Chapitre 4 : Chacun ses ennuis

Par Elly

Que faisaient les sentinelles de la cité du vent chez Fustius ? Le vagabond semblait en avoir une petite idée car son attitude devint celle d’un chien prêt à mordre.

  —  Ils sont venus après votre départ, se justifia Fustius. Ils m’ont demandé si j’avais vu un homme aux cheveux noirs bouclés et des yeux de la même couleur alors je leur ai parlé de vous…

Sa main gauche grattait nerveusement sa barbe, et son regard fuyait le jeune homme qui affichait un air à mi-chemin entre la colère et la déception. L’un des gardes le toisa.

  —  C’est bien lui, confirma-t-il. Si vous nous suivez docilement, votre peine sera allégée.

  —  Attendez, moi, je n’ai rien à voir avec lui ! protesta Alizéha. Emmenez-le si ça vous chante, ce n’est pas mon problème.

  —  La loyauté n’existe pas chez les voleurs, on dirait, ricana-t-il.

  —  Si vous êtes bel et bien innocente, vous ne risquez rien, mais vous allez quand même nous suivre pour un interrogatoire, annonça l’autre garde.

Elle recula lorsqu’ils s’avancèrent dans la pièce et saisit le manche de son épée. Son cœur s’affola. Il était hors de question qu’elle se fasse interroger ou enfermer. Elle n’avait aucune idée de la gravité des crimes du vagabond et refusait de se retrouver en cellule, à leur merci. Et s’ils utilisaient la torture ? Elle était fichue !

Les doigts de Fustius tapotaient la table en bois pendant qu’ils se jaugeaient. Le feu crépita. L’ambiance chaleureuse de la salle était devenue électrique. Evan lança un coup d’œil à Alizéha, qui était immobile, prête à l’attaque. Les gardes glissèrent leur main jusqu’à leur arme. Leur armure grinça, et ils dégainèrent de concert leurs épées respectives. Sans lui laisser le temps de croiser le fer, le vagabond tira Alizéha par le bras vers la sortie. Tout en l’entraînant, il contourna la maison de Fustius et atterrit dans le jardin. Une étendue d’herbes parsemée de buissons et de fleurs s’étirait, délimitée par une clôture. Alizéha découvrit deux chevaux à la robe marron dont la queue, les ailes et les deux pattes arrière étaient celles d’un coq. Les hippalectryons servaient de monture aux gardes de Venthos. L’un broutait tandis que l’autre mangeait des bourgeons de givre-noires, à l’opposé. Les deux sentinelles les avaient sans doute cachés derrière la maison pour ne pas les alerter à leur retour.

Le vagabond monta sur la selle de l’hippalectryon au plumage coloré, puis il tendit la main vers Alizéha. La déesse la rejeta avec dédain.

  —  Je ne veux pas fuir avec toi, ils vont penser que je suis ta complice !

  —  Trop tard, ils le pensent déjà ! Soit tu montes, soit tu te bats contre eux, mais ne te plains pas si tu finis en prison.

La prison ne l’effrayait pas, que son identité divine soit découverte, oui. Si elle se battait contre les deux gardes et qu’ils la blessaient, cela se produirait. Elle serait contrainte de les tuer, ce qui ne serait pas un problème s’il n’y avait pas tant de témoins. Entre les villageois alertés par l’agitation qui tendaient le cou à travers leur fenêtre et les Kamphel, être recherchée pour meurtre ne l’arrangeait pas. Que devait-elle faire ? Courir jusqu’au deuxième cheval ? Elle n'avait pas le temps.

Les deux sentinelles surgirent, furieuses de voir l’une de leur monture dérobée. Leurs épées translucides, constituées de nuages cristallisés et de pierres volantes, luisaient d’un éclat bleuté. Se battre contre elles revenait à lutter contre une bourrasque de vent tranchant. Alizéha risquait moins à fuir qu’à les affronter, alors elle céda et s’installa devant le jeune homme. Les rênes en main, il ordonna à l’hippalectryon de cavaler. Il hennit et galopa droit devant lui. Les gardes se jetèrent sur le côté pour ne pas se faire piétiner, et l’animal bondit par-dessus la clôture en bois. Au lieu de prendre son envol, il zigzagua de jardin en jardin. Agrippée à la crinière de la créature, Alizéha s’époumona :

  —  Qu’est-ce que tu fiches ?!

  —  Je n’ai jamais dirigé une monture ! avoua-t-il, tirant sur les rênes avec maladresse.

La déesse se retint de le décapiter sur le champ et lui arracha les rênes des mains pour prendre le contrôle de l’hippalectryon. Elle ordonna à la créature d’accélérer. Le cheval déploya ses ailes et s’élança dans les airs. Cependant, les deux sentinelles s’étaient dépêchées de monter le deuxième hippalectryon et, plus habituées à diriger cette créature, elles les rattrapèrent. Alizéha sentit les mains de son compagnon se crisper autour de sa taille. Qu’il ne s’inquiète pas, la déesse ne comptait pas laisser ces vulgaires mortels la capturer.

Ils fendaient l’air à une telle vitesse que le vent les giflait. Les gardes les suivaient de près, mais Alizéha atteignit l’endroit qu’elle visait : la forêt. Elle força le cheval ailé à atterrir pour pénétrer dans le bois. Leurs poursuivants les imitèrent, abandonnant la course-poursuite aérienne pour une chasse terrestre. Leur monture galopait à un rythme raisonnable pour éviter les arbres tout en rongeant la distance. Alizéha avait ralenti le pas pour scruter le sol. Sa prise sur les rênes se resserra tandis que les gardes se rapprochaient dangereusement. Elle finit par repérer le buisson de baies étoilées avec le panier des enfants laissés à l’abandon et se dirigea vers le nid des Trompes-œil découvert plus tôt. Lorsqu’elle l’atteignit, elle se pencha pour couper quelques lianes d’un mouvement d’épée et déguerpit avant que les plantes ne la prennent pour cible. Courroucés par cette agression, les Trompes-œil attaquèrent les sentinelles qui se jetèrent dans le nid grouillant. Assailli de toutes parts, l’hippalectryon se cabra et renversa ses cavaliers. Pendant qu’ils bataillaient contre les lianes enragées, les deux poursuivis s’enfuirent. Alizéha quitta la forêt pour rejoindre une route de campagne. Le sentier les conduisit au milieu d’un champ de panélées blanches. Leurs pétales éclatants luisaient comme de la neige au soleil. Quand les rayons se réchaufferaient, ils se teinteraient de mille et une couleur.

Une fois qu’elle estima qu’ils s’étaient assez éloignés, Alizéha arrêta l’hippalectryon et poussa sans ménage le jeune homme. Il s’écrasa au sol avec un râle de douleur. La déesse descendit à son tour de la monture.

  —  C’est une tentative de meurtre ! gémit-il en se redressant.

  —  Non, pas du tout. Je ne fais pas de tentative, juste des meurtres.

Elle pointa l’extrémité de son épée sur le cou du vagabond. Il se figea et déglutit. Sa pomme d’Adam remonta.

  —  Je te crois sur parole…

  —  Qui es-tu et qu’as-tu fait ? l’interrogea-t-elle sèchement.

Face à ce regard froid comme du métal et cette lame tendue, il confessa :

  —  Je suis Evan Thurso, et… j’ai volé la famille Kléos.

La mâchoire d’Alizéha se décrocha. Elle recula comme si elle avait besoin de s’éloigner de sa folie. Ou de sa stupidité. Les mots lui manquaient. Il n’avait pas fait ça ?

Les Kléos étaient la famille dirigeante de Venthos. Les seigneurs de la cité. Ils la dirigeaient d’une main de fer. Puissants et orgueilleux, s’en prendre à eux était un affront qu’ils ne pardonneraient jamais. Leurs liens étroits avec le royaume des Immortels leur donnait la réputation d’un clan intouchable. En volant, Evan avait remis en cause leur autorité. Les Kléos le poursuivraient jusqu’à sa mort.

  —  Je ne sais pas ce qui m’étonne le plus, avoua-t-elle. Que tu aies eu cette audace ou que tu aies réussi ton coup ?

  —  Pour tout te dire, j’ai un peu agi sur un coup de tête…

  —  Et donc, qu’as-tu volé qui mérite tous ces risques ?

Il afficha un sourire mystérieux.

  —  C’est un secret.

Alizéha songea à insister, puis se ravisa. Tout ça, ça ne la concernait pas ; moins elle en savait sur lui, mieux c’était. Elle aussi avait ses secrets.

Elle rengaina son épée. Evan souffla de soulagement en touchant son cou, ravi de sentir sa tête encore dessus. En l’apercevant s’éloigner, il bondit sur ses pieds. Tout en tirant l’hippalectryon par les rênes, il la rattrapa.

  —  Tu es en colère ? demanda-t-il, plus curieux que soucieux.

  —  Moi ? Pas du tout. À cause de toi, on me soupçonne d’être ta complice, j’ai les gardes de Venthos sur le dos, et je n’ai pas récupéré ma récompense. Je n’ai aucune raison de t’en vouloir.

Elle donna un coup de pied dans un caillou. Evan pouffa.

  —  Si ça peut te rassurer, les Kléos sont fiers. Ils ne voudront pas ébruiter l’affaire. Autrement dit, ils n’en parleront pas et ne s’appuieront pas sur l’aide des autres cités.

Donc elle pouvait circuler librement dans les grandes villes et les villages, à condition de ne pas recroiser les gardes de Venthos. Il était certain qu’ils n’en resteraient pas là, mais savoir qu’elle n’était pas recherchée à chaque coin de rue était une bonne nouvelle.

  —  Sinon, tu ne m’as pas dit ton nom, poursuivit-il.

Devant le silence de la déesse, il abandonna.

  —  Bon. Que faisons-nous maintenant, cache-œil ?

Elle le fusilla de son unique œil valide.

  —  Je t’interdis de m’appeler comme ça !

  —  Comment dois-je t’appeler si tu ne me donnes pas ton prénom ?

  —  C’est simple. Ne m’appelle pas.

  —  D’accord, cache-œil.

Elle serra les dents, au bord de l’implosion. Elle empoigna son épée, décidée à lui apprendre le respect, mais Virko résista. Visiblement, il avait Evan à la bonne. Le voleur dardait sur elle ses yeux dans lesquels une lueur taquine étincelait comme une étoile dans un ciel noir. Fatiguée, elle céda.

  —  Appelle-moi Lize.  

Un sourire victorieux étira les lèvres d’Evan.

  —  Et donc, Lize, où allons-nous ?

Elle scruta l’horizon, se résignant à devoir supporter la présence du voleur un moment. Les fleurs s’étalaient à perte de vue, leur éclat blanc donnant l’illusion d’un champ de neige. Niox était la dernière halte avant d’atteindre sa destination. Il était probable que les gardes échappent aux Trompe-œil et s’y rendent aussi. Il était préférable d’éviter la voie des airs pour se déplacer et de passer par un chemin détourné par précaution.

  —  Débrouillons-nous pour rejoindre Théria, la cité de la terre. Quelqu’un m’attend.

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Anthea-17
Posté le 17/09/2025
Evan devient un personnage très intéressant avec lui aussi sa part de mystère, ça donne envie d'en apprendre plus sur lui.
Ton style est très agréable à lire, la dose d'humour que tu mets est très appréciable et créer de l'attachement envers Alizéha et Evan.
C'est très sympa à lire !
Et bravo pour ton imagination et la création de l'hippalectryon. C'est super original et avec ta description on arrive bien à s'en imaginer...
Elly
Posté le 22/09/2025
Je suis contente qu'on l'apprécie ! J'ai beaucoup aimé développer le personnage d'Evan, il est plus important qu'il n'y parait ^^
ça me fait plaisir qu'on apprécie ma plume malgré sa simplicité !
Je ne mérite pas tant de compliment pour l'hippalectryon, c'est une créature tirée de la mythologie grecque de mémoire que j'ai découvert et que j'avais envie d'inclure dans l'histoire ^^

Merci beaucoup pour ton commentaire !
Carlarqlm
Posté le 17/09/2025
Coucou,
J'ai beaucoup aimé ce chapitre, tu arrives à y mettre la bonne dose d'humour. Evan devient un personnage intéressant, il n'est au final pas si lourdaud qu'il en a l'air :)
Concernant les décors, j'ai trouvé que les descriptions des paysages étaient très bien, j'ai bien réussi à visualiser la scène.
Elly
Posté le 22/09/2025
Coucou !

Et oui, Evan est un peu plus complexe qu'il n'y parait ;)
Les descriptions ont tendance à être mon point faible alors je suis contente de savoir qu'on visualise bien !

J'espère que la suite te plaira, merci pour ton commentaire !
ZAODJA
Posté le 27/08/2025
Salutation !

C’est toujours un réel plaisir de te lire ! Je trouve ton texte vraiment fluide et intéressant.

Tu transmets diverses émotions avec brio. J’apprécie énormément tes petites touches d’humour, c’est très rafraîchissant.

Dans un de tes commentaires, on parle du manque de détails. Franchement, je n'y ai même pas fait attention, cela ne m’a pas empêché d’apprécier. En outre, je trouve ton travail incroyable. Continue ainsi.

Zao
Elly
Posté le 08/09/2025
Coucou !

ça me fait très plaisir, merci beaucoup ! J'essaye toujours de m'amuser en écrivant alors l'humour ne disparait jamais longtemps x)

Ce que tu dis me rassure et m'encourage vraiment ! Merci beaucoup pour ce commentaire <3
Reveanne
Posté le 12/05/2025
Coucou!
Et ben elle a vraiment pas de bol la déesse sur ce coup. XD la pauvre.
Je me demande bien ce qu'a volé Evan pour avoir toutes les troupes à ses trousses.
Sinon, j'adore l'univers, le rythme des actions, le caractère des personnages. (même si ça manque encore un peu de décors. XD )
J'ai hâte de lire la suite. :)
Elly
Posté le 12/05/2025
Coucou !

Oui, elle qui voulait rester discrète, la voilà servie xD
Mystère, mystère...
Contente que ça te plaise ! Le jour où je réussirai à mettre assez de décors sera un jour de fête xD
J'espère que la suite continuera de te plaire ^^ !

Merci pour ton commentaire !
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