Ma blessure à la tête est plus grave que je ne le pensais. Mes soins n’ont pas suffi. Je vais devoir aller à l’hôpital militaire pour me faire soigner. La douleur est atroce, même le calmant ne l’a pas arrêtée. Décidément, cette journée est vraiment mauvaise, mise à part, peut-être Isis. Je me relève, aidée par mon aide de camp qui me soutient par le bras.
- Accompagne-moi à l’hôpital, j’ai besoin de quelqu’un au cas où cela n’irait plus, lui dis-je.
Elle ne me répond pas, mais je vois qu’elle a compris. Nous sortons de mon bureau. Après dix minutes de marche, nous arrivons devant l’entrée du centre de soin. Je m’oriente vers l’accueil et réclame à être reçue par le docteur Vincent Kuntz. La réceptionniste l’appelle en m’affirmant qu’il sera là d’un moment à un autre. Juste à l’instant où elle termine sa phrase, j’aperçois un homme de taille moyenne dont les cheveux couleur caramel sont plaqués impeccablement sur son crâne qui se dirige vers nous nerveusement. Je souris en le reconnaissant avant qu’une pointe de culpabilité émerge en moi quand je croise le regard sévère de mon médecin. Je ne lui cause que des soucis.
- Que t’est-il encore arrivé ? me demande Vincent, une légère irritation dans la voix.
- Comme d’habitude, mais aujourd’hui, cela va vraiment mal.
Il se rapproche de moi d’un pas pressé.
- Je t’ai déjà dit de venir directement ici après chacune tes missions spéciales, peste-t-il en baissant le ton sur les derniers mots.
- Je sais, mais tu me connais, lui répondis-je en essayant un sourire qui doit davantage ressembler à une grimace.
- Trop bien malheureusement, regrette-t-il en levant les yeux au ciel.
Ma vue se brouille légèrement et je trébuche. Vincent me rattrape de justesse. Avec des gestes prudents, il passe mon bras droit au-dessus de son épaule. Toutefois, avant de nous éloigner, je donne mes instructions à Isis et lui demande de m’attendre ici. Après avoir vérifié que celle-ci respecte bien mes consignes, Vincent m’amène dans son cabinet en ralentissant la cadence à une moindre faiblesse de ma part. Une fois arrivés, il m’allonge sur un siège. La tête me tourne légèrement. Je passe une main sur le visage. Mon médecin défait mon bandage et inspecte la plaie.
- Ils ne t’ont pas ratée cette fois. Pour être sûr que tu n’as pas une commotion, il faudrait faire une radio.
Il se lève pour chercher ses instruments.
- Je n’ai pas reçu de coups, juste des griffures. Ils étaient assez agressifs. Un en particulier, on m’a dit qu’il avait été un sujet prometteur.
- Ils disent cela à chaque fois et chaque fois c’est un échec, soupire-t-il.
- Tu as peut-être raison, mais ce n’est pas à moi de poser ce genre de question. Je fais mon boulot un point c’est tout.
- En parlant de ton fameux travail, je ne comprends toujours pas pourquoi cela doit être toi qui fais ce travail. Attention, cela va piquer un peu !
Vincent applique son produit sur la plaie. Cela fait un mal de chien, mais je ne laisse rien paraitre. Je continue la discussion comme si de rien n’était.
- Tu sais bien que les balles et les poisons ne les affectent pas. Seule l’épée les terrasse. Je suis la meilleure dans le domaine, en revanche, je tire comme un manche, avoué-je, ironique.
- Tu devrais prendre des cours, me propose mon médecin sur le même ton.
Je lui lance un regard en coin.
- Et avec qui, Monsieur ?
- Pourquoi pas avec Hans ? Il manie les armes à feu comme toi l’épée.
Je ris jaune.
- Très drôle. Alors cette blessure ?
- J’ai presque fini. La tête saigne toujours beaucoup, mais cela ne m’a pas l’air trop grave. Dis-moi si tu as mal autre part.
- Le reste va bien, affirmé-je en secouant la main pour lui signifier de passer à autre chose.
- Ça, c’est à moi d’en décider. Enlève tes bandages aux mains, je vais les désinfecter. Te connaissant, tu l’as fait à la va-vite.
Il continue son examen en n’oubliant pas de me faire son sermon habituel que j’écoute distraitement. C’est toujours le même cinéma. Que veut-il que je fasse ? Je n’ai pas le choix. Ils sont à chaque fois de plus en plus fort, il est donc logique que je me blesse. Je ne peux pas m’empêcher de songer qu’un jour cela sera vraiment grave. Je rejette cette obscure pensée le plus loin dans mon esprit. Inutile d’imaginer le pire, aujourd’hui je vais bien. Il finit par rajouter :
- Je me répète, mais il faut que tu arrêtes cette mission, elle te détruit, et pas que physiquement.
Je le regarde impassible. Au fond, il a raison. Il poursuit :
- C’est mon avis, mon avis en tant qu’ami. Tu ne peux pas continuer comme cela indéfiniment.
Je soupire. Je suis lasse de ces discussions.
- Tu sais que c’est le seul moyen que j’ai pour qu’il me reconnaisse. Je n’ai pas le choix. Je veux lui prouver que je ne suis pas une erreur, que je suis digne d’être sa fille comme Luna !
Sur ces dernières paroles, ma voix se brise, mais je me reprends vite et la seconde d’après, je ne laisse plus rien transparaitre. Mon médecin secoue la tête, les lèvres pincées.
- Tout ça n’est qu’une illusion. Quand comprendras-tu qu’il…
- Merci, Vincent, de m’avoir soignée, le coupé-je. Tu dois avoir du boulot, je vais y aller.
Je ne désire pas poursuivre cette conversation. Il ouvre la bouche comme s’il voulait continuer, mais il finit par opiner du chef. Après m’avoir raccompagné à l’accueil, il me regarder rejoindre Isis qui m’attend assise sur un siège. En me remarquant, elle se relève vivement. Je me place devant elle.
- Ton service commence demain. Je dois te faire visiter les lieux.
- Votre état vous le permet-il ?
- La douleur est toujours présente, mais elle s’est atténuée, la rassuré-je. J’ai connu pire. Ne t’inquiète pas.
Je décide de lui montrer les endroits qui lui seront les plus utiles. Tout d’abord, nous nous dirigeons vers l’intendance, Isis a besoin d’un uniforme. Elle se trouve à côté de la réserve et des garages. Je rentre à l’intérieur, Isis me suit. Madame Windscha, un des rares civils à être accepté dans la base, occupe ce poste. Son visage est abîmé au niveau des joues et du front, sans doute dû à un accident. Elle m’aperçoit et un sourire moqueur apparait. Elle s’exclame avant que je puisse dire quoi que ce soit :
- Encore toi, tu ne pourrais pas faire attention.
- Rassurez-vous, je ne suis pas là pour moi, mais pour cette demoiselle qui vient d’arriver aujourd’hui.
- Tu m’en diras tant. Alors que veux-tu, ma belle ?
- Uniforme pour soldat non gradé et une paire de bottes.
- Ça marche ! Quelle taille ?
- Approche, dis-je à Isis.
Elle s’avance timidement et après l’avoir observée, madame Windscha lui tend la panoplie complète plus une paire de bottes. Elle se tourne vers moi et me lance un autre uniforme. Je la regarde sans comprendre et avant d’avoir pu lui rendre, elle me coupe dans mon élan :
- Garde-le, tu en as besoin. Le tien est tout écorché.
N’étant pas habituée à ce que l’on se préoccupe de moi, la gêne me gagne quelque peu. Pourtant, je dois reconnaitre que ce geste, bien que simple, me fait très plaisir. D’un sourire sincère, je la remercie. Après un dernier salut, nous nous éloignons. J’ai énormément de respect pour cette femme. Malgré ses manières cavalières, j’apprécie son franc-parler. Elle est la première personne que j’ai rencontrée en arrivant ici et la savoir encore là me réconforte plus que je ne l’aurais imaginé. Je décide ensuite d’emmener Isis au QG de la base. Je n’ai pas fait un pas dedans que j’aperçois Luna et Nikolaï qui discutent. Je fais signe à Isis de me suivre. Je leur présente mon aide de camp. Cela semble les intriguer de voir des aides de camp. Jusqu’à aujourd’hui, ils étaient interdits dans la base, car celle-ci est assez petite. Malgré leur étonnement, ils ne me demandent rien. Je les remercie en silence. J’ignore comment j’aurais pu leur expliquer la situation. J’amène Isis dans mon bureau qui n’a pas été rangé depuis belle lurette. Des feuilles volantes et des classeurs sont éparpillés un peu partout sur ma table. Il est vrai que j’ai été beaucoup occupée ces derniers temps. J’ai honte de tout ce désordre. Je m’assieds sur ma chaise et Isis se place en face de moi. Je croise mes doigts sous mon menton. Avant la suite de la visite de la base, je préfère mettre au clair certains points. Je sors une carte du site et l’étale sur mon bureau. Isis se penche au-dessus pour mieux la voir. Je pose mon index sur la section médicale.
- Voici l’endroit dont tu ne dois jamais t’approcher. Fuis-le comme la peste. Si on t’y prend sans permission, tu risques de graves problèmes. Même moi qui suis une haute gradée, je ne pourrais rien faire pour toi.
Isis ne dit rien et puis me sort un « pourquoi ».
- Cette section est dangereuse et l’homme qui est à sa tête l’est tout autant. Retiens bien son nom. C’est le docteur Assic, la personne qui était à côté du major général Tellin. Évite-le si tu croises sa route.
- D’accord.
Isis baisse les yeux sur ses mains qu’elle a posées sur ses genoux. Je me demande ce qu’elle pense. Elle doit être assez troublée par tout ce qu’elle a vécu aujourd’hui. Je continue :
- Les gens qui ont ma confiance ne sont pas nombreux donc si tu désires quelque chose, adresse-toi à Nikolaï et Luna que nous venons de voir. Ils t’aideront sans problème. Cependant, ne traine pas trop seule dans les couloirs, je ne serai pas à l’aise pour toi.
Je me tais et regarde Isis. Elle relève la tête :
- Je peux te poser une question ?
- Tout ce que tu veux.
- Que sont devenues les personnes qui sont arrivées avec moi ?
Mon sourire disparait et mes tourments reviennent à l’avant-plan. Je lui dis d’une voix calme :
- Oublie-les
- Mais pourquoi ?
Je me redresse de ma chaise avec violence et frappe mon bureau avec la paume de mes mains.
- Oublie-les. C’est un ordre !
Je regrette immédiatement mes propos. Je ne me considère pas comme supérieure, mais j’agis constamment comme telle. Je suis vraiment pitoyable. Je vois qu’Isis s’est mise à pleurer à grosses larmes. Je me place derrière elle et pose ma main sur son épaule. La jeune fille déclare entre deux sanglots :
- Pourquoi suis-je ici ? Tout ce que je voulais, c’était continuer à vivre dans mon village. J’ai été abandonnée et vendue à l’armée sans pouvoir faire quoi que ce soit.
J’ouvre la bouche pour m’expliquer lorsque l’on frappe à la porte de mon bureau.
- Entrez, ordonné-je
Le subordonné de mon père entre. Il jette un regard à Isis puis me tend une lettre.
- Vous êtes convoquée demain chez le maréchal Darkan à 10 h, colonel.
Je ne vais pas te cacher qu'à mon goût, le trait est un peu forcé pour marquer le caractère « dure à cuire » d’Elena. Pour illustrer ce genre de tempérament, je ne vois que deux alternatives pour me convaincre : soit elle ne laisse pas transparaître la douleur et son endurance est implicite par la description de ce qui lui est fait qui semble douloureux, soit elle s’étend ‘mentalement’ sur la douleur et la difficulté de la surmonter, et on compatit avec elle. Là, elle nous donne une ligne, même pas, un qualificatif seulement, sur le fait que sa douleur est supposément insoutenable, mais la phrase d’après c’est surmonté. Difficile pour moi de croire qu’il y avait effectivement quoi que ce soit de difficile à ça. Elle me paraît plutôt prétentieuse, au contraire, parce que ce qu’elle décrit comme insupportable ne semble pas l’affecter tant que ça, et je n'ai aucune autre indication que c'était effectivement douloureux. Bref. Ça ne m’empêche pas d'avoir envie de connaître le fin mot de toute cette histoire, pas plus que les spoils intempestifs, mais je me suis dit que ça valait peut-être le coup d'en faire part tout de même, on ne sait jamais, si ça peut servir pour plus tard. =)
En termes d’authenticité, je suis aussi un peu déroutée par le fait qu’on l’ait laissée se faire ses pansements seule sans l’emmener directement à l’infirmerie, aussi ingrate sa place soit-elle dans la base. Tu me l'as déjà dit, elle fait un peu ce qu'elle veut ici, mais il y a tous ces grades très précis qui sont répétés sans cesse, et par ailleurs le protocole derrière cette hiérarchie n'est pas aussi bien dessiné. Et au final, ça me laisse une drôle de sensation de vertige à la lecture. Mais c'est peut-être juste moi et mon esprit cartésien.
Pour le reste, on continue à suivre la vie dans la base. Les visites d’Elena à l’infirmerie sont régulières, et elle est bornée dans sa mission pour une raison un peu infantile de recherche d’assentiment paternel (qu'aussi infantile je la qualifie, je peux tout à fait comprendre, hélas ^^).
À force de rejeter tous ceux et celles qui lui veulent du bien, je me dis quand même qu'elle va se retrouver seule et qu'elle l’aura à mon avis mérité, aussi malheureux ce soit pour elle. Après, soyons honnête : j'ai très souvent du mal à me laisser convaincre par les personnages principaux, y compris les miens d'ailleurs, et Elena ne fait pas exception. Peut-être qu'en en apprenant plus sur elle ça ira mieux. Pour le moment c'est plus le mystère qui m'emporte que le personnage, mais il est vrai qu'on n'en est qu'au chapitre 4, donc difficile de se faire une opinion définitive pour le moment.
À bientôt ! =)
Pour la hiérarchie, je reconnais que sa manière d'agir peut prêter à confusion. Comme tu dis, Elena semble n'en faire qu'à sa tête, mais c'est justement parce que l'on ne se préoccupe pas d'elle qu'elle agit à sa manière. Je ne sais pas si je suis très claire. Je vais voir comment la rendre plus claire.
En tout cas, merci pour ton commentaire qui va m'être utile !
Je me demande où ils se trouvent, ils sont sur une base, mais ou ?
Il n’y a pas le droit d’aller à la section médicale, mais c’est possible ? Pourquoi tout n’est-il pas fermé à clé ?
Sans ça, je me demande ce que ça va donner entre ces deux là !
L'entrée de la section est surveillé par des gardes à l'entrée. Ce qu'Elena sous-entend ici, c'est qu'elle n'a pas intérêt à roder dans les parages.
On se dit bien que Hans va finir par être un pote, mais pour le moment il ne parvient qu'à l'énerver (et franchement avec sa commotion, elle n'a pas besoin de ça.
Le docteur Vincent, au moins, semble un gars sûr, et Isis une potentielle alliée toute aussi sûre. A condition qu'Elena perde l'habitude de la houspiller dès qu'elle pose des questions gênantes ;).
En tout cas c'est un bon chapitre, et je passe à la suite ^^
Bon chapitre ! Je te suggérerais toutefois d'y ajouter un brin de légèreté et une pincée d'humour, de sentiments ou d'émotions ! Et de descriptions de l'environnement (si les couloirs sont propres, ou pas, par exemple). Détail anodin comme ça, mais qui apporte beaucoup, selon moi.
Attention à quelques petites E qui sont oubliés après le verbe avoir alors qu'il y a un COD ou autres (ex : supérieur(e), tel(le), gêné(e)...)
Sinon, ben, je veux savoir ou tu nous emmènes ! Isis m'intrigue, un peu, je dois dire... :-)
A bientôt !!!