— Et voilà pour vous. dis-je en tendant le petit paquet à ma dernière cliente de la journée.
Je fermais toujours un peu plus tôt le mardi depuis quelques mois. Je me dépêchais de retourner chez moi, à quelques pas de ma boutique, pour préparer mes affaires d’escalade.
Depuis quelques temps, Lysandre et moi avions pris l’habitude de nous retrouver tous les mardis en fin de journée pour grimper ensemble.
A mon grand étonnement, c’était rapidement devenu un des moments que j’attendais le plus dans la semaine. Il fallait admettre que Lysandre était plutôt doué quand il s’agissait d’escalade et un peu d’esprit de compétition ne faisait jamais de mal ! J’avais même appris à apprécier sa compagnie. Même si ça restait toujours un abruti fini, par moment.
J’étais en train de commencer à préparer mon sac de sport quand mon téléphone sonna.
— Alejandro !
— Holà Emma ! J’ai de bonnes nouvelles pour toi !
— T’as largué Veronica ? dis-je, très fière de ma blague pourtant très moyenne.
— Si, j’épouses toujours ma fiancée. Je pensais surtout à ta tablette !
— Bon, c’est déjà mieux que rien… répondis-je en feignant la déception alors qu'en vérité j’étais plutôt excitée comme une puce.
— Et elle m’aura causé des problèmes ! Je pensais bien ne jamais rien trouver et je t’avouerais que je m’étais un peu résolu à rentrer bredouille mais avant-hier, j’ai repéré une inscription qui m’a guidé droit vers le coeur du site. Elle était tellement visible que je sais pas comment j’ai pu la rater mais bon… Finalement, j’ai bel et bien retrouvé la trace de cette fameuse tablette ! Je l’ai retrouvé à l’identique accompagné d’un texte que je suis incapable de déchiffrer. Ça ressemble beaucoup aux anciens écrits Animae que tu étudiais, je l’ai photographié en toute illégalité et je te l’envois par mail… en ce moment même !
J’étais si excitée par toutes ces très bonnes nouvelles que je couvrais Alejandro de tous les compliments qui pouvaient me venir à l’esprit. J’avais beau avoir rangé ma vie d’anthropologue plus ou moins au placard, le frisson de la découverte était toujours une des meilleures sensation que j’avais pu expérimenter dans ma vie. Alejandro et moi avions cela en commun et il s’enquit déjà de savoir quelle pouvait bien être la signification de ces inscriptions.
— Ne t’inquiètes pas, si tu as participé à une découverte historique majeure, je te tiendrais au courant !
— J’espère bien !
Nous discutions encore quelques instants de tout et de rien alors que je recevais son mail avec la fameuse photo en pièce jointe. Nous raccrochions rapidement et je jetais un oeil à l’horloge. J’avais encore un peu de temps devant moi avant d’atteindre un seuil de retard extrême… Lysandre avait fini par prendre l’habitude !
J’ouvrais la pièce jointe en cliquant frénétiquement sur l’icône du petit trombone et je lisais instantanément les inscriptions qui défilaient sous mes yeux, gravées dans la roche depuis des siècles.
— Kae mapeh’ai ra’sakuì horere’e dìko kae lemāwa te’kahi kae kan’aatà ‘kie lahi’naue ank hiat’oē reī te’kahi kae ka’ir ‘kie tot’ou. dis-je tout haut.
« La carte illuminant le chemin vogue dans la vallée où l’humanité est née et dort là où l’eau est salée ».
Je m’empressais de noter la traduction sur un post-it.
Je savais que « la carte illuminant le chemin » faisait référence à la fameuse tablette et « la vallée où l’humanité est née » me faisait tout de suite penser à l’Afrique. Ça me faisait une belle jambe. Si je devais retourner tout un continent pour trouver une toute petite tablette, j’allais encore bien m’amuser… Et des sources d’eau salées ce n’était pas vraiment ce qu’il manquait non plus quand on s’approchait de la Mer Rouge. Ezzie allait encore être ravi !
Il allait me falloir plus de temps pour réfléchir à tout ça et, si je voulais avoir une chance d’être à peu près à l’heure, il fallait vraiment que je décolle.
Je m’empressais de me changer en tenue de sport, d’attraper mon sac et je laissais un mot à l’attention d’Ezzie sur la table avant de sortir de chez moi. Je n’avais pas vu Ézéchiel depuis tôt ce matin, ce qui était plutôt inhabituel, mais qu’est-ce qu’on pouvait vraiment trouver habituel avec Ezzie ?
Je pressais un peu le pas et j’arrivais presque à l’heure devant le gymnase qui abritait le mur d’escalade auquel nous allions nous attaquer aujourd’hui. Je ne pus m’empêcher de sourire en voyant la silhouette de monsieur Sullivan, les mains dans les poches, et les sourcils froncés. Il détestait quand je le faisait poireauter.
— T’es en retard. Encore.
— Bonjour, oui j’ai passé une très bonne journée, je te remercies de demander ! lui répondis-je avec un sourire angélique.
Il leva les yeux au ciel avant d’avancer vers l’entrée du gymnase. Je lui emboitais le pas pendant qu’il bougonnait sur mon « incapacité pathologique » à arriver à l’heure et nous nous retrouvions vite à crapahuter le long du mur. Comme d’habitude, nous nous racontions nos semaines respectives et nous en venions à notre petit concours hebdomadaire qui consistait à décerner la Palme du client le plus insupportable. Cette semaine, ce fut l’un des clients de Lysandre qui remporta le trophée haut la main.
— Même avec ton anesthésiant, il arrêtait pas de geindre et de gigoter. C’était absolument insupportable. Ajoute à ça la mère à côté qui était pire qu’un inspecteur de l’hygiène, et le tout pendant 2 heures. C’est la dernière fois que je le tatoue celui-là, tu peux me croire ! Heureusement que, à défaut d’être sympa, la mère était pas désagréable à regarder sinon ça aurait vraiment été un supplice.
— T’as pas essayé de lui faire du charme pour la faire taire ? dis-je, non sans sarcasme.
Il s’arrêta pour me regarder avec un petit sourire en coin.
— T’es jalouse ?
Je levais un sourcil et levais les yeux au ciel. Il était reparti…
Depuis le début de nos petites sorties qui avaient officialisé l’enterrement de notre hache de guerre, c’était devenu le jeu préféré de Lysandre. Après avoir appris à relativement nous apprivoiser, nous étions parvenus à rire de notre rencontre et du comportement de Lysandre. C’était un échange de bons procédés, je lui reprochais son orgueil démesuré et il me reprochait ma légère tendance à arriver en retard.
Bien sûr, notre fâcheuse tendance à vouloir faire enrager l’autre faisait que j’arrivais souvent légèrement en retard et que Lysandre ne manquait pas de se vanter de ses charmes devant moi. Heureusement pour Shō et Ezzie qui étaient souvent en notre compagnie, ce n’était que de petites plaisanteries bon enfant. Ils avaient tendance à nous trouver un peu lourds parfois mais… Lysandre et moi ne comprenions pas vraiment pourquoi.
— Je ne m’abaisserais même pas à répondre. dis-je simplement en augmentant un peu la cadence pour le dépasser.
— T’avais qu’à être un peu plus réceptive à mes avances au départ, ma petite souris !
— Qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour me débarrasser de ce surnom ? Pestai-je.
Il avait suffit d’une fois où Ezzie et Lys’ s’étaient croisés et où mon ami avait eu la merveilleuse idée d’utiliser ce petit surnom pour que je sois condamnée à l’entendre au moins une fois par jour. Ce n’était définitivement pas tombé dans l’oreille d’un sourd et Lysandre se faisait un malin plaisir de m’appeler comme ça dès que l’occasion s’y prêtait. Ou pas d’ailleurs.
Nous enchaînions les montées et discutions de tout et de rien jusqu’à ce que j’en vienne à ma conversation avec Alejandro. En y repensant, j’avais étonnamment confié beaucoup de choses à Lysandre au cours de ces derniers mois. Je n’aurais jamais cru dire ça, mais il était plutôt une oreille attentive et pouvait s’avérer de bon conseil quand il était bien luné.
Vu les débuts chaotiques de notre relation, cela me paraissait encore aujourd’hui improbable que nous puissions discuter tranquillement tout en partageant un moment de détente. J’avais été plutôt surprise lorsqu’il m’avait proposé à la fin de notre première séance d’escalade de le rejoindre à nouveau la semaine d’après. Puis je lui avais moi-même proposé la semaine d’après et c’était devenu un rendez-vous régulier. Bien sûr, il n’était pas rare que l’on se prenne encore la tête mais on se retrouvait quand même la semaine d’après, même endroit, même heure, et tout était oublié.
— L’anthropologue reprend donc du service ? me demanda-t-il en ôtant son baudrier.
— On dirait bien !
J’avais été plutôt évasive sur le but exact de mes recherches. Pour une raison qui m’était totalement obscure, il semblerait qu’aucun de mes collègues ne parviennent à trouver de quelconques indices sur le Bu’hanau. Pourtant son existence était plus ou moins confirmée par beaucoup d’écrits d’anciennes populations Animae mais les récits tenaient plus de la légende que d’une véritable affirmation. Sauf que la seule véritable preuve connue à ce jour, je l’avais gardée pour moi puisqu’il s’agissait du seul souvenir que j’avais de mes parents. Et rien ne pouvait m’ôter de la tête que le fait que les deux seules personnes possédant un tel artefact aient fini par perdre la vie brutalement n’était pas une coïncidence.
Quand j’avais entrevu toute la quantité de richesses que cette cité semblait contenir, j’avais vite rendu toutes mes recherches secrètes et quitté le milieu universitaire. En vérité, ce n’était pas la seule chose qui m’avait fait prendre la poudre d’escampette de façon aussi brutale. Lorsque je menais encore mes recherches au grand jour, je savais déjà que, si je voulais préserver cette hypothétique merveille d’histoire et d’anthropologie, j’allais devoir la jouer fine pour ne pas attirer toutes sortes de vautours et de chercheurs de trésors qui ne juraient que pas la dynamite. Cela ne m’avait tout de même pas inquiété outre-mesure. Je me pensais largement assez têtue et inventive pour leur tenir tête.
Ce qui m’avait véritablement décidé, c’était les informations que j’avais reçue de la part d’une de mes meilleures amies qui s’avérait être aussi un petit génie de l’informatique. J’avais commencé à être traquée. Heureusement pour moi, mon amie s’en était rendue compte avant que les pirates ne puissent obtenir quoi que ce soit de mes recherches. Elle était même parvenue à pirater les pirates et à découvrir leur identité : la société Haletek. Société qui était censée s’être écroulée après le décès tragique de son PDG, John Haletek quelques mois auparavant. En fouillant un peu plus dans cette affaire, nous avions vite fait de découvrir que ce dénommé John Haletek était un passionné d’anthropologie, grand collectionneur d’antiquités et que c’était probablement ce qui avait causé sa perte. Mon amie était parvenue à accéder au dossier de la police nous donnant tous les détails dont nous avions besoin sur son meurtre. La photo de John Haletek sans vie, un post-it planté dans le coeur finit de me décider. Et pour cause, le logo dessiné sur le post-it m’étais tristement familier : il avait été retrouvé dans ce qu’il restait de la voiture de mes parents.
Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Ces gens en avaient après le Bu’hanau et ne reculeraient devant rien pour trouver des indices les y menant. J’avais quitté l’université dans la nuit, déposée ma lettre de démission sur le bureau du directeur et emballé toutes mes affaires pendant que mon amie s’était chargée de faire disparaître toute traces de moi ou de mes recherches. En l’espace d’une nuit, j’étais devenue un fantôme. Et je n’avais plus jamais entendu parler d’Haletek ou aperçu cet étrange logo depuis.
Je gardais donc jalousement le secret de cette cité perdue, ne tenant pas particulièrement à subir le même sort que mes parents ou ce John Haletek. J’avais ouvert cette boutique d’herboristerie pour couvrir mes arrières et aussi, de façon beaucoup moins mystérieuse, pour pouvoir gagner ma croûte.
Evidemment, je m’étais bien gardée de raconter ça à Lysandre ou à n’importe qui d’ailleurs, excepté Ezzie. C’était incroyable à quel point on devenait vite paranoïaque lorsque l’on se savait potentiellement surveillée par une organisation de tueurs sans foi ni loi…
Pour Lysandre, j’étais donc actuellement sur les traces d’un ancien manuscrit qui relatait la place de chaque individu dans l’ancienne société Animae en fonction de son espèce. J’étais déjà en la possession de ce manuscrit depuis plusieurs années maintenant, mais ça, il ne pouvait pas le savoir.
— Et ça vaut cher, ce truc-là ? demanda-t-il, l’air de rien, même si je pouvais voir une petite lueur briller dans ses yeux.
S’il y avait bien quelque chose que j’avais vite compris depuis que je connaissais Lysandre, c’était qu’il aimait l’argent. Beaucoup. C’était d’ailleurs très probablement la seule chose qu’il aimait.
— Et bien étant donné que les manuscrits et autres antiquités qui nous aident à comprendre le fonctionnement de leur ancienne société ne sont pas si rares que ça, il ne vaudra pas forcément des milles et des cents. Enfin ça reste un texte ancien et précieux, donc… si, il vaut carrément des milles et des cents.
— Franchement, Emma, je sais pas ce que tu fabriques à vendre tes crèmes de beurre de vanille.
Je me mis à rire.
— De la crème de beurre de vanille ? Je sais pas si ça aurait de quelconque vertus pour la peau mais par contre ça m’a mis l’eau à la bouche… dis-je en lui lançant un regard entendu.
Il se mit à rire en levant les yeux au ciel. Et en un clin d’oeil nous étions au bar à smoothie qui nous servait de fief après le sport depuis quelques temps.
— Plus sérieusement Emma, je comprends pas pourquoi t’as arrêté l’anthropologie. Je suis sûr que t’as conscience de tout l’argent que tu pourrais te faire avec toutes tes trouvailles ! Je te comprends pas…
Et voilà qu’il me lançait sur un sujet des plus épineux. Je respirais un bon coup pour éviter de m’emporter sur ce que je pensais des anthropologues, archéologues et autres paléontologues qui vendaient leurs découvertes comme des pilleurs de tombeaux. Enfin, c’était surtout l’excuse j’avais trouvé la plus crédible pour esquiver cette question sans attirer le moindre soupçon de la part de mes interlocuteurs…
Je me mis donc à servir mon petit discours bien rôdé à Lysandre en y mettant les forme et ne pu m’empêcher d’avoir envie de lui en coller une. Des fois, il suffisait que je le regarde, avec son petit air sûr de lui et suffisant, pour m’énerver de façon absolument excessive mais quand je le voyais en train de siroter son smoothie kiwi-banane ça me donnait plus envie de sourire qu’autre chose.
— J’imagine que je dois être une des seules anthropologues à qui il reste une conscience professionnelle et qui refuse de devenir une pillarde.
— Cracher sur des siècles d’histoire, détruire des monuments absolument magnifiques et probablement bourrés de secrets juste pour une pluie de billets verts à la fin, ça me file franchement la gerbe. Et les personnes qui se font payer pour aller saccager des merveilles historiques, je leur grillerais bien toutes le cerveau.
Lys’ avala de travers et se mit à tousser.
— Eh ben, qui aurait cru qu’elle était capable de tant de fougue, la petite souris !
Je lui filais une châtaigne pour la peine et il affichait un petit sourire en coin qui n’augurait rien de bon. Je vis juste à temps les marques sur ses bras commencer à bouger.
— Ah non ! Tu sais que je déteste ce truc. Ça m’angoisse. dis-je en reculant mon siège, comme si ça pouvait me protéger…
J’avais toujours trouvé les capacités des Maora absolument terrifiantes. Quoi de plus anxiogène qu’une petite suffocation inopinée provoquée par un manque d’oxygène ? Le carbone, c’était vraiment sous-estimé…
— J’aime pas spécialement quand tu me files des châtaignes non plus !
— Bon, bon, désolée… dis-je en marmonnant.
— Qu’est-ce que t’as dit ? J’ai pas bien entendu ?
Il affichait un sourire victorieux, ce qui accentua mon humeur ronchonne.
— Tu me fais chier, Lysandre Sullivan.
— Je sais. se contenta-t-il de me répondre avec un petit air suffisant.
Je me contentais de lever un sourcil en reprenant une gorgée de mon smoothie mangue.
Lysandre sembla remarquer le contenu de mon verre et me regarda d’un air inquiet.
— T’es malade ?
Je lui pointais avec un air dépité le tableau noir posé sur le bar sur lequel il était écrit « Rupture de citrons-verts et de framboises… désolé ! ». J’avais l’habitude de toujours prendre le même smoothie, mon préféré de tous les temps, qui était à base de citron-vert, de kiwi, de framboise et de papaye. Autant dire que ça réveillait. Lysandre trouvait le tout beaucoup trop acide et accusait ce pauvre smoothie de tous les maux.
— C’est pour ça que t’es calme aujourd’hui ! T’as pas eu ta dose !
Je levais les yeux au ciel en continuant de ronchonner.
— Ah, et Shō m’a demandé de te dire que, finalement, il voulait bien que t’amènes le dessert.
— Je sais, il me l’a dit par SMS tout à l’heure.
— Je vois qu’il a une confiance aveugle en moi, ça fait plaisir.
— Ça doit venir de la fois où il t’avait demandé de me dire qu’il partait une semaine pour un voyage d’affaire et donc qu’il se voyait obligé d’annuler notre sortie musée et que je me suis retrouvée à poireauter devant le musée pendant deux heures parce que monsieur Sullivan avait « oublié » de me prévenir.
Je mimais les guillemets pour bien lui faire comprendre ce que je sous-entendais par là.
— Oh parce que selon toi j’aurais fait ça volontairement ?
L'air outré qu’il avait pris était légèrement trop accentué pour être honnête.
— Je suis même sûre que tu as fait ça volontairement puisqu’on s’étaient pris la tête la veille. Et connaissant ton mode de fonctionnement, c’est typiquement le genre de crasse que tu aurais fait pour te venger.
Un sourire ravi illuminait son visage et j’avais envie de le frapper, encore.
— J’ai tout autant « oublié » de te prévenir que tu as « gagné » la première fois qu’on a fait de l’escalade ensemble.
— Oh mais c’est pas vrai, tu t’en es toujours pas remis ?
— Si tu crois que j’ai pas senti cette petite poussée magnétique, tu te mets le doigt dans l’oeil, ma souris !
— Tu serais prêt à inventer n’importe quoi pour réparer ton pauvre égo blessé…
— Un jour, je te ferais avouer ta tricherie !
— J’ai hâte d’y être.
— N’en sois pas si sûre, Davis.
Nous nous chamaillons encore un moment avant de nous retrouver dans la rue, sur le point de nous quitter. Je parlais encore de ce qu’Alejandro m’avait envoyé et j’en venais au fait que je pensais que ma prochaine étape était probablement l’Afrique.
— Les écrits semblent indiquer que je dois me concentrer sur le « berceau de l’humanité ». Je parierais bien sur le Tchad, puisque c’est là qu’on a retrouvé Toumaï. Il y aussi l’Éthiopie, où on a retrouvé Lucy, qui pourrait correspondre mais ce sont des ossements plus récents… Bref, je suis en train de chercher une aiguille dans une botte de foin. dis-je en fronçant les sourcils.
— Mais, la première Animae, c'est bien Lucy, non ?
- Effectivement …
- Si tu cherches un manuscrit Animae, ça me parait plus logique d’aller par là-bas, enfin je sais pas, c’est pas moi le pro.
C’était qu’il était moins bête qu’il n’en avait l’air, le petit Sullivan. Même si Lucy et Toumaï étaient mentionnés dans tous les livres d’Histoire, il était plus rare de croiser des ouvrages qui expliquaient qui était vraiment Lucy aux yeux des spécialistes. On résumait grossièrement le bazar en disant que Toumaï était le plus vieux Homicae actuellement retrouvé et que Lucy était la première Animae à avoir existé. C’était un peu plus compliqué que ça en vérité. Toumaï était vraisemblablement bien un Homicae, mais des recherches un peu plus poussées avaient révélées que son ADN était presque hybride entre les Animae et les Homicae. Les gènes Animae retrouvés étaient tous à l’état dormant, mais ils étaient là quand même. Le Tchad n’était donc pas une piste à exclure aussi rapidement. Lucy, elle, avait beaucoup plus de gènes Animae qu’Homicae et ont suppose qu’elle a été la première à subir la mutation Animae et à réellement exprimer des dons. Ce serait d’ailleurs très probablement ce qui aurait causé sa perte. Elle aurait été rejetée par les membres de sa tribu et aurait fini par chuter d'un arbre où elle se serait réfugiée selon certains chercheurs. La thèse de l’homicide par les autres membres de la tribu restait une hypothèse fort probable.
J’expliquais tout ça à Lysandre qui semblait étonnamment très intéressé par ce que j’étais en train de lui raconter. Il était vraiment surprenant, parfois. C’était ces petits moments où son masque de don juan prétentieux se fissurait qui me donnaient foi en Lysandre Sullivan. J’étais quasiment sûre qu’il n’était pas aussi suffisant et superficiel qu’il voulait bien le laisser croire. Quasiment.
— C’est la basse vallée de l’Awash, du coup ? me demanda Lysandre.
Je le regardais avec des yeux ronds. Décidément, il fallait croire qu’il y avait bel et bien un cerveau derrière cette gueule d’ange. Un ange insupportable et orgueilleux, mais il ne servait à rien de nier qu’il n’était pas vilain. Il en était déjà bien assez conscient, de toute façon.
— Tu sais, là où ils ont découverts Lucy, tout ça, tout ça. Je croyais discuter avec une spécialiste, autant pour moi.
— Tais-toi. dis-je subitement alors que mon cerveau marchait à cent à l’heure.
Lysandre me fit une tête outrée et, à ma grande surprise, se tut. Au bout d’un moment, il n’y tint plus et commença à me parler du mariage d’Alejandro auquel je l’avais invité après un coup de fil de Véronica en personne. Elle m’avait tellement rabattu les oreilles avec le fait que je n’étais toujours pas mariée ou ne serait-ce que proche de l’être que, sur un coup de tête, j’avais ajouté Lysandre à la liste des convives. Les pour-parler pour le convaincre de venir avaient été longs et fastidieux mais j’y étais finalement parvenue. J’aurais été ravie d’écouter toutes ses brillantes idées pour subtilement pourrir le grand jour de Véronica mais j’étais bien trop occupée à réfléchir à autre chose.
Maintenant que Lysandre avait parlé de l’Awash, je me rappelais que l’Awash était un fleuve qui avait donné son nom à cette fameuse vallée classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui allait encore me rendre la tâche compliquée… Mais ce fleuve avait la particularité de se jeter dans le lac Abbe, qui était un lac salé !
Tout prenait forme ! « La vallée où l’humanité est née » désignait la vallée de l’Awash, le fait que la carte « vogue » devait probablement signifier qu’ils avaient emprunté le fleuve pour voyager « jusque là où l’eau est salée », donc au lac Abbe, pour y déposer la tablette où elle « dort » depuis des siècles ! Tout concordait et je me sentais absolument toute excitée. Lysandre avait du voir mon visage s’illuminer au cours de ma réflexion et il me regardait d’un air perdu.
Et dire que c’était grâce à lui que tout s’était résolu dans ma petite tête. Comme quoi, il pouvait se rendre utile parfois.
— T’es un génie, Lys’ ! Merci !
— Il était temps que tu t’en rendes compte !
— Je t’appelle pour vendredi ! dis-je en m’éloignant déjà.
J’avais besoin de tout noter avant que j’oublie quelque chose et j’avais surtout besoin de faire avancer tout ça. Je n’avais encore jamais été aussi proche de cette fameuse tablette et j’en sautillais presque d’excitation.
— Quoi ? Nan mais attends tu peux pas me planter là en m’expliquant pas le comment du pourquoi !
Je lui fis un dernier signe de la main avant de rentrer chez moi à la vitesse de l’éclair.
A peine rentrée, je me jetais sur mon bureau pour pouvoir tout noter dans un de mes nombreux carnets de notes que j’avais noirci au fur et à mesure des années à courir après cette mystérieuse citée perdue.
J’allais avoir besoin d’aller sur place. Et j’allais avoir besoin d’être discrète sur le motif de mon expédition, ce qui risquait d’être coton. C’est vrai, quoi de suspect chez une touriste qui scrute de long en large un lac, et qui risque probablement de finir par y plonger ?
J’avais besoin d’Ezzie pour m’aider à y voir plus clair. Quand on préparait des expéditions, c’était toujours iel qui réglait les problèmes logistiques qui relevaient du domaine plus ou moins légal. Il fallait dire qu’iel s’y connaissait largement plus que moi.
Et il fallait évidemment que tous ces rebondissements tombent le jour où iel décidait de partir toute la journée faire ses magouilles, enfin son travail…
Las de l’attendre, je me décidais tout de même à aller prendre une douche et à me changer. J’optais pour ma tenue confort du soir préférée : un vieux t-shirt beaucoup trop grand pour moi sur lequel était écrit « IDGAF » et un caleçon à rayures noir et blanc. J’attachais mes cheveux encore mouillés en une queue de cheval et j’allais m’affaler sur le canapé quand j’entendis mon téléphone sonner depuis la salle de bain. Je râlais en me relevant pour aller le chercher. Je l’oubliais tout le temps sur le bord de l’évier…
C’était un SMS de Lysandre qui disait : « J’espère que mon génie t’auras servi à quelque chose parce que je déteste qu’on me laisse en plan dans la rue. » .
Je me contentais de lui répondre un semblant d’excuse à grand renfort de smiley pour lui faire comprendre qu’en fait, je ne m’excusais pas du tout et retournais m’assoir sur mon canapé. La réponse ne se fit pas prier.
« Des fois, j’ai vraiment envie de… je sais bien qu’on frappe pas les femmes mais vraiment !!!!! Il y a un paquet de types qui se sont pris mon poing dans la figure pour moins que ça, Vaema Davis ! ».
Je levais les yeux au ciel. S’il croyait m’intimider avec ses airs de grands baron du crime. Il avait beau parler beaucoup et très fort, je ne le voyais pas tremper dans des affaires louches. Par contre je le voyais bien faire la tête au carré à n’importe quel pauvre bougre dans la rue parce qu’il lui aurait grillé la priorité. Une grande gueule quoi.
« Blah blah blah. » Lui répondis-je de façon très mature.
J’allais me lever pour me préparer un thé quand j’entendis à nouveau la sonnerie de mon téléphone. Il s’agissait de la chanson « Cold Blooded » et elle ne retentissait uniquement que quand une seule personne essayait de me joindre. C’était un petit peu comme une piqure de rappel juste avant de décrocher.
— Je sais où t’habites, tu sais.
— Oui, oui, je suis terrorisée Lys’. Tu m’entends pas trembler d’effroi ? Dis-je en calant mon téléphone sur mon épaule pour pouvoir remplir la bouilloire d’eau.
— Bon alors, tu me racontes ?
Je levais les yeux au ciel en souriant. Il avait beau me traiter de fouine, s’il y en avait bien un des deux qui était curieux, c’était lui.
Je me mis alors à lui raconter une histoire inventée sur le tas pour justifier les diverses informations qu’avaient trouvées Alejandro et qui nous avaient amenés à cette fameuse phrase mystère. Je me contentais de dire qu’elle était écrite dans un dialecte bien connu des anthropologues et divers spécialistes et enchaînait sur toute l’histoire, la vraie cette fois-ci, de la résolution de l’énigme.
J’aimais de moins en moins lui mentir comme ça, ma conscience m’apparaissait à chaque petits mensonges que je lui faisait avaler mais c’était plus prudent ainsi. Et la culpabilité que je ressentais quand je mentais à Lysandre n’était rien comparée à celle que je me prenais dans la figure quand je baratinais Shō. Là, j’avais vraiment l’impression de perdre des millions de points de karma.
Je jetais les feuilles de mon thé que je jugeais assez infusé et retournais sur mon vieil ami le canapé, en écoutant la tirade de Lysandre qui me chantait ses louanges et m’expliquait à quel point il était génial.
— Oui, t’es vraiment le meilleur Lysandre. Que ferait le monde sans toi et ton esprit vif et affûté ?
— Je sens une pointe de sarcasme dans ce que tu viens de dire, ma souris.
J’allais lui renvoyer une remarque bien cinglante quand j’entendis le bruit de la porte s’ouvrir avec fracas. J’allais vite voir de qui il s’agissait, me préparant à filer un coup de jus si nécessaire, et je ne pus m’empêcher d’étouffer un cri de surprise en découvrant Ezzie titubant jusqu’à moi avec difficulté, le visage entièrement en sang.
— Emma ? Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Lys toujours au bout du fil.
— Je te rappelle. dis-je d’une voix blanche.
— Emma ? Qu’est-ce…
Je lâchais mon téléphone et me précipitait pour aider mon ami.
— Mais qu’est-ce qu’il t’es arrivé ?! demandais-je en essayant de ne pas paniquer.
— Tu te rappelles cette garce dont je t’avais parlé ? me répondit Ezzie avec difficulté.
J’atteignais le canapé et essayait de l’allonger dedans le plus doucement possible. Je le voyais grimacer à chaque mouvement et je ne savais pas par où commencer.
Ses vêtements étaient dans un sale état, ses mains m’indiquaient qu’iel avait donné un sacré paquet de coups de poings et iel avait un énorme oeil au beurre noir. Sa lèvre inférieure semblait ouverte et je n’imaginais même pas l’état de son corps en général.
Je me dépêchais d’aller chercher des poches de glace et des serviettes alors qu’iel recrachait du sang sur son t-shirt.
— Combien est-ce qu'ils étaient pour te mettre dans un état pareil ? demandais-je en commençant à essuyer tout le sang et la saleté qu’il y avait sur son visage.
Iel grimaçait à chaque fois que je posais la serviette humide sur son visage. Une fois la majorité du sang nettoyé, je pu constater l’ampleur des dégâts. Sa lèvre avait triplé de volume, l’une de ses pommettes était violacée et si gonflée que c’était un miracle si elle n’était pas cassée et ses yeux étaient injectés de sang… ces enfoirés ne l’avaient vraiment pas raté.
Je devais avoir froncé les sourcils malgré moi parce qu’Ezzie tapota le bout de mon nez avec son doigt écorché et ensanglanté pour me faire lever la tête.
— Tu devrais pas faire cette tête, tu vas finir par avoir des rides.
Iel essayait de sourire mais la blessure à sa lèvre l’en empêcha, transformant le tout en grimace de douleur. Je continuais de lui nettoyer le visage aussi doucement que je pouvais pendant qu’iel me racontait ce qu’il iel était arrivé.
Apparemment Ezzie avait compris qu'iel était suivi en début de matinée. Iel avait donc pris soin d’éviter mon appartement et le sien et de promener ses petits copains dans toute la ville, histoire qu’ils perdent patience. Mais ils n’avaient rien lâché et quand Ezzie comprit qu’ils étaient en fait en train de le mener quelque part, il était déjà trop tard. Pris au piège contre une quinzaine de types, Ézéchiel en avait mis au tapis les trois quart mais ils l’avaient eu à l’usure et mon ami avait finit par prendre la fuite pour espérer ne pas y rester. Iel avait erré dans les rues de la ville un bon moment avant de rentrer pour être certain de ne ramener personne à la maison.
— Et cette garce de Minerva se tenait bien au centre de son cercle de petits larbins. Evidemment, quand les choses sérieuses ont commencé, elle était déjà loin ! Il aurait pas fallu qu’elle abîme ses bas résille ! Un jour je vais lui faire récolter la monnaie de sa pièce, tu vas voir ! continua-t-il alors que j’essayais de l’aider à se débarrasser de son t-shirt.
Nous parlions de cette fameuse Minerva et j’apprenais qu’Ezzie se renseignait sur elle depuis déjà un moment. Et dieu sait qu’Ezzie était doué pour dénicher des informations. Apparemment, la patron de Minerva cherchait des noises à sa cliente cinq étoiles et trempait dans des affaires extrêmement louches. Elle avait du découvrir qu’Ézéchiel se renseignait sur son patron et faire le nécessaire pour qu’il les laissent tranquilles. C’était mal connaître Ezzie… Je lui posais des questions pour qu’iel évite de voir ma tête probablement blanche comme la mort alors que je découvrais l’étendue des dégâts dans son dos et sur son torse. Iel était quasiment recouvert d’hématomes plus larges que ma main.
— Ils t’ont vraiment pas loupé… marmonnais-je en ramenant un flacon d’une de mes crèmes à base d’arnica.
— T’en fais pas, ma souris, j’ai déjà vu pire !
Malheureusement, je savais bien qu’au vu du passé de mon ami tous ces bleus et ces entailles avaient des airs de petites égratignures de cour de récréation, mais ça ne m’empêchait pas de détester le voir dans cet état.
Je lui proposais de l’aider à aller se coucher mais iel avait des coup de fils urgents à passer avant. Je savais qu’il n’était pas la peine d’insister quand Ezzie avait une idée en tête donc je patientais en allant rincer les serviettes et jeter la tonne de coton que j’avais utilisé pour le raccommoder au mieux.
Je finissais par jeter l’éponge et lancer tout le linge dans le tambour de la machine à laver en mettant la dose sur le détachant. Je prenais enfin le temps de souffler après avoir mis en route la machine. Je me sentais exténuée, tout à coup. Entre les découvertes d’Alejandro et l’entrée fracassante d’Ezzie, j’avais eu ma dose pour la journée ! En allant dans la salle de bain pour chercher un désinfectant, je retrouvais mon portable par terre, là où je l’avais laissé tombé. J’allumais l’écran pour voir s’il avait reçu des dégâts mais tout allait bien. Il en avait vu d’autres, de toute façon. Je voyais par contre que j’avais deux appels manqués et 6 SMS. Tous de Lysandre.
Le dernier m’arracha un sourire fatigué.
« Davis, si tu me donnes pas de nouvelles d’ici 10 minutes, je déboule devant ta porte ». Le message datait d’environ cinq minutes. Je me décidais alors à lui répondre rapidement que tout allait bien. Je n’avais pas vraiment la force d’inventer une excuse bidon, alors je lui expliquais qu’Ezzie avait eu des problèmes sans plus entrer dans les détails.
Heureusement, Lysandre n’insista pas et je lui écrivit rapidement un dernier message avant de revenir vers mon ami avec ma bouteille de désinfectant.
Je retournais dans le salon où Ezzie venait tout juste de raccrocher. Iel accepta alors que je l’aide à atteindre mon lit.
Vu dans l’état dans lequel iel était. C’était hors de question qu’iel retourne chez iel.
Il me fit tout de même de la résistance quand j’essayais de lui désinfecter la lèvre, mais je réussis quand même à nettoyer sa plaie sans trop de mal. Il fallait dire qu’iel n’était pas trop en état de me résister.
Je m’allongeais à côté d'iel une fois être allée ranger le désinfectant. Je pouvais voir qu’iel n’allait pas tarder à s’endormir mais la douleur semblait le tenir éveillé pour le moment.
— Je pense que j’ai une côté fêlée. me balança-t-iel aussi banalement que s’iel m’avait annoncé le programme télé de la soirée.
Je le sermonnais sur le fait qu’on aurait du aller à l’hôpital et que je l’y traînerais de force demain mais je savais qu’iel était beaucoup trop têtu. Je me consolais en me disant que les Animae avait une tendance à guérir plus vite que les Homicae, même s’iel n’allait pas se remettre de tout ça en une journée.
— Qu’est-ce qu’elle à dit alors ? demandais-je alors qu’Ezzie me parlait de sa patronne.
— Et bien… il semblerait qu’un petit coup de ménage s’impose.
Je ne cherchais pas à en savoir plus. Moins j’en savais sur ses activités pas franchement légales, mieux je me portais. Je risquais de finir avec de l’hypertension avant trente ans si je savais tout ce qu’il trafiquait…
Je regardais Ezzie à mes côtés qui semblait avoir finalement cédé au sommeil. Iel avait l’air paisible quand iel dormait, ça lui donnait un air beaucoup plus juvénile. Une fois certaine qu’iel ne manquait de rien, je m’allongeais sur le dos et me plongeais dans la contemplation du plafond, les yeux pleins de sommeil.
J’espérais que sa « patronne » avait prévu quelque chose d’assez mémorable pour empêcher que cela ne se reproduise…
Mais il valait mieux que je n’en sache rien pour le moment…
Tu me connais, j'en suis plus que friande et espère que vont suivre d'autres décryptages d'énigmes. Énigmes que tu ficelles avec brio je dois dire ! Nathan Drake serait fier de toi !