombies arriver d'un instant à l'autre mais ça avait aussi, étrangement, un côté très apaisant. C'était comme si rien ne pourrait nous arriver – pourtant je m'étais bien écorché le bras la veille et Daniel avait boité jusqu'à ce matin – et que tout irait toujours bien.

On s'arrêta au bout d'un moment quand le soleil fut bien haut au-dessus de nos têtes. J'avais chaud alors je retirai ma chemise vert pomme. Daniel fit de même et il me fit penser à ces hommes de fantasme que s'imaginaient apparemment les femmes alors qu'il défaisait un pli sur sa salopette. Il n'avait juste pas du tout la carrure d'un fantasme et il portait des sandales et des chaussettes. Il se mit pieds nus car le béton n'était pas trop chaud mais remis ses sandales quand je lui fis remarquer des bouts de verre sur le sol. Visiblement, il n'était pas content de ne pas pouvoir être pieds nus ce qui me fit penser que, inévitablement, on finirait un jour en campagne, ou n'importe où là où le sol n'était pas un danger pour les pieds.

«Tu as faim? On devrait bien se trouver quelque chose à manger dans le coin.»

Daniel secoua négativement la tête, à mon grand dam car je n'avais rien mangé depuis le réveil, et pointa le bas de la rue. Je regardai la direction indiquée et finis par apercevoir une piscine municipale. Je grimaçai.

«Tu veux te baigner?»

Daniel était affirmatif dans son hochement de tête. Il me fit son plus grand sourire et récupéra Magicarpe avant de commencer à descendre. Donc on y allait aussi à pieds. Un peu déçu de ne pas pouvoir continuer à conduire mais soulagé de mettre plus de temps pour rejoindre la piscine, j'hésitais à dire à Daniel que je ne savais pas conduire. C'était gênant et étant donné notre âge, ça le ferait sûrement rire et il aurait raison. Peut-être que je réussirais à le convaincre de ne pas se baigner si la piscine était fermée. Elle le serait sûrement. A contrario des fast-foods, il était plus que rare qu'une piscine n'ait été ouverte à trois heures du matin quand tout était parti – c'était en tout cas ma théorie.

Effectivement, quand on arriva, les portes étaient fermées. Je soupirai de soulagement jusqu'à voir Daniel poser Magicarpe au sol et récupérer une grosse pierre pour la jeter contre la porte vitrée. Il avait l'air déçu de ne pas avoir réussi à la briser.

«Tu veux te baigner tant que ça?»

Daniel acquiesça en collant son nez sur la porte vitrée, les yeux plissés d'agacement. Il tenta de forcer la serrure en secouant la porte mais celle-ci ne s'ouvrit évidemment pas.

«Tu sais, je n'ai pas vraiment envie de me baigner. On peut peut-être faire autre chose et revenir plus tard quand on aura appris à déverrouiller les serrures.»

Daniel m'observa avec curiosité et j'eus peur qu'il ait deviné pour mon incapacité à savoir nager mais ça ne faisait pas de sens, il ne pouvait pas lire mes pensées, si? Peut-être qu'il pouvait. Ce serait injuste car je ne le pouvais pas. Je n'y fis pas attention mais il s'éloigna et commença à faire le tour du bâtiment avant de revenir. Il avait l'air heureux donc je compris qu'il avait trouvé une entrée. Tant pis pour moi. Je le suivis avec un soupir contenu en récupérant Magicarpe. J'aurais aimé être un poisson, j'aurais su comment nager comme ça. Il faudrait aussi que je fasse attention à ce que Magicarpe ne saute pas dans la piscine, ce serait horrible de le perdre, pour moi comme Daniel.

On entra par une petite porte qui avait clairement été forcée par Daniel et je ne savais pas pourquoi il n'avait pas forcé la grande porte vitrée. Peut-être que celle-ci était plus facile à forcer. Je n'y connaissais rien en crochetage de portes. Daniel se précipita vers l'entrée de la piscine, m'ignorant quand je lui dis de ne pas courir au bord de la piscine, et alla déverrouiller la porte vitrée de l'intérieur. Je le vis ensuite se tourner vers un distributeur, un de ceux qu'on ne trouvait que dans les piscines publiques, distribuant des accessoires nécessaires pour la piscine que n'importe quelle personne pensait normalement à prendre avant d'arriver à la-dite piscine. Daniel secoua le distributeur avec un agacement plus que visible avant de se diriger vers la caisse qu'il ouvrit pour en sortir des pièces de monnaie dont il se servit pour acheter un maillot de bain.

«Tu n'es pas obligé de te mettre en maillot, tu sais. Personne ne va te juger. Pas moi en tout cas.»

Il se mit à écrire sur le distributeur avant de retirer son maillot de bain du sachet plastique. Je m'approchai pour lire.

Je sais mais si j'y vais en caleçon, il va être trempé et ce sera désagréable après. Je tomberai peut-être même malade.

Je pouvais comprendre ça même si ça ne m'était jamais arrivé. D'avoir le caleçon trempé par de l'eau chlorée, pas d'être malade. Daniel alla se changer en trottinant dans les couloirs et les vestiaires. Je l'attendis sur les gradins de la piscine, Magicarpe à côté de moi. Je ne vis pas Daniel arriver mais je l'entendis quand ses pieds tapèrent en vitesse sur le sol et quand il sauta dans l'eau. Il nageait très bien, vraiment bien, et semblait totalement à son aise dans l'eau. Je comprenais mieux pourquoi il voulait tant venir ici. Il avait l'air plus détendu qu'il ne l'avait été depuis que je le connaissais. Donc depuis hier. Peut-être que c'était moi qui le stressait. Ce n'était pas étonnant. En deux jours, Daniel s'était porté garant pour m'apprendre la langue des signes et à conduire et on devait tous les deux apprendre le morse (étrangement, j'étais sûr que ce serait plus difficile que ce qu'on essayait de faire croire). Il fallait que je fasse plus d'efforts pour alléger la responsabilité qu'il se mettait sur les épaules. C'était l'une de règles de notre colocation après tout.

Daniel sortit la tête de l'eau et m'observa avec un sourire apaisé. Il s'appuya sur le bord de la piscine et sa frange lui cachait presque complètement les yeux. Il me salua de la main et je fis de même puis il me fit signe de lui rejoindre. Je secouai négativement la tête et baissai les yeux vers Magicarpe quand sa bouche se figea en une moue d'incompréhension. Je décidai d'être honnête, il comprendrait sûrement. Et si ça le faisait rire, je jetterai son linge dans l'eau. Ça lui apprendrait les bonnes manières. Je laissai Magicarpe sur les gradins et m'approchai de Daniel pour m'asseoir face à lui.

«Je ne sais pas nager. Ce n'est pas par peur de l'eau car je m'en fiche mais je n'ai jamais voulu apprendre. Je n'ai toujours eu de l'eau dans laquelle nager qu'à la piscine et je n'ai jamais eu les moyens d'y aller donc je n'ai jamais appris. Et je n'ai toujours pas envie d'apprendre au cas où tu voudrais le proposer. Si un jour j'ai envie, j'irai dans le bassin des petits enfants, je gonflerai des brassards et je pataugerai. En attendant, profite de tout l'espace que tu as pour toi tout seul.»

Daniel ne se moqua pas de moi. À la place, il hocha la tête et me regarda avec un sourire compréhensif pour me faire comprendre qu'il ne me jugeait pas. Je le regardai retourner se baigner en toute tranquillité puis je revins aux gradins à côté de Magicarpe.

Je ne comprenais pas tous ceux qui avant disaient que la beauté ce n'était que le physique. Daniel était magnifique à l'instant parce qu'il était respectueux et compréhensif.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez