Chapitre 4 : Le Vicaire

Par Rouky

Ma fureur redoubla au fur et à mesure du récit du détective. Nous étions assis dans le bureau. Gallant, une couverture jetée sur ses épaules et Sergent Miaou endormi sur ses genoux, terminait de délivrer son témoignage. Un commissaire du nom de Jacques Barnet écoutait attentivement, prenait des notes.

Concentré, les sourcils froncés, le vieux policier hochait la tête de temps en temps, émettait un grognement surpris ou énervé.

- Où est passée la gamine ? Demandai-je à Gallant une fois qu’il eu cessé de parler.

- Je l’ignore. Elle a détalé quand la police est arrivée... Je n’ai même pas pu lui demander son nom.

Puis, se tournant vers le commissaire :

- Il faut la retrouver, monsieur. Je suis certain qu’elle possède des informations capitales !

- Je suis d’accord avec vous, répondit le Barnet. J’ai déjà mis des hommes à sa recherche, ils interrogent tout le voisinage. Malheureusement, elle n’habite pas le quartier où vous l’avez aperçu. Personne ne la connaît. Elle ne devait être que de passage.

- Et ce fameux Vicaire, alors ? Qui est-ce donc ?

Le commissaire nous regarda tour à tour, les lèvres pincées. Il gesticula sur sa chaise, mal à l’aise. Bien que nous ne soyons que trois dans le bureau, il se pencha en avant pour mieux nous parler. Nous l’imitâmes, et tendions l’oreille tandis qu’il murmurait :

- Ce que je m’apprête à vous révéler doit rester confidentiel, messieurs. Vous ne devriez rien savoir de tout cela. Toutefois, vous êtes désormais impliqués dans cette affaire, et il y a de fortes chances pour que ce criminel s’en prenne encore à vous. Il vaut donc mieux que vous sachiez tout... Le Vicaire est un fantôme. Homme, femme, jeune, vieux, une seule personne ou union de plusieurs criminels, on ignore tout de cette entité !

- Qu’a-t-il donc commis ? Demanda Gallant.

- Le Vicaire est impliqué dans des affaires de recèles, d’homicides et de chantage. A vrai dire, il s’agit de l’un des plus grands receleurs d’Europe ! Œuvres d’art, bijoux historiques, trésors anciens... Il met la main sur des objets qui valent une fortune. On estime qu’il possède une richesse égale à celle de la famille royale d’Angleterre !

- Comment ? M’écriai-je. Mais pourquoi ni la presse ni le public n’a-t-il jamais entendu ce nom ?

- Comme je vous l’ai dis, un certain nombre de chantages est attribué au Vicaire. Il fait toujours preuve d’une discrétion absolue, si bien que son existence même a été étouffé au mieux. Plusieurs personnes de haute naissance ont déjà cédés à son marchandage. Il a pour habitude d’échanger les trésors qu’il dérobe avec de vulgaires contrefaçons qui ne trompe personne. Non seulement il est inarrêtable, mais en plus il se moque de la police !

- Pourquoi l’avoir surnommé le Vicaire ? Questionna Gallant.

- Ah, ça ! C’est lui-même qui s’est accordé ce sobriquet ! A côté de chaque objet volé, on a retrouvé une lettre.

- Et que dit-elle, cette lettre ?

- “Que le Diable m’en soit témoin”, signé “Le Vicaire”. Nous n’avons pu relever aucune empreinte, aucun indice. Il ne travaille sûrement pas seul, mais nous n’avons jamais pu mettre la main sur un de ces larbins. Ce personnage soigne toute trace de son passage.

- Sauf aujourd’hui, annonça gravement Gallant. Vous le décrivez comme une personne très précautionneuse, qui fait attention à tout. Inarrêtable, inattaquable. Et pourtant, cette nuit, il a envoyé un laquais pour aller chercher un trésor entre les mains d’un pauvre sans-abri. Un laquais qui a ouvertement laissé échapper le nom du Vicaire, avant de s’enfuir sans terminer le travail, laissant deux témoins. Quelque chose ne colle pas.

- Le Vicaire a enfin commis une erreur, voilà tout ! Tant mieux pour nous. Grâce à cela, nous savons qu’il doit se trouver à Paris ou ses alentours. Nous avons une description d’un de ses laquais, quoique peu révélatrice. Et nous avons une arme du crime, ce fameux poignard. Nous avons trouvé les initiales “SC” sur le manche. Il s’agit d’ailleurs d’un poignard très ancien, qui a été volé il y a plusieurs années auprès d’un riche collectionneur.

- Vous pensez vraiment qu’une personne comme lui ait pu commettre une erreur aussi grossière ? Demanda Gallant, peu convaincu. Posséder un laquais aussi peu compétent, et l’envoyer en plein Paris pour assassiner un vieillard et laisser le travail inachevé ? Avant que les riverains ne viennent à nous, ce criminel avait largement le temps de donner un dernier assaut. Il aurait facilement pu nous tuer, quand bien même j’avais pris son poignard. Et je suis certain qu’il devait posséder d’autres armes. Au lieu de quoi, il s’est contenté de partir.

- Il a peut-être pris peur, suggérai-je.

Gallant secoua la tête et fronça les sourcils, visiblement en pleine introspection.

Le commissaire Barnet se leva.

- Erreur ou pas, un semblant d’étau se resserre sur ce criminel. Je vais laisser deux agents devant votre porte, pour au moins quelques semaines.

- Non, il ne faut pas ! Répliqua Gallant.

Barnet lui jeta un regard surpris.

- Mais ce criminel n’a pas retrouvé son trésor ! Il s’en prendra encore à vous, c’est certain !

- Justement, il doit s’en prendre à nous. Si vous laissez des policiers ici, il ne tentera jamais une nouvelle attaque. Or, si l’on veut mettre la main sur ce Vicaire, il faut capturer son laquais. Vous devez le laisser venir à nous. Maintenant que nous savons à quoi nous attendre, nous saurons mieux l’appréhender.

- Et si les choses tournent mal ? Si vous finissez blessés, voire pire ?

- J’ai conscience de ce que je vous demande, commissaire, et j’en accepte toutes les conséquences. Vous avez enfin la possibilité de mettre la main sur ce Vicaire qui ne cesse de vous humilier. Vous devez saisir cette chance. Faites-moi confiance, je vous prie.

L’air grave, le commissaire hocha lentement la tête.

- Bien, comme vous voudrez. J’espère seulement que rien ne vous arrivera.

- Je l’espère aussi. Mais ne vous inquiétez pas, mourir n’est pas dans mes intentions. Une dernière chose, monsieur. L’homme qui a été repêché dans la Seine, vous n’avez absolument aucune information sur son compte ?

- Quelques personnes affirment qu’ils l’avaient déjà vu traîner dans les bas-fonds de Paris. Apparemment, il s’agissait d’une petite frappe, mais personne ne sait réellement qui il est. Il semble n’avoir aucune famille, pas même de logis. Il vivait dehors, mais ne parlait à quiconque si ce n’est pour demander de l’argent.

- Très bien, je vous remercie.

Le commissaire s’inclina avant de sortir.

Une fois seuls, je jetais un regard noir au détective. S’en apercevant, il s’empourpra en haussant les sourcils.

- Qu’avez-vous donc ? Demanda-t-il.

- Par où commencer ? Ah, je sais ! Lorsque je vous ai rappelé que vous ne saviez pas vous battre, et que vous avez affirmer que Monsieur Violon et vous sauriez arrêter ce criminel ! Et voilà Monsieur Violon sauvagement assassiné. Ou dans le train au départ de Londres, quand je vous ai demandé de faire plus attention à vous ! Au lieu de quoi, vous avez failli finir égorger !

- Thomas, je comprends que vous vous fassiez du soucis pour moi, mais...

- “Soucis” n’est qu’une atténuation.

- ... mais le danger est partout lorsque l’on s’attaque à des criminels. D’autant plus s’il s’agit d’une organisation toute entière.

- Je sais. C’est pourquoi je ne vous demanderai plus de faire attention à vous, ce serait une demande obsolète. Non, à la place, je vais vous suivre comme votre ombre. Je ne vous quitterai pas une seule seconde. Si vous ne pouvez vous protéger, alors je m’en chargerai pour vous.

- Quand bien même cela vous expose au danger ?

- Oui.

- Très bien, alors nous affronterons ce danger à deux.

- Avec un peu de chance, ce Vicaire n’est pas aussi redoutable que le commissaire Barnet le prétend. Après tout, il a enrôlé un laquais fort idiot, qui a laissé échapper le nom de son employeur.

Gallant secoua la tête en faisant claquer sa langue. Sergent Miaou sursauta, puis se rendormit aussitôt.

- Non, dit Gallant. Le Vicaire est bel et bien dangereux. Mais c’est l’homme de main qui pose problème. Quelque chose ne va pas, mais quoi ?...

Il ferma les yeux, puis récita comme pour lui-même :

- Un homme possède un trésor. Un autre vient le lui prendre de force. Le premier tombe à l’eau avec le trésor. Un troisième rejoint le second, et les deux observent Monsieur Violon s’emparer du trésor. L’un d’eux, nous ignorons encore lequel, menace d’égorger Monsieur Violon. Quelques jours plus tard, c’est encore l’un d’eux qui assassine Monsieur Violon, et qui me menace, laissant échapper le nom du Vicaire avant de s’enfuir.

- Puis-je suggérer une hypothèse ?

- Je vous écoute.

- Le noyé possédait un trésor que cherchait à se procurer le Vicaire. Celui-ci a alors envoyé deux hommes de main pour aller le reprendre. Mais leur plan est contrarié, car Monsieur Violon s’empare de leur dû. Ils attendent alors quelques jours et profitent que Monsieur Violon soit seul pour l’interroger, mais Monsieur Violon refuse de leur dire où se trouve le trésor. Ils le tuent donc, sachant que nous aurions certainement la réponse que refusait de leur dévoiler Monsieur Violon. L’un d’eux, bêtement, a laissé échapper le nom du Vicaire lorsque vous avez tenté de bluffer en demandant à parler à l’un des leur.

- Cette théorie pourrait être plausible, mais il y a un élément crucial que vous avez oublié de prendre en compte.

- Lequel ?

- Les paroles de la gamine. “Ils se sont disputés”, voilà ce qu’elle a dit. Si elle parlait de nos criminels, alors pourquoi se seraient-ils querellés ?

- Pour plusieurs raisons. Peut-être un simple désaccord sur la manière de procéder ?

- Non, quelque chose ne colle pas...

- Gallant, vous avez traversé une épreuve qui a failli vous coûter la vie. Le matin va bientôt pointer son nez, et vous n’avez pas dormi. Allez vous reposer quelques heures, et nous reprendrons les investigations à votre réveil.

- Allez vous coucher, si vous le voulez. Moi, je vais m’assoupir ici.

- Pourquoi ne pas aller dans votre chambre ?

Ses yeux me fixèrent comme si j’étais devenu fou. Il baissa la tête vers le chat toujours endormi.

- Hors de question de réveiller Sergent Miaou, me reprocha-t-il.

- Vous avez vraiment perdu la tête, soufflais-je en me relevant.

Je sortis du bureau et montai vers ma chambre, le cœur lourd. Monsieur Violon était bel et bien mort, et pas de la manière la plus douce. Nous avions échoué à le protéger. Il nous avait demandé de l’aide, et nous avions été incapables de la lui fournir. Ne nous restait plus qu’à mettre la main sur son assassin, et à le jeter derrière les barreaux.

Malgré ma fatigue, je ne réussis pas à dormir, la culpabilité me rongeant de l’intérieur.

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