Chapitre 4 : Belle maison, bel accueil

Par Elly

Thalion détestait les portes-à-portes.

  —  Prends de longues inspirations, ça va passer… lui conseilla Nohan en lui frottant le dos.

Thalion se retint de rétorquer qu’il n’avait pas besoin qu’on le lui dise pour le faire. Accroupi sur l’herbe, le magérien faisait de son mieux pour dissiper les hauts de cœur qui le submergeaient. Il était hors de question de s’humilier en vomissant devant la maison de Nohan.

Berry l’avait prévenu du risque. Nohan vivait au milieu de la campagne, à cinq heures de vol en balai du manoir, donc utiliser le porte-à-porte était préférable. Chaque maison de magérien en possédait, permettant de circuler d’une maison à l’autre à condition d’avoir l’autorisation des occupants. Le Bois Charmant aurait pu être une alternative, mais personne n’avait voulu se farcir le travail fastidieux de repérer le bon chemin en amont, au risque de se tromper. Ils voulaient aussi économiser du temps pour profiter. Or, Thalion faisait partie des malchanceux victimes du mal des portes-à-portes. Normalement, ces portails ne causaient aucun dommage. Mais certains, comme lui ou Cally qui s’était remise de ses nausées, le supportaient difficilement. Le trajet était plus saisissant pour le corps que les portails ordinaires.

  —  Les humains sont si fragiles… se moqua Apocryphos.

Thalion l’ignora et se redressa, se sentant mieux. Il réajusta la lanière de son sac contenant quelques affaires sur son épaule et examina les environs. Autour d’eux, la nature était luxuriante. La végétation poussait comme bon lui semblait. Arbres, buissons et fleurs colorées encerclaient la demeure qui se dressait devant lui. Sa devanture en pierre blanche était recouverte de glycines et de clématites. Un parfum floral lui chatouillait les narines et chassait le souvenir de son mal des portes-à-portes.

 Cally, partie renifler un buisson de lavande, revint vers lui.

  —  Tu te sens mieux ?

  —  Oui, grommela-t-il.

  —  Dans ce cas, suivez-moi. Je vais vous faire entrer, s’exalta Nohan.

Il les conduisit jusqu’à sa porte. Celle-ci s’ouvrit sans que le magérien ne touche la poignée. Elle laissa entrer Cally, mais se referma violemment quand ce fut au tour de Thalion de passer. La maison de Nohan venait littéralement de lui claquer la porte au nez. Son ami ouvrit de lui-même l’accès, l’air embarrassé.

  —  Excuse-la, elle est un peu méfiante à ton égard, mais elle comprendra vite que tu n’es pas un danger. Je lui avais pourtant expliqué… bredouilla-t-il.

Thalion décida de ne pas lui en tenir rigueur et pénétra dans le foyer. La décoration de la maison était, pour ainsi dire, opposée à la sienne. Si son manoir versait dans un style sombre et opulent, la demeure de son amie optait pour la simplicité et des tons clairs. L’entrée débouchait sur un salon lumineux. Les poutres foncées apparentes au plafond contrastaient avec les murs blancs et donnaient un aspect rustique. Les meubles en bois étaient sans artifice, comme la table qui trônait dans un coin près d’un vaisselier. Les canapés couleur crème étaient disposés près d’une cheminée en pierre, et couverts de coussins. Quelques cadres photos et vases remplis de fleurs sauvages personnalisaient la pièce.

Nohan traversa le salon pour les amener à la cuisine où sa mère préparait le diner. Une boule se logea dans l’estomac de Thalion. Il redoutait l’accueil que lui réserverait Mme Melvine. Que lui avait dit Nohan à son sujet ? Son appréhension devait se lire sur son visage car Cally lui adressa un sourire encourageant.

Les murs de la cuisine étaient parsemés d’étagères pleines de poteries et de placards. Des ustensiles de cuisine étaient accrochés et des bouquets de plantes suspendus parfumaient la pièce. Sur l’ilot central en bois, Madame Melvine coupait distraitement des tomates. Ses longs cheveux blond caramel étaient rassemblés par un chignon, de façon à ce que des mèches ne lui tombent pas dans les yeux. Nohan la tira de ses pensées, la faisant sursauter.

  —  Coucou, maman ! s’exclama-t-il.

  —  Par les dieux, ne me fais pas peur comme ça ! J’ai failli lâcher mon couteau.

Elle posa l’outil et se rinça rapidement les mains avant de le prendre dans ses bras. Thalion remarqua que Nohan la dépassait de quelques centimètres.

  —  Désolée… s’excusa-t-il en se décalant. Maman, laisse-moi te présenter…

Le regard de Mme Melvine tomba sur Thalion. Un éclat de peur fit frémir ses prunelles claires, qu’elle dissimula derrière un sourire avenant.

  —  Ah ! Thalion, c’est ça ? Nohan m’a… beaucoup parlé de toi.

Probablement pour la convaincre qu’il n’était pas une menace.

  —  Bonjour… parvint à articuler Thalion.

Ils se dévisagèrent pendant plusieurs secondes, si longues que le temps parut s’être arrêté. Leur malaise palpable dans ce silence embarrassant poussa Thalion à trouver un sujet de discussion. Il lança la première chose qui lui traversa l’esprit :

  —  Votre maison est très belle.

Prise de court, Mme Melvine bafouilla un remerciement. Thalion sentit ses joues chauffer tandis que ses deux amis faisaient de leur mieux pour étouffer leurs gloussements. Cally vint à sa rescousse en se présentant.

  —  Bonjour madame, je m’appelle Calysse.

  —  Oubliez les « madame », appelez-moi Sohalia.

L’atmosphère se détendit. Thalion soupira de soulagement en même temps que Nohan. Un aboiement attira leur attention, suivi d’une voix fluette :

  —  Maman ! Volf a déchiré mon doudou !

Un golden retriever surexcité déboula dans la cuisine. En découvrant les invités, il les renifla, puis quémanda des caresses avec son adorable bouille. Ne pouvant résister à cet air implorant, Cally cajola le chien dont la queue touffue remuait gaiement. Thalion et Nohan échangèrent un regard amusé. Une fillette courut vers Sohalia, un doudou éventré dans les bras.

  —  Regarde ! C’est mon doudou préféré, en plus !

  —  Oh, chérie… Je vais le réparer.

Des étincelles blanches crépitèrent entre les doigts de Sohalia, et la blessure du malheureux se referma. Cependant, la jeune fille se lamenta :

  —  Il ne sera plus jamais le même…

  —  Mais il compte sur toi pour son rétablissement, la réconforta Sohalia.

  —  Maman… C’est un doudou !

Thalion esquissa un sourire. S’il ne se trompait pas, la sœur de Nohan avait six ans, et entrait à l’école cette année. La joie de vivre qui émanait d’elle était contagieuse. Avec sa peau lumineuse et ses cheveux blond foncé, elle ressemblait à sa mère. Nohan devait davantage tenir de son père. Le magérien fit la moue, vexé d’être ignoré devant ses amis.

  —  Tu ne dis même pas bonjour à ton frère ?

La fillette se tourna vers lui, un sourire éblouissant sur les lèvres. Le même que celui de son frère qui creusait ses fossettes. Elle se jeta sur lui pour lui faire un câlin. Le visage de Nohan s’adoucit.

  —  Hazel, dis bonjour à mes amis. Je t’ai parlé d’eux, tu te souviens ?

Elle pivota vers eux. Cally lui adressa un chaleureux sourire, mais son regard bleu, identique à celui de Nohan ou de Sohalia, se verrouilla sur Thalion. Il se raidit, se préparant à voir la peur crisper son visage, mais celui-ci s’illumina.

  —  Ah ! Le Corbeau-pas-méchant-qui-ne-veut-pas-nous-tuer ? Bonjour !

Tous écarquillèrent les yeux devant la réponse inattendue d’Hazel. La surprise passée, Cally ne put s’empêcher de rire. Thalion ne sut comment réagir et jeta un coup d’œil à son ami dont les joues devenaient roses.

  —  Promis, je ne t’ai pas résumé qu’à ça ! se défendit-il sans oser croiser son regard.

  —  Il m’a aussi dit que tu ne me mangeras pas même si tu es l’Enfant Maudit.

  —  Hazel !

Le fou rire de Cally redoubla, et Thalion dut se mordre la lèvre pour ne pas s’esclaffer devant le désespoir de Nohan. Il avait oublié l’existence de cette légende selon laquelle il dévorait les enfants pas sages. Sohalia secoua la tête, aussi gênée que son fils.

  —  Les enfants, allez dans le salon, je vous apporte de quoi boire et manger.

 

Les trois magériens s’étaient assis sur l’un des canapés couleur crème du salon. Thalion reconnaissait que leur confort rivalisait avec ceux de son manoir. Hazel était partie jouer avec Volf. Thalion attrapa son verre sur la table basse. À sa droite, Cally essuyait ses larmes, peinant à se remettre de son fou rire. À sa gauche, Nohan se confondait en excuses.

  —  J’ai simplement voulu lui faire comprendre que ce qu’on disait des corbeaux ne s’appliquait pas à toi. La légende de l’Enfant Maudit est populaire chez les enfants, tu vois, et…

 Thalion but une gorgée de son jus d’orange pour dissimuler son amusement.

  —  Nohan, je ne t’en veux pas d’avoir briefé ta famille me concernant, lui assura-t-il.

Sa réponse ne suffit pas à effacer la culpabilité qui tordait le visage de son ami. Il s’apprêtait à poursuivre ses excuses quand Sohalia déposa un plateau de biscuit sur la table basse.

  —  Servez-vous autant que vous voulez.

Elle s’assied dans un fauteuil. Thalion ne se fit pas prier et goutta un des sablés. Bon et bien cuit, il apprécia la touche de vanille qui se déposa sur sa langue. Cally l’imita. Ravie de les voir se régaler, Sohalia saisit sa tasse de thé pour en boire une gorgée. Thalion remarqua que le récipient vibrait, ou plutôt, que les mains de Sohalia tremblaient. Aussitôt, le nœud dans l’estomac de Thalion se resserra. Effrayer les adultes n’était pas une nouveauté, et d’ordinaire, il s’en fichait. Sauf qu’il s’agissait de la mère de son meilleur ami. Il espérait sincèrement s’entendre avec elle. Mais était-ce possible quand des siècles de massacres nourrissaient la peur des corbeaux ?

Un silence tendu tomba dans le salon. Thalion peinait à avaler son gâteau. Cally était particulièrement absorbée par la dégustation, et Nohan faisait les gros yeux à sa mère. Le maudit reposa son verre de jus d’orange sur la table avant d’afficher un sourire poli.

  —  Mad… Sohalia, je ne veux pas vous embarrasser, je vais…

  —  Non ! Je… je suis désolée…

Sohalia soupira en reposant la tasse sur son assiette.

  —  Je m’excuse si mon comportement se révèle blessant. C’est que… Après toutes ces périodes noires, les préjugés qu’on nous a inculqués persistent. Je ne nierai pas que Nohan a beaucoup insisté pour que tu viennes et que j’étais plutôt réticente, mais je fais confiance à mon fils. Je souhaite apprendre à te connaître, tout comme Calysse.

Quelque part, la réponse rassura Thalion. Elle ne rejetait donc pas totalement sa présence. Il avait une chance d’être accepté. Voulant prouver sa bonne volonté, Sohalia chercha un sujet de conversation.

  —  Alors, Thalion, euh… Ton balai fait quoi dans la vie ? Ah, non, pardon ! Désolée, je suis un peu nerveuse, je voulais te demander, pour tes parents, enfin... Tu as un tuteur, du coup, mais on sait… Je… Donc tu es venu grâce au porte-à-porte !

Sohalia acheva son soliloque en buvant son thé d’une traite, rouge comme une tomate. Thalion et Cally ne purent retenir leurs rires pendant que Nohan s’enfonçait dans le canapé, probablement avec l’envie de ne faire plus qu’un avec lui. Visiblement, perdre ses moyens et parler de balai dès la première rencontre était une caractéristique des Melvine.

Ce dérapage eut le mérite de détendre l’atmosphère. La discussion se poursuivit sur leur famille respective. Cally restait relativement discrète sur sa vie familiale, mais Thalion apprit qu’Hazel avait obtenu le signe du chat au rite de reconnaissance cet été et qu’elle faisait sa rentrée à l’école Bélathus, comme Nohan. Sohalia leur parla de son métier de fleuriste et de sa passion pour le jardinage. Ils évoquaient leur deuxième année à l’académie Divithrum quand la porte s’ouvrit. Leur attention se porta sur l’homme d’une quarantaine d’années qui pénétra dans la pièce.

  —  Chéri ! s’étonna Sohalia. Tu ne devais pas rentrer la semaine prochaine ?

  —  Si, mais ma mission a été reportée donc j’ai quelques jours de congé. Il y a des invités ? Ça tombe bien, j’ai croisé le père de la petite Elyne et j’ai invité sa famille pour un apéro.

Il se déplaça pour laisser entrer les concernés. La mâchoire des apprentis magériens se décrocha, non pas en apercevant la balafre de l’homme qui s’avançait avec une femme en tailleur à son bras, mais en reconnaissant l’adolescent qui les suivait. Ce dernier se figea en les remarquant. Son visage se décomposa. Ses yeux se fichèrent dans ceux de Thalion.

  —  Corvus ? s’étonna-t-il.

  —  Camille ? s’effarèrent-t-ils en chœur.

  —  Eh bien, ça s’annonce divertissant, ricana Apocryphos.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Neila
Posté le 03/10/2024
Il va pas être triste, cet apéro.

La famille de Nohan a l'air assez chouette, comme on pouvait s'y attendre. Je comprends que sa mère flippe un peu. Si je me souviens bien de la malédiction, ça dit un truc du genre que les Corbeaux apportent le malheur à leur entourage ?
Le fait qu'on ait aucune info sur la famille de Cally et qu'elle semble éviter le sujet, ça m'intrigue, tient. Est-ce que ce sont des personnes haut placées ? Pas fréquentables ? Ou peut-être qu'elle ne s'entend tout simplement pas avec eux. En tout cas je sens que ça cache quelque chose. è.é

Un chapitre sympathique. La légèreté et les rires sont les bienvenues après ce début plein de sombres nouvelles ! Et tout le petit drama adolescent aussi, ça me fait toujours autant rire. :p
Elly
Posté le 05/10/2024
Effectivement, il va être un peu agité !

Je voulais essayer de faire une famille un peu réaliste mais cool quand même. Je veux dire, aucune mère serait vraiment partante pour accueillir une personne maudite chez soi, donc elle n'allait pas non plus se comporter comme Berry. En effet, l'entourage est aussi impactée selon la malédiction donc rien qui rassure vraiment la famille de Nohan.
Ah, la famille de Cally... Tu verras bien ce qu'il en est au file de l'histoire ! Même si les révélations ne vont pas arriver tout de suite.

Un peu de légèreté comme j'aime bien en même dans l'histoire, mais qui ne va pas durer bien longtemps... ;)

En tout cas, contente que mes chapitres continuent de te plaire !
Vous lisez