Bureau d’Alexandre Benet – Lundi 04 novembre 2002
Charles-André toqua à la porte et reçut la permission d’entrer. Alexandre Benet se leva à son approche et s’inclina rapidement. Il répondit d’un simple geste de la tête.
- Tout s’est bien passé avec Isabelle ? demanda Benet.
- À merveille, répondit Charles-André. Isabelle est une perle. Quelle fantastique cuisinière. Je n’ai jamais aussi bien mangé que durant ces vacances. Vous devriez songer à en profiter.
- Je ne mange pas. C’est une perte de temps et d’énergie.
Charles-André sourit. Il ne concevait pas la vie ainsi mais chacun était libre de ses choix.
- Polie, docile, soumise, fidèle au royaume et mignonne, ce qui ne gâte rien.
- Vous ne l’avez pas touchée ? gronda Benet la mâchoire serrée.
- Sexuellement, vous voulez dire ? Non, je sais me tenir. C’est votre jouet.
- Ce n’est pas mon jouet, cracha Benet visiblement insulté. La magie va faire un bond prodigieux en avant grâce à mon expérience dont Isabelle est le sujet d’étude, rien de plus.
Charles-André sourit. Il manipulait la jeune femme pour arriver à ses fins. À ses yeux, c’était son jouet. Peu importait la finalité de l’usage. Quand on se sert de quelqu’un de cette manière, c’est une marionnette et un pantin de bois est un jouet. Charles-André n’insista cependant pas, ne voulant pas entrer dans ce débat avec son interlocuteur.
- Je tenais à vous féliciter pour votre dressage. Elle est tellement convaincue d’être dangereuse qu’elle a réclamé le collier de souffrance et m’a remercié à chaque usage.
- Vous l’avez mise sous collier de souffrance ? s’étrangla Benet. Mais pourquoi ?
- Quinze jours pour un premier sevrage magique, rappela Charles-André en constatant que le chercheur n’y avait pas pensé non plus. Qu’elle craque était prévisible.
Le visage de Benet se détendit. Il fit la grimace, admettant par ce geste la justesse des propos de son interlocuteur.
- Qu’est-ce qui a déclenché les crises ? demanda Benet, probablement intéressé pour son étude.
- Une brûlure, une écorchure, une noyade, une…
- Noyade ? s’exclama Benet. Je me suis fait chier à lui apprendre à nager pour rien ?
- Un lieu rempli de monde, un toboggan un peu surprenant, elle a été surprise et a bu la tasse. Ses pouvoirs ont surréagi. Ils avaient tellement envie de sortir. Le moindre prétexte était bon.
Benet hocha la tête.
- Vos vacances ont été agréables ? demanda Charles-André.
- Excellentes !
- Les miennes aussi, assura le guide. Je serai ravi de remettre ça à Noël.
- Et moi donc !
- Puisse l’amitié entre votre sujet d’étude et mon fils durer.
Les deux hommes rirent.
Lycée de Fairview – Lundi 04 novembre 2002
Isabelle se rendait à la bibliothèque après son cours de magie avec monsieur Benet. Elle avait espéré qu’après deux semaines de repos, entourée de magie créée par un cercle 5, son esprit aurait compris ce qui était attendu. Rien à faire. Ses pouvoirs restaient dangereux. Seul point positif : son précepteur était d’excellente humeur.
Une ombre apparut devant Isabelle, lui coupant la route.
- Devoir, indiqua Korlan en lui tendant un énoncé de calligraphie.
Isabelle ne s’en saisit pas. Elle leva les yeux sur le quatrième année, le fixa et dit posément :
- Non.
- Pardon ? s’exclama Korlan éberlué.
- J’ai dit non.
Elle ressentit l’apparition du collier de souffrance et son activation. Malgré la douleur, elle resta stoïque devant Korlan qui ouvrit de grands yeux stupéfaits. Pendant une dizaine de jours, Isabelle avait subi quasi quotidiennement le collier de souffrance d’un cercle 5. Celui de Korlan n’était rien en comparaison. À peine une piqûre de moustique.
- Il va falloir faire mieux que ça, indiqua Isabelle avant de s’éloigner en souriant.
Le collier, qui prenait de l’énergie pour rien à Korlan, disparut. Isabelle rejoignit la bibliothèque en sautillant.
- Tu pourrais me donner ton adresse histoire que je remercie ton père ? demanda Isabelle à Hubert qui prenait des notes depuis un ouvrage emprunté.
Il leva les yeux sur elle.
- Te voir souriante est un vrai bonheur, assura-t-il. Ces vacances t’ont vraiment fait du bien. Tu reviens à la maison pour Noël, bien sûr !
Isabelle perdit tout sourire. Noël chez les de Ranti ? Dans cette atmosphère glauque et pesante ? Valait-il mieux un Noël dans ces conditions ou pas de Noël du tout ? Isabelle eut du mal à trancher.
- Je comprends, assura Hubert. Je n’ai pas été assez présent avec toi. J’étais tellement content de pouvoir passer autant de temps avec mon père que je t’ai délaissée. C’est ma faute. Je t’accorderai davantage la prochaine fois.
Isabelle ne le contredit pas. Elle ne voulait pas le forcer à voir la réalité en face. Il vivait dans son monde merveilleux, aveugle aux tourments que son père infligeait à sa mère. Ce n’était pas à elle de lui ouvrir les yeux.
- Je vais y réfléchir, promit Isabelle.
La rotonde – Mardi 05 novembre 2002
- Pourquoi cette rencontre ? demanda Philippe.
Rencontrer les sorciers mensuellement l’ennuyait déjà. Devoir en réaliser une de plus l’exaspérait carrément. Farid El’Glem fit glisser une feuille vers lui. Le roi des magiciens s’en saisit et la lut : « Philippe Stanson, roi des magiciens, va mourir dans l’année ». Il blêmit.
- Fiabilité de la prédiction ? demanda-t-il.
- Très forte. Nos trois meilleurs devins ont confirmé, dit Farid El’Glem.
Philippe sentit sa gorge se nouer.
- Voici Eldrem Fansy, notre meilleur devin. Il a été convié afin de pouvoir répondre à vos éventuelles questions, précisa Farid El’Glem.
- Vos prédictions sont-elles évitables ? demanda Philippe.
- Comment ça ?
- Jusque-là, j’ai toujours considéré vos prédictions comme une information me permettant de me préparer à ce qui allait se passer. Peut-on les éviter ? Peut-on agir pour changer l’avenir ?
- Bien sûr, répondit Farid El’Glem. D’où la présence du devin Fansy. Posez-lui votre question. Il fera son possible pour y répondre.
- Je ne sais pas. N’importe quoi qui m’aiderait à empêcher ça. Une information, peu importe laquelle.
Eldrem Fansy s’approcha du roi et sortit une boule de cristal de son sac en bandoulière, la caressant comme si elle fut sa maîtresse. Philippe se retint de rire. Le moment était trop grave pour se moquer. Eldrem Fansy s’installa et se concentra. Il grimaça, pencha la tête, fronça les sourcils puis ouvrit les yeux, l’air perdu.
- Mettez vos deux mains sur la boule, s’il vous plaît, demanda le devin.
- Le tirage est à ce point flou ? s’étrangla Farid El’Glem.
Philippe n’y connaissait rien en divination, cet art réservé aux sorciers. Il ignorait que cet acte put être grave. Il fit comme demandé et le devin referma les yeux, posant uniquement le bout de son index gauche sur la boule, naviguant ainsi a priori au hasard. Philippe, lui, ne ressentait rien, le néant.
Finalement, le devin, les yeux toujours fermés, demanda à avoir une feuille de papier et un crayon. Les sorciers présents se lancèrent des regards éberlués. Visiblement, cette demande était anormale.
- Tenez la feuille, demanda le devin à ses comparses.
L’un d’eux vint le faire tandis qu’Eldrem Fansy dessinait sur la feuille de sa main droite, à l’aveugle. Ce fut rapide. Le devin lâcha la boule, semblant exténué. Philippe retira sa main de cet objet magique comme s’il fut recouvert d’une saleté gluante et malodorante. Comme tous les magiciens, il détestait s’approcher de la sorcellerie.
Fier de lui, le devin lui tendit la feuille. Sur celle-ci était dessiné un arbre sortant d’un cercle coupé en son sommet pour laisser passer les branches. Philippe observa le cadeau, las par avance.
- C’est quoi ? demanda-t-il.
- La réponse à votre question, répondit le devin très sérieusement. C’est votre indice pour tenter d’empêcher votre mort prochaine.
- Les symboles sont les trucs des sorciers, rappela Philippe. J’ignore tout de leur signification.
- Je n’ai jamais vu ce symbole auparavant, dit Farid El’Glem et tous les sorciers confirmèrent.
- Eh bien, cherchez ! ordonna Philippe, maintenant énervé.
Putain d’indice à la noix ! Qu’était-il censé faire de ça ? C’était ridicule !
- Rappelez-moi quand vous aurez trouvé ce à quoi cette chose se réfère.
La rotonde – Mardi 12 novembre 2002
La semaine suivante, Philippe comprit que les sorciers n’avaient rien.
- Nous avons demandé à nos meilleurs symbologues, indiqua Farid El’Glem. Aucun n’a jamais vu ce dessin. Ceci dit, c’est de vous dont il s’agit. Il y a fort à parier que ce schéma appartienne à l’univers des magiciens.
- Nous n’utilisons pas de symbole ! gronda Philippe.
Farid El’Glem haussa les épaules. Philippe grogna avant de contacter le conservateur de la grande bibliothèque impériale. Après tout, cela lui coûtait quoi ? Par télépathie, il envoya le dessin et demanda au vieil homme en charge de la connaissance si ce symbole signifiait quelque chose pour lui.
« C’est le blason de Diophène », répondit le conservateur.
La bibliothèque impériale – Mardi 12 novembre 2002
Philippe se téléporta près du directeur de la bibliothèque, préférant avoir cette conversation en face à face que par la pensée. Peu lui importait de laisser en plan les sorciers. Ils attendraient.
- Qui ça ?
- Diophène était un grec ancien, indiqua le conservateur.
- Jamais entendu parler, répondit Philippe.
- Ça date, la Grèce antique.
Philippe lui envoya un regard noir. Le conservateur sourit. Il semblait satisfait de savoir quelque chose que son roi ignorait. Son petit sourire satisfait lui tapa sur les nerfs mais Philippe ne se mit pas en colère. Il avait besoin de cet homme, terriblement. Sa vie en dépendait !
- Qu’a-t-il fait de particulier ? demanda Philippe.
- Il a tué des dizaines, peut-être même des centaines de milliers de magiciens.
- Quoi ?
- Diophène était un fanatique illuminé. Il a réussi à réunir quelques adeptes formant ainsi un genre de secte dont il était le gourou. Il pensait que la magie était limitée. Par conséquent, s’il voulait avoir beaucoup de pouvoir, il fallait tuer les autres magiciens. C’était d’une logique imparable.
- Sauf que la magie est illimitée, répliqua Philippe.
- Diophène pensait le contraire.
- Pourquoi prendre des adeptes en ce cas ? Cela l’obligeait à partager avec eux.
- Probablement parce qu’il n’aurait pas réussi à vaincre autant de magiciens seul, proposa le conservateur.
- Il était blanc ou noir ?
- Aucune idée. Les textes ne le précisent pas. Les vainqueurs écrivent l’histoire. Or Diophène et ses adeptes ont été exterminés. Vous imaginez bien que les magiciens ne se sont pas laissés tuer sans répliquer.
- Cette secte pourrait-elle ressurgir ? bafouilla Philippe, complètement perdu.
- Je vois mal comment, dit le conservateur. Il s’agit d’un groupe de fanatiques illuminés ayant vécu il y a plus de deux mille ans. Leur secte a existé une dizaine d’années en tout, à peine. Pourquoi quiconque voudrait faire renaître cette croyance stupide que la magie serait limitée ? Nous avons la preuve tous les jours que ce n’est pas le cas. Qui a déjà essayé de faire un sort et se l’est vu refuser par manque de magie ? Personne, alors que des millions de magiciens et de sorciers arpentent ce monde. Diophène avait tort, un point c’est tout. Et même s’il avait raison, qui était-il pour choisir qui pourrait vivre ou mourir ? En effet, son mode de choix pour les adeptes reste un grand mystère. Certains étaient jeunes, d’autres vieux. Il proposait tout autant à des riches qu’à des pauvres, des hommes, des femmes, sans regard pour les origines.
- Et probablement le type de magie, comprit Philippe.
- Je suppose. Je ne sais pas. Aucun texte aussi vieux ne scinde les magiciens en deux clans. La première distinction écrite date du douzième siècle. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existait pas avant. Nous n’en avons juste pas retrouvé mention.
Philippe hocha la tête. Il se téléporta de nouveau dans la rotonde.
La rotonde – Mardi 12 novembre 2002
- Comment suis-je censé mourir ? demanda Philippe en constatant que le nombre de sorciers présents avait crû.
Un sorcier inconnu s’avança. Avec beaucoup de sérieux, il plaça de la poudre noire et de l’eau bouillante dans une cafetière à l’italienne, attendit en se concentrant, versa le résultat dans une tasse, la prit dans ses mains et la remua imperceptiblement. Philippe sentait sa patience s’émousser. Les manières des adorateurs de chats noirs l’exaspéraient prodigieusement. Pas étonnant que les sorciers perdent systématiquement contre les magiciens. Leur magie demandait tellement de temps ! Les magiciens avaient dix fois le temps de le tuer pendant qu’ils incantaient.
- Buvez-le en pensant fortement à votre question.
Philippe détestait le café. Il se força à avaler ce truc immonde sans lait ni sucre. Le devin reprit la tasse vide, ne regarda qu’un millième de secondes dedans et annonça :
- Meurtre. Quelqu’un va vous tuer.
Philippe explosa de rire.
- Je suis cercle 10. Personne ne peut me tuer.
- La prédiction dit le contraire.
- Pouvez-me dire où se trouve cette personne ?
Le devin au marc de café recula et un autre prit sa place. Un planisphère fut posé sur la table et le devin sortit un pendule de sa poche. Il le fit tourner autour du corps céleste factice et le bout argenté se colla soudain sur sa surface. Les sorciers entourant le devin observèrent l’endroit, retirèrent la fausse Terre et déployèrent une carte.
Philippe constata qu’il s’agissait des États-Unis, le pays où se trouvait son palais. Chez lui ? Carrément ! Le pendule s’arrêta une fois de plus. Les sorciers relevèrent le lieu et fouillèrent à la recherche de la carte correspondante. Philippe reconnut son état. Impossible ! Son meurtrier était proche de lui. Méfie-toi de tes ennemis, mais encore plus de tes amis. Se pouvait-il qu’il y ait un traître parmi ses plus proches collaborateurs ? Philippe se mit à trembler, plein de rage et d’incompréhension.
« Fairview », reconnut Philippe. Loin du palais. Il soupira d’aise. Au moins, le meurtrier ne le saluait pas chaque matin.
- Le meurtrier se trouve au lycée de Fairview, annonça Farid El’Glem. Nous ne pouvons pas être plus précis que ça.
- Le lycée de Fairview ? s’exclama Philippe. C’est notre meilleur établissement. Nos plus brillants magiciens y sont formés par la crème de la crème. Je ne peux pas tuer tout le monde là-bas ! Il me faut davantage de précision !
- Nous ne pouvons rien faire de plus, annonça Farid El’Glem.
À ces mots, les sorciers s’éloignèrent. Philippe enragea tout en admettant qu’ils avaient déjà fait beaucoup. Maintenant, c’était à lui de jouer.
Bureau d’Alexandre Benet – Mercredi 13 novembre 2002
Alexandre observa le dessin transmis par le roi – Vive le roi. Il pencha la tête, retourna la feuille puis fronça les sourcils en secouant la tête. « Ouvrez grand les yeux et les oreilles. Contactez immédiatement un guide de la lumière si quelqu’un, n’importe qui, se retrouve lié à ce symbole. » Alexandre fit la moue. Un symbole ? Pourquoi quiconque ici y serait-il associé ? Les dessins étaient des trucs de sorcier, pas de magicien.
Et puis, un arbre sortant d’un cercle ouvert en haut ? Ça ne ressemblait à rien. C’était laid. Alexandre soupira. Il avait autre chose à faire que surveiller tout le monde à la recherche d’un dessin. Certains professeurs avaient déjà décidé de vérifier les cahiers de tous les élèves à la recherche d’un gribouillage ressemblant à ça. Même les journaux intimes et les brouillons y passaient, pour l’instant sans succès.
Une certaine suspicion s’était instaurée entre les collaborateurs, chacun observant par dessus les épaules des autres les notes prises. L’ambiance était atroce. Alexandre détestait ça. Des coups retentirent sur la porte. Isabelle arrivait pour sa leçon.
- Entre, Isabelle, lança-t-il, obnubilé par la demande du roi – Vive le roi.
Isabelle entra, le salua poliment, puis s’assit à sa place. Il s’approcha d’elle, toujours préoccupé et pas du tout attentif à son sujet d’étude.
- Il représente quoi ce symbole ? demanda Isabelle.
Alexandre constata qu’elle regardait la feuille dans sa main. Inattentif, il n’avait pas prêté attention au fait que le message se trouvait dans le champ de vision de la jeune femme.
- Qu’est-ce que ça peut te faire ? cingla-t-il d’un ton froid, espérant la dissuader d’insister davantage.
Isabelle haussa les épaules avant de continuer quand même :
- C’est juste que je vois ce symbole tous les jours avant de m’endormir alors je suis curieuse.
- Quoi ? s’étrangla Alexandre.
Non ! Non ! Ça ne pouvait pas être elle. Il ne pouvait pas perdre seize ans d’études documentées, pas si proche du but ! Elle allait y arriver, il le sentait. Quelques mois supplémentaires, c’était tout ce qu’il demandait. Il touchait la réussite du doigt.
Le roi – Vive le roi - la cherchait. Pourquoi ? Elle n’était rien. Elle n’était personne. Qu’une larve sans droit. Alexandre en trembla de rage. Isabelle dut se sentir responsable car elle murmura :
- Pardonnez-moi. Je n’aurais pas dû insister.
- Tu ne me l’as jamais dit, accusa-t-il, ahuri.
- Je ne pensais pas cela important, se défendit Isabelle d’une voix terrifiée.
Jusqu’à ce matin, ça ne l’était pas. Maintenant, ça changeait tout. S’il appelait les guides de la lumière, il perdait tout. Sa réputation serait anéantie. Il devrait quitter le lycée de Fairview. Ce n’était pas envisageable.
- Prends ma main, ordonna-t-il, résigné.
Il allait devoir s’opposer à la volonté du roi. Cacher Isabelle le temps que ça se tasse. Ils finiraient bien par lâcher l’affaire en ne trouvant rien. Il était facile de mentir, de dire qu’il l’avait éloignée parce qu’elle l’avait défié et qu’il la punissait de cette manière.
L’important était qu’elle soit dans un endroit où aucun guide de la lumière n’irait jamais la chercher. Isabelle attrapa sans attendre la main tendue. Elle avait appris à obéir à tous les ordres.
Ils apparurent à l’endroit voulu. Alexandre grimaça. Il détestait se trouver là mais ici, au moins, personne n’irait la chercher. Il réfléchit rapidement. Quel mensonge pondre pour Isabelle ? Voilà, il avait trouvé.
- Isabelle, écoute-moi bien : le seigneur James Moriat veut te tuer.
- Quoi ? s’exclama Isabelle, clairement abasourdie et pétrifiée de terreur.
Le roi n’avait de cesse de tout mettre sur le dos de son bouc émissaire préféré. Un peu plus ne changerait rien.
- Pourquoi ? bafouilla Isabelle.
« Pourquoi le roi s’intéresse-t-il à elle ? Excellente question ! À cause d’un putain de symbole qu’elle voit en rêve ? N’importe quoi. »
- Parce que tu vois ce symbole, répondit Alexandre.
Pour qu’un mensonge paraisse vrai, il fallait y mettre un peu de vérité, même si celle-ci était ahurissante.
- Je ne sais même pas ce que c’est ! s’écria Isabelle, au bord de la crise de nerf.
« Moi non plus », pensa Alexandre.
- Cet endroit est le dernier où il penserait à venir te chercher. Ici, tu seras en sécurité. Je reviendrai te chercher lorsque l’orage sera passé.
- Dans combien de temps ? demanda Isabelle, maintenant sur le point de fondre en larmes.
Elle souffrait psychologiquement, c’était évident. Il s’en fichait. Il ne pouvait pas perdre sa recherche. Des années de sacrifice jetées par les fenêtres ? C’était hors de question !
- Je ne sais pas, Isabelle, admit Alexandre. Espérons que le seigneur James Moriat perdra patience et finira par renoncer, ne te trouvant pas.
- Quel est cet endroit ? demanda Isabelle en observant l’immense couloir vide autour d’elle.
- C’est une école de sorcellerie, indiqua Alexandre.
- De sorcellerie ? s’étrangla Isabelle.
Lui aussi avait du mal à le supporter mais il ne voyait aucune autre issue.
- Tu vas te fondre parmi les élèves. J’ai trafiqué les dossiers. Tu arrives en cours d’année parce que tes parents viennent de mourir tués par le maître des morts. Tu es orpheline et ton école précédente ne disposait pas d’un internat. C’est pourquoi tu viens ici.
- Mais je suis magicienne, lâcha Isabelle. Je ne peux pas pratiquer la sorcellerie !
- Et tu ne le dois surtout pas. Cela te tuerait. Contente-toi du niveau 1, le seul sans danger pour les magiciens.
- J’ignore ce qu’est le niveau 1 en sorcellerie ! gronda Isabelle, clairement en colère.
- Ne me crie pas dessus, Isabelle, prévint Alexandre. Je comprends que tu sois chamboulée mais n’en oublie pas pour autant pas ta place.
- Pardon, monsieur, dit-elle, le visage tordu d’angoisse et de désarroi.
- Le niveau 1 correspond à la sorcellerie n’utilisant qu’un seul élément.
Isabelle garda le silence. Cette phrase ne l’aidait clairement pas.
- Les téléporteurs, par exemple, continua Alexandre. Tu touches un symbole et paf, tu es téléportée quelque part.
- Pourquoi dois-je utiliser ces choses ? Ne puis-je simplement pas ne rien faire ?
- Déjà, cela va paraître louche. Les professeurs risquent de te mettre des heures de colle tout le temps si tu ne fais rien. Ensuite, tu es au courant de ce qui se passe quand on subit un sevrage magique…
Isabelle frissonna.
- Tu n’auras pas un collier de souffrance pour t’en empêcher…
- Mais mes pouvoirs sont dangereux, rappela Isabelle. Je ne peux pas m’en servir sans surveillance.
- Je pense qu’en les concentrant vers un objet magique, cela devrait aller.
- Je ne comprends pas, monsieur. S’il suffit de toucher un symbole pour être téléporté, pas besoin de magie pour l’utiliser.
- En effet. Même les sans pouvoirs peuvent s’en servir. C’est juste trop cher pour qu’ils puissent s’en payer. Les téléporteurs sont de la haute sorcellerie. Très peu de sorciers peuvent en réaliser.
- De ce fait, cela ne me demandera pas de magie, ne résolvant pas le problème.
- Tu pourras pratiquer la divination par exemple. Boule de cristal, pendule, lignes de la main, marc de café, tarot.
- Pour écrire des horoscopes à la noix dans les magazines people ?
- Ceux-là sont inventés par des escrocs, précisa Alexandre. Le don de divination est très rare parmi les sorciers. Seuls les grands de ce monde peuvent se payer le luxe de leur prédiction.
Isabelle secoua la tête en fronçant les sourcils.
- Voyons si tu as compris. Peux-tu utiliser un parchemin magique qu’il faut lire pour activer un sort ?
- Je ne sais pas, monsieur.
- Parchemin puis formule, indiqua Alexandre, c’est de la sorcellerie niveau 2 donc non. Un bâton de feu ?
- Qu’est-ce que c’est ?
- Un bout de bois. Tu le poses au milieu d’un assemblage de brindilles, tu l’actives et le brasier s’allume.
- Je dirais oui, dit Isabelle.
- Bâton et activation, ça fait deux, compta Alexandre. C’est donc non. Si tu tentes de l’activer, tu mourras sur le coup. Isabelle, je ne veux pas te perdre. Je te place ici pour que tu échappes au seigneur James Moriat, pas pour que tu y meures d’un bête accident de magie. Concentre-toi, s’il te plaît ! Une baguette magique ?
- Comment ça marche ?
- Tu dis un mot et la baguette réagit en conséquence.
- Non, c’est de la sorcellerie niveau 2.
- Parfait. Une incantation ?
Isabelle garda le silence.
- Tu dis un mot et le sort se lance.
- C’est de la sorcellerie niveau 1 donc oui.
- Très bien.
- Pardon, monsieur, mais à quoi bon utiliser une baguette si le mot seul suffit ?
- Garde ta question pour les professeurs de cette école, dit Alexandre.
Isabelle se rembrunit. La gamine était intelligente.
- Tiens toi au mensonge créé. Personne ne doit savoir ce que tu es réellement. Tu ne voudrais pas que le seigneur James Moriat te trouve ?
Isabelle secoua négativement la tête.
- Ne parle plus jamais de ce symbole à personne.
- Dois-je changer de nom ? demanda Isabelle.
- Non, répondit Alexandre. Moriat ne sait pas qui tu es, juste que tu vois ce symbole. Il te cherche mais ignore ton identité et je vais tout faire pour que cela reste ainsi. En attendant, passe inaperçue. Je reviendrai te chercher.
Alexandre se téléporta dans la bibliothèque impériale. Laisser Isabelle seule là-bas lui déplaisait mais il n’avait guère le choix.
- Vous désirez ? demanda une femme souriante d’une quarantaine d’années, des petites lunettes sur le nez.
- Je cherche ce à quoi correspond ce symbole, indiqua Alexandre en montrant la missive du roi – Vive le roi - portant l’arbre sortant du cercle incomplet.
Quelques secondes plus tard, un guide de la lumière apparut devant lui. Alexandre ne put rien contre le puissant sort qui lui traversa le cœur. Il mourut sur le coup.
La rotonde – Mercredi 13 novembre 2002
- C’est bon ? demanda Philippe à peine apparu devant les sorciers.
Pas de formule de politesse. Il était trop impatient d’entendre le résultat.
- Quoi donc ? demanda Farid El’Glem.
- Je ne vais plus mourir ? J’ai réglé le problème ?
Alexandre Benet, professeur et chercheur illuminé au lycée de Fairview, avait attiré l’attention d’une bibliothécaire en posant des questions sur le symbole de Diophène. Le guide de la lumière Dan Bern s’y était immédiatement rendu pour tuer l’importun. Philippe venait de recevoir la confirmation de sa mort.
Un des sorciers présent se leva et se téléporta. L’attente fut insupportable. Une femme apparut, s’approcha de Philippe, fit une légère révérence très insuffisante mais le roi ne releva pas, trop excité à l’idée d’entendre la nouvelle.
- Alors ?
- Donnez-moi votre main, dit-elle.
- Quoi ? Pourquoi ? gronda-t-il.
Il voulait une réponse ! Maintenant !
- Pour que je puisse vous donner la réponse voulue, répondit la rousse.
Avec sa robe et ses tâches de rousseur, elle était le stéréotype de la parfaite sorcière. Baguette magique à la ceinture, chapeau pointu sur la tête, Philippe espéra sincèrement qu’elle venait d’un bal costumé.
- Laquelle ? demanda Philippe.
- Celle que vous voulez, répondit-elle en souriant.
Il lui donna sa main droite. Elle la retourna pour observer la paume. Était-elle vraiment en train de lire ses lignes de main ? Philippe commença vraiment à douter. Se moquaient-ils tous de lui ?
- La menace a disparu. Quoi que vous ayez fait, cela a fonctionné. Bravo, Majesté.
- Je ne vais pas mourir ? s’exclama Philippe.
- Un jour, mais pas cette année, indiqua la femme avant de s’éloigner après une rapide révérence.
Philippe rit de bonheur avant de se rembrunir. Alexandre Benet ? Un chercheur à peine cercle 4 aurait pu lui nuire ? Comment ? Pourquoi ? Il balaya ses questions d’un revers de la main. Peu importait. La menace avait disparu. La vie reprenait son cours normal. Philippe sourit.
Palais impérial – Mercredi 13 novembre 2002
Charles-André de Ranti prit connaissance du rapport de fin de mission. Le roi – Vive le roi – avait annoncé le succès de la recherche. Dan avait tué la menace. Charles-André grimaça. Dan était un excellent magicien mais un abruti de première. Et voilà qu’il venait de réussir une mission de haut vol là où Charles-André avait échoué.
Charles-André grimaça. Il ne pouvait pas voir Dan en peinture, un gros connard lourdingue, vulgaire et sale, parlant comme un charretier. Qui avait-il tué pour mériter un tel honneur ? « Alexandre Benet », lut Charles-André. Comment ça, Alexandre Benet ? Le Alexandre Benet ? Le propriétaire d’Isabelle, la meilleure amie de son fils ?
S’il était mort, alors la jeune femme se retrouvait seule, sans son précepteur et surtout, sans surveillance. Qui prendrait le relai ? Charles-André se téléporta au lycée de Fairview. Il comptait bien ramener Isabelle à la maison. Une fois son dressage terminé, il l’offrirait à son fils comme cadeau d’entrée dans le cercle fermé des guides de la lumière.
- Pourriez-vous m’indiquer où je peux trouver Isabelle Cheriez, je vous prie ? demanda Charles-André à la réceptionniste. C’est une première année.
Elle tapota sa tablette et indiqua une salle. Charles-André, qui connaissait le lycée pour y avoir fait toute sa scolarité, s’y téléporta.
- Papa ? s’exclama Charles-Hubert. Que se passe-t-il ?
- Où est Isabelle ?
- Avec son précepteur. Nous sommes en cours de magie appliquée.
Cours auquel le sujet d’étude ne pouvait évidemment pas participer. Charles-André se téléporta dans le bureau d’Alexandre Benet. Il ne fut guère surpris de le trouver vide. Où pouvait se trouver la petite ingénue ?
Aux cuisines, peut-être ! Yann le détrompa. Il n’avait pas vu la jeune femme depuis le matin. À la bibliothèque ? Charles-Hubert n’avait de cesse de lui raconter ses heures d’étude là-bas auprès de la jeune femme. Non plus. Charles-André sentit l’agacement poindre. Il fut à son apogée lorsqu’au soir, il ne l’avait toujours pas trouvée.
Dans la petite pièce contenant uniquement une natte posée sur le sol et une commode branlante servant de chambre au sujet d’étude de Benet, le guide ne trouva rien non plus. Aucune affaire ne semblait manquer. Personne ne se volatilisait de la sorte ! Charles-André ne comprit pas.
Il maudit Dan Bern. En tuant Alexandre Benet, il venait de faire disparaître la jolie et docile Isabelle. Quelle perte immense. Un jouet si bien dressé ! Charles-André gronda avant de rentrer retrouver sa propre marionnette.
Monsieur De Ranti va-t-il la retrouver ?
qui veut la mort du roi Philippe ?