Avec ses lunettes rondes, ses cheveux en pétard, son corps de file de fer avec une très haute taille, personne ne se méfiait de Gus Glücksritter tant il avait l’air empoté. Depuis qu’Eileen lui avait proposé une mission pile dans son domaine professionnel, il revivait. Certes, il trouvait étrange cette demande de rapport détaillé et confidentiel au jour le jour. Il se dit que ce suivit permettait sans doute de veiller à son intégration sans inquiéter le client qui faisait appel à l’agence de recrutement APS.
Ce fut l’une des deux responsables du magasin qui l’accueilli : Frénégonde-Modestie de la Chafouinerie. D’emblée, elle se montra chaleureuse, tout en donnant l’impression d’être une personne organisée, cultivée et avec le souci de bien faire. Plus exactement, c’est qu’elle fit comprendre clairement. Quelque chose mettait mal à l’aise notre agent : un détail insaisissable. Plus il l’écoutait plus il sentait une dissonance forte entre les mots et les attitudes. Elle semblait s’efforcer de correspondre à un cliché particulier. D’après elle, tout résidait dans l’apparence, du comportement aux pratiques à avoir dans la vente. Étrangement, les compétences en techniques de vente, en gestion de rayon n’avait aucune importance dans ses propos. Il se dit qu’elle avait plus l’habitude du bureau que du terrain et qu’il pourrait prouver de quoi il était capable. Ainsi, il la convaincrait de son savoir-faire. Elle écouterait ainsi ses suggestions et comprendrait mieux les principes de la vente.
Les premières semaines tout alla pour le mieux. Il rendait des rapports positifs. L’insistance d’Eileen au sujet du comportement de Frénégonde-Modestie était si perturbante qu’il finit par lâcher :
- Oui, elle m’envoie souvent des piques au sujet de ma poisse et de ma maladresse. Ce n’est rien de grave.
- Quels types de piques ?
- En magasin, elle balance aux autres de ne pas faire leur Gus quand une catastrophe commence à arrive.
- Devant tes collègues ? Devant les clients ?
- Oui, en riant.
- Mais… mais… Elle est votre responsable ! Elle n’a pas à vous discréditer de cette manière. Personnellement je trouve ça méchant.
- Mais je suis maladroit. C’est un fait.
- Et Frénégonde-Modestie a fait pipi dans sa culotte à l’âge de 2 ans !
- …
Gus avait les yeux arrondis comme jamais. Il fixait Eileen, incapable de prononcer la moindre parole. Quel était le rapport avec leur échange ? La conversation semblait emprunter un terrain glissant. Cette femme en face de lui était-elle réellement digne de confiance ? Comment pouvait-elle évoquer ainsi l’intimité d’une inconnue ?
- C’est un fait qui concerne tous les enfants qui apprennent la propreté et pourtant personne ne passe son temps à le rappeler à quiconque. De même que la maladresse ou la malchance, cela peut arriver à tout le monde. Se cacher derrière l’excuse du fait pour humilier la personne est lâche, puéril et stupide. Elle cherche surtout à masquer ses propres erreurs en mettant la lumière sur les vôtres, sans le moindre doute.
- Je comprends. Mais je ne sais pas comment lui dire. J’ai l’habitude de ces moqueries.
- Eh bien il va falloir apprendre à vous déshabituer. Gus ! Vous avez du potentiel et vous le gâchez en laissant les autres l’amoindrir.
À partir de cette conversation, Gus fut plus méfiant. Il se fit violence pour dire « stop ! » aux moqueries le concernant. Cela ne fut pas au goût de tout le monde. Le vendredi, il arrivait à 11h comme c’était affiché sur le planning, quelques minutes avant Frénégonde-Modestie qui faisait systématiquement un tour du magasin avant de se préparer. Elle passa devant le poste qui permettait aux clients de consulter le catalogue et lui fit un reproche.
- Pourquoi il n’est pas allumé ? Ça devrait être ta première tâche, Gus !
- Comme indiqué sur le planning, je viens d’arriver. Je te laisse voir avec ceux qui était d’ouverture ce matin.
- Je te permets pas de répondre ainsi devant tout le monde. C’est à toi que je m’adresse point.
Frénégonde-Modestie se précipita vers son bureau pour couper court à tout affrontement.
Un autre jour, il surprit une conversation entre elle et Cunégonde, son âme damnée. Il ignorait ce qu’il y avait eu entre elles mais leur relation était assez mystérieuse. Elles avaient pris l’habitude, comme tous les autres quand ça les arrangeait, de ne jamais détecter sa présence, sauf quand il commettait une maladresse. Elles conspiraient au sujet d’une collègue.
- Nan mais tu te rends compte Fréné ! Cette idiote de Marie ose me dire que je pourrais regarder dans le catalogue avant de l’appeler pour un renseignement sur son rayon. Pour qui elle se prend celle-là !
- Il faut la mater sinon elle va prendre ma place. Je suis sûre que c’est son but.
- Te laisse pas faire Fréné. Tu vaux mieux qu’elle. Je sais tout ce que je te dois. Je te serai toujours reconnaissante de m’avoir pardonné.
- T’inquiète, je vais la pousser à la faute en l’enchaînant à la caisse.
- De toute façon, ça ne lui fera pas de mal de travailler un peu plus. Son rayon est minuscule, elle n’a rien à faire. Je suis sûre qu’elle fait semblant de s’activer.
- Exactement ! Par contre te montre pas vers les caisses. Planque-toi dans les rayons qu’elle n’ait pas l’idée de te faire une réflexion avec l’appui de l’autre.
- T’inquiète ! Je vais me poser tranquille avec mon portable au fond. Elle ne s’en rendra pas compte. Au pire, ce grand benêt de Gus l’aidera.
- Je vais la briser. Il est hors de question qu’elle nous passe devant à cause de son pseudo-talent pour vendre. Les clients doivent se débrouiller seuls. Si elle ne le comprend pas, qu’elle suive cette idiote de Maya.
- En plus, au lieu de chercher à vendre ce qu’il y a de plus cher, elle donne des conseils pour des moins chers et capter plein de gros clients.
- Profite de son temps de caisse pour récupérer tous ses gros clients. Je vais la coincer là-bas pour qu’elle ne puisse pas en gagner de nouveaux.
Gus était choqué de ce qu’il venait d’entendre. Tous ces arguments étaient grotesques. Marie était seulement passionnée par son métier et ne ménageait pas sa peine. C’est pour cette unique raison que les clients l’appréciaient. Elle travaillait réellement, s’arrêtait seulement quand elle n’avait rien d’autre à faire ou que sa journée était terminée. Frénégonde-Modestie et Cunégonde avaient surtout peur qu’elle leur fasse de l’ombre. Plutôt que de se remonter les manches et prendre exemple sur Marie, elles préféraient monter en épingle des histoires de conspiration sans aucun sens. Il comprit aussi aussi que Frénégonde-Modestie, par on ne sait quel moyen, tenait Cunégonde sous sa coupe. Cette dernière soutiendrait toujours la responsable, peu importe les faits.
Comme à son habitude, quand il fallait être discret dans une action, il fit s’écrouler une pile de cartons à côté de lui, signalant ainsi sa présence. Il intercepta tout de suite leur regard mail à l’aise. À force de maladresses et de peaux de bananes, il était devenu expert pour agir comme si de rien n’était, avec une pointe d’humour.
- Oups ! Ces cartons ont eu une envie de liberté. Ne vous inquiétez pas. Avant de reprendre ma tâche en cours. Je vais tout remettre d’aplomb. Je suis désolée, vraiment.
- Gus, fit d’un ton doucereux Frénégonde-Modestie, comment peux-tu continuer à être aussi maladroit. Tu sais que des tas de clients se sont plaints de toi. Je passe tellement de temps à te défendre.
- Mais… Je…
- Méfie-toi ! Je parle avec des clients puissants !
- Ah ?
Et les deux partirent, laissant un Gus inquiet. La menace était à peine voilée. Il allait devoir réagir et vite. Frénégonde-Modestie cachait bien son jeu. Il se doutait qu’elle ne faisait référence qu’à une seule cliente en réalité, et qu’elle ne le défendait pas. Cela le préoccupait tout de même. Il devait en informer au plus vite Eileen, et rester vigilant.
L'épisode avec le poste informatique est réel. Ma seule solution a été de lui tenir tête. Elle ne supportait pas et en avait besoin. C'était factuel. D'autant, qu'elle entrait à peine dans le magasin...
Frénégonde, Cunégonde... c'est le défilé des prénoms du Moyen-Âge, dis donc ! Et leur complotage est quand même sacrément puérile ! Et la maladresse de Gus qui continue à frapper...
Ahlalala, les mésaventures de Gus sont bien divertissantes. Bonne continuation !
Oui, pour ces antagonistes, je me suis amusée à leur donner des noms assez vieillots, ça permet d'ajouter du ridicule à des personnalités toxiques et prendre de la distance: ce ne sont que des êtres humains, il ne faut pas en avoir peur, elles ont aussi leur faiblesses.
Pour bien comprendre la première menace il m'aurait fallu plus de contexte sur l'entreprise parce que si en hypermarché, animalerie ou jardinerie elle serait incongru en boutique de luxe (vêtement, vin, bijouterie, et tout les métiers de bouche "de luxe") elle aurait du poids.
Et crois moi, FM était suffisamment perchée pour avoir ce type de menace dans n'importe quel contexte de magasin.
Je peux effectivement donner plus de contexte dans le chapitre où Maya expose son problème.