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Iris reprit ses esprits dans une triste cave défraîchie avec pour seule lumière celle passant au travers de deux minuscules fenêtres battantes qui se trouvaient dans son dos, si petites que même le plus agile des chats n’aurait su s’y faufiler. Elle avait été dévêtue et ne portait à présent plus qu’une vieille et longue robe de chambre blanche avec des manches. A même le sol de béton froid, elle et son fils étaient tous deux maintenus par un large et épais anneau de métal ancré dans le sol et reliant une solide chaine à leur cheville gauche ; leur laissant à peine la possibilité de s’éloigner à plus d’un mètre. La mère serra son fils qui s’endormit, recroquevillé tout contre elle, après quelques larmes et promesses échangées. Alors qu’elle profitait de ce court instant prés de Zack, elle entendit à nouveau les grelots.
Quand la porte de la cave s’ouvrit, l’homme appuya sur l’interrupteur pour allumer la vieille ampoule dénudée du plafond qui leur brûla la vue tel un éclair. Il était à nouveau vêtu de son manteau et de son bonnet, comme s’il s’apprêtait à quitter le chalet. Il détacha Zack pour le conduire à l’étage sous les pleurs d’Iris qui ne savait pas si elle allait revoir son fils. Le petit garçon était devenu le petit homme à tout faire du chalet ; souffre-douleur de la famille et esclave des moindres caprices de sa sœur.
Durant son absence Iris inspecta les moindres recoins qui étaient à sa portée. Elle avait imaginé tant de plans d’évasion grâce à tout ce qu’elle avait repéré lors de sa découverte de l’étage que de ne pouvoir les atteindre la frustrait autant qu’elle était angoissée à l’idée de ce que pouvait bien subir son fils loin d’elle. A proximité de leur paillasse ; de vieux matelas sales et troués sur lesquels leur hôte avait tout de même pris soin de déposer quelques poussiéreuses couvertures et deux coussins dégarnis, se trouvait une petite gamelle à demi rouillée sur laquelle était inscrit en grosses lettres noires le nom de « Brax ». Iris lâcha soudainement la gamelle qu’elle venait de prendre en mains quelques instants plus tôt. L’épouvantable souvenir de la tablée de Noël lui revint. C’est de cette façon, par ce même nom, que Rosie avait appelé son frère. Tout faisait maintenant sens. Alors que Rosie remplaçait Olivia, la petite fille du couple, Zack, lui, remplaçait leur chien. Elle frissonna tandis qu’assise sur son matelas elle se remémorait ce qu’elle avait vécu depuis ce fameux matin où elle avait laissé ses enfants seuls dans la tente. Elle contempla son alliance, remplie de mélancolie, et demanda pardon à son mari. Pardon d’avoir laissé leurs enfants en proie aux monstres pour partir à sa recherche, pardon de ne pas avoir été capable de les protéger, de ne pas l’avoir retrouvé à temps. Pardon. Elle savait maintenant ce qu’il était advenu de son pauvre et défunt bien aimé. Assurément réduit en vulgaire pâté pour rennes, Iris se sentait tout autant bouleversée de devoir avouer qu’il avait également été le plat principal de la tablée de Noël qu’elle et son fils avaient été forcés de manger ; l’immonde rôti grillé. Ce qu’elle ne comprenait pas, c’était la façon d’agir de Rosie. Elle avait toujours su qu’un jour ou l’autre la petite fille qu’ils n’avaient jamais su contenir leur poserait de gros problèmes mais jamais au point d’imaginer qu’elle soit capable d’aller au-delà de ces terrifiantes limites qu’elle avait maintenant dépassé haut la main.
Le soir du 25 décembre tomba rapidement ; ramenant par la même occasion Zack aux côtés de sa mère rassurée que ce dernier soit en vie. Après avoir vérifié que mère et fils demeuraient solidement attachés et rempli une bassine d’eau provenant d’un petit robinet situé sur le mur à l’opposé des prisonniers, l’homme leur déposa le contenant. Il ajouta ensuite, sorti d’une petite poche en plastique qu’il avait déposé aux pieds de l’escalier de la cave avant de remettre la chaine autour de la cheville de Zack, un pâté semblable à celui des rennes. Il transféra la moitié de sa rebutante préparation dans un bol destiné à Iris sur lequel on pouvait entrevoir quelques fissures qui laissaient croire qu’il avait déjà été cassé puis recollé, puis l’autre moitié dans la gamelle de Zack à qui il tapota la tête, tel un maitre fier de son animal. Il plongea à nouveau les malheureux dans l’obscurité lorsqu’il quitta les lieux.
Le courage dont Zack avait fait preuve en ce jour rendit Iris plus que jamais fière de lui. Alors que l’homme avait pris congés de la maisonnée pour s’offrir une virée dans la forêt, le petit garçon avait été contraint de s’occuper des tâches de la maison. Il est important de mentionner ici que depuis qu’elle avait reçu le violent coup de tournevis dans la gorge, Hedga faiblissait. Elle n’avait pas été touchée d’une façon capable de la tuer, mais une partie de sa plaie s’était rapidement assez infectée pour lui offrir la foudroyante fièvre qui avait permis à Zack d’agir. Alors que le petit garçon l’accompagnait au pliage du linge dans la chambre parentale, Hedga fut prise d’un malaise qui l’obligea à se mettre au lit. Elle quémanda à la douce Rosie qui jouait dans sa chambre de lui apporter du lait sucré afin qu’elle puisse le boire en complément de ses médicaments. La petite fille ne parvenant pas à atteindre l’étage où siégeaient le verre qu’elle souhaitait capricieusement et ne souhaitant pas se salir les mains en préparant la boisson de la vieille femme supervisa son frère, lui capable d’atteindre le placard.
C’est à cet instant que la chance tourna en la faveur de Zack. Alors qu’il s’exécutait à rechercher le contenant exigé par sa sœur, le courageux tomba sur une petite boîte ; celle dans laquelle siégeait la poudre blanche qu’il avait vu la vieille Hedga verser, la veille, dans le verre de lait chaud de sa mère avant que celle-ci ne s’endorme à la chaise à laquelle elle était maintenue. Il ouvrit la boite, trop haute pour que Rosie ne puisse comprendre qu’il ne s’agissait pas là de la boîte contenant le sucre pour le lait, et en versa une cuillère qu’il recouvra de deux autres de sucre. Rosie n’y vit que du feu lorsqu’elle y versa le lait qu’elle avait finalement décidé de verser elle-même. Elle ramena le verre à Hedga qui l’avala d’une traite après avoir remercié sa petite reine qu’elle envoya retrouver ses jouets pendant que son frère terminerait d’accomplir les tâches pour lesquelles il avait été appelé.
Quelques minutes après avoir consommé la boisson, Hedga poussa un roque gémissement avant de s’effondrer. Zack, qui l’observait d’un œil tenace, la poussa sur son lit ; évitant ainsi d’attirer l’attention de sa petite sœur qui, trop occupée à chantonner parmi ses jouets, ne remarqua pas ce qu’il venait de se passer. Il profita de ce court moment, incertain d’où cela le conduirait si ce n’est à la mort s’il était découvert, pour voler la petite clé du collier d’Hedga. Cette minuscule clé ouvrait la serrure, tout aussi petite, de l’unique tiroir de la table de nuit d’Hedga. Dans ce qu’il savait être sa porte de sortie, Zack déroba le double de son cadenas, celui de sa mère ainsi qu’un petit coupe fil argenté qu’il jugea utile de garder. Il referma aussi vite le tiroir avant de la remettre à sa place autour du cou d’Hedga mais alors qu’il était prêt à rejoindre sa mère à la cave pour la libérer, il entendit l’homme entrer dans le chalet. Zack cacha immédiatement ses trésors et repris ses occupations.
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Merci d'avoir lu "Lait chaud et grelots" et Rendez-vous Vendredi 20 Janvier - 18h pour découvrir le chapitre 6 !