Chapitre 5 : Puzzle assemblé

Par Rouky

Je retrouvai Gallant dans le salon, occupé à siroter un café.

- Ah, vous êtes réveillé ! S’exclama-t-il en me voyant.

- Cela fait plusieurs heures que je suis debout. Mais je pensais que vous seriez encore endormi, alors je ne suis pas descendu. Je ne voulais pas vous réveiller.

- Fort aimable à vous, mais Sergent Miaou m’a réveillé peu de temps après que je me sois endormi.

- Nous étions donc tous les deux réveillés, mais ignorant que l’autre l’était également.

Gallant éclata de rire, les yeux pétillants de joie.

Je le fixais, confus. La veille, il avait échapper à une tentative d’assassinat, et avait vu de ses propres yeux les derniers instants de la vie d’un homme. Et voilà qu’il riait aux éclats ? Ne ressentait-il pas un semblant de tristesse ? Ou même de culpabilité ? Ne ressentait-il rien, ou bien avait-il décidé de camoufler ses véritables émotions ?

- Beaucoup de travail nous attend, aujourd’hui, déclara-t-il. Ou cette nuit, plutôt.

- Cette nuit ? Pourquoi attendre aussi longtemps ?

- Il nous faut d’abord retrouver la gamine. Or, les protagonistes de notre affaire semblent ne sortir qu’une fois l’obscurité tombée. Mon agresseur, en la voyant, s’est exclamé “encore toi !”. Ils se connaissent, mais pas pour des raisons amicales. A mon avis, la gamine cherche à échapper à ce criminel. Peut-être a-t-elle vu ou entendu des choses qu’elle n’aurait pas dû. Elle devrait donc attendre la faveur de la nuit pour se déplacer. C’est à ce moment-là que nous la chercherons.

- Alors, que faire en patientant jusque là ? Il nous reste encore plusieurs heures !

- Nous allons attendre, justement !

Et nous attendîmes.

Entre autres sujets de conversation, Gallant me parla d’ouvrages qu’il avait récemment lu, pendant que je faisais mine d’écouter d’un air attentif, alors que mon esprit était tourné vers Monsieur Violon et la culpabilité de sa mort.

J’aurai voulu parler à Gallant de l’oppression psychologique que je ressentais, mais je décidai de ne pas le faire. Il avait l’air si heureux en cet instant, à me parler des bouquins qu’il admirait, des auteurs qu’il avait découvert, à caresser Sergent Miaou quand celui-ci pointait le bout de son nez, que je ne souhaitais pas lui briser ce moment de félicité.

J’écoutais donc ce qu’il racontait, hochant poliment la tête, posant une question de temps à autre. Quand l’heure de déjeuner fut venue, il s’interrompit, et se mit aux fourneaux pour nous préparer de succulentes omelettes.

Je n’avais pas faim, mon estomac se tordant sous le poids de la culpabilité, mais je décidai tout de même de grignoter, afin de ne pas vexer le détective.

Quand le soleil fut sur le point de passer le relais à la lune, je sortis prendre l’air dans le jardin. J’inspirai une grande bouffée d’oxygène, puis fermais les yeux.

J’entendis des pas derrière moi, puis la voix de Gallant me demanda :

- Est-ce que tout va bien, Thomas ? Vous n’avez pas l’air... dans votre assiette.

Je ne pu m’empêcher de sourire en entendant cette drôle d’expression, puis je me tournai vers lui.

- Oui, me forçai-je à sourire. Oui, tout va bien.

Il fronça les sourcils, pas du tout convaincu. Mais je l’empêchai de réfléchir plus longuement.

- Allons-y, dis-je. Partons enquêter.

Je lui pris le bras et nous sortîmes, direction les bas-fonds de Paris.

Sans surprise, les quelques personnes qui étaient encore dehors nous regardaient soit avec surprise, soit avec méfiance. Certaines décidèrent même de rentrer dans leur maison en nous voyant arriver.

Les rares gens que nous pûmes interroger étaient tous d’accord pour dire qu’ils avaient déjà vu la gamine, mais que personne ne la connaissait. Certainement orpheline, elle n’avait personne pour prendre soin d’elle, et se baladait de rue en rue la nuit venue, dans l’espoir de trouver quelque nourriture dans les poubelles laissées à l’abandon.

Ma tristesse s’accrut en entendant la misère de cette pauvre enfant. Il nous fallait la retrouver, sa vie était en danger.

La frustration de Gallant ne faisait que croître à mesure que la nuit avançait mais que nous n’obtenions aucune nouvelle information. Personne n’avait vu la petite fille depuis la veille. Elle s’était comme évaporée.

Je vis Gallant serrait et desserrait les poings plusieurs fois, tournait à gauche, à droite, rebroussant chemin, jetant un regard par les fenêtres entrouvertes. Cette enfant lui avait probablement sauvé la vie en appelant au secours, et voilà qu’il ne parvenait pas à la trouver. Peut-être même le criminel lui avait-il déjà mis la main dessus. Je redoutais le pire.

A bout de nerfs, les pas de Gallant l’amenèrent jusque sur le fameux pont où s’était déroulé le vol du trésor. Il prit les escaliers qui nous firent descendre sur l’allée bordant la Seine. Il se laissa tomber si brusquement que je craignis qu’il ne glisse dans l’eau. Il resta assis là, les jambes pendantes au dessus du fleuve, le regard rivé vers la bordure opposée.

Je restais debout derrière lui. Nous restâmes ainsi quelques minutes. Gallant se mit à parler à voix basse, presque un murmure.

- Je comprends votre tristesse, dit-il. Je veux dire, par rapport à la mort de Monsieur Violon. Mais ne vous sentez coupable de rien, s’il vous plaît. Il est mort sous ma garde. Je devais simplement le surveiller, le protéger. Mais j’en ai été incapable. Il est mort pendant que je détournais le regard. Ne rejetez surtout pas la faute sur vous. Je suis le seul et unique coupable de cette tragédie.

Je secouais la tête, bien qu’il ne puisse pas me voir.

- Non, répondis-je. Je suis tout aussi coupable que vous, Gallant. Ne portez pas seul le poids de cette culpabilité. J’aurais dû être là. Nous savions que le criminel finirait par frapper. Nous aurions dû rester ensemble, voilà tout.

- Toujours aussi chevaleresque, à ce que je vois...

Il émit un petit rire.

- J’ai laissé mourir Monsieur Violon, et voilà que je suis incapable de protéger cette enfant. Elle est en danger, et on ignore même pourquoi. Un homme dangereux la recherche, tout comme nous. Se pourrait-il qu’il l’ait déjà trouvé ?

- Peut-être bien.

- Vous me cherchez ? Fit alors une voix dans notre dos.

Je me retournais. Gallant bondit sur ses pieds en m’imitant, et nous aperçûmes une petite fille à la tignasse rousse. Une robe jaune délavée lui faisait office d’unique vêtement.

A voir le large sourire qui illumina les traits de Gallant, je devinais aisément l’identité de notre interlocutrice.

- Te voilà ! S’écria le détective en avançant vers elle. Par tous les dieux, où étais-tu passée ? Et comment nous as-tu trouvé ?

- Peux pas vous le dire, répliqua la gamine en croisant les bras. Si j’vous le dis, le méchant homme risque de le savoir. J’me cache, c’est tout. J’vous ai juste suivi en douce, c’était pas bien difficile.

- Ce méchant homme dont tu parles, est-ce le même que celui de la veille ? Celui qui m’a attaqué ?

- Oui et non.

- Comment est-ce possible ? Demandai-je, interloqué.

- Y en avait deux quand j’les ai vu la dernière fois. Celui d’hier était là, mais y en avait aussi un avec les yeux bleus. Ils portaient les mêmes vêtements.

- Quand les as-tu vu ? Questionna Gallant.

Il se pencha en avant pour la regarder droit dans les yeux. Je l’imitai, formant à nous trois un cercle restreint.

- Y a un peu plus d’une semaine, je crois, reprit la gamine.

- Où cela ?

- C’était dans une arrière-court. J’étais en train de... de voler quelques pommes, quand j’ai entendu du bruit. J’me suis cachée derrière l’étendoir à linge. J’ai jeté un p’tit coup d’œil rapide, et j’ai vu les deux méchants hommes en train de discuter. Ou plutôt, en train de s’énerver. Celui aux yeux verts arrêtait pas de menacer celui aux yeux bleus.

- Qu’est-ce qu’il lui disait ? Est-ce que tu t’en souviens ?

La petite fronça les sourcils, puis tendit la paume ouverte vers le ciel. Je ne parvins pas à comprendre son geste. Mais Gallant, lui, sortit aussitôt quelques pièces de sa veste, les posant dans le creux de la main. Tout sourire, la fillette reprit :

- Il lui disait que le chef allait pas attendre encore longtemps. Que soit il retrouvait le trésor, soit son chef allait rompre tout contact avec quelqu’un appelé le Vicaire.

- Le Vicaire ? Répéta Gallant. Tu es sûr de bien avoir entendu cela ?

- Oh que oui ! L’ouïe de Margot lui fait jamais défaut !

- Bien, Margot, tu m’offre une aide précieuse. Que s’est-il passé, ensuite ?

- Celui aux yeux bleus a parlé d’un vieil homme qui aurait trouvé un trésor. Il a dit qu’il allait le lui reprendre. Yeux verts lui a alors dit de faire attention, qu’apparemment le vieux avait demandé de l’aide à un détective. C’est pour ça que j’ai deviné ce que vous veniez faire, hier. Un homme habillé comme vous, en train de suivre un vieux monsieur dans un pauvre quartier. Evidemment que vous étiez le détective en question !

- Il a donc suivi Monsieur Violon jusque chez nous ? M’étranglai-je. Mais alors, ils savent où on habite !

- Calmez-vous, me dit Gallant. Nous allons régler cela après.

Puis, à l’attention de Margot :

- Ensuite, qu’ont-ils dit ?

- Euh...

Elle fronça à nouveau les sourcils, fit mine de réfléchir. Une nouvelle fois, Gallant sortit quelques pièces qu’il lui tendit.

- Il a parlé d’une église ! S’exclama Margot. Yeux bleus a dit qu’il allait reprendre le trésor, et que l’échange aurait lieu dans une église.

- Laquelle ? A-t-il précisé quelque chose sur cette église ?

- Yeux verts a justement demandé quelle église. Yeux bleus a simplement répondu “Là où le Diable sera notre témoin”. Puis ils ont fini de discuter. J’ai profité de ce moment là pour m’enfuir, en passant par un trou fait dans la palissade. Mais ils m’ont vu, et m’ont crié dessus. Je suis vite partie. Depuis, je me cache. J’ai peur de ce qu’ils me feraient, si...

Elle s’interrompit, déglutit. Gallant hocha lentement la tête.

- Merci beaucoup, Margot. Grâce à toi, toutes les pièces de mon puzzle sont assemblées. Merci infiniment d’être venue nous trouver, tu t’es montrée courageuse. Dis-moi, est-ce que tu as de la famille chez qui aller vivre ?

Margot secoua la tête, lèvres pincées.

- Non. Moi, j’ai été abandonné depuis que j’suis p’tite. C’est les gens de la rue qui m’ont nourri et élevée.

- Margot, est-ce que tu accepterais de séjourner chez nous ? Tu serais logée et nourrie, tu aurais un lit rien qu’à toi. Tu pourrais peut-être même aller à l’école !

Je souris face à la proposition généreuse que lui soumettait le détective. Margot, dont les yeux s’étaient illuminés, hocha vivement la tête. Elle ouvrit la bouche pour répondre.

Mais aucun son n’en sortit. Du sang s’écoula de la commissure de ses lèvres. Une seconde plus tôt, c’est le bruit d’une puissante détonation qui résonna dans Paris endormie.

Une tâche rouge apparut sur la robe délavée de la petite Margot, s’agrandissant en un cercle écarlate. Son corps inerte tomba vers l’avant. Gallant la rattrapa de justesse, tout aussi interloqué que moi.

Nous relevâmes les yeux vers l’origine du bruit. Un homme camouflé d’une écharpe violette et d’une capuche noire descendait lentement les escaliers, un pistolet à silex encore fumant pointé vers nous. Ou plutôt, pointé sur le cadavre de Margot.

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