Nevra avait perdu le combat, même s'il aurait été plus juste de dire qu'il avait laissé Rena gagner. Au fond, une fois son accès de jalousie passager évanoui, l'idée de s'entraîner en compagnie de la yôkai n'était pas si déplaisante. Puis il ne voulait pas gâcher une amitié qui venait à peine de commencer pour de telles futilités.
— J’ai perdu, grimaça Nevra en déposant les armes. Je ne pensais pas être aussi rouillé. Ça fait longtemps que je ne suis pas venu m'entraîner, je vais devoir tout reprendre à zéro.
Sakumo avait applaudi leur combat, non seulement pour féliciter la victoire de la yôkai, mais aussi pour saluer la galante défaite du vampire. Son disciple avait docilement et subtilement courbé l'échine face à son adversaire, sans laisser entrevoir la moindre arrogance, afin que son amie puisse s'attribuer tous les mérites de cette victoire. Pour une fois, le garçon avait fait preuve de sagesse et de maturité, une qualité rare qu'il convenait d'encourager et de cultiver dès les premiers bourgeons ; les arbres les plus forts étaient ceux qui protégeaient les plus faibles de leur ombre.
Pourtant, à chaque médaille, son revers. Le tanuki avait donc gardé ce compliment pour lui. Couvrir Nevra de louanges ne ferait qu'aggraver son manque d'humilité, une vertu qui lui faisait cruellement défaut. En revanche, il lui avait accordé un moment de répit en l'invitant, lui et son amie, à prendre le thé.
***
Alors qu'ils venaient de s'installer autour du service à thé, quelqu'un poussa la porte du dojo.
— Ah ! Nous avons un invité surprise. Viens, entre. Nous nous apprêtions justement à prendre le thé.
Nevra et Rena se retournèrent pour accueillir la personne que Sakumo venait de saluer. Figée dans l'embrasure de la porte coulissante, le corps drapé d'une cape en velours d'un violet sombre et le visage dissimulé sous un large capuchon, la silhouette filiforme semblait hésiter.
— Je reviendrai plus tard, marmonna l'inconnu en amorçant un mouvement pour tourner les talons.
— Tut tut tut ! Pas de ça avec moi ! protesta Sakumo en lui faisant signe de les rejoindre. Viens là, je vais te présenter mes nouveaux disciples.
L'encapuchonné émit un claquement de langue agacé, mais se plia aux ordres du tanuki et vint prendre place à ses côtés, face aux deux jeunes faeries.
— Je vous présente Scorpio. Il a été mon disciple juste avant vous. Il a achevé sa formation il y a cinq ans, maintenant. Scorpio, voici Nevra Dragoman et Rena Yukihira. Que dirais-tu de les former avec moi ?
— Non.
Son ton était catégorique et un peu méprisant. Nevra lui jeta un regard mauvais. Il n’aimait pas l’aura qui se dégageait de cet étranger aux allures d’assassin cruel et sadique.
— Dommage, fit Sakumo en haussant les épaules, habitué au mauvais caractère de son disciple. Tu ne sais pas ce que tu rates. Ils ont un véritable potentiel, mais grâce à toi ils pourraient devenir des combattants exceptionnels.
— J'ai assez de boulot comme ça. J'ai autre chose à faire que de materner des morveux qui veulent jouer aux héros.
— Eh ! Qui c'est que tu traites de morveux ?! s'emporta Nevra, outré par les insultes à peine déguisées de son aîné. De toute façon, on ne veut pas de toi non plus ! Plutôt mourir que de t'avoir comme maître !
— Imbécile. Tu ne survivrais pas plus de cinq minutes à mon entraînement de toute façon, sale mioche.
— Ha ha ! Toujours le mot pour rire, ce Scorpio ! Allons, allons ! Trêve de plaisanterie, trinquons à cette plaisante réunion !
Sakumo mit fin à la chamaillerie en remplissant les tasses de chacun.
— C'est pas du thé, ça ! nota le vampire en jetant un œil suspect en direction du liquide transparent que se servait maître Sakumo.
— Le thé renforce le corps, le saké ouvre l'esprit. À chacun ses besoins.
— Pff... Vous n'êtes qu'un vieux tanuki alcoolique !
Nevra se mordit la lèvre, maudissant intérieurement sa langue insolente, mais sa remarque avait au moins eu le mérite de faire ricaner Scorpio. Le saké devait réellement ouvrir l'esprit, car au lieu de lui lancer un regard courroucé, même son maître esquissa un sourire amusé, ses yeux rieurs creusant légèrement les rides de son visage entre deux âges. Il porta la coupelle de vin de riz à ses lèvres, habituellement dissimulées sous un foulard, le tanuki répugnant à exposer son faciès lorsqu'il se trouvait en public. Son disciple l'avait déjà interrogé au sujet de ce curieux comportement, et Sakumo lui avait simplement répondu qu'il cachait son visage pour entretenir le mystère et faire parler les curieux.
Pendant ce temps, Scorpio remplissait sa tasse de sucre, à tel point que son thé avait pris un aspect plus solide que liquide, et qu'il avait entrepris de « manger » le breuvage à la petite cuillère. Contrairement au tanuki, il avait gardé sa capuche, et on ne distinguait rien d'autre que ses fines lèvres, d'un rose pâle tirant sur le lilas, un teint clair un peu rosé, ainsi que quelques mèches de cheveux d'un violet profond. Nevra secoua la tête en le dévisageant d'un air dépité. Ce type était vraiment trop bizarre.
— Qu'est-ce que tu regardes ? aboya Scorpio d’une voix rauque et caverneuse, en menaçant le vampire du menton. Tu veux mon autographe ?
— Non, m'sieur. Mais ma marraine m'a dit que l'abus de sucre, c'était mauvais pour la santé.
— Et tu veux savoir ce qu'elle a dit ma marraine ? Elle a dit qu'un bon vampire, c'était un vampire avec un pieu dans le cœur.
— Scorpio ! gronda Maître Sakumo. Arrête, tu vas lui faire peur. Ne le prends pas trop au sérieux, Nevra. Il dit ça pour plaisanter, ne t'inquiète pas. Il n'est pas si méchant que ça, dans le fond. Enfin, je crois ?
Sakumo jeta un regard nerveux en direction de son disciple qui se contenta de hausser les épaules.
— Je n'ai pas peur de lui, répliqua Nevra en lançant un regard de défi à son aîné. Tu as peur, toi, Rena ?
— Un peu, admit timidement la yôkai qui trouvait l'aura du disciple particulièrement déplaisante, pour ne pas dire menaçante.
Le regard de Sakumo passa furtivement de Scorpio à Rena, qu'il sonda un moment, avant d'orienter la conversation vers un autre sujet.
— Rena, puisque tu es l'invitée d'honneur aujourd'hui, je t'en prie, tu peux me demander ce que tu veux, j'y répondrai le plus honnêtement possible.
— Hm... réfléchit la jeune fille. Vous avez d'autres élèves à part nous ? Je veux dire, en ce moment.
Le tanuki secoua la tête.
— J'en avais un, maintenant j'en ai deux. Tu ne trouves pas cela suffisant ?
— Euh... Si, mais Nevra m'a dit que vous étiez le meilleur maître d'armes de la Cité d'Eel. Je pensais qu'il y aurait plus de monde.
— C'est justement parce que je suis le meilleur, non pas de la Cité d'Eel, mais de tout Eldarya, que mes services se méritent. Je ne transmets pas mon savoir à n'importe qui. Ce qui veut dire que vous, mes chers enfants, avez gagné le gros lot ! Ha, ha, ha ! Santé !
Le tanuki leva jovialement sa coupelle en direction de ses deux élèves, puis la vida d'un trait.
— Et Nevra, comment est-il devenu votre élève ? voulut savoir la jeune yôkai.
— Il m'a eu à l'usure. Je comptais prendre ma retraite et je ne prévoyais pas de prendre de nouveaux élèves, mais il a insisté. Il a campé devant le dojo nuit et jour pendant des semaines. Il me faisait de la peine, alors j'ai cédé. Et tu veux que je te dise un secret, Rena ? ajouta Sakumo en prenant un air mystérieux.
Il murmura quelques mots à l'oreille de la jeune fille, qui ne put s'empêcher de glousser tant la révélation était cocasse.
— Rena, pourquoi tu rigoles ? Qu'est-ce que vous lui avez dit ? demanda Nevra qui se sentait vexé d'être mis à l'écart de leurs messes basses.
— Ça s'appelle l'art de converser avec les femmes, répondit le tanuki aux yeux rieurs. Un jour, quand tu seras en âge de comprendre, je t'enseignerai cet art secret, et tu pourras prétendre au titre de Conquérant des Mille Nymphes.
— C'est quoi cet enseignement au titre douteux ? interrogea Nevra en arquant un sourcil. Puis les filles ne m'intéressent pas, c'est une perte de temps. J'ai des choses plus importantes à faire.
Scorpio avait discrètement levé les yeux au ciel à la mention du titre honni. Sur ce point, il partageait l’avis du jeune vampire, même s’il n’en montrait rien.
— Vraiment ? fit son maître en se caressant le menton, l’air songeur. Je vois pourtant un réel potentiel en toi dans ce domaine-là. Qu'en pensez-vous ? N'a-t-il pas l'allure d'un véritable petit prince charmant ?
Le vampire était rouge d'embarras.
— Arrêtez ! On croirait entendre ma marraine qui me dit toujours que je suis le plus beau garçon du monde et que je vais faire tourner la tête à toutes les filles du royaume.
Scorpio ricana méchamment, mais il n'était pas le seul à se payer la tête du vampire. Même Rena avait pouffé de rire. À l'entendre, difficile de savoir s'il se plaignait réellement d'être victime de ces compliments mirobolants ou s'il se jetait des fleurs.
— Quoi ? Pourquoi vous rigolez ? Vous êtes jaloux c'est ça ?
— Désolée, s'excusa Rena, mais c'est drôle de t'imaginer en prince charmant.
— En quoi c'est drôle ?
— C'est juste drôle, et tellement improbable.
— Et complètement con, renchérit Scorpio en plongeant sa cuillère dans son sucre au thé.
— Tch ! C'est ça, allez-y, moquez-vous. Rira bien qui rira le dernier. Faudra pas venir pleurer quand je serai marié à la plus belle femme du royaume, et que vous, vous serez seuls et misérables !
— Dans tes rêves peut-être, gamin, se moqua son aîné en lâchant un rire dédaigneux. Vous voulez pas aller jouer à la marelle dehors et laissez les adultes discuter de choses réalistes et importantes ?
— Allons, allons, tempéra alors maître Sakumo sans se départir de son sourire amusé. Je crois que nous avons suffisamment rigolé pour aujourd'hui, aux dépens de notre pauvre ami Nevra, qui plus est. Je dois m'entretenir avec mon cher ami Scorpio ici présent. Nous reprendrons les leçons demain. D'ici là, Nevra, je compte sur toi pour expliquer à Rena les règles du dojo et les principes fondamentaux du Style des Mille Lunes Fantômes.
— Pourquoi c'est à moi de lui expliquer tout ça ? C'est vous le maître !
— Rappelle-moi la règle numéro une de ce dojo, Nevra ?
— Ne jamais contester les ordres de son maître, bougonna le vampire. Mais quand même, vous abusez...
— L'abus est au feignant ce que la discipline est au guerrier. Le rôle d'un disciple est aussi de savoir prendre soin de ses camarades et de les aider à progresser. Puisque tu as commencé avant Rena et que tu as plus d'expérience qu'elle, c'est à toi de l'aider à rattraper son retard.
Le garçon acquiesça. Le problème était que lui-même n'avait jamais vraiment bien compris ce qu'était le Style des Mille Lunes Fantômes, les explications de Maître Sakumo étant quelque peu vagues et bien trop proverbiales pour avoir le moindre sens. Sur le chemin du retour, il s'efforça tout de même de résumer le principe de ce style de combat à sa camarade.
— En gros, c'est un mélange de combat et de magie. Il faut savoir manier toutes sortes d'armes, mais aussi maîtriser la magie, en particulier la magie d'illusion et la téléportation.
— Je ne suis pas très douée en magie, fit Rena, la mine déconfite.
— Si tu t'entraînes, tu finiras bien par progresser.
— Et les entraînements, ils ressemblent à quoi ? C'est dur ?
— Parfois oui, parfois non. Le pire c'est la méditation et les tâches ménagères, mais le reste ça va.
— Les tâches ménagères ? Ça fait partie des leçons aussi ?
— Probablement pas, mais vu que les cours sont gratuits, Sakumo me fait nettoyer le dojo à fond une fois par semaine. Mais la bonne nouvelle, c'est qu'à deux ça ira plus vite et ce sera moins fatigant.
— Et plus drôle ! renchérit la jeune fille en ponctuant sa remarque d'un rire léger.
Nevra acquiesça en souriant à son tour. Il trouvait Rena plus radieuse et enjouée depuis quelques semaines. Tous ses problèmes ne s'étaient pas envolés, elle se sentait encore triste et déprimée par moment, mais elle avait retrouvé un peu de joie de vivre et semblait prête à aller de l'avant.
Sinon j'avais complétement oublié le nom de scorpion. J'ai vu ça grâce au commentaire de Solaq G. Ma théorie c'est qu'il s'occupe de mission trop délicate pour la garde d'el qui n'ont officiellement jamais existé. C'est pour ça qu'il masque son visage quand il agit sous le nom de Solag. Soit ça soit il est avec le méchant pas gentil et très aigri.
Sinon c'est sympa que Rena aille mieux. Comment le tanuki peut-il être vieux ? Ils n'ont pas une longévité infini ?
Je comprends mieux comment Nevra est devenu aussi populaire. Il suit la voie des 1000 nymphes. Un art intéressant 👀
Oui, ça n'apportait pas grand-chose de décrire le combat en vrai là. x)
Tu peux être vieux tout en étant éternel, vu que tous les faeries n'ont pas la même maturité, certains sont nés récemment, d'autres il y a bien plus longtemps, tout est relatif, mais si tu as mille ans ou même juste 100 ans, tu es perçu comme "vieux" par un jeune faery de 10 ans à peine, clairement. x) C'est pas une question d'apparence, plus une question d'années d'existence par rapport à d'autres ( et donc de maturité et d'expérience).
Pour Scorpio je dis rien, c'est un personnage très complexe avec un super background, et clairement mon personnage préféré, donc je veux rien spoiler à son sujet. x)
C'était un chapitre vraiment sympa à lire ! J'avoue que j'ai pas grand chose à dire.
C'est assez drôle de voir Sakumo preshot le futur tempérament de Nevra, avec la réputation qui va avec (même si apparemment, c'est un peu à cause du rejet de Rena (je rejette pas la faute sur Rena, par contre !))
Scorpio est assez drôle, aussi. Il est honnête, quoi ! Et j'me demande aussi s'il ne va pas influencer Sakumo avec toute cette histoire et l'antagoniste qu'il rejoint plus ou moins après ?
En tout cas, c'est assez intéressant de lire l'enfance de Nevra tout en connaissant le devenir de certains persos !
Oui, Scorpio c'est un personnage que j'aime beaucoup, probablement celui qui me tient le plus à coeur avec Necro, mais il est aussi très complexe avec un caractère assez retors, donc pas facile à gérer en termes d'écriture. x)
J'en dis pas plus sur son parcours, tu auras les réponses à tes questions plus tard, comme toujours. ^^
J'aime bien faire ça, présenter d'abord une facette des personnages, puis explorer leur passé pour comprendre ce qui les a amenés à devenir ce qu'ils sont devenus.