Chapitre 4 : Le joyau au fond de l’eau

Par Phémie
Notes de l’auteur : Je poste deux courts chapitres pour ce soir, que je n'ai pas trop eu le temps de retravailler pour le moment, alors comme d'habitude tout commentaire est le bienvenu :)

Cela faisait presque une semaine que, dès qu’il avait un moment libre, Stebän faisait tourner dans sa main le petit morceau de roche étrange qu’il avait trouvé au fond du lac, à proximité de l’île de Floritane. Après l’avoir dessiné à maintes reprises, il en connaissait maintenant chaque relief, chaque nuance, même s’il ne parvenait pas à les représenter à leur juste valeur.
D’une quinzaine de centimètres de diamètre, la pierre plate et légèrement incurvée avait la forme d’une étoile de douze branches, à la symétrie parfaite. D’une grande résistance, elle avait facilement rayé son bureau en pierre et même la vitre d’une lanterne. Quant à sa couleur, elle était d’un bleu sombre traversé de nuages de brumes turquoise. Au contact de l’eau, son éclat était d’autant plus révélé, donnant l’impression que les motifs s’animaient et que de la lumière en émanait, mais après avoir fait le test dans l’obscurité, Stëban pouvait affirmer qu’il ne s’agissait que d’une illusion.
Ce soir, encore une fois, il caressait la pierre en surveillant régulièrement la rue depuis sa chambre jusqu’à ce qu’il voit le signe qu’il attendait. L’angle d’un des deux rideaux de la fenêtre arrière des archives venaient d’être relevé, laissant un triangle de lumière s’échapper de la pièce. Le message secret qui lui était destiné à travers ce code était le suivant : le scribe venait de quitter les lieux. La voie était libre. Stëban glissa son trésor dans sa poche, son carnet de note dans sa veste,  et éteignit sa lanterne avant de sauter par la fenêtre.
Il faisait froid ce soir, et emmitouflé dans sa longue veste sombre il se dirigea vers le bâtiment des archives. Une fois arrivé à la petite fenêtre, une simple ouverture dans le mur simplement isolée par des épais rideaux, Stëban s’engouffra rapidement à l’intérieur.
Magline commença à s’excuser avant même qu’il n’ait posé le pied au sol.
– Désolé Stëban, j’ai cru une fois de plus que ce scribouillard allait s’endormir ici, le nez sur sa plume. Tu attends depuis longtemps ?
– C’est pas grave Magda, la rassura-t-il.
Il était hors de question que Stëban lui avoue que cela faisait une semaine qu’il se morfondait devant sa fenêtre en attendant qu’elle lui indique qu’il pouvait venir. Elle s’en serait voulu alors même qu’elle n’y était pour rien. 
Magline était la seule personne du village en qui il avait une confiance totale ; c’est elle qui avait été sa gouvernante, qui lui avait appris à lire, écrire, et bien plus tard, et de manière complètement clandestine, lui avait appris à investiguer. A ses côtés, elle avait passé des soirées et des nuits entières à éplucher rapports et ouvrages, à noter, comparer, questionner, écarter, retenir, à se réjouir et à s’exaspérer face à une immensité silencieuse de textes à laquelle ils tentaient de faire avouer la vérité. Gardienne des archives, elle seule avait accès à tous les rapports établis par les gardiens du village depuis l’invention des parchemins.
L’arrière du bâtiment, creusé directement dans la montagne, contenait cette collection, et même Stëban n’avait jamais pu y mettre les pieds, malgré tout le chantage et la l’insistance dont il avait pu faire preuve à ce sujet dans son enfance. Les écrits de l’année en cours étaient, de leur côté, stockés dans la première salle, et classés le long des murs. Cette pièce, où ils se tenaient actuellement, contenait également des manuscrits en tout genre concernant les dragons, qui prenaient tranquillement la poussière. Elle était accessible par un plus grand nombre de personnes, parmi lesquelles le chef du village, le scribe, et autres personnalités notables. Cependant, Stëban ne figurait aucunement sur cette courte liste de visiteurs potentiels, c’est pourquoi il était ici à la tombée de la nuit, en toute discrétion. Il y avait cependant peu de risque que quiconque le dérange : à part lui et sa mentor, personne ne s’intéressait plus vraiment aux dragons depuis des centaines d’années dans son petit village : les habitants se contentaient de perfectionner leurs moyens de surveillance, leurs protocoles d’urgence, et de rendre des comptes à la capitale. Tout le temps autrefois consacré à l’étude des comportements et de la pensée des dragons était maintenant alloué à l’élaboration de rapports, procédures, et réunions diverses ayant pour unique objectif de prouver à la reine qu’ils étaient à la hauteur de leur rôle de gardien.
Magline se dirigea vers un rayonnage contenant d’épais manuscrits usés par les ans, et sortit l’un d’eux en disant :                 
– J’ai fait des recherches sur le rituel de floraison dont tu m’avais parlé...
– On oublie les us et coutumes draconiques, la coupa Stëban, impatient. J’ai beaucoup mieux !
Il tira de sa poche la gemme bleue et la posa sur une des pierres plates qui dépassait du mur, à quelques centimètres du nez de son amie. Celle-ci faillit lâcher au sol l’inestimable et unique exemplaire de Six cent ans pour comprendre les dragons qu’elle tenait dans les mains, et Stëban vint à son secours pour le remettre à sa place en toute sécurité tandis que Magline regardait la pierre avec des yeux ronds.
– Où as-tu trouvé cela ?
– Au fond du lac, tout près de l’île.
Magline demeurait silencieuse, contemplative, songeuse. Elle observait la pierre sans la toucher, dessinant ses contours du bout des doigts, comme si un simple contact aurait pu la réduire en poussière. Finissant par s’impatienter, Stëban la pressa :
– Que penses-tu que ça pourrait être ? Un bijou ? Une arme ? On n’a jamais rien trouvé de tel dans aucune tanière, ni aucun nid, à ma connaissance.
Magline laissa échapper un son guttural ambigu, puis le fit attendre encore. Ces quelques secondes parurent une éternité à Stëban, qui avait attendu toute la semaine, espérant qu’elle saurait répondre à ses interrogations. Enfin, elle finit par marmonner :
– Ce pourrait-ce… Non… Cela semble impossible, pourtant…
– Quoi ? Magda, à quoi penses-tu ?
L’ignorant toujours, elle se dirigea à l’opposé de la pièce en ruminant toujours des propos incompréhensibles, et en passant en revue plusieurs rayonnages avant de s’écrier :
– Là !                   
Avec précaution, elle emmena jusqu’à une table en pierre un ouvrage encore plus épais, encore plus ancien et encore plus poussiéreux que le précédent. Sans prendre le temps de s’asseoir, elle le feuilleta aussi frénétiquement que possible, en essayant de ne pas faire craquer les vieilles pages jaunies. Par dessus son épaule, Stëban observa l’écriture serrée qui noircissait les pages. Le dialecte était très ancien, plus que ce qu’il n’avait jamais tenté de déchiffrer. Par moment, le texte était accompagné d’esquisses, réalisées avec la même encre noire, du bout de la plume. Quelques-unes d’entre elles avaient fait l’objet d’une attention particulière. Colorées à l’aquarelle, elles laissaient voir des couleurs encore vives aujourd’hui.                                   
C’est sur une page entièrement occupée par un dessin de cette sorte que Magline s’arrêta. Elle le regarda un instant avant de se tourner vers Stëban pour guetter sa réaction. Mais c’était à son tour d’être plongé dans le mutisme. Face à son silence, elle expliqua :
– Ce livre s’intitule Le mystère de la reproduction des dragons, et ceci est une des deux seules représentations d’œuf de dragon que nous possédons dans le monde. L’auteur explique qu’elle est basée sur les dires d’une conteuse, qui elle-même tirerait sa description d’une légende transmise par sa famille durant des dizaines de générations. Il semble probable que l’œuf ait été observé bien avant l’invention de l’écriture, avant le début des six-cent ans de guerre contre les dragons.
Stëban promenait ses yeux de la pierre au dessin, frappé par la ressemblance de couleur et d’aspect, mais une partie de lui refusait de se rendre à l’évidence. Avec beaucoup d’hésitation, il finit par demander :
– Alors tu penses qu’il pourrait s’agir… d’un morceau d’œuf de dragon ?
Magline s’affala dans un fauteuil en soupirant.                                   
– Difficile à dire. Officiellement, personne n’a jamais vu d’œuf ou d’éclats d’œuf de dragons. Selon les tribus, les croyances divergent quant aux origines des dragons ; certains pensent qu’ils sont aussi anciens que le monde lui-même, d’autres que leurs œufs sont recrachés par le coeur de la planète puis réabsorbés après éclosion, d’autres encore qu’ils viennent d’une autre dimension, où ils pourraient se rendre pour se reproduire. Les penseurs pragmatiques ont de leur côté formulé plusieurs hypothèses intéressantes pouvant expliquer cette absence d’œufs. Certains considèrent que les dragons pourraient être des créatures ovovivipares, c’est-à-dire que les œufs ne sortiraient jamais du ventre des dragonnes. Et puis, il y a Luclus Calporius, à qui on doit deux inestimables ouvrages, celui que tu tiens dans les mains et un autre qui dort dans la bibliothèque privée de la reine. Luclus à fait le tour du monde pour rencontrer les conteuses et conteurs de chaque tribu, a collecté et comparé leurs mythes et leurs légendes. Il était persuadé de pouvoir trouver au cœur de chaque récit un grain de vérité, et il a construit ainsi sa théorie.  Selon lui, les dragons, comme tout autre reptile, se reproduisent et pondent des œufs de la manière la plus ordinaire possible. Mais il estime que les coquilles pourraient se dissoudre rapidement après l’éclosion, au contact d’un élément spécifique, afin d’être consommé par le nouveau-né, ou bien être cachées par les dragons. 
– Les dragons cacheraient leurs coquilles ? Mais pourquoi ?
– Malheureusement, les recherches de Luclus ne lui ont pas survécu bien longtemps. Il a eu au début de nombreux adeptes, qui ont parcouru le monde et remué ciel et terre pour tenter de trouver des éclats d’œufs et appuyer sa théorie. Mais devant leur échec, l’engouement est vite retombé. Il ne reste aujourd’hui pas beaucoup d’hurluberlus pour croire encore aux œufs de dragons, et moins encore pour les chercher.
Stëban était venu chercher des réponses, mais la pierre au creux de sa main lui semblait encore plus mystérieuse. Comme toujours, dès qu’il mettait les pieds dans cette bibliothèque en cherchant une réponse, il trouvait dix questions. Il passa le pouce encore une fois au centre de la roche, tellement lisse et incurvée. Une seule chose lui semblait sûre :
– Ils ont cherché des coquilles sans jamais les trouver. Et j’en ai trouvé une sans jamais la chercher.
– Pourquoi aujourd’hui, et pourquoi ici ? s’interrogea Magline, aux anges.
Elle échangea avec Stëban un regard pétillant de malice. Un long travail les attendais, et ils en étaient tout deux ravis.

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