Chapitre 4 : Amour, toujours ?

Le lendemain, je reproduisis exactement les mêmes actes de la journée précédente, sans obtenir le moindre résultat. La semaine se déroula ainsi et je finis par me dire que j’avais imaginé toute la scène.

Qu’importe, j’allais débuter un nouveau travail d’ici deux semaines et je devais y être préparée autant psychologiquement que physiquement. Car si mon apparence n’avait aucune importance dans l’entrepôt poussiéreux d’une imprimerie, il n’en allait pas de même à l’accueil d’un EHPAD.

Je pris rendez-vous chez ma coiffeuse, me fis couper les pointes et faire un balayage d’un roux chatoyant. Après trois bonnes heures à me faire coiffer, j’étais d’excellente humeur. Il faut dire que je ne vais que deux fois par an chez la coiffeuse, alors ces moments rares, je les savoure !

Le mercredi, j’avais entrepris un grand nettoyage de ma maison afin de bien entamer mon nouveau départ. Bob, circonspect, m’observait me démener depuis son poste d’observation favori : la partie haute de la bibliothèque du salon.

Le vendredi, j’avais bien déblayé, en surface. Tout avait l’air propre et ordonné, ce qui était un exploit ces deniers temps. Depuis ma séparation, je m’étais laissée aller autant sur mon apparence que dans mon intérieur. Je faisais le ménage, bien sûr, tout de même, je n’étais pas une souillon ! - Blanche-Neige et Cendrillon, sortez de ce corps ! Notez bien cet archétype réducteur digne d’un dessin animé de Walt Disney. - Mais j’avais arrêté tout ce qui auparavant me plaisait tant : faire les magasins, le week-end, à la recherche de déco en accord avec mon humeur du moment, coudre des accessoires écolos pour la maison ou des cadeaux de naissance, dessiner et peindre, broder, écrire, jardiner…

Cet homme, Gregory, qui m’avait promis tant au début de notre relation s’était avéré bien décevant tout compte fait. Nous avions passé 17 années ensemble, avec des hauts et beaucoup de bas. Dès les premières années de notre relation, il s’était employé à éloigner de moi tous mes amis d’avant lui, aussi bien mon meilleur ami, que mes amies de lycée. Il m’avait fait des crises de jalousie répétées, posé des ultimatums, tenue avec du chantage affectif.

Sans que j’en sois consciente, je revivais dans cette relation tout ce que j’avais déjà connu : le chantage affectif maternel, la manipulation et l’isolation de Laura, la maltraitance affective et les brimades. Il me maintenait dans un rapport de dépendance terrible.

Je ne savais plus sortir dans la rue sans lui, sans sa main dans la mienne qu’il avait imposée dès notre première sortie ensemble. Une seule fois, j’avais, sans penser à mal, vu ses amis qui étaient devenus un peu les miens, au fil des années, un soir où il avait prévu une sortie sans moi. Il en avait le droit, pas moi. Ce soir-là, il me quitta pour la première fois et je finis prostrée sur le canapé chez ma mère. Je pleurais toutes les larmes de mon corps et dès le lendemain matin, le suppliais de me reprendre.

Evidemment, il accepta à la condition que je lui jure de ne plus jamais sortir seule sans lui, même pour voir des amis communs. J’étais à sa merci, il était tout-puissant dans notre couple bancal. Avec le recul, j’ai tellement honte de m’être tant rabaissée pour un pervers narcissique.

A chaque fois qu’il ne rentrait pas de la nuit ou en soirée, lorsqu’il avait trop bu et caressait ostensiblement les cheveux ou la cuisse d’une autre fille que moi, je lui reprochais son attitude. Cela finissait immanquablement de la même manière : il me traitait de folle et me rejetait.

Tout était toujours de ma faute. S’il s’intéressait à une autre, c’est que je n’étais pas assez attirante. S’il ne rentrait pas de la nuit, c’est que je l’avais trop saoulé avec mes hystéries. S’il était dur avec moi, c’était que je le méritais.

Rien n’était assez bien pour lui. D’ailleurs, alors que cela faisait à peine 4 mois que nous étions ensemble, et alors que je tentais une contraception peu fiable pour une jeune femme dans la fleur de l’âge avec des cycles irréguliers – je vous ai dit que j’avais autant d’éducation sexuelle qu’une princesse Disney – je tombais enceinte. Au début, il me félicita, puis, rapidement, me fit comprendre que cette grossesse serait un frein à sa carrière, pire, qu’un enfant, si tôt, nuirait à notre couple.

Il était ma première relation sérieuse, le premier homme qui avait bien voulu passer plus d’une nuit avec moi. J’avais l’impression que c’était le seul homme fait pour moi, le seul qui me comprenait.

Un matin, je partis, avec ma mère, me faire avorter à l’hôpital. Ce fut la seule fois où elle ne me reprocha rien, où elle n’eut aucun jugement sur moi, sur mes actes ou sur mes choix. Vu mon intense détresse, toute remarque aurait été très mal venue.

A votre avis, Gregory avait-il été présent pour me soutenir et assumer les conséquences de cet embryon que je n’avais tout de même pas fait toute seule ? Non, évidemment. Il prétexta un problème au boulot et le fait que ça aurait été mal vu alors qu’il venait de commencer ce nouveau travail.

Il me demanda aussi de ne pas ébruiter cet avortement qui serait mal pris. Il mit en avant le fait qu’on pourrait me juger par rapport à cet acte et que, finalement, cela ne servait à rein de parler de ça. Ne pas en parler me ferait moins souffrir. Avait-il raison ? Bien sûr que non !

Je reste persuadée que si nous levions les tabous, il y aurait bien moins d’incompréhension, bien moins de solitude et bien moins de passage à l’acte dans les cas désespérés. La parole libère, elle est salvatrice, tout autant que l’oreille attentive qui reçoit sans juger.

Je me tus donc, comme d’habitude, gardais pour moi ma tristesse, le désespoir d’être vide. Vide d’amour et vide de vie. Pour que cela n’arrive plus, je pris la pilule et commençais à prendre du poids, moi qui avais toujours été si fine.

La réaction de Grégory fut à l’image de ce qu’il projetait sur moi : pleine de dégoût. Un été que nous passions ensemble, j’avais coupé un jean pour m’en faire un short. Ledit short n’était ni court ni moulant. Il m’arrivait à mi-cuisses.

Un jour, alors que nous étions avec des amis, Gregory me prit à part et me lâcha :

« Arrête de mettre ce short, tu es trop grosse pour ça. La graisse de tes cuisses déborde, c’est très moche. »

Mortifiée, je partis me changer, sans pouvoir sortir de ma tête l’expression de l’homme qui partageait ma vie. Sous son regard, je me sentais sale, impropre à inspirer l’amour, grosse, laide.

Aujourd’hui, lorsque je revois les photos de cette époque, je me vois belle quoiqu’un peu éteinte. J’étais bien mince – je pèse dix kilos de plus aujourd’hui. J’avais un corps superbe, avec des formes harmonieuses et toniques !

Persuadée d’être obèse, je me cachais de plus en plus. Je mettais des tuniques amples au-dessus de mon jean, mes jupes étaient longues, je cachais mes bras et je mangeais en cachette. Cette mauvaise habitude alimentaire, je l’avais prise ado.

Comme mon alimentation se composait principalement de riz complet, de légumes, de tofu, de gruyère ou de pâtes complètes, j’avais pris l’habitude de mettre de côté un peu de l’argent que mon père me donnait pour la cantine. Je sautais un à deux repas par semaine et avec l’argent restant, j’allais à la boulangerie située sur mon trajet et faisais une razzia de roses et de choux – génoise chablonnée surmontée d’une meringue craquante, de crème au beurre et d’une superbe décoration en pâte d’amandes (rose pour la rose et verte pour le chou) -, de bonbons, de gâteaux industriels...

Une fois chez moi, je cachais mes victuailles dans divers meubles de ma chambre. Ma mère n’étant pas très à cheval sur le dépoussiérage, elle n’allait jamais trop près de mes meubles. Dès que j’étais seule, je m’empiffrais, puis je culpabilisais. Ma mère surveillait de près ma ligne et traquait l’embonpoint, signe, pour elle, de mauvaise santé.

Dix ans plus tard, rien n’avait changé, sauf que je ne me cachais plus de ma mère pour avoir mon shoot de sucre, mais de mon copain, tout aussi despotique. Je parle de shoot car c’était bien cela, une drogue dure, la plus difficile à sevrer, la moins évidente à combattre, mon tourment permanent. Mes émotions étaient trop grandes pour moi, je les détournais de mon esprit en mangeant du sucre.

La boulimie est une maladie qui s’est fait connaître à peine un peu après l’anorexie. Elle est plus sournoise, à mon sens, plus pernicieuse, moins spectaculaire. Une ou un boulimique peut arriver à se maintenir à un poids standard en alternant les jeûnes et les crises glycémiques. C’était mon cas lorsque j’étais ado. Cela m’était plus difficile une fois adulte. La prise de pilule avait augmenté mon appétit et plus je luttais pour perdre du poids, plus je sombrais dans une boulimie destructrice.

J’avais arrêté mes études à la suite de mon avortement. Je me sentais trop éloignée de mes amis de fac. Ils avaient leurs galères, bien entendu, mais comme je ne pouvais pas parler de ce que j’avais subi, un fossé se creusa entre eux et moi.

Moi qui avais toujours eu d’excellents résultats scolaires et qui avais un chemin quasiment tout tracé, je me retrouvais à travailler comme caissière, tout en préparant le concours d’entrée à l’école d’orthophonistes par correspondance. J’étais bien heureuse qu’une entreprise me donne un emploi, moi qui n’avais aucun diplôme. Je comptais les heures qui me séparaient de ma fin de journée de travail. Je ne me suis jamais autant ennuyée de ma vie tout en étant extrêmement stressée aux heures de rush. Sans compter que la manipulation de l’argent me provoquait des sueurs froides…

Je savais qu’il n’y avait que très peu de chances pour que je réussisse mon concours, alors je recherchais un plan B. Je trouvais rapidement une formation pour adultes dans la communication visuelle.

L’entrée se faisait sur concours et sur dossier. Je n’avais plus dessiné depuis longtemps, ni peint, ni rien. Tout ce qui faisait que j’étais moi-même s’était envolé avec mon amour-propre. Qu’à cela ne tienne, je décidais, contre l’avis de Gregory, qui voyait cette expérience comme une perte de temps, de tenter ma chance.

Lui avait repris des études en informatique et je l’avais soutenu au maximum. Qu’il fasse de même pour moi était trop demandé…

J’étais sur tous les fronts à la fois. J’avais de moins en moins de temps pour voir Gregory, ce qui me fut bénéfique, du moins pour un temps.

Je partis à Montpellier pour passer mon concours et me retrouvais dans une salle de 721 candidats, dont 720 filles et 1 garçon ! Impressionnant. Je discutais, pendant la pause, avec quelques étudiantes qui me firent comprendre que j’avais peu de chances de réussir ce concours. Déjà, c’était ma première fois, donc ça me permettrait de mieux me préparer l’année suivante. Ensuite, je ne m’étais inscrite qu’à Montpellier, alors que toutes passaient le concours dans au moins trois villes. Enfin, j’avais fait ma prépa par correspondance, sans prof à mes côtés ni camarades pour me faire progresser. Tout cela était pour elles rédhibitoire.

Une fois rentrée chez moi et dans l’attente du verdict, je me préparais à mon autre concours : celui en école de communication. Je me fis un book en moins d’une semaine et envoyais ma candidature. Le jour de l’entretien, j’étais terrifiée. Je sortais totalement de ma zone de confort. Et là, je tombais sur un copain de fac qui avait fait quelques mois en Licence d’Espagnol avant de bifurquer dans le stylisme. J’avais même assisté à l’un de ses défilés qu’il avait organisé avec le Secours Populaire. Il était aussi talentueux que sociable.

Le revoir, à ce moment-là, où j’étais pétrie de doutes, me donna la conviction qui me manquait que j’étais au bon endroit. Il parut aussi content de me revoir et me présenta à l’un de ses meilleurs amis qui participait aussi au concours.

Je passais le concours graphique avec les autres candidats puis mon entretien, seule face au jury. En rentrant chez moi, je n’étais plus sûre de rien. Pire, je m’étais mise en danger, par deux fois, en moins d’un mois, au milieu de tant d’inconnus, certainement pour aucun résultat positif.

Je poursuivais mon travail au dernier étage du grand magasin pour lequel je travaillais, aux Loisirs. J’avais une vue quasi panoramique de ma ville et, entre deux clients, je laissais mon esprit vagabonder hors de ce travail peu gratifiant, hors de ma vie de couple déprimante, hors de moi-même que je supportais de moins en moins.

Il y avait, sur le toit d’un immeuble voisin de mon poste à la caisse, une adorable terrasse verdoyante avec une jolie piscine. La disposition des lieux laissait penser que l’appartement devait être un duplex, exposé plein sud, avec de belles baies vitrées.

Je laissais de plus en plus mon esprit divaguer vers une vie rêvée. Je songeais à une vie de couple épanouissante, à un travail enrichissant, à une vie sociale trépidante…

Je reçus d’abord la réponse de l’école de communication : j’étais prise ! La semaine suivante, j’apprenais que j’étais aussi acceptée en école d’orthophoniste. Quel dilemme ! J’avais le choix entre quatre ans d’études à Montpellier, pour moi qui avais déjà 23 ans, ou deux ans d’études avec stages pour accéder au plus vite à une vie professionnelle.

Je n’eu même pas besoin de faire mes comptes. De manière purement pragmatique, l’école de communication était financée en totalité par la Région alors que je devrais trouver un logement et de quoi vivre durant quatre ans sur Montpellier. Je décidais de tenter la communication, contre l’avis général. Seul mon père avait l’air heureux pour moi.

Il avait espéré qu’après l’obtention de mon BAC littéraire option Arts Plastiques, je viendrai vivre avec lui et l’aiderai à gérer ses voyages, ses expositions et la logistique afférente. Mais je voulais plus, je voulais prendre le temps de savoir ce que je voulais vraiment. Seul hic : à 23 ans, je ne savais toujours pas quel était ma vocation. J’avais peur de ne jamais la trouver et de finir dans un travail abrutissant, aigrie et pétrie de regrets.

Avec cette école de communication, je suivais des cours d’arts appliqués, de Publication Assistée par Ordinateur, de photographie, d’histoire de l’art. Comme toujours, je me jetais à corps perdu dans cette nouvelle aventure.

Mon couple était au bord de l’implosion. Gregory, qui était de plus en plus taciturne, m’avait quittée un énième fois après s’être épanché sur sa vie désastreuse avec moi auprès d’une fille qu’il aimait ouvertement depuis que nous étions ensemble. Vous vous demandez comment je l’avais appris ? Pensez-vous que Gregory aurait eu l’honnêteté de me confier tout cela ?

Il s’avère que lorsqu’il me quitta, encore, nous étions à une soirée chez ladite fille. Il avait bu bien plus que de raison et n’arrêtait pas de lui caresser les cheveux à la vue de tous, c’est-à-dire de nos amis communs. Personne ne bronchait, normal…

A un moment, nous étions sortis dans le jardin pour fumer et là, alors que je lui faisais âprement remarquer qu’il exagérait de se comporter de la sorte devant moi, il me lança :

« J’en ai raz le bol de toi. On arrête là. J’en peux plus d’être avec toi. Rentre si tu veux, fais ce que tu veux, je n’en ai plus rien à faire. Moi je reste, mais je ne veux plus te voir de la soirée. »

Et il m’avait laissée plantée dans le jardin, toujours plus perdue. J’étais remontée prendre mes affaires et en passant devant la porte de la cuisine entre baillée, je les avais entendus parler. Gregory se plaignait de moi à la fille, mentant éhontément. Sous le sceau de la confidence, il lui disait que ça ne fonctionnait pas, que je l’empêchais de vivre, d’être heureux. Que si tout se passait comme prévu, il serait totalement libre très rapidement.

Je pris mes affaires et rentrais, au petit matin, chez ma mère. Je ne me faisais plus d’illusions sur ma relation amoureuse. Autant passer à autre chose. Contrairement à mes habitudes, je ne me manifestais pas. Je n’en avais ni l’envie, ni la force.

J’avais des « devoirs » à faire pour l’école et je me réfugiais dans ces tâches artistiques. Cela me fit beaucoup de bien. La semaine suivante, j’étudiais avec acharnement tout en ignorant soigneusement les messages et appels de Gregory. J’avais rapidement lié amitié avec la quinzaine d’élèves de ma classe. Nous parlions de tout, de nos vies, de nos amours… C’était une formation professionnelle, alors nous étions tous des adultes depuis plus ou moins longtemps.

Tous me conseillaient de laisser tomber définitivement ce type sans intérêt, à part l’un des jeunes hommes de la formation, Mathieu. Il était différent des autres. Il ne donnait pas souvent son avis, ce qui le rendait bien mystérieux à mes yeux. Il était original, portait immanquablement un couvre-chef. Le premier jour de cours, il s’était assis à côté de moi et nous avions discuté naturellement.

Il m’avait regardé de ses yeux dorés et j’avais eu une sorte de coup de foudre. Je ne pense pas que cela ait été réciproque pour une bonne et simple raison : deux jours avant ma rentrée, et bien avant les événements relatés précédemment, de nouvelle rupture, j’avais participé à une soirée autour d’un feu au bord d’un lac avec Gregory et certains de ses amis de son BTS Informatique que je ne connaissais pas très bien encore.

J’avais beaucoup trop bu ce soir-là et prise d’une envie pressante, je m’étais éloignée des tables et avais couru, dans le noir, à l’abris des regards. Ce que je n’avais pas prévu, c’était que je me prendrais les pieds dans l’un des racines de la pinède dans laquelle je me trouvais. Je fis un vol plané et atterris sur la joue droite. Je me relevais, chancelante et fis mes petites affaires avant de revenir au feu.

Ce ne fut que le lendemain que je remarquais l’ampleur du désastre :  j’avais l’intégralité de la joue droite brûlée par la friction du frottement sur la terre et les aiguilles de pin. Même avec une bonne couche de fond de teint, rien ne pourrait atténuer les boursouflures et débuts de croutes qui parsemaient ma joue.

Bref, c’était ainsi que je m’étais présentée, le jour de la rentrée. Et Mathieu avait dû me trouver bizarre, à me cacher derrière une rangée de cheveux, alors qu’il me parlait. J’avais bien remarqué qu’il se penchait afin d’apercevoir la moitié de mon visage que j’occultais avec beaucoup d’efforts.

Heureusement, après quelques semaines, les croutes étaient tombées sans laisser de cicatrices. Les éraflures étant superficielles. Mais tout de même, je surprenais quelquefois le regard de Mathieu sur moi. C’était étrange.

Nous parlions de temps en temps, mais assez peu. Et lorsque Gregory m’avait encore quittée, Mathieu avait été leu seul à se mettre en retrait et à ne pas réagir alors que tous mes autres camarades y allaient de leurs commentaires choqués.

Finalement, j’avais revu Gregory et, les vacances d’été approchant, nous avions convenu de passer cette période chacun de son côté. Mes cours se poursuivaient tout l’été, donc je resterai tranquille à étudier pendant que Gregory partirait en Suisse pour gagner un maximum d’argent grâce à un super job qu’il avait trouvé dans la Tech.

J’étais plus tranquille ainsi et profitais de ces moments où je me retrouvais enfin pour diminuer ma quantité de nourriture ingérée. Je supprimais l’alcool, mais poursuivis le tabac. Je perdis rapidement pas mal de poids et me sentais mieux dans ma peau.

L’été s’acheva et Grégory revint pour reprendre son BTS. Il me trouva très changée, bien plus indépendante, et bien plus mince. Il balaya toutes les fois où il m’avait fait souffrir en me disant que cette fois-ci tout changerait. Il avait, soi-disant, réfléchi sur notre relation et s’était rendu compte que nous étions faits pour être ensemble.

J’acceptais de retenter l’expérience, mais cette fois-ci avec beaucoup plus de détachement. Maintenant, j’avais bien plus que Gregory. J’avais mes études et un avenir prometteur qui s’offrait à moi. Il n’était plus question que je gâche quelque opportunité que ce soit.

J’avais mis les choses au clair : si lui pouvait sortir, j’avais le même droit avec mes amis, sans avoir à supporter ses reproches et ses crises de jalousie. Je parvins à la paix de notre ménage, mais non sans heurts.

Au bout de mes deux années de formation je trouvais, comme prévu, un travail. Le salaire était au SMIC, mais au moins ce n’était pas de l’intérim, ni un petit boulot sans intérêt. J’avais enfin trouvé ma voie : j’étais infographiste dans une entreprise de communication et d’événementiel.

Petit à petit, j’avais perdu de vue la plupart de mes amis de l’école de communication, mais je gardais le contact avec mon ami de fac, son meilleur ami et Sophie, à peine plus âgée que moi, avec qui j’avais immédiatement sympathisé.

Et puis la vie m’avait emportée dans son tourbillon. Les années avaient passé et même si le travail me plaisait toujours beaucoup, je supportais de moins en moins le caractère lunatique de ma patronne qui pouvait tout aussi bien se confier à vous comme à une copine de longue date que vous jeter les pires insanités au visage si vous aviez le malheur de lui tenir tête ou de commettre la moindre erreur. Ces à-côtés m’usaient.

J’avais, grâce à mon ami de fac, trouvé un autre emploi, mieux rémunéré, dans une imprimerie d’étiquettes de vin, principalement. Ce n’était pas l’idéal, comme je l’ai déjà mentionné, certes, mais je ne pouvais pas risquer de perdre ma maison sans issue de secours.

Gregory, quant à lui, n’avait pas trouvé de travail dans l’informatique. Un BTS n’était plus suffisant pour avoir un poste dans une entreprise. Il fallait au minimum un BAC +3 voire un BAC +5. Et cela coûtait cher, très cher d’entreprendre autant d’années d’études lorsqu’il fallait payer le loyer et les factures.

Il s’était donc rabattu sur un boulot de livreur de pizzas durant quelques années puis caissier dans une grande enseigne d’électroménager pour finalement se retrouver livreur et monteur de meubles et électroménager dans une enseigne concurrente.

Nous avions officiellement emménagé ensemble dans un appartement plus grand lorsque j’avais, au bout de 4 longues années, signé mon CDI. J’avais ensuite contracté un crédit pour une petite maison, en mon nom, étant la seule en CDI. Gregory me versait une partie de la mensualité comme loyer.

Notre couple aurait pu tenir encore longtemps s’il n’y avait pas eu une ombre au tableau. En effet, alors que j’aspirais à devenir mère, Gregory n’était pas pressé, il repoussait l’échéance chaque mois, chaque année.

De même, nous nous étions fiancés le jour de nos 10 ans de vie commune. Néanmoins, dix ans supplémentaires plus tard, nous en étions au même point. Notre couple était devenu routinier à l’extrême, sans surprise, sans passion, même sans amour. C’était une relation d’habitudes où nous avions fini par ne quasiment plus avoir de vie sociale.

Gregory, en tant que mâle alpha, se sentait touché dans sa virilité de savoir que j’avais un salaire supérieur au sien. Il me lançait régulièrement des piques qui, à force, ne me faisaient plus vraiment mal. J’étais juste lassée…

Le décès de mon père ajouté à l’hébergement imprévu de ma mère durant presque trois mois et mon état dépressif en résultant avaient accéléré le processus d’une rupture depuis longtemps prévisible.

Me sentant de nouveau vulnérable Gregory avait tenté de me faire souffrir comme il le faisait à nos débuts, en me rabaissant, dès qu’il en avait l’occasion. Il avait recommencé à me tromper et ne s’en cachait même plus. J’avais fini par le mettre dehors avec toutes ses affaires, en même temps que je trouvais un appartement à ma mère.

C’était comme ça que je m’étais retrouvée seule et c’était là que j’en étais, à un âge déjà avancé.

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