Chapitre 4 - La colocation du malaise

Notes de l’auteur : TW : propos homophobes et transphobes

Pixie loge dans un appartement de quatre chambres plus une cuisine ouverte sur un salon. Avec des surfaces parisiennes ; donc, aux yeux de Corentin, c'est juste minuscule. Il n'arrive même pas à savoir comment ils sont arrivés à faire tenir un canapé et un meuble télé dans la pièce, sans compter les chaises de bar.

La cuisine et le repas se font dans un relatif silence. Tous les trois sont crevés de leur journée et de leur soirée, et tous semblent perdus dans leurs pensées.

Samuel est plongé dans son portable, les cheveux encore humides de sa douche. 

Pixie semble dormir debout.

— Vas prendre une douche, lui fait-iel. Utilise les grosses bouteilles qui sont sur le rebord de la baignoire. On les achète en grosse quantité et tout le monde a le droit de s'en servir. Pour la serviette, désolé, faudra utiliser celle de Samuel, les colocs sont un peu coincés là-dessus.

— Ça les embête pas qu'on reste ici ? Même juste une nuit ?

Pixie hausse les épaules.

Mais avant qu'il ait pu dire quoique ce soit, un mec rentre dans la pièce, casque de gamer sur les oreilles. 

— Salut P. C'est eux tes potes ?

— Momo, je te présente Sam et Corentin. Sam, Corentin, voici Momo, intérimaire en nettoyage et streamer. La raison pour laquelle il est encore réveillé à cette heure-ci.

Momo sort une bouteille de coca du frigo et s'adosse à la fenêtre de la cuisine.

— Ouais, ben je vais pas tarder. Les mecs sont d'un chiant ce soir. J'ai voulu tester une nouvelle team, mais vraiment, pire repère de facho homophobes ever. Du coup j'ai mis ma webcam, et je leur ai dit que Mohamed, Grande Pédale, les avait enregistrés tout du long et que ça allait se retrouver très vite en ligne.

— Tu vas vraiment le faire ? Demande Corentin, dont l'expérience du jeu vidéo en ligne est extrêmement limitée.

Momo soupire.

— Non, forcément. Dans ce genre de team il peut y avoir des mineurs. Et puis j'aurai trop de backlash sur ma chaîne. Mais ils ont presque réussi à foutre ma soirée en l'air.

Il vide sa bouteille avant de la jeter dans un sac rempli de papiers et plastiques. Avant de ressortir il se retourne une dernière fois et pointe Pixie du doigt tout en regardant Sam et Corentin.

— Attention, il y a une règle dans cette coloc : pas de cul ici. Les murs sont hyper fins, c'est mal isolé, et c'est gênant pour tout le monde. Et ensuite Eudes râle.

— Eudes ? Demande Sam quand ils sont de nouveaux seuls tous les trois.

— Le coloc lourd et hétéro.

 

#

 

Corentin ne se sent pas de partager un lit avec Pixie ou Sam. Vraiment pas. Il se sacrifie donc pour dormir sur le canapé, et tant pis si, d'après Pixie, le quatrième colocataire, Théo, se lève à six heures du matin et aime faire son yoga avec la fenêtre du salon grande ouverte.

Le jeune homme finit par trouver le sommeil en regardant le plafond et le lustre Ikea suspendu au-dessus de sa tête. Le bruit de la route nationale au pied de l'immeuble est juste assez régulier et sourd pour le faire s'endormir totalement.

 

#

 

C'est un courant d'air frais qui le réveille vers huit heures du matin, soit deux heures plus tard que prévu. Corentin ouvre un œil puis l'autre. La fenêtre du salon, qui donne en fait sur un balcon, est grande ouverte, et un jeune homme est en train d'arroser les plantes en fredonnant.

Ça doit être Théo.

Par-dessus le dossier du canapé, Corentin voit également Pixie en train de préparer le café, ses épaules nues se chargeant de réveiller complètement le garçon. 

— Bonjour !

Pixie pose quatre mugs sur le comptoir ainsi qu'un sachet de pain de mie et un pot de beurre de cacahuètes.

Corentin se lève en se grattant le crâne, répondant par un borborygme sans doute peu compréhensible.

— Tu es plutôt salé ou sucré le matin ? Théo prend du fromage et des œufs durs, donc c'est pas un problème.

— Oh, juste du café. Merci.

Corentin s'assoit pendant que Pixie se prépare deux tartines de beurres de cacahuète et un café au lait visiblement sucré. Théo referme la fenêtre du balcon pour les rejoindre. Mais, au lieu de s'assoir à côté de Corentin, il se contente de rester debout pour siroter un thé noir.

C'est plutôt compréhensible : les chaises du bar ont l'air très bon marché, vieilles et peu solides.

— Attends, fait-il en s'excusant après les présentations d'usage. Je peux virer mes affaires du canapé.

Théo lui fait signe de rester assis. 

— Ne t'inquiète pas va. Au moins t'es déjà plus poli que l'autre con.

Corentin décide qu'il aime bien Théo quand celui-ci lui propose une partie de XXX une fois son café avalé. Pas de nouvelles de Sam, il doit encore être en train de dormir. Selon ses colocs, Momo n'émergera pas avant bien deux ou trois heures de l'après-midi, sans doute juste pour leur dire aurevoir.

— Et moi il faut que je me remette de ma soirée d'hier, fait Pixie en allant squatter la salle-de-bain.

— Alors, il est comment ce fameux Eudes ? Finit par demander Corentin.

Théo hausse les épaules. Sur l'écran de télé son personnage envoie une raclée à un troll deux fois plus grand que lui.

— Tu verras par toi-même je pense. J'ai entendu du bruit dans sa chambre il va pas tarder à arriver. Attention ça fait un choc au début, mais il n'est pas dangereux. Juste incroyablement chiant.

C'est d'abord Samuel qui les rejoint encore à moitié endormi. Il ne prend même pas la peine de se verser un café et se pose directement à côté de Corentin pour, a priori, finir sa nuit contre son épaule. Ce qui est extrêmement handicapant pour jouer.

— Alors, les tarlouzes, c'était la fête hier soir ?

Ah.

Sur l'écran, le personnage de Corentin est définitivement mort.

Il regarde celui qui entre dans le salon et ouvre le frigo pour en sortir une boisson énergisante. Le mec est plutôt de taille moyenne, assez musclé, même si ça ressemble plus à de la gonflette qu'autre chose, mais il n'a vraiment rien de particulier pour lui, si ce n'est un petit rictus sur les lèvres.

Quand il croise le regard de Corentin, il sourit de plus belle :

— Attention, lui là, il n’a pas tout ce qui faut. Faut être prévenu avant.

— Ta gueule, Eudes, soupire Théo, mais trop bas pour que l'autre con l'entende.

D'ailleurs ce dernier n'attend pas de réponse et repart aussitôt, lançant un :

— Je vais bosser moi, bande de guignols !

Corentin attend d'entendre la porte de la chambre se refermer avant d'éclater :

— Mais c'est qui ce con ?

— Le neveu du propriétaire. Je te raconte pas le malaise.

— Pourtant il aurait un succès monstrueux en boîte, remarqua pâteusement Sam en se frottant les yeux. Tout ce qu'il faut : du muscle, pas de cerveaux, un beau cul, et ce côté hétéro qu'il faut convertir.

Théo éclate de rire et sa voix part un peu dans les aiguës.

— C'est clair. Quand les boîtes seront complètement rouvertes, Momo veut absolument l'y emmener pour lui apprendre la vie. Ça lui ferait du bien.

— Vous ne pouvez pas le virer ? Demande Corentin en se levant, obligeant Sam à complètement se redresser.

Il va se servir un nouveau café et en sert un pour son ami, avec une tartine de fromage.

Théo hausse encore les épaules :

— C'est compliqué. Comme il bosse on ne le voit pas tant que ça, et il est réglo sur le règlement de la coloc. Et puis il fait même super gaffe à pas m'outer quand il invite des potes ici. Mais franchement c'est le minimum syndical.

— La barre est hyper basse quand même, remarque Corentin.

— Après, je vais partir chez des amis d'asso en août pour notre retraite trans, et Pixie va pouvoir aussi prendre quelques vacances grâce à vous. Et comme le propriétaire autorise la sous-location en fermant les yeux, Momo va loger un ou deux de ses potes. Genre des qui font de la muscu. Beaucoup. Je suis presque triste de ne pas pouvoir être là.

— Il est où ton camp politique d'anarchistes écolo zadistes trans ?

— Dans le Sud-Ouest, vers le Pays basque.

— Ah ouais...

Samuel a l'air fasciné. Pour un mec qui était dans le placard il y a juste quelques mois, il est devenu extrêmement curieux et avide de connaître ce qu'est la "vrai" communauté queer. Pas qu'il ait pu tester grand-chose en Bretagne, mais Corentin sait qu'il a pu un peu découvrir tout ça sur Paris, même après le départ d'Alex.

D'ailleurs...

Il sort son portable et leur demande s'il peut faire un selfie avec eux.

— C'est pour ton compte Instagram ? Demande Théo.

— Non, ça c'est juste pour mon copain.

— Alors ok.

Quand finalement Samuel se décide à aller s'habiller, Théo regarde longuement Corentin.

— Donc toi, fait-il, tu l'accompagnes lui, pour retrouver son petit-copain en Alsace ?

— Oui.

Corentin n'ose même pas lever la tête.

— Il est super tactile quand même.

— Oui. Bon, il a été longtemps dans le placard, du coup je suppose qu'il compense ?

— Hmhm.

Le ton de Théo est tellement dubitatif que même son "hmhm" a un "hmhm".

— Ça va être un problème et, sincèrement, j'ai une vie amoureuse très compliquée et remplie malgré tout ce que notre cher Eudes peut en penser. Mais est-ce que je peux te donner un conseil ?

La tête de Corentin se renverse en arrière sur le dossier du canapé.

— Vas-y toujours.

— Règle ça le plus vite possible.

 

#

 

Le fourgon est intact quand ils le retrouvent vers quinze heures.

Ils sont un poil en retard sur le planning, mais Momo s'est réveillé alors qu'ils étaient sur le point de partir et il tenait absolument à les accompagner. Ce qui était une excellente idée, parce qu'il est beaucoup plus efficace que les trois autres pour aider Corentin à ranger leur barda à l'arrière, dont un nouveau sac de couchage, la valise de Pixie, son vanity et un sac à surprise dont iel a refusé de leur dévoiler le contenu.

— Je veux refaire un remake de Priscilla dans les Vosges, c'est mon but ultime, a-t-iel simplement expliqué en lui faisant un clin d'œil.

Samuel a l'air curieusement amorphe et n'a pas regardé son portable depuis son réveil, ce qui inquiète un peu Corentin. Mais ils n'ont pas le temps de se poser pour en discuter, et il y aura bien l'occasion de le faire une fois qu'ils seront tous en route.

— Oublie pas le GPS pour sortir de la ville, conseille Momo. Si tu suis juste les panneaux et la carte, tu risques de te retrouver soit dans des bouchons, soit dans des travaux, soit les deux.

Les embrassades ne sont pas indiquées mais le cœur y est quand Corentin checke les coudes de Momo et Théo. Surtout pour ce dernier d'ailleurs. À tel point que le Breton se demande s'ils auront le temps de faire un vrai tour de France pour aller le voir avec son groupe de révolutionnaires au mois d'août.

Il faudrait trouver aussi une raison pour aller en PACA du coup. Après avoir récupéré Alex et visité la tombe de sa grand-mère, ce serait cool.

Ils sont installés tous les trois sur la banquette avant, Corentin au volant, Pixie contre la fenêtre et Samuel entre les deux.

À cette heure de la journée la route est plutôt dégagée et ils arrivent sur la N4 assez rapidement. Direction Nancy, et, si possible, encore un peu plus vers le Sud-Est et les Vosges.

Il fait beau.

Corentin se sent plutôt serein, ce qui, il faut bien l'avouer, n'est pas arrivé depuis leur départ de Perros-Guirec et les soubresauts que font son cœur et d'autres parties de son anatomie dès qu'il croise le regard de Sam, voire la personne en entier de Pixie, c'est cool.

— Alors Sam. Pourquoi t'as pas regardé ton portable encore ? T'envoies pas de photo à Alex aujourd'hui ? Finit-il par demander.

Erreur grossière.

À côté de lui son meilleur ami se tend complètement.

— Je... Je crois qu'on fait une grosse bêtise.

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