Farhynia serrait les griffes de rage. La terre sous ses pattes crissait et quelques rochers éclatèrent. Elle avait beau y passer ses journées, pas moyen de contrôler ses conduits de rafraîchissement. Interdite de cours de souffle, il ne lui restait que le vol. Elle se montrait très assidue et à l’écoute, tentant de comprendre les sons inconnus émis par le professeur, d’imiter les autres dans leur vol et pourtant, elle échouait.
Son vol s’était amélioré et elle anticipait davantage les vents tournants. Elle restait largement à la traîne par rapport aux autres de sa promotion, même ceux dont c’était la première fois. Chaque soir, Mylo, le dragon bleu, répartissait chacun en fonction de ses réussites et ses échecs. Chaque soir, il lançait à Farhynia un regard noir. Vu ses exploits, elle aurait dû rester tout en haut et pourtant, elle profitait, grâce à sa fourmi, d’une place de choix, de quoi attiser les haines et les jalousies.
Foutus conduits de rafraîchissement. Seule maigre consolation : une bonne dizaine de premières années ne parvenaient pas à les ouvrir assez pour faire passer le mannequin et les sept autres broyaient presque systématiquement ses jambes. Ils n’étaient pas prêts de porter leur cavalier !
Farhynia s’envola. Tybald leur avait demandé d’apprendre à gérer la respiration en altitude. Passer au dessus des nuages permettait d’éviter les gros orages mais également de passer inaperçu depuis le sol. Naturellement, aucun cavalier ne survivrait aussi haut mais parfois, la mission demandait de déposer son cavalier au sol et de poursuivre seul, chacun dans une direction différente. D’où l’importance d’un lien de confiance fort entre les deux.
Farhynia ne se faisait pas de souci là-dessus. Elle adorait sa fourmi et ne doutait pas que l’inverse fut vrai. Ne dormait-elle pas avec elle ?
Farhynia poussa sur ses ailes et elle grimpa. Plus elle montait, et plus la température baissait. Non seulement respirer devenait difficile, mais le froid s’incrustait partout entre ses écailles.
Pour la première fois, Farhynia prit conscience que ses conduits de rafraîchissements étaient clos. Forcément, vu la température. Il n’empêchait que quelques jours plus tôt, Farhynia n’y aurait pas prêté attention. Laissant tomber les demandes de Tybald, Farhynia descendit et dès que la température remonta, les conduits se dilatèrent.
Farhynia monta, descendit, monta, descendit, cherchant à sentir le mouvement. Elle crut percevoir une tension suivi d’une détente dans un muscle de son dos. Elle tenta de le manipuler consciemment mais il ne se passa rien. Elle reprit ses allers et retours, montées et descentes. Quiconque l’aurait vu se serait demandé ce que faisait cette tarée. Farhynia n’en avait cure. Elle voulait y arriver.
Une autre tentative musculaire amena un nouvel échec. Farhynia gronda et poursuivit. La fatigue l’enveloppait mais elle refusa de l’écouter. Elle se sentait si près du but. Montée. Fermeture des conduits. Descente. Dilatation des conduits. Ressentir. Muscles. Tendons. Articulations. Crampe.
La douleur, fulgurante, la saisit. Alors qu’elle tentait de fermer le conduit, les muscles de son aile droite se tétanisèrent. Farhynia tomba. Elle élargit son aile gauche, espérant compenser. Cela l’entraîna dans une vrille dont elle se retrouva incapable de sortir et le sol se rapprocha dangereusement.
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Corail s’élança à travers la caverne dont elle connaissait chaque recoin par cœur. Direction l’alvéole de sa dragonne. La tête d’un immense dragon bleu lui barra la route. Corail se recula. Il ne semblait pas y avoir d’agressivité dans son attitude alors pourquoi l’empêchait-il d’avancer ?
Il souffla une flamme légère vers l’alvéole de sa dragonne et Corail la découvrit vide. Où se trouvait sa dragonne ? Corail fronça les sourcils. D’un geste doux, le gros dragon posa son museau sur le sternum de Corail et la poussa en arrière. L’intention était claire : va-t-en. Corail n’avait aucune intention de mettre le mastodonte en colère. Elle fit marche arrière et se retrouva désœuvrée dans le bâtiment principal silencieux.
Tout le monde dormait. La plupart des premières années ronflaient, une majorité entouré de leur vomi, conséquence de l’excès de boisson. Les deuxième et troisième années mangeaient, buvaient modérément, baisaient un peu puis montaient dormir. La fatigue se lisait sur leurs traits. Mais à quoi passaient-ils donc leurs journées en compagnie de leurs dragons pour être aussi exténués ? Ils n’en parlaient jamais.
Corail enroula ses bras autour de son corps. Elle ne s’était jamais sentie aussi seule de sa vie. Jack ! Il fallait qu’elle le rejoigne. Sauf que voilà, elle ignorait totalement laquelle des chambres du deuxième étage fut la sienne et l’absence de lumière dans la bibliothèque prouvait qu’il ne s’y trouvait pas.
Corail monta les marches quatre à quatre et depuis le couloir, chuchota en criant « Jack ». Elle répéta plusieurs fois le cri chuchoté jusqu’à ce qu’une porte s’ouvre, dévoilant un troisième année de deux têtes de plus qu’elle en caleçon. Des poils ras parsemaient son menton et ses cheveux s’ébattaient joyeusement sur sa tête. Il proposait un torse nu aux pectoraux saillants. Sa voix fut rauque.
- Nous n’avons pas tous le loisir de passer nos journées à ne rien foutre alors sois tu fermes ta gueule, soit mon poing dans ta petite tête de linotte va t’amener à vite trouver le sommeil.
Corail se recula d’un pas et se figea, terrifiée. Cette menace lui faisait plus peur qu’un souffle chaud de dragon.
- Je cherche Jack, murmura-t-elle.
Le troisième année s’avança vers elle en serrant le poing. Corail fuit sans demander son reste et l’autre ne la suivit que du regard. Corail se retrouva au rez-de-chaussée. Elle se trouva un coin, s’assit dans l’angle des deux murs, enroula ses bras autour de ses genoux et passa la nuit ainsi.
À l’aube, elle retrouva Jack devant la salle à manger pour son échange quotidien de livres. Le livreur n’était pas encore arrivé.
- Salut ! lui lança Jack. T’as une sale gueule.
- Tu dors où ?
- Bonjour à toi aussi, s’amusa Jack.
- Tu dors où ? insista Corail.
- C’est la première fois que quelqu’un est aussi direct pour faire en sorte de passer la nuit avec moi. Je commence à bien aimer les « aucun des deux ».
Corail plissa des yeux et le gratifia d’un regard noir.
- Dans une cabane dans le bois, répondit Jack en désignant la direction du bras.
- Dans une cabane ? répéta Corail, abasourdie.
Pourquoi donc dormait-il là-bas alors que le bâtiment, construit sur des sources chaudes naturelles, proposait une température agréable et stable ?
- Je l’ai construite moi-même. C’est mon chez-moi. On s’ennuie vite dans le coin. Bâtir mon petit coin de paradis a été très gratifiant.
Cela, Corail n’en douta pas.
- Tu sais, si les autres t’embêtent, je peux intervenir, précisa Jack.
- Les autres ? répéta Corail.
- Tu as la tête de quelqu’un qui n’a pas dormi de la nuit. Ils t’ont interdit l’accès aux chambres ?
- Non ! s’exclama Corail. Enfin, oui, modifia-t-elle en se souvenant du troisième année la menaçant dans le couloir. Mais je l’avais mérité. Je faisais du bruit.
- Ce n’est pas une raison pour…
Il se tut car le livreur venait d’atterrir. Corail et Jack le laissèrent décharger en silence. Lorsqu’il eut terminé, il se tourna vers les deux amis.
- Pas de livre aujourd’hui, précisa le dragonnier.
Jack inclina la tête vers le dragon qui tordit le cou pour attraper un panier sur son dos et le déposer au sol.
- Ça, c’est pour toi, poursuivit le dragonnier en soulevant les deux pans fermant le panier.
Un couvercle retiré sur un chaudron en métal dévoila un gros poisson tournant en rond dans le contenant trop petit pour lui. Les yeux de Corail brillèrent de plaisir. Un saumon ! Un sachet attenant révéla une douzaine d’huîtres.
- On ne savait pas trop combien en mettre, précisa le dragonnier.
- C’est parfait. Merci ! lança Corail, les larmes aux yeux de bonheur.
- Je t’en prie, répondit le dragonnier. C’est notre travail.
- J’aurais une question à te poser, indiqua Corail en fixant le dragon dans les yeux. Mais j’ignore si cette question t’agacera alors s’il te plaît, ne te mets pas en colère et dis-moi simplement que tu n’apprécies pas si c’est le cas.
- Il ne promet rien, indiqua le dragonnier. Tu peux poser ta question.
- Est-ce que la dragonne que j’ai choisi se porte bien ? s’enquit Corail, dont les larmes pointaient maintenant d’angoisse.
- Quoi ? s’exclama Jack.
La queue du dragon fouetta l’air. Corail ne parvint pas à donner de sens à ce geste.
- Pourquoi t’inquiètes-tu ? demanda le dragonnier et Corail ne sut si le dragon ou le dragonnier avait posé cette question.
- Tous les soirs depuis mon arrivée, je rejoins ma dragonne dans la caverne où tous les dragons se reposent et je dors lovée contre son aile.
- Tu… commença le dragonnier avant de se taire, visiblement stupéfait.
- Quoi ? répéta Jack.
- Hier, elle n’était pas là. Un grand dragon bleu m’a montré l’alcôve vide avant de me mettre à la porte, décision que je ne conteste pas. Je comprends tout à fait. Je suis juste inquiète.
- Comment s’appelle ta dragonne ? demanda le dragonnier.
- Je ne sais pas, admit Corail. Comment pourrais-je le savoir ?
- Ton lien n’est pas encore actif, comprit le dragonnier. C’est normal, puisque tu viens d’arriver mais de ce fait, il est surprenant que tu dormes avec elle. Décris-la.
- C’est une petite dragonne bleue.
- Qu’entends-tu par « petite » ?
Corail observa le dragon rouge, le détailla un instant avant d’annoncer :
- Je dirais bien trois fois plus petite que toi, Deylom.
Le dragon retroussa ses babines.
- Nous irons à la pêche aux informations, sans certitude de résultat, promit le dragonnier.
- Je vous remercie.
- À qui s’adresse ce vouvoiement ? interrogea le dragonnier.
- Tu as dit « Nous irons à la pêche aux informations » alors je vous remercie tous les deux, dit-elle sans se tourner vers le dragonnier.
Il y eut un petit silence puis le dragonnier annonça :
- Deylom t’aime bien. Tu l’agaces mais il t’aime bien.
À ces mots, le dragonnier grimpa sur le dragon qui se penchait pour lui faciliter la tâche.
- Bon appétit, termina le dragonnier avant de se retrouver au milieu des nuages de coups d’ailes puissants.
- Tu crains que ta dragonne soit partie, comme le mien ? supposa Jack.
- Elle a toujours été là, chaque soir.
- C’est pour ça que tu m’as demandé où je dormais, comprit Jack.
- Je ne me sens pas capable de passer une autre nuit seule.
- Je t’accueillerai volontiers dans ma cabane. Elle n’est pas grande mais toi non plus alors ça devrait aller.
Corail sourit.
- Bon, tu le prépares, ce poisson ? s’exclama Jack. Ce n’est pas parce que ta dragonne n’est pas venue hier que tu dois mourir de faim.
Corail sourit. Manger lui remonterait le moral, sans aucun doute. Corail s’installa devant une table de la salle à manger, la nettoya rapidement puis attrapa le poisson, emprunta son couteau à Jack et ouvrit le ventre de l’animal, dont elle sortit les viscères.
- Tu as l’habitude de faire ça, ça se voit, observa Jack dans le silence qui ne tarderait pas à disparaître.
Corail écailla rapidement l’animal, l’étêta, leva les filets. Jack la regarda agir, hébétée, suivant ses gestes précis avec une admiration non feinte. Elle s’attaqua ensuite aux huîtres.
- Si je faisais ça moi-même, je me serais déjà ouvert la main quinze fois, dût admettre Jack.
Corail ricana. Quand on connaissait l’astuce, l’ouverture d’huîtres devenait un jeu d’enfants. Elle coupa le pied d’un premier coquillage avant de le mettre dans sa bouche, de le mâcher, appréciant le goût salé et iodé envahissant ses papilles. Elle aimait tellement ça.
- Ça me dégoûte, dut admettre Jack.
- Pourtant, tu vas y goûter, ordonna Corail.
- Non, merci, répondit Jack.
- Oh que si ! Tiens, dit-elle en lui fourrant une autre substance molle dans la bouche. Ne l’avale pas d’un coup. Croque-la sinon, elle répandra du poison dans ton estomac et tu risques de problèmes digestifs ensuite. Une huître, ça se savoure !
Jack serra les dents dans une moue dégoûtée, fit l’effort, avala puis annonça :
- Non, vraiment pas.
- Tant mieux, en conclut Corail. Ça en fera plus pour moi.
Jack rit et avala un gros morceau de viande en sauce pour faire partir le goût des huîtres. Une fois les coquillages avalés, Corail découpa en tranches la chair crue du poisson, la disposa sur une assiette puis en mit un morceau dans sa bouche.
- Tu ne le fais pas cuire ? s’exclama Jack.
- Non ! explosa Corail qui trouvait cela indécent de gâcher ainsi la nourriture.
Elle lui tendit un morceau. Il mit les mains devant lui et recula d’un pas.
- Euh… Non, merci.
Corail le gratifia d’un regard « Aucun refus permis » alors il se rapprocha, attrapa le morceau rose et le mit dans sa bouche. Il eut d’abord une grimace puis ses sourcils se froncèrent et finalement, il sourit.
- C’est super bon, admit-il avec un regard ahuri.
- Ben oui, répondit Corail avant d’en manger un elle-même.
Jack se resservit. Il en mangea quatre autres avant de s’arrêter.
- Je ne veux pas te priver. Tu as besoin de manger, précisa-t-il. Je t’en prendrai bien quelques morceaux à chaque fois, si tu le veux bien.
- Avec plaisir, offrit-elle généreusement.
Une fois le repas terminé, Jack emmena Corail à sa cabane afin qu’elle la situe pour le soir puis ils partirent se promener. Les environs proposaient des bois, des clairières, des prés où paissaient des vaches, des taureaux, des moutons, des brebis, des chèvres. Corail hurla de peur lorsqu’une de ces bêtes se fit rôtir par un feu venu du ciel avant de se faire engloutir.
- Il faut bien qu’ils mangent, eux aussi, sourit Jack.
Corail observa l’immense créature ailée d’un vert pomme soutenu. Sa dragonne ne lui en manqua que davantage. Sentant sa détresse, Jack lui proposa de se rendre à la bibliothèque et elle accepta. Il lui lut un ouvrage, faisant parfois des pauses pour aller manger, se promener ou simplement bavarder.
Alors qu’ils se rendaient vers les escaliers, Jack tenta de prendre la main de Corail mais celle-ci la garda vers elle.
- Je… je suis désolée, commença-t-elle.
- Pas de souci, répondit-il. Je ne veux pas te brusquer.
- Ce n’est pas ça. Pas mes mains, dit-elle avant de l’enlacer et de blottir sa tête au creux de son cou.
- Pas tes mains, répéta Jack. C’est pour ça que tu portes tout le temps des gants ?
Elle hocha la tête. Il caressa son dos par dessus sa tunique opaque.
- Soit, accepta-t-il.
- Et tu sais, dit-elle en se reculant, je ne t’offrirai jamais plus.
Il attrapa son menton pour la forcer à le regarder lui et plus le sol.
- Et jamais je ne te demanderai plus, assura-t-il. Tu es ma « aucun des deux » à moi et cela me suffit amplement.
- Et puis, pour baiser, tu as les autres, dit-elle d’un ton léger.
- Pas pour longtemps, maugréa-t-il. Le premier vol se fait au bout d’une lune environ. À partir de là, les dragonniers vont tomber comme des mouches. J’ai intérêt à me dépêcher.
- Alors va ! proposa-t-elle. Tu n’es pas obligé de passer toutes tes journées avec moi.
Jack la fixa et, voyant qu’elle ne blaguait pas, déposa un bisou sur son front avant de lancer :
- T’es la meilleure.
Il s’élança dans les escaliers. Corail, restée seule, sourit. Elle ne pensait pas se faire des amis en venant ici. Pourtant, elle commençait à apprécier Jack, vraiment beaucoup. Elle se rembrunit. Quand il saurait la vérité, il changerait d’attitude. Elle frissonna puis partit se promener.
Au crépuscule, Corail rejoignit la caverne. Le dragon bleu, comme la veille, s’interposa. Une flamme dévoila l’alvéole vide. Corail regarda le mastodonte. Inutile de lui demander quoi que ce soit. Le dragonnier de Deylom avait indiqué que les dragons n’entendaient pas les sons émis par la gorge des humains. Lui poser des questions serait une perte de temps. Corail s’en fut et rejoignit Jack dans la cabane.
- Toujours pas de trace de ta dragonne ? supposa-t-il en lui ouvrant ses bras.
Elle secoua négativement la tête puis se réfugia sous la protection offerte. Elle dormit là et Jack respecta sa parole : il ne tenta rien.
- Nul n’a de nouvelle d’elle, indiqua le dragonnier traduisant les paroles de Deylom le lendemain matin. Farhynia a été vue pour la dernière fois avant-hier matin, au cours de vol. Depuis, personne ne l’a vue.
Farhynia, pensa Corail. Sa dragonne avait un nom. Sa joie de le connaître s’enfouit sous son angoisse.
- Si elle était morte, je le saurais, n’est-ce pas ? Je veux dire, le dragonnier meurt quand son dragon perd la vie.
- Le dragonnier, oui, mais toi, tu ne l’es pas, indiqua le cavalier de Deylom et cette fois, Corail ne put s’empêcher de tourner la tête vers lui.
- J’ai choisi une dragonne avec qui je dors ! gronda-t-elle en retour.
- L’entends-tu dans ta tête ? demanda-t-il.
- Non, admit-elle.
- Le lien n’est pas actif. Tu n’es pas encore dragonnière. Si Farhynia mourrait, tu ne t’en rendrais pas compte, en conclut-il.
Corail se tourna vers Jack qui blêmissait. Peut-être attendait-il un dragon mort depuis longtemps.
- Ça meurt souvent, un dragon ?
- Les adultes, rarement mais Farhynia vient tout juste de pondre son premier œuf.
- Et alors ?
- Alors à cet âge-là, ils ne maîtrisent pas encore le vol et commettent des erreurs, souvent fatales.
Corail sentit son ventre se serrer. Elle avait envie de pleurer.
- Tu t’en fiches, qu’une des tiennes meure ? demanda-t-elle en se tournant vers Deylom.
- Sa réponse est en demi-teinte. Les dragons sont rares alors ça l’embête d’un point de vue survie de l’espèce. Personnellement, vu qu’il ne la connaissait pas, sa disparition l’indiffère.
- Les dragons qui la connaissaient la cherchent-ils ?
- Il n’a rencontré personne pour qui ta dragonne comptait. Ses informations, il les tient de Tybald, le professeur de vol, le seul qui ait accepté de lui parler de Farhynia. Les autres semblent heureux de son départ. Apparemment, elle ralentissait le groupe.
- Quoi ? s’exclama Corail.
- Trop jeune. Incapable. Nulle. Immature. Chétive. Voilà les mots que Deylom a pu intercepter la concernant.
Corail se sentit mal.
- Ils ne l’apprécient pas alors ils ne la cherchent même pas ? Elle pourrait avoir besoin d’aide ! s’énerva Corail.
Chez moi, on ne laisserait personne en arrière, pensa Corail. Même si un membre du banc nous indiffère, on le soutient en cas de blessure ou de maladie. Riri ! Tiens bon et reviens !
- Comment pouvez-vous être aussi égoïste ?
La phrase s’adressait à tous les dragons, pas spécialement à Deylom.
- Que veux-tu qu’il fasse ? répliqua le dragonnier. Elle pourrait être n’importe où. Si elle a mal géré un vol et qu’elle s’est écrasée, elle est probablement morte sur le coup et est maintenant de la nourriture pour les loups et les lynx.
- Où alors elle est blessée et espère de l’aide.
- Elle pourrait être n’importe où, répéta le dragonnier. Où est-il censé chercher ?
L’océan aussi était grand et pourtant, si un membre du banc manquait à l’appel, on le cherchait. Corail pinça les lèvres. Elle avait envie de cogner quelque chose ou quelqu’un.
- Pour toi, indiqua le dragonnier alors que Deylom déposait le panier. Le poisson et les huîtres étaient à ton goût ?
- C’était parfait. Je te remercie, s’obligea à dire poliment Corail.
- Les brèves, annonça le dragonnier en tendant un petit rouleau à Jack qui s’en saisit.
Il monta ensuite sur la patte jusqu’à l’épaule baissée. Une fois son cavalier en place, le dragon s’élança et disparut à l’horizon.
- Je suis désolée, souffla Jack.
- Et moi pour toi.
Ils restèrent immobiles un moment. Le bruit derrière eux les força à remuer. Les autres étaient levés et allaient manger les meilleurs morceaux. Corail et Jack se dépêchèrent de manger puis passèrent la journée ensemble mais une tristesse les enveloppait.
- Les brèves ! s’enthousiasma Jack à la bibliothèque en déroulant le parchemin, peu après midi.
- C’est quoi ? interrogea Corail.
- Tu ne sais pas ce que sont les brèves ? s’étonna Jack.
Corail se figea et blêmit. À force de passer du temps avec lui, il finirait par se rendre compte que quelque chose n’allait pas. Elle allait devoir faire montre de plus d’attention.
- Les informations ! expliqua Jack. Transmises par les hérauts. Ils ne venaient pas chez toi ?
- Je viens d’un petit village sur le côte, trois familles. Ils ne faisaient probablement pas le détour.
- Ils devraient, souffla Jack en fronçant les sourcils. C’est leur boulot de répandre les nouvelles partout.
Corail parvint à lui lancer un morceau de sourire. Elle n’était pas restée longtemps dans le village de celle dont elle avait pris la place. Ensuite, elle avait traversé le continent sans jamais entendre parler de « brèves » mais en même temps, elle ne s’était attardée nulle part.
- Les brèves commencent par les nouvelles économiques, les traités commerciaux achevés ou en cours de négociation. Les décisions du roi sont résumés. Les brèves se terminent généralement par les nouvelles d’ordres militaires.
Corail hocha distraitement la tête. Les nouvelles ne l’intéressaient pas du tout si bien qu’elle ne prêta aucune attention aux traités économiques, aux lois revues par le monarque – elle ne saisit pas la différence avant/après – et les attaques de brigands à l’ouest du royaume l’achevèrent.
- Un village côtier attaqué par les siréniens, lut Jack.
Le cerveau de Corail se réveilla d’un coup.
- Deux entrepôts de laine ravagés par le feu. La piste criminelle est… poursuivit Jack.
- Ils n’en disent pas plus ? s’étonna Corail.
- Sur quoi ?
- Sur leurs raisons ! s’écria Corail.
- Les raisons de qui ? Des criminels qui ont mis le feu à…
- Des siréniens ! s’énerva Corail.
- Que veux-tu qu’ils disent ? Les siréniens sont nos adversaires depuis des siècles. Ils nous attaquent, nous répliquons. Grâce à l’accord passé avec les dragons, nous sommes en passe de remporter la victoire. En attendant, ils réalisent des escarmouches aussi inutiles qu’incompréhensibles.
- Aussi inutiles qu’in… ?
Corail ne termina pas sa phrase, outrée par sa réponse. Elle serra la mâchoire, conscience que perdre son sang froid risquait de la faire démasquer.
- Bon, en même temps, difficile d’imaginer qu’ils puissent attaquer autre chose que des villages côtiers. Ils ne peuvent pas sortir de l’eau très longtemps et leur peau recouverte d’écailles, leurs yeux rouges, leur longue queue hérissée de piques et leur crâne chauve sur un visage dépourvu de nez les feraient découvrir très vite. Alors bon, ils font ce qu’ils peuvent.
Corail cligna plusieurs fois des yeux, abasourdie.
- Tu vivais dans un village côtier, se rappela Jack. Vous n’avez jamais eu de problèmes avec les siréniens ? Il paraît qu’ils s’attaquent souvent aux bateaux de pêche.
- Non, jamais, assura Corail en enregistrant toutes ces informations dans son esprit, certaine qu’un jour, elles serviraient.
Jack reprit sa lecture et Corail n’écouta plus, perdue dans ses pensées. Le soir, Corail se fit de nouveau rembarrer à la caverne. Elle dormit avec Jack mais une incertitude lui amena des cauchemars. Et si Riri ne revenait pas, serait-elle condamnée à mourir ici comme Jack l’avait supposé ? Ne pas revoir son banc la plongea dans une tristesse infinie. Elle sanglota dans les bras de son ami qui la berça.
N'empêche que la situation s'avère compliquée pour l'héroïne, de ce que l'on comprend. C'est le charme du récit. Sans parler de cette petite dragonne qui suscite l'affection : elle a des pensées et des réactions si "humaines" :)
Bonne lecture !