Je suis dans mon bureau en train d’écrire le rapport de ma dernière mission, un boulot assez long et pénible dont je m’en passerais volontiers. Je mets le point final et relis rapidement pour vérifier qu’il n’y ait pas de fautes. Je récite à voix basse la fin du dernier paragraphe :
- Les ennemis étaient au nombre de dix. Légèrement armés, ils ont été facilement mis en déroute.
Satisfait, je jette les feuilles sur ma table. Je m’étire pour détendre mes courbatures aux bras avant de me lever de ma chaise pour me diriger vers une fenêtre. L’hiver est arrivé plus rapidement que prévu et le paysage est déjà enneigé. On a l’impression que rien ne pourrait briser le charme de la scène. La neige me rappelle de bons moments avec ma famille. Anna n’était pas encore partie. Avec elle et Nikolaï, on faisait des batailles de boules de neige interminables. C’était à celui qui faisait preuve du plus d’ingéniosité. J’étais le meilleur. Je touche la vitre du bout des doigts. Elle est glacée. Je donnerais n’importe quoi pour retrouver ces plaisirs si simples. Les flocons se remettent à tomber lentement. Je les observe, un sourire aux lèvres. Je ne pense plus à rien et cela me fait un bien fou. La caserne est si morne et si laide. L’entrée d’un soldat m’arrache de force à ce moment de paix. Je le foudroie du regard pour m’avoir ramené à la réalité plus tôt que prévu. Il ne semble nullement dérangé par son impolitesse. D’un côté, il s’agit d’un sbire du maréchal Darkan, il doit supposer qu’il se trouve au-dessus de moi, malgré son grade inférieur au mien. Je patiente en l’attente d’ordre, mais il fait durer son plaisir. Il finit par lâcher que j’ai rendez-vous avec notre chef demain dans son bureau à 10 h. Une fois, le message transmis, il disparait aussi vite qu’il était arrivé. Je me demande ce que le maréchal me veut. Bien qu’étant le dirigeant de cette base, je ne le croise pas si souvent que ça. C’est un homme qui préfère déléguer. Néanmoins, à la fois craint et respecté, il a su entretenir avec les différents soldats, un lien solide de chef à subordonné. Je hausse les épaules. Je n’ai pas le temps de bouger que le secrétaire est de retour et exige mon rapport. Je le lui tends sans plus de cérémonie. Il part pour de bon. Je range les affaires qui trainent sur ma table. Je n’ai plus rien à faire ici. Lorsque je sors, je remarque Elena qui rentre dans son bureau, accompagnée d’une fille qui m’est complètement inconnue. On m’interpelle. Je tourne la tête pour voir de qui il s’agit. J’aperçois mon frère en compagnie, sans surprise, de Luna.
- Salut vous deux !
- Salut Hans ! rétorquent-ils à l’unisson.
Je me rapproche d’eux.
- Dites, je peux vous poser une question ?
- Tout ce que tu veux, me répond mon ainé.
- Qui est cette fille avec Elena ?
Nikolaï lève un sourcil, amusé.
- Pourquoi, elle t’intéresse ? Je croyais que tu préférais les brunes plutôt que les blondes.
Je lui donne une claque derrière la tête, le rouge aux joues. De quoi se mêle-t-il ?
- Mais non abruti, je suis juste intrigué.
- Je plaisantais, affirme-t-il d’un air innocent, puis il reprend plus sérieusement. Elle nous a dit que c’était son aide de camp. Elle s’appelle Isis.
- C’est interdit normalement. La caserne est trop petite, dis-je sans cacher ma surprise.
- L’ordre doit venir d’en haut.
- Comme d’habitude quoi, soupiré-je.
Je fais mine de partir quand Luna m’agrippe le bras pour me forcer à la regarder. Elle m’avertit d’un ton neutre :
- Hans, ne sois pas trop dur avec Elena. Elle a vécu et vit des choses assez difficiles qui la dépassent. Ne lui en veut pas trop pour son caractère. Elle n’a pas eu le choix.
- Qu’est-ce que tu me racontes, Luna ? Ta sœur me cherche des noises dès qu’elle le peut.
- Ne fais pas l’innocent. Tu en fais tout autant.
Je lève les yeux au ciel. C’est désormais moi la cause de notre mésentente. Je regarde Luna et lui réponds tout en essayant de cacher mon irritation :
- Je ferai un effort, promis, mais tu sais, Elena est suffisamment grande pour le dire elle-même. Crois-moi elle ne s’en prive pas me concernant.
J’ignore si c’est convaincant, mais mon amie finit par me sourire, satisfaite. Je jette un coup d’œil à mon frère. Qu’est-ce qu’il est allé raconter ? Il désapprouve mes accusations d’un rapide mouvement de tête. Je ne doute pas davantage. Notre discussion se prolonge encore un moment autour des dernières réunions prévues ces prochains jours. Nous finissons par nous quitter peu de temps après, quand Luna est interpellée par un soldat. Nous nous saluons et partons chacun dans notre direction. N’ayant plus rien à faire aujourd’hui, je me décide à retourner dans ma chambre.
Après un rapide passage à la cantine pour prendre un sandwich, je rejoins tout en mangeant mes pénates. La porte fermée, je lance la veste de mon uniforme sur mon lit et ébouriffe mes cheveux que j’avais plaqués sur mon crâne. Mes mèches noires me tombent devant les yeux. Je les repousse sans ménagement. Dans un même élan, je me déchausse et envoie mes bottes dans un coin de la pièce. Je suis crevé. Allez, une bonne douche et puis au lit. Je me déshabille et me dépêche de me réfugier sous l’eau chaude. Mes muscles quelque peu engourdis se détendent légèrement. Cela fait tellement du bien. Je termine rapidement de me nettoyer. Une fois propre, je coupe l’eau et sort. Après m’être essuyé, j’empoigne un t-shirt et un short à un crochet et les enfile. Je m’apprête à me coucher quand un cri venant de l’extérieur retentit. Instantanément, je suspends tout mouvement, la peur au ventre. Ma gorge est devenue soudain très sèche. Ce cri, comment l’oublier ? Douloureux presque suppliant, c’est le même que dans la forêt. J’en cauchemarde encore. Je sors en trombe de ma chambre après avoir empoigné par réflexe mon arme. Je dois savoir ce que c’est. Personne, le couloir est toujours aussi vide qu’avant. Ma mâchoire se crispe sous la tension. Je n’ai pas rêvé. Comme pour confirmer mes doutes, un nouveau hurlement est poussé. Je cours là d’où je pense qu’il provient. Je sens que je suis proche de toucher au but quand une détonation stoppe net ma progression. Un silence pesant s’installe. Je lève les yeux et remarque le major général Tellin qui se dirige à grande enjambée vers moi. À voir son expression, il semble peu disposé à mon égard. Je me mets au garde-à-vous.
- Colonel Wolfgard, quel est cet accoutrement ? me hurle-t-il dessus.
Ce n’est qu’au moment où il me le reproche que je me rends compte des habits que je porte. Dans la précipitation, j’ai oublié que je n’étais plus en uniforme.
- Mon major général, j’ai entendu, commencé-je hésitant.
- Plus un mot ! C’est avec des gens comme vous que l’on déshonore l’armée. Pour votre négligence, vous serez de garde cette semaine à partir de demain soir. Je vous fais grâce pour aujourd’hui.
- Veuillez m’excuser, mon major. Ce sera fait.
- Rompez ! Que je ne vous y reprenne plus.
- Cela n’arrivera plus, mon major. Mais pour le cri ? tenté-je à nouveau.
Mon supérieur me fixe stupéfait.
- Quel cri ? Vous perdez l’esprit, Wolfgard ! Maintenant, disparaissez !
Mon chef se positionne devant moi en faisant barrière de son corps. Sa main est appuyée sur son arme comme un avertissement. Il n’hésitera pas. Je suis étonné de le voir aussi agressif avec moi. Je croise son regard glacial. Mieux vaut ne pas insister. Sans un mot, je tourne les talons et m’éloigne. Je râle en mon for intérieur. Une semaine de garde, voilà bien ma veine. J’avais enfin réussi à avoir cette semaine de repos. Je retourne vers ma chambre. La porte est restée entrebâillée. J’ai oublié de la fermer dans la précipitation. Je jette des regards à droite et à gauche. Aucun autre soldat n’est sorti. Je cogite. Est-ce que ce cri a vraiment existé ? Après, il est tôt et bon nombre de mes collègues doivent être encore au travail. Je secoue la tête, je n’ai pas rêvé. Je me rends directement dans ma salle de bain et d’un geste sec ouvre mon robinet pour m’asperger le visage d’eau. Cela a le mérite de me prouver que je suis bel et bien éveillé. Je fixe mon reflet. Une goutte descend de mon front jusqu’à mon menton pour aller s’écraser dans l’évier. Je reste immobile de longues secondes puis finis par m’essuyer. Je retourne dans la pièce centrale, la serviette pendante à mon cou. Je ne vais rien demander sur ce qui s’est passé, car on pourrait croire que je suis un espion. Je préfère éviter, dans la mesure où il n’y a qu’une sanction pour l’espionnage, la mort. Je tiens trop à la vie. Je tourne en rond dans ma chambre, c’est parfaitement inutile et je le sais. La fatigue me fait faire n’importe quoi. Il est temps que je dorme, une grosse journée m’attend. Je m’affale sur mon matelas. Avant d’éteindre, je mets mon réveil à 7 h. Je serai probablement debout plus tôt, mais il est hors de question que je prenne le risque de manquer le rendez-vous avec le maréchal. Qu’est-ce qu’il peut bien me vouloir ? Il ne m’a jamais appelé personnellement, préférant m’envoyer ses chiens de garde, dont le major général Tellin, pour me transmettre un ordre. Je soupire. On verra bien demain. J’entends les pas des autres soldats dans le couloir. Ils parlent à voix basse. Je reconnais la voix de Liam. Il rentre chez lui. Cela étant, tout redevient calme. Je ferme les yeux et tente de m’endormir tant bien que mal. Malheureusement pour moi, le sommeil semble m’avoir bel et bien déserté.
Comme ton histoire est déjà très avancée après ces premières scènes, je soupçonne que beaucoup de ce que je vais te dire au cours de ma lecture t'a sans doute déjà été dit et a donc déjà dû être pris en compte. Par conséquent, je m'excuse par avance si j'enfonce des points qui pour toi sont déjà des clous. Et je précise aussi que je ne cherche pas à être méchante, et que rien de ce que je rapporte ne m'a dissuadée de vouloir connaître le fin mot de ce mystère. Ça n'engage que moi, et si ça se trouve d'autres auront justement apprécié ce qui m'a moi un peu embêtée. =)
On suit Hans pour la première fois, et s'il ne m'est pas antipathique, mon impression que cette base militaire est plus proche d'un lycée que d'une caserne se renforce. Les interactions me paraissent manquer de sérieux, comme par exemple celle entre Luna et le narrateur du chapitre. Cela paraît étrange qu'elle ait cette conversation au sujet de sa sœur avec lui pour la première fois juste à ce moment-là. Ça a pour moi sonné comme une mise en scène pour le bénéfice du lecteur. C'est certes pratique (que celui ou celle qui n'a jamais fait usage de facilité scénaristiques nous jette la première pierre), mais ça peut aussi suspendre la crédulité du lecteur. Risqué, donc.
Aussi, qu'elle et son petit-ami se baladent sans cesse ensemble ou presque commence à être un peu étrange. Dans mon esprit, fraterniser entre les officiers est généralement mal vu voire réprimandé. Certes, il ne s'agit pas du monde réel, mais encore une fois, il y a cette omniprésence des grades, et pourtant des tas de choses assez dilettantes autour. Tu m'as répondu sur le chapitre précédent qu'Elena bénéficiait d'une forme d'impunité grâce à son statut de paria, mais ça ne me paraît pas être le cas de ces autres personnages. Ainsi, s'ils ne sont pas partenaires dans leurs tâches, je ne vois pas pourquoi les deux amoureux seraient fourrés ensemble en dehors de leur temps de repos. Hans donne quand même une tape derrière la tête à son frère, au beau milieu d'un couloir. À la limite entre collègues ça peut arriver, mais ils ne sont pas vraiment dans des circonstances qui prêtent à cette ambiance, d'après les mystérieuses missions, les cris dans la forêt, les enrôlements quasi-forcés de civiles... On ne sait pas trop s'il y a une guerre, mais ce qui est sûr c'est que ce n'est pas une période prospère. C'est donc vraiment très déroutant, cette atmosphère un peu bon enfant, en parallèle du reste. Pour moi, en tous cas. =)
La fin du chapitre, avec le cri, m'a juste rappelé du Ionesco. Le supérieur ne m'a pas paru très crédible dans son refus d'en dire plus. Est-ce qu'il est supposé ne pas l'être ? Punir son subalterne semble exagéré. Au contraire, s'il veut cacher quelque chose, il devrait à mon avis plutôt laisser couler. Et surtout, je n'ai pas trop compris où c'était supposé mener. Hans dit que ça fait écho au cri dans la forêt, mais puisqu'on ne sait toujours strictement rien sur la situation, c'est difficile de compatir avec sa perplexité. On est perdu depuis le départ, nous, donc perso, ça ne fait qu'augmenter ma frustration, hein. xD Ou alors je suis trop aveugle pour avoir saisi des indices ? Entièrement possible, je l'avoue. ^^
Le meilleur passage est celui avec la neige à la fenêtre. C'est le moment où je me suis le plus laissée emporter, où j'ai réussi à avoir un peu d'empathie pour celui qui raconte.
Dans l'ensemble, je pense en fait que les phrases assez courtes et saccadées m'ont un peu empêchée de vraiment me plonger dans ma lecture. Je n'ai pas le souvenir d'avoir eu cette impression dans les autres chapitres jusqu'ici, donc c'est peut-être un style que tu réserves à Hans. Ça peut servir à souligner un tempérament bourru, c'est vrai, mais en dehors du fait que ça ne se reflète pour moi nulle part ailleurs dans le comportement du jeune homme, je trouve ça un brin laborieux sur le long terme. Mais il est vrai je suis plutôt phrases 'trop' longues que 'trop' courtes, je ne vais pas le cacher...!
Voilà voilà. Je m'excuse si j'ai été un peu lourde sur le 'négatif'. J'insiste bien sur le fait que c'est une opinion subjective, et que ce qui ne me plaît pas particulièrement pourra enchanter quelqu'un d'autre. Et je reviens aussi sur le fait que ça ne nuit pas à l'attrait de ton intrigue. =)
À bientôt (si tu ne m'as pas chassée d'ici là xD).
Pour en revenir au texte, figure toi que tu es une des premières qui compare la vie à la base au lycée. Je vois où tu veux en venir avec le côté un peu léger des dialogues. Je vais y réfléchir même si je pense que montrer la complicité entre les personnages doit être mis en avant. Je ne pense pas changer le fond, mais je vais réfléchir à la forme.
Pour le cri, tu n’es pas le premier lecteur à me faire la remarque. Je dois t’avouer que je garde encore quelques doutes sur ce passage, mais il est important pour la suite. Je vais devoir vraiment m’y mettre pour le retravailler. Il faut juste que je trouve comment.
Pour le style d’écriture. Quand j’étais petite on m’a reproché de faire des phrases à rallonge. J’ai été à l’autre extrême. C’est un style que j’ai adopté, mais que j’essaye de retravailler. Certains aiment bien car ça donne une dynamique au texte, d’autres sont plutôt de ton avis. Je vais y réfléchir.
En tout cas, je suis contente que le passage de la neige te plaise ! Je l’aime beaucoup !
Merci beaucoup pour ton commentaire ! Je vais pouvoir réfléchir à de nouveaux points pour rendre cette histoire encore meilleure !
J’aurai bien aimé avoir une rapide description du paysage, à moins que l’aspect « enfermement » dans la base soit voulu, là on le voit regarder à la fenêtre mais nous lecteur, on ne sait pas ce qu’il voit à part la neige.
« Je ne vais rien demander sur ce qui s’est passé, car on pourrait croire que je suis un espion » formulation bof, je pense que tout le passage peut être un peu retravaillé.
Rien de spécial sinon... A toute !
Je vais réfléchir à une autre formulation.
J'ai ripé sur le rapport de Hans à l'introduction : « Les ennemis étaient au nombre de dix. Légèrement armés, ils ont été facilement maitrisés », c'est une conclusion extrêmement concise, ce qui fait penser que le rapport est très court, alors qu'Hans avoue qu'il est crevé, ce qui sous entend que le rapport était très long. Peut être que le réciter avec plein de points de suspension pourrait éviter ce problème ? « Les ennemis étaient au nombre de dix ... Légèrement armés ... ont été facilement maîtrisés. »
Sinon je continue de lire des chapitres de temps à autres, c'est toujours chouette. On se doute un peu de ce qui se passe, mais ça fait le taff, j'apprécie.
En ce qui concerne le cri, je pense que ce n'est pas assez clair. En quoi ce bruit est-il intriguant, différent ? Jusqu'à le pousser dans le couloir, je veux dire.
Par contre, la scène avec le colonel est super : comique ! :'D
Petite question : pourquoi dit-il "Yes(,) Sire" ? [je mettrais une virgule ; j'ai tendance à vouloir en mettre un peu partout ^^', désolée] On est au Royaume-Uni ? (D'après mes minces connaissances, il me semblait que c'était une marque de respect dans la société anglaise)
A plus tard pour la suite !