Chapitre 4 : Le passé d'Ogrisha : L'adolescence

       Un jour, un nouveau, à la gueule gouailleuse et à la mine coupable, s'était approché. Il l'avait regardé un moment en silence. Il avait des yeux clairs, petits et brillants comme des billes de verres, et les cheveux qui tressaillaient telles des voiles de bateaux.


– Ils te l'ont volé ?
Volé ? Volé quoi ?
– Ils te l'ont volé, ton oreille ?


        Ogrisha avait hésité un instant entre rire et pleurer. Il aurait aimer balancer une fureur soudaine – encore – sur la face de cet importun. Comme si, à force, il s'effaçait aux yeux des autres. Comme si, au fond, c'était aux autres qu'il manquait une oreille. Car Ogrisha n'avait pas d’oreille droite. Ou plutôt si, il avait une vague forme, ronde et bien présente, mais c'était plutôt un moignon sans pavillon distinct pour porter efficacement le signal sonore. C'était à peine un bout de chair où certains inconnus promenaient leurs yeux sans qu'il y ait de permission. Comme pour admirer un spectacle interdit qu'on n'avouerait pas avoir vu sans piquer un petit fard. Remontant jusqu'à leurs oreilles, accrochées avec ténacité à leur tête, qu'ils avaient pour la plupart en paire de deux contrairement à lui. En le fixant, il voulait percer le mystère. Comme s'il y avait un pourquoi, finalement. Lui ne l'avait pas trouvé, en tout cas.
– Je l'ai échangé. Contre un trésor...mais il valait le coup.


       Ce jour, Ogrisha s'était forcé à sourire, ravalant sa rage sourde pour qu'elle devienne un vrai et beau sourire. Là, à remonter jusqu'à ses simulacres d'oreilles. Lorsque l'autre en face de lui s'était enfin défilé, il l'avait effacé directement pour faire une sale grimace de colère et cogner le mur en face de lui. Comme n'importe quel autre aurait fait. Enfin, il le pensait. La paroi parcheminé de fer doublé de velours rouge ne cilla même pas. Sa douleur avait été vive mais, en un clin d’œil, l'avait rasséréné pour un temps. Inévitablement, cela recommencerait à un moment.

 

       Podisglav venait à la Halle. Et les Grands Hommes du Haut-Monde en grand nombre également.
De murmures presque indistincts, ténus comme des ruisseaux qui venaient à peine de jaillir et qui ne suffiraient pas à la culture, la rumeur s'était ensuite faite grand flot rond et consistant, puis grosse rivière difficile à apprivoiser, tumultueuse au fond trouble et où on ne pouvait pas nager. Peu à peu, elle avait gonflé, enflé en une mer de chuchotis comme des voiles sous un vent irrespectueux, gorgées d'eau salée, et qui ne vont bientôt plus pouvoir tenir le choc. Une foule de sentiments sous de beaux visages.


       Le dos bien droit dans la Halle des Douceurs, tous les gentilhommes voyous de la bande avaient ainsi en eux le bourdonnement des jours salées, tempétueux, qui paraissaient ne pas finir. Certains préparaient avec soin un sourire le plus assorti pour faire briller la façade grâce à leur gaillardise. Avec un sourire plus ou moins convenu et plein d'accrocs sur les lèvres, essayant d'être sain, comme fraîchement ressorti de l'armoire. Pour se mettre dedans, ils s'étaient lavés de leurs principes avec du beau savon.

       

        Pourtant, à mesure que le bout de la plus longue aiguille tournait autour du cadran dézingué, les sourires s'étaient décousus. On commençait à se souvenir qu'il était difficile de plaire sans savoir comment plaire pour être plus considéré, à se dire que la maturité, peut-être, n'avait même jamais fixé leur visage, ou n'allait jamais le faire. En réalité, peu de personnes avait plu à Podisglav quelque soit leur âge.

        Ogrisha était allé se cacher avec son livre noir d'encre plus tôt que prévu, la mine chiffonnée comme un papier buvard. Il ne comprenait pas pourquoi, au fond, les hommes devaient plaire à Podisglav, qu'il connaissait, des fois, que de vue. Même si c'était une bande d'arracheurs de dedans, de trésoriers de l'amour factice et de fossoyeurs de vérités, plaire était pour les gens qui mentaient. Coincés dans des costumes illusoires. Or, la plupart n'avait pas grand-chose d'autre à se mettre dessus.


        Les grandes personnes allaient et venaient, au fil des années. Des personnes qui essayaient de se faire aguichante de leur sourire. Au début, ils le faisaient sans forcer et avaient débarbouillés leur corps jusqu'aux tréfonds de leur âme. Pourtant, une certaine portion des prétendants n'avait été remarqué grâce à la propreté exceptionnelle de leur plus beau eux-même . Ils s'étaient alors interrogé : étaient-ils trop laids ? Trop petits ? Trop maigres ? Trop borgnes ?


       Un jour, finalement, une part de ces abandonnés avait déserté avec leur plus belle apparence. Soit Podisglav n'était pas capable de faire la différence entre eux avec discernement. Cela les étonnerait. Soit ils n'étaient pas à la hauteur des prétentions du Roi des Charmeurs. C'était le plus probable.

       Penché sur son carnet et assis sur un sofa défoncé qui lui servait de lit secondaire, il était enfin dans sa partie. Situé dans le coin le plus sombre de la Halle, il patientait donc en griffonnant sur le papier, la main sur son crayon noirâtre aux lignes dorées presque effacées, posé sur le chemin de presque non-retour de l'Imagination. Ce n'était pas vraiment penser qu'il voulait, c'était rêver, oublier sa laideur et leur hypocrisie.

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Le Diable
Posté le 13/09/2024
Le bas-monde peut être bien cruel envers la différence. J’en sais quelque chose, la beauté étant l’une des monnaies d’échange les plus prisées en Enfer…
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