Chapitre 5 - Vers les Vosges

Samuel sent les regards de Pixie et Corentin sur lui et se recroqueville sur lui-même, ce qui est un peu compliqué vu que la banquette n'est pas très large et qu'il est coincé de toute part.

Le fourgon ralentit un peu avant de reprendre de la vitesse.

— On a 250 km à faire cet après-midi, finit par dire Pixie. Tu as le temps de nous expliquer ça ?

De l'autre côté, Corentin ressemble à une statue. Il fixe la route avec tellement d'intensité que ses yeux pourraient éclater le pare-brise.

Les doigts de Pixie claquent devant lui pour que Samuel se tourne vers iel.

— Bon, commence depuis le début.

— Hm...

Quand ils sont arrivés à Paris, Samuel n'a pas osé envoyer de photo à Alex tout de suite, mais comme il y avait Marc et Jordan, il a finalement fait un selfie avec eux, posté sur son compte Instagram avec le dessin du jour.

Sauf que la journée l'avait tellement crevé qu'il a oublié d'envoyer un message plus perso à Alex. Et quand ils se sont couchés hier, ou plutôt très tôt ce matin, Samuel a trouvé plusieurs textos d'Alex, qu'il s'est empressé d'aller lire dans les toilettes pour ne pas réveiller Pixie.

— C'est gentil de ta part, mais même une explosion nucléaire ne pourrait pas me réveiller. Continue... Il t'a fait une crise de jalousie ?

— Pas vraiment. Enfin, je crois pas ?

En fait, dans ces textos, Alex lui demandait des nouvelles, s'étonnait de le voir à Paris alors qu'il ne lui avait rien dit, lui demandait pourquoi ne l'avait-il pas prévenu ?

— Alors je lui ai dit que j'étais désolé, et il m'a demandé pourquoi, parce que forcément il était encore debout à deux heures du matin. Et du coup je lui ai envoyé un dernier texto en lui disant qu'on voulait lui faire une surprise et qu'on allait venir le voir.

— Et qu'est-ce qu'il a répondu ?

Samuel rougit jusqu'à la pointe des oreilles.

— Je sais pas. J'ai éteint mon téléphone, et je me suis pas rebranché au réseau ce matin non plus. Je me demande si c'était une si bonne idée... J'ai pas dormi de la nuit non plus.

Samuel entend deux longs soupirs en stéréo et tente de se justifier :

— Et s’il ne m'aimait plus ? Là il est avec sa famille en plus, il a peut-être pas envie de me voir...

— Ok.

Pixie se penche vers le sac qu'iel a posé entre les jambes et en ressort son propre portable, un vieux Nokia tout pourri.

— Je vais l'appeler.

— Non !

— Si. Mais comme j'ai un réseau pourri, il faut qu'on s'arrête. En plus j'ai envie d'aller aux toilettes.

Samuel n'a pas le temps de protester que Corentin met le clignotant pour s'arrêter dans le prochain bled un peu important où ils pourront trouver des toilettes.

— J'ai besoin d'un café, finit par dire leur chauffeur. Et je pense que toi aussi...

La main de Corentin se perd dans les cheveux de Samuel et ça lui fait bizarrement du bien.

— La prochaine fois évite de garder ça pour toi hein. Je t'ai pas ramassé à la petite cuillère à Lannion pour que tu me snobes comme ça au prochain coup dur.

 

#

 

Ils trouvent un bistrot ouvert dans lequel Pixie file pour vider sa vessie.

Corentin et Samuel s'installent sur la terrasse et commandent trois cafés.

— Pourquoi tu as peur comme ça ? Finit par demander Corentin.

— Je sais pas.

— Passe-moi ton portable. Si vraiment il fait une crise, tu seras pas obligé de le voir directement, ok ?

Samuel regarde avec une certaine inquiétude son ami rallumer son téléphone et commencer à lire ses notifications. Cela dure un certain temps, et Pixie ne revient toujours pas des toilettes.

Il ne sait même pas dans quelle ville ils sont. Est-ce qu'ils se rapprochent des Vosges ?

Au départ de Paris, il a bien reconnu quelques noms de villes, des noms de son enfance, puis ils ont laissé la Picardie derrière eux.

Après le départ d'Alexandre au moment du déconfinement, Samuel a eu du mal.

Le contraste était beaucoup trop grand entre la vie de jeune couple dans un studio minuscule, et la solitude. Et malgré la vie qu'il a vécue, malgré le placard, Samuel n'a jamais été seul, en tout cas physiquement. Il a toujours squatté chez des potes, été en colocation même une fois. Les relations avec les voisins se sont raréfiées : l'école a repris, les gens ont recommencé à sortir pour bosser, et lui ne traversait les étages que pour aller bosser ou courir.

Jean-Marc est parti dans le Sud. Marc et Jordan n'avaient pas forcément le temps pour lui. En fait si, ils avaient autant de temps qu'avant, sauf qu'il y avait un vide. Un grand vide. Et cette obsession de ne surtout pas inquiéter Alexandre, de ne pas le culpabiliser.

Il s'est noyé dans le boulot, à travailler tous les midis et la plupart des soirs, et à dessiner le reste du temps. Sans forcément beaucoup de résultats. Et jusqu'à se réveiller un matin avec aucune énergie pour sortir du lit.

C'est Mylène qui est venue le chercher par la peau des fesses et à le forcer à prendre enfin son billet de train pour Lannion.

— Alors il est juste super inquiet.

La voix de Corentin le sort de son auto-apitoiement. 

— Et sa mère demande si ça nous dérange d'installer la tente dans le jardin, et que de toute façon on devra se faire tester avant de venir chez eux, et Alex nous envoie l'adresse d'un labo près de chez lui pour prendre rendez-vous. Hm, à mon avis on ferait mieux de se faire tester aujourd'hui si on veut avoir les résultats avant notre arrivée.

Samuel récupère son portable.

— Faudrait que je l'appelle.

— Oui ce serait une bonne idée. Mais d'abord bois ton café, et on va te préparer un bon goûter que tu vas te faire un plaisir de finir. Et je crois que Pixie veut te prendre dans ses bras.

C'est le seul avertissement que Samuel a avant de sentir deux bras l'enserrer.

— Oh, mon canard. Tu as le petit copain le plus adorable du monde, tu le sais ça ?

— Tu l'as eu au téléphone ?

Pixie le lâche pour s'installer avec eux et déposer un saucisson et de grosses tranches de pain sur la table.

— Tiens on a eu la même idée avec Corentin : mange. Tu peux tout engloutir, perso je suis végétarien, mais c'est tout ce qu'il y avait.

Samuel coupe une tranche de charcuterie et se rend alors compte à quel point il est affamé. En fait, il n'a rien mangé depuis la tartine préparée par Corentin ce matin. Et encore, il en a vomi une bonne partie assez rapidement. Quant à la pizza de la veille, il ne sait même pas s'il en a fini une part ou non.

— Alors, commence Pixie. Alex t'attend, il est super inquiet mais je l'ai rassuré. Ca lui fait super plaisir de pouvoir te voir aussi, parce qu'il hésitait à rentrer sur Paris avant la rentrée mais il ne voulait pas t'obliger non plus à rentrer de Bretagne juste pour lui. Et tu as intérêt à l'appeler avant qu'on reprenne la route.

De l'autre côté de la table, Corentin lui fait un signe du genre « je te l'avais bien dit ».

Puis il prend la parole :

— Y'a un labo ouvert pas loin d'ici, on peut y aller tout de suite avant la fermeture. Comme ça on aura les résultats dans quarante-huit heures. Je suis con, on aurait du y penser quand on était à Paris.

 

#

 

— Alex ?

— Sam ?! Je suis tellement content de t'avoir !

— Désolé, la connexion est pas géniale ici, je peux pas passer en facetime.

— C'est pas grave. Vous êtes où ?

— On est encore à quelques kilomètres de Nancy. On a pris du retard mais Corentin et Pixie sont en train de se faire tester.

— Et toi ?

— J'y suis déjà passé.

— Comment ça va ?

— On aura les résultats que...

— Non, toi, comment tu vas ?

Samuel soupire.

— Pas très bien. Ça a été dur Paris, sans toi.

— Oh, mon amour. Je suis désolé.

— Non, mais j'ai eu de l'aide tu sais. Je m'en suis juste pas rendu compte tout de suite.

Il a la voix qui tremble. Purée, heureusement que les deux autres l'ont forcé à manger, sinon il aurait déjà éclaté en pleurs de fatigue.

— C'est juste que... C'était bizarre. J'aurai dû rejoindre Corentin tout de suite, mais je pensais que j'y arriverai tout seul.

— Tu parles au mec qui est resté à Paris seul au lieu de rentrer chez lui. Mais regarde le résultat : je t'ai rencontré.

— Ouais, c'est vrai. Et si l'autre connard m'avait pas jeté dehors...

— Tu sais ma mère a toujours ces expressions débiles comme quoi à chaque chose malheur est bon, mais dans notre cas je pense que ça fonctionne un peu, non ?

— Peut-être.

— Je suis impatient de te revoir, Sam. Vraiment. En plus mon père veut que tu dessines la maison. Enfin je crois.

— J'ai la trouille de les rencontrer.

— Maman prévoit de vous préparer une choucroute, mais seulement pour manger dehors et seulement si vos tests sont négatifs.

— Ouais forcément.

Un silence, puis :

— Alex ?

— Oui ?

— Comment tu vas, toi ?

— Hm, j'ai eu la chance d'avoir ma famille, tu sais. Du genre tu dois te lever le matin, tu dois prendre un petit-déjeuner, tu dois manger à heures fixes, tu dois aider pour le ménage. Sinon je pense que je me serai noyé dans le boulot. Je pense que je n'aurai pas été vraiment dans un meilleur état que toi.

— Ah.

— Ça te rassure ?

— Non ! Je veux dire... 

— C'est normal Sam. Te sens pas coupable. Ça va pas très bien, mais personne ne va très bien en ce moment. Mais on s'entraide, on se soutient.

— On évite de se cacher des trucs.

— On s'envoie des dick pics...

— Alex !?

— Quoi ?

Samuel se sent de nouveau rougir jusqu'aux oreilles. Et d'avoir une vision extrêmement claire de l'anatomie d'Alex juste là. Et comment il arriverait à se glisser entre la banquette et le tableau de bord, à genoux, et...

— Purée, tu me manques, t'imagines même pas.

— Toi aussi.

— Ton cul aussi, en fait, Alex.

— Oui j'avais compris.

— Mais je t'aime aussi pour ton intelligence, bien entendu.

— Bien entendu.

— A demain ?

— Ou après-demain. Je t'embrasse tellement fort, mon amour.

— Moi aussi.

 

#

 

Le fourgon redémarre moins d'une demi-heure plus tard, et ils filent vers les Vosges en contournant Nancy. 

— Si tu n'arrêtes pas de bouger tes jambes, je te jette dans la forêt ! finit par dire Pixie au bout d'une heure, alors que la ligne des Vosges commence à apparaître devant eux.

— Corentin ne m'abandonnerait jamais, fait Samuel.

— Non, je suis de l'avis de Pixie. Calme-toi ou je te fais traverser les montagnes à pied derrière nous. Dans les odeurs du pot d'échappement.

— En plus il paraît qu'il y a des grosses bestioles dans le coin, genre des sangliers, des pumas...

— Y'a pas de puma en France, enfin pas en liberté.

— Non mais des gros chats, là.

— Des lynx.

Samuel se laisse distraire par la discussion sans queue ni tête de Pixie et Corentin.

Et derrière l'horizon, une fois qu'ils auront passé le col des Vosges, il y aura Alex.

— Je t'avais dit qu'il avait une tête de niais quand il pense à son copain.

— C'est impressionnant.

— Je dormirai tout seul dans le fourgon, fait Samuel. Et vous dans la tente. Comme ça vous ne pourrez pas m'abandonner en prenant la voiture la nuit, et moi je supporterai pas votre discussion.

Pixie fait mine de réfléchir alors que Corentin rigole.

— Ouais, ok, on fait comme ça. De toute façon tu ronfles trop.

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