- Corail ? lança Jack alors que son amie venait de bondir hors de son fauteuil.
Il plaça le marque-page dans son ouvrage et se leva pour s’approcher d’elle. Le front plissé, elle bougeait la tête comme si elle tentait de percevoir un son lointain.
- Riri m’appelle… Elle… souffre !
Sa voix se brisa à ces mots.
- Où est-elle ? demanda Jack.
La veille, ils avaient discuté dans la cabane et Corail avait parlé de sa dragonne par son surnom. Jack s’en était montré amusé. Il trouvait cela mignon.
Corail désigna une direction de la main. Jack lui attrapa le poignet et ensemble, ils coururent.
- J’ignore à quelle distance elle se trouve, précisa Corail.
- Tu n’as passé que quelques jours avec elle. Tu ne dois pas pouvoir la percevoir de très loin.
Ils la trouvèrent, tâche bleue au milieu du sol rocheux. Riri se tenait au sommet d’une colline. En s’approchant, Corail constata que le sol s’ouvrait pour dévoiler l’entrée d’une caverne gigantesque percée de trou : l’endroit où les dragons dormaient. Riri se trouvait en haut et hésitait visiblement.
Corail s’approcha d’elle et Riri se tourna vers elle. Corail se figea.
- Oh merde ! s’exclama Jack.
Riri était couverte de sang. Les écailles de son flanc droit l’avait protégée mais son aile traînait, certaines parties dans des angles anormaux. La dragonne baissa la tête et racla le sol de ses griffes.
- Ne t’approche pas, conseilla Corail. Elle souffre. Elle pourrait te faire du mal par erreur. Par les courants chauds, que t’est-il arrivé ?
La dragonne se recula lorsque Corail s’avança pour toucher son aile.
- Je ne veux pas te faire de mal. Il faut te soigner !
- Elle ne comprend pas quand tu parles, rappela Jack. Elle ne t’entend même pas !
- Nous nous comprenons bien assez, elle et moi, répliqua Corail avant de contourner l’aile blessée pour venir caresser le museau de la dragonne bleue et celle-ci la laissa faire.
Corail lui fit un câlin.
- Elle a besoin d’aide.
- Ses congénères n’en ont rien à faire d’elle, rappela Jack.
- C’est ce qu’on va voir ! gronda Corail.
Elle resta près de sa dragonne jusqu’à ce que les autres dragons reviennent. L’un d’eux, un énorme mastodonte couleur terre, portait un humain. L’homme portait une veste de cuir noire aux bords habillés de fourrure. Des gants protégeaient ses mains du froid. Son visage proposait un visage glabre. Ses yeux bruns, de la même teinte que ses cheveux décoiffés, terminait ce physique d’une banalité incommensurable. C’était peu dire qu’il n’était personne.
Corail s’avança vers le dragon pour ne s’arrêter qu’à deux pas devant lui, bravant le monstre, l’estomac touchant le sol, se retenant avec peine de se pisser dessus. Ce mastodonte marron la terrifiait. Elle leva la tête pour plonger ses yeux dans ceux jaune à pupilles verticales de la créature ailée qui ne baissaient pas la tête pour l’aider.
- Ma dragonne est blessée. Elle a besoin de soin, dit-elle en prenant garde à ignorer le dragonnier.
Le dragon tourna la tête vers elle puis la secoua.
- Elle ne volera plus jamais, conclut-il par le biais de son dragonnier. Erreur de vol. C’est courant, malheureusement.
- Comment pouvez-vous conclure cela avant même de tenter de la soigner ? s’étrangla Corail.
- Je ne peux rien faire pour elle, annonça-t-il.
Pourquoi le dragonnier prenait-il ce ton narquois, comme si la nouvelle lui faisait plaisir ?
- Hé bien moi, je refuse de rester les bras croisés. Je peux l’aider !
- Alors fais, dit-il en fermant à demi les paupières.
- Je suis impuissante ici, répliqua Corail. J’ai besoin de l’océan. Peux-tu m’y amener ?
- Es-tu en train de suggérer que je pourrais t’accepter sur mon dos ?
Le ton glacial du dragonnier fit reculer Corail. Ils se toisèrent un instant puis Corail céda :
- D’accord. Pouvez-vous ouvrir les portes afin que je puisse sortir et ma dragonne aussi ? Nous rejoindrons l’océan à pied.
- Vous pouvez sortir par la sortie secondaire, indiqua le dragon à travers son cavalier.
- La sortie secondaire ? répéta Corail. J’ignore de quoi il s’agit.
- Zaroth vient d’en indiquer la position à ta dragonne, dit le dragonnier.
À ces mots, le dragon s’envola. Riri se retourna et marcha vers le nord, son aile traînant à ses côtés.
- Viens avec nous, proposa Corail et Jack et ce dernier les suivit avec entrain.
La nuit venait de tomber lorsqu’ils arrivèrent à la muraille cintrant le camp d’entraînement.
- Et maintenant, on fait comment ? cracha Corail. Je ne suis pas capable de gravir ça et Riri n’est pas en état.
Le mur s’effaça pour être remplacé par un trou béant. Un dragon couleur pierre apparut, laissant Jack et Corail incrédules. Riri passa par l’ouverture, Corail et Jack sur les talons.
- Ils me laissent sortir, murmura Jack. Cela signifie-t-il que mon dragon est mort ?
- Je ne sais pas, admit Corail.
- On va où ? interrogea Jack, toujours à voix basse, comme si quiconque pouvait les entendre.
- À l’océan. La mer regorge de trésors. J’y trouverai de quoi la soigner.
Jack ne répondit rien. La lune était haute lorsque le groupe parvint sur la plage la plus proche.
- Je vais chercher ce qu’il faut. Restez-là tous les deux. Je reviens.
Corail retira tunique, gants et bottines, sachant que la nuit couvrirait ce que Jack ne devait surtout pas voir. Au contact de l’eau froide, tout son corps frémit de bonheur. Corail retrouva le liquide salé avec bonheur mais ne perdit surtout pas l’objectif de vue.
La lune avait presque traversé le ciel lorsque Corail revint. Jack dormait sur le sable. Corail se rhabilla et sa dragonne leva les yeux vers elle. Corail secoua Jack qui ronchonna.
- Quoi ? bougonna-t-il.
- J’en ai trouvé mais ce n’est pas à côté alors bouge ! Plus vite on arrive, plus grandes sont les chances de réussite.
Jack se leva en marmonnant dans sa barbe. Corail entraîna ses compagnons sur la côte. Le soleil se leva qu’ils marchaient toujours.
- J’ai faim, grommela Jack.
- J’irai pêcher pour toi quand on sera arrivé, promit Corail.
Jack marmonna en retour des paroles incompréhensibles. L’humeur de Jack s’assombrit lorsqu’il apparut qu’à plusieurs moments, il fallait nager pour avancer. Riri ne s’opposa pas. Corail la jugea bonne nageuse malgré son aile cassée. En pleine forme, l’élément marin ne devait pas lui poser problème.
Enfin, Corail les annonça arrivés. Jack observa la crique entourée de falaises abruptes percées de grottes dont l’accès presque impossible le préservait de toute intrusion humaine.
- Arrivés où exactement ?
- Riri, mets ton aile dans l’eau, là, et ensuite, ne bouge plus ! expliqua Corail.
- Elle ne comprend pas quand tu parles, rappela Jack. Elle ne t’entend même pas.
Corail se mit à l’emplacement voulu et trempa son bras dans l’eau. Puis, elle se releva et désigna la dragonne. Riri comprit visiblement car elle l’imita.
- Plus bouger ! ordonna-t-elle une fois l’aile entièrement sous l’eau.
Corail fit la statue et répéta :
- Plus bouger.
La dragonne sursauta et cracha de la vapeur en extrayant son aile de l’eau.
- Je sais que ça fait mal mais tu dois rester tranquille si tu veux pouvoir voler un jour. Fais-moi confiance !
Corail posa sa main sur l’aile et appuya tendrement. La dragonne suivit le mouvement et la fixant dans les yeux. Corail lui transmit tous les encouragements mentaux possibles.
- Pas bouger ! répéta-t-elle en faisant la statue puis elle se tourna vers Jack. Je vais pêcher. Essaye de trouver de l’eau douce.
Jack soupira puis il hocha la tête, disparaissant rapidement vers la falaise et ses innombrables grottes. Qu’elle proposât de l’eau douce ne serait pas surprenant. De quoi remplir la gourde vide depuis un moment, contenant dont seul Jack engloutissait le contenant, sans pour autant qu’il n’en fasse la remarque à Corail.
Corail se dévêtit derrière des rochers puis partit en chasse. Le faire seule s’avéra bien plus compliqué qu’elle ne l’aurait cru. Quant à rejoindre le banc, aucune chance. Il se trouvait bien trop loin. Elle se résigna à chasser seule et la réussite fut moindre qu’elle ne l’aurait espérée.
Elle revint à la nuit tombée, se rhabillant sous le couvert de l’obscurité.
- Poisson, coquillages et crustacés, annonça Corail. N’hésite pas à faire du feu si tu préfères les cuire.
- Avec quoi ? gronda Jack. Crois-tu que j’ai un briquet sur moi en toutes circonstances ?
- Non, mais nous avons un dragon ! répliqua-t-elle sur un ton grinçant.
Jack se tourna vers la dragonne bleue.
- Elle n’a de cesse de souffler du chaud par ses naseaux.
- C’est sa manière à elle de dire qu’elle souffre.
- Il y a quoi dans l’eau ? demanda Jack en désignant la zone où la dragonne s’étalait.
- Son aile, répondit Corail avant de préparer la nourriture.
Elle éluda ainsi la question et Jack se contenta de grimacer. Le jeune homme ramassa du bois et en fit un petit tas.
- Et maintenant ? lança-t-il. On ne peut pas lui demander de faire du feu. Elle ne nous entend pas.
- On le saura, répliqua Corail. Tu connais le langage universel des gestes ?
Corail fit signe à Riri, désigna le bois puis mima une explosion et ensuite le geste de se réchauffer. La dragonne tourna la tête vers l’âtre improvisé et cracha une douce flamme. Les brindilles prirent feu. Jack y mit des bûches plus conséquentes en marmonnant dans sa barbe.
- Surtout, ne me remercie pas, gronda Corail.
Jack leva un regard ahuri sur elle.
- Le feu est pour toi. Moi, je mange cru, rappela-t-elle.
- Et avoir chaud ?
- Je préfère dormir dans le froid, indiqua-t-elle avant d’ouvrir les palourdes et les coquilles saint jacques.
Elle les plaça dans un grand coquillage vide trouvé sur la plage et tendit le tout à Jack. Il étala quelques braises et posa le coquillage dessus. Corail rajouta des morceaux de poisson et chacun put manger sa ration, tant de nourriture et d’eau, Jack en ayant trouvé dans l’une des grottes.
Corail dormit lovée contre l’aile gauche intacte de sa dragonne. Jack s’installa au coin de feu.
Dès que le soleil fut levé, Corail, sous le regard attentif de Jack, demanda à Riri de sortir son aile de l’eau.
- Toutes les blessures ont disparu, remarqua Jack après un sifflement admiratif.
- Là ! dit Corail en désignant le milieu de l’aile. Ça ne va pas.
La dragonne remua son aile mais se dandina.
- L’os n’est pas dans le bon angle, admit Jack.
Corail s’approcha, caressa l’articulation et annonça :
- Il s’est ressoudé mais pas correctement. Il va falloir le recasser afin de le placer au bon endroit.
- Tu veux… casser l’aile d’une dragonne éveillée ? Tu es malade ?
- Si on ne le fait pas, elle ne pourra jamais voler.
- Sauf qu’elle ne comprend pas ! s’énerva Jack. Elle va te bouffer !
- Nous, répondit Corail.
- Quoi ?
- Elle va nous bouffer. Je ne peux pas casser son os. Je suis trop petite et chétive. Toi, tu es fort. J’ai besoin que tu le fasses pour moi.
- D’habitude, j’apprécie qu’on me dise que je suis fort, maugréa Jack avant de s’énerver. Je ne vais pas casser l’aile d’une dragonne. Je n’ai aucune envie de mourir, encore moins sous les dents d’un dragon !
- Viens là, ordonna Corail.
Il s’approcha en soupirant et en secouant la tête, sous le regard attentif de Riri qui le laissa venir à son contact. Corail fit sentir le problème à Jack en lui faisant caresser les os puis lui expliqua ce qu’il devait faire.
- J’ai beau être fort, je ne suis pas certain d’y arriver.
Il tenta un peu puis annonça :
- Ça ne bouge pas. L’os de dragon, c’est sacrément solide. Il faudrait faire levier.
Ils observèrent leur environnement et trouvèrent un rocher et des troncs d’arbres morts que Riri souleva elle-même pour les placer au bon endroit.
- Tu crois qu’elle comprend ce qu’on cherche à faire ? interrogea Jack.
- Je ne pense pas.
- En tout cas, tes gestes sont explicites. Elle réalise tes demandes à la perfection. Tu es sûre que vous ne communiquez pas d’esprit à esprit ?
- Certaine, assura Corail. Tout est en place. Je la tiens et tu appuies.
Jack lança un regard peu rassuré vers la dragonne.
- Elle va me cramer vif, marmonna-t-il.
Il se mit tout de même en place. Corail entama un décompte et à trois, il mit tout son poids sur le tronc. Un horrible craquement retentit. Jamais Jack n’avait entendu un tel son sortir de la gorge d’un dragon et des flammes jaillirent, percutant le sable. Jack observa la surface devenu lisse et transparente et frissonna. La dragonne ne l’avait pas pris pour cible. Il vivrait quelques jours de plus.
- C’est trop dans l’autre sens. Il faut remonter. Aide-moi ! lança Corail.
Jack obtempéra. Ensemble, ils replacèrent l’os.
- Remets ton aile dans l’eau, proposa Corail en mimant le geste.
Riri le fit. De la vapeur sortit de ses naseaux tandis qu’elle se dandinait d’une patte à l’autre.
- Ça bouge là-dessous, souffla Jack en grimaçant, les yeux rivés vers l’eau dans laquelle ses pieds nus étaient plongés.
- Tu ne risques rien, sauf que d’éventuelles blessures à tes pieds soient soignés.
- Je n’ai aucune blessure, assura Jack.
- Alors tout va bien, en conclut Corail. Je retourne pêcher. La guérison prendra encore du temps et j’ai déjà faim.
- Moi aussi, admit Jack.
Le dîner ne fut pas aussi copieux que Corail l’avait espéré. Heureusement, elle avait pu manger des algues directement dans l’eau. Elle donna presque toute sa pêche à Jack, consciente qu’il avait besoin de manger plus qu’elle.
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Farhynia ne ressentait plus aucune douleur. Les picotements avaient cessé. Alors que le soleil pointait à l’horizon, elle décida de tester. Alors que les deux fourmis dormaient encore, elle souleva son aile droite, la sortant de l’eau. Les premiers essais fructueux l’encouragèrent à poursuivre. Son aile se plia, se déplia, le tout sans la moindre douleur.
Excitée comme une puce, elle déplia son aile gauche et poussa. L’air s’engouffra sous ses ailes et l’envol se fit. Farhynia s’éloigna, ivre de bonheur. Elle ressentit l’agacement de sa fourmi. Elle venait de la réveiller de façon fort peu agréable. Elle n’en avait cure. Elle volait ! Voilà tout ce qui importait.
Elle rejoignit le terrain d’entraînement, bien décidée à faire face à Zaroth. Elle arriva la première si bien qu’ils furent un instant seul à seul.
- Tu as l’air de te porter bien mieux, fit-il remarquer.
Il n’avait même pas pris la peine de la saluer.
- Je vole, siffla-t-elle.
- Ta cavalière a des talents indéniables. Elle est douée. Tu ne la mérites pas.
Farhynia s’en figea de stupeur. Comment osait-il ?
- Que fais-tu ici ? Ce cours est réservé à ceux qui peuvent porter, rappela Zaroth.
Farhynia ouvrit ses canaux de rafraîchissement. Elle était tombée, certes, mais après avoir réussi à les contrôler.
- Ce n’est pas trop tôt, gronda Zaroth.
Farhynia ravala la réplique cinglante qui lui monta à la gorge. Zaroth attrapa un mannequin par la gueule et fit glisser ses jambes dans les canaux.
- Il est lourd ! se plaignit Farhynia.
- Il a le poids moyen d’un humain, expliqua Zaroth. Tu sais ce que tu dois faire ?
- Le garder sur mon dos sans lui broyer les jambes.
- Entraîne-toi.
- J’ai faim, se plaignit Farhynia.
Les fourmis étaient bien gentilles. Elles avaient bu et mangé devant elle sans jamais lui apporter quoi que ce soit si bien que Farhynia mourait de faim et de soif.
- Va chasser mais en gardant le mannequin sur ton dos. Et s’il glisse, rattrape-le avant qu’il ne touche le sol.
Farhynia grimaça et prit son envol. Elle préférait le bouquetin mais ce repas nécessitait d’être chassé en pleine montagne. Affamée, elle choisit la facilité et vola vers les troupeaux de moutons paissant dans les environs. Elle en avait mangé quatre lorsqu’elle se rendit compte que le mannequin n’était plus sur son dos. Quand avait-il chu ?
Elle le chercha pour le retrouver à mi-chemin entre le terrain d’entraînement et le pré. Elle soupira. Elle n’était pas prête de porter sa fourmi. Elle attrapa le mannequin en mettant sa tête dans sa gueule et retourna au terrain d’entraînement. Plusieurs dragons s’entraidaient sur le port des mannequins. Le dragon blanc n’en faisait pas partie. Logique, il savait parfaitement bien le maintenir en place.
- L’un de vous veut-il bien me remettre mon mannequin ? demanda Farhynia.
Les dragons continuèrent à converser entre eux, faisant mine de ne pas l’avoir entendue. Farhynia se recula en baissant la tête. Ils l’ignoraient. Ils la rejetaient. Trop petite. Trop faible. Immature. Ils ne la croyaient pas capable d’assumer le rôle de protectrice. Ils ne voulaient pas avoir à œuvrer à ses côtés plus tard.
Farhynia s’éloigna, la queue basse. Elle ne parvenait pas à mettre le mannequin elle-même. Comment s’entraîner dans ces conditions ?
- Je vais t’aider, annonça Zaroth en s’approchant.
Farhynia le transperça des yeux. Il était bien la dernière personne de qui elle s’attendait à de la compassion.
- Je suis ici de mon plein gré, rappela-t-il. Je crois en mon rôle de guide et tout le monde a le droit à sa chance. Tu es nulle mais on ne peut pas te reprocher ton manque de persévérance. Tu t’es entraînée jusqu’à frôler la mort ou l’immobilisation au sol. Ta cavalière a du cran. Cela ne suffira pas mais ce que tu apprendras lors de cet appel te servira pour les suivants. Dans une dizaine d’appels, tu seras compétente.
Farhynia se recroquevilla. Était-il en train de sous-entendre qu’elle allait tuer dix fourmis avant d’être enfin capable d’interagir avec l’une d’elle ? Elle en eut la nausée. Elle ne voulait pas en perdre dix, pas même une ! Elle tenait à sa fourmi. Cette dernière venait de sauver son aile. Elle ferait tout pour elle.
Gardant le silence, elle laissa Zaroth replacer le mannequin sur son dos. Elle ne lâcha rien de la journée. Le soir, elle passa voir Fryl, le dragon gris servant de porte secondaire.
- Ma cavalière devrait revenir bientôt.
- Je ne vais pas tarder à quitter mon poste pour aller boire et manger, annonça Fryl.
- Qui te remplace ? interrogea Farhynia.
- Personne, répondit-il avec un naturel désarmant.
- Mais alors n’importe qui peut entrer ou sortir !
- Qui le ferait ? Les cavaliers qui sont ici le sont de leur plein gré et ignorent l’existence de cette sortie. Et puis, qui voudrait entrer ?
Farhynia préféra ne pas répondre car après tout, si son affirmation était exacte, alors sa mission s’avérait inutile. Autant laisser ouvert tout le temps. Mieux valait ne pas contredire ce dragon.
- Tu veux bien être un peu attentif dans les deux journées qui viennent histoire de la laisser entrer quand elle reviendra ?
- Bien sûr, promit-il.
Farhynia le remercia puis rejoignit la caverne, où elle dut se reposer dans une alvéole haute sans que cela ne la dérange spécialement. Elle était juste triste de s’être éloignée de son idéal blanc.
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- Pfff… Elle aurait pu venir nous rejoindre pour la nuit, gronda Jack. Dormir dehors sans feu, merci bien ! Et toi ? Pourquoi avoir refusé de nous rendre à l’auberge ?
- Nous n’avons pas d’argent, rappela Corail.
Elle ne tenait surtout pas à se faire remarquer mais ce prétexte lui convenait à merveille. Jack ronchonna encore.
- Nous allons devoir dormir collés l’un à l’autre. Ça te dérange tant que ça ?
- Quand Riri est là, tu la choisis, elle !
- Tu es jaloux de ma dragonne ! n’en revint pas Corail. Comment suis-je censée améliorer mon lien loin d’elle ?
- Comment font les autres ? répliqua Jack.
- Ils meurent lors du premier vol, si j’ai bien compris.
Jack la fixa, grimaça puis baissa les yeux. Ils dormirent ensemble pour se réchauffer mais n’eurent aucun geste tendre l’un pour l’autre. L’amertume les empêchait de se rendre compte qu’ils avaient tous les deux raison.
Le lendemain, l’avancée se fit sous un magnifique ciel bleu. Jack et Corail avaient le même très bon sens de l’orientation si bien qu’ils ne se chamaillèrent pas. Toute la randonnée se fit dans un silence pesant.
La muraille apparut sous le soleil au zénith.
- Si je ne savais pas qu’il y a un dragon ici, jamais je ne l’aurais supposé, souffla Corail, impressionnée, tandis que le mur se dérobait.
Corail s’avança puis s’arrêta en constatant que Jack ne lui emboîtait pas le pas. Elle recula pour le rejoindre.
- Tu ne reviens pas ? demanda-t-elle.
Elle comprenait qu’il ne veuille pas revenir. À quoi bon ? Son dragon ne reviendrait jamais. Il se faisait du mal en restant. Dehors, il pourrait se créer une vie, fonder une famille, élever des vaches ou des moutons et un jour faire sauter sur ses genoux sa petite-fille aux cheveux bouclés.
Corail sentit sa gorge se serrer. Il était son seul ami. Sans lui, rien ne serait plus pareil. Elle passait ses journées à se promener avec lui, à l’écouter lire, à manger ensemble, à dormir l’un contre l’autre.
Les regrets la boufferaient s’ils se séparaient ainsi, après une dispute.
- Je dormirai avec toi, promit-elle. Un jour sur deux. Ça te va ? proposa-t-elle.
- Non. Tant que tu passes tes journées avec moi, tu peux lui consacrer tes nuits mais après le premier vol, je ne te verrai plus. À ce moment-là, une nuit sur deux, oui, ça sera parfait.
- Deux sur trois avec toi, renchérit Corail, qui tenait à lui prouver qu’il comptait pour elle.
Il sourit et hocha la tête. En sifflotant, il passa le trou dans la muraille. Corail lui emboîta le pas et le dragon de pierre reprit sa place.
- Ça doit être chiant, comme mission. « Mur », chuchota Corail comme si le dragon pouvait l’entendre. Votre mission : « Pas bouger » sauf quand des gens veulent entrer et sortir.
- Je me demande qui a ce droit.
- Je me demande comment il fait pour boire et manger, pour s’amuser, pour voler. J’espère qu’ils sont plusieurs et qu’ils se relayent.
Jack mit sa main sur l’épaule de sa compagne. Corail sourit, heureuse de s’être réconciliée. Ce soir-là, sa joie de dormir avec Riri la fit sautiller mais au creux de son aile, elle s’endormit sans attendre.
Non, mais, aussi ! Qui aurait l'idée d'appeler sa dragonne "Riri" ? Pourquoi pas "Fifi", ou "Loulou" ??
Bon, c'est de la Fantasy, passons sur les phénomènes miraculeux et les dons particuliers de cette curieuse, mais sympathique, Corail (Miss Sirénienne, I presume ?).
Restent les rapports qui s'établissent entre les protagonistes, tel le lien qui se tisse entre "Riri" (décidément !...) et Corail : simplement télépathique ou plutôt affectif ? Je penche pour le second. Et cet étrange Jack, qui se prend d'amitié et de parrainage pour l'héroïne, sans rien attendre en retour : une bien belle âme ou un futur traitre ? Par optimisme, je parierais pour la première hypothèse... Mais je me suis déjà tellement trompée !
Bref, ce récit tient ses promesses et sa philosophie (si l'on me passe ce grand mot) commence à se dessiner.
Pourquoi pas Riri ? C'est joli et mignon, Riri !
Pauvre Jack. Une âme seule, surtout, qui se trouve quelqu'un. N'a-t-on pas tous besoin d'un vis-à-vis ?
J'espère que la suite vous plaira tout autant.