Chapitre 4 : Tête d’œuf !

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

 

Playlist Charlie :

Bad reputation – Joan Jett and the Blackhearts

 

 

***

 

 

— Encore désolée de débarquer à l’improviste comme ça, s’excusait Max pour la millième fois. Mais j’avais peur d’oublier si je ne t’en parlais pas tout de suite.

— Tu aurais pu l’écrire quelque part, fis-je remarquer avec malice. Ou au moins m’envoyer la liste des modifications par SMS.

Max haussa des épaules.

— Noté sur un papier, je l’aurais oublié. Quant au SMS, je préfère les explications de vive voix, c’est toujours plus clair et ça nous évitera une trop longue conversation au téléphone, tu sais comme ça agace ma mère.

— Ça agace surtout son compte bancaire, m’amusai-je en arrivant à la porte.

Max eut un rire.

— C’est vrai.

— Au fait, ajoutai-je en sortant mes clés de mon sac, juste pour te prévenir, Tom a encore invité cette tête de con de Jules à dormir à la maison donc tu risques de les croiser.

Max fit la grimace.

— Sérieux ?

— De quoi te plains-tu ? ris-je de bon cœur. C’est pas toi qui va devoir supporter leur réunion d’idiots dans le salon.

— C’est vrai, approuva-t-elle en hochant de la tête. Mes condoléances à tes chastes oreilles.

Nous rîmes et j’ouvris enfin la porte.

Une bouffée d’air frais nous accueillit aussitôt et je me dépêchai de refermer derrière Max pour en profiter. D’après les lumières et la télé éteintes, les garçons n’étaient pas encore rentrés. Parfait, songeai-je en retirant rapidement mes rollers pour les ranger à leur place dans l’entrée.

Nick avait hérité de maman son esprit maniaque et ne supportait pas de voir la moindre chaussure dépasser de leur petit meuble. La dernière fois que Tom avait abandonné ses baskets n’importe comment dans l’entrée – c’est-à-dire le lendemain du départ de nos parents – Nick avait piqué une crise. N’étant pas présente à ce moment-là – à mon grand dam – je n’ai jamais su ce qui s’y été dit, mais depuis, Tom rangeait assidument ses chaussures à leur place, pour le plus grand plaisir de notre frère ainé.

— Allez viens ! lançai-je après que Max eut abandonné ses propres chaussures. Oh fait, tu n’étais pas de corvée ce soir ?

— Je suis venue sur mon temps de pause, je repars tout de suite apprès.

— Si ta mère l’apprend… grimaçai-je en parvenant à ma chambre.

— Ne m’en parles pas, soupira Max en me suivant à l’intérieur. Alex a proposé de me couvrir, mais je devrais quand même courir jusqu’au Billie’s.

— Et que t’a-t-il extorqué ? demandai-je amusée en jetant mon sac au pied de mon bureau.

Max se laissa tomber sur le rebord de mon lit et poussa un long soupire.

— Disons que je viens de perdre un mois de pourboire que je n’ai même pas encore reçu.

J’eus un sourire et me mis à fouiller dans mes tiroirs à la recherche de mon carnet à croquis.

Oui, c’était bien le style d’Alex. Oh il vous aidait volontiers, Romy et moi avions souvent bénéficié de son aide – surtout lors des révisions avant le BAC. Mais Max… disons que c’était le « privilège » d’être sa sœur. Alex lui faisait payer à peu près tous les services qu’elle avait le malheur de lui demander. Et même ceux qu’il lui proposait ! Un vrai Picsou dans l’âme, et très proche de son porte-monnaie. Je n’ai pas souvenir de l’avoir déjà vu dépenser plus d’une vingtaine d’euros par mois, et encore, c’était ses rares jours de folie boursière. Autrement, il ne dépensait quasiment rien.

Si mes calculs étaient bons, il devait cacher une véritable petite fortune dans sa chambre. Fortune que Max avait tenté de dérober l’an dernier, sans succès. Cette chasse au trésor avait duré des semaines durant lesquels Alex l’avait regardé s’énerver avec beaucoup d’amusement. Elle avait fini par jeter l’éponge, à la plus grande satisfaction de son frère qui lui avait même fait la leçon.

— Tiens, ça te remontera le moral, fis-je en lui tendant le croquis.

Elle se redressa aussitôt et m’arracha le carnet des mains. Ses yeux s’illuminèrent comme des sapins de Noël.

Max m’avait proposé ce projet un mois avant le BAC. Elle avait dans l’idée de participer à une convention à Montpellier très bientôt et rêvait d’y aller costumée. Elle avait déjà une idée du personnage qu’elle voulait incarner. Le problème… c’était qu’elle n’avait pas la moindre idée de comment le réaliser. Alors, tout naturellement, elle s’était tournée vers moi.

C’était la première fois que je travaillais sur un costume de cosplay, et bien que cela m’ait semblé assez compliqué au début, je trouvais l’expérience plutôt intéressante. Il me fallait cependant réfléchir à de nombreuses techniques de travail car le personnage que voulait jouer Max était une Valkyrie – une femme guerrière de la mythologie nordique d’après ce que Romy m’avait expliqué. Je n’avais pas trop de souci avec la tenue en elle-même, le tissu et la couture me connaissaient depuis le temps, mais en ce qui concernait les accessoires… c’était une autre paire de manches.

J’avais passé des heures à fouiller les forums de couture et de cosplay pour savoir quelle matière serait la plus simple à travailler pour simuler le métal de l’armure. La Valkyrie de Max avait beau ne pas porter de cotte de mailles ni d’armure complète, ses épaulettes, son plastron et ses brassards à clous représentaient tout de même un sacré défi.

Outre l’aspect création qui viendrait bien plus tard, il m’avait également fallut écumer Internet pour trouver des images références pour le costume. J’aimais bien le style du personnage qui serait parfait pour Max et en avais fait quelques croquis pour me familiariser avec les coupes déstructurées des vêtements. Bon, j’en avais fait quelques variantes pour voir et, vu le sourire immense qu’arborait Max, elle semblait bien aimer.

— Alors ? demandai-je au bout de quelques instants.

— C’est incroyable, tu es vraiment incroyable ! s’exclama-t-elle en se redressant.

— Convaincue ? fis-je avec un sourire de chat.

— Plus que convaincue ! s’écria Max en bondissant sur ses pieds.

Pour ne rien vous cacher, j’en éprouvais une grande fierté.

— Et donc, ces modifications ? demandai-je en sortant de quoi prendre des notes.

Max s’approcha et me présenta le premier croquis, celui qui ressemblait le plus au modèle.

— Je n’aime pas trop cette ceinture à pointes, j’aurai préféré quelque chose de plus simple en cuir. Et je préférerai n’avoir qu’une seule épaulette, les deux seraient trop encombrantes. Si tu pouvais aussi les faire un peu moins massive ce serait bien. Ah, et j’aurais voulu que tu donnes un aspect plus usé au métal de l’armure pour lui donner un côté plus authentique.

Je pris le temps d’observer mes notes, songeuse.

— Tu penses pouvoir y arriver ? demanda timidement Max.

— Ça peut se faire, répondis-je en mâchouillant distraitement mon stylo. Je peux facilement trouver des lanières de cuir pour la ceinture. Quant aux épaulettes, ça m’arrange qu’il n’y en ait qu’une et plus petite, ce sera plus simple à réaliser. Pour l’effet métal usé en revanche… je pense qu’il me faudra demander l’aide de ton frère, je ne suis pas très à l’aise avec les bombes de peintures. Sans compter que je n’ai pas de garage, il me faudra emprunter le vôtre.

Max se mit à sautiller sur place avant de se jeter sur moi pour me serrer dans ses bras.

— Merci ! Merci ! Merci ! T’es la meilleure !

J’attendis un moment qu’elle se calme avant de me lever.

— Il commence à se faire tard, tu devrais bientôt y aller. Avant de partir, tu veux voir nos tenues pour la fête anniversaire de l’Adonis ?

— Tu les as terminées ? demanda Max en se redressant d’un bond.

Ses yeux brillaient tellement que je n’aurai pas été surprise de les voir s’illuminer pour de bon comme des lanternes.

L’Adonis était le bar dansant que tenait son oncle, un bonhomme un peu excentrique le jour, célèbre drag-queen la nuit ! Tous les soirs, Gérard devenait la grande et pimpante Gloriana et mettait le feu aux planches avec son célèbre show du vendredi. Les jumeaux l’adoraient, d’abord parce qu’il était la gentillesse incarnée, mais surtout parce qu’il leur permettait de monter sur scène.

Max adorait chanter à l’Adonis et Alex l’accompagnait souvent à la guitare. Et il y a trois semaines environ, Max avait lâché une véritable bombe, un secret que lui avait confié Gérard et qu’elle n’était pas parvenue à garder plus de quelques heures tant cela l’enthousiasmait. Car dans quelques jours, l’Adonis organiserait une grande fête pour ses dix ans ! Incapable de s’arrêter en plein élan, elle nous avait ainsi expliqué qu’il s’agirait d’une grande fête costumée dont le thème serait « glamour, chic & paillette ».

Ayant un peu de temps devant moi, j’avais commencé à préparer nos tenues. Gérard était un amour et avait prévu de nous inviter, alors autant se préparer comme il se doit. Hors de question de débarquer avec de simples paillettes sur le visage ! Il fallait que ça brille, que ça claque ! Et j’avais trouvé en friperie de véritables merveilles.

— Presque, souris-je en rejoignant mon armoire d’où je tirai les trois cintres et le mannequin sur lesquels reposaient nos tenus.

— Wouah… souffla Max avec admiration.

— La tienne est là, indiquai-je en lui montrant une jolie robe à paillette argentée et sa veste en simili cuir noire à piques.

Max s’approcha comme une somnambule et en effleura le tissu pailleté avec émerveillement. La robe était assez courte et près du corps avec un décolleté plongeant comme Max les adorait.

— Qu’en penses-tu ?

— Tu me demandes vraiment ce que j’en pense ? s’exclama Max avec les larmes aux yeux. Mais elle est tout simplement parfaite ! Sapristi, je l’adore !

— Tant mieux, souris-je fière de moi. Pour les chaussures, ajoutai-je alors qu’elle explorait la veste avec curiosité, je te voyais bien porter de grosses bottines à plateforme, mais je n’en ai pas trouvé d’assez abordable.

— T’inquiète, j’aurais qu’à piquer celles d’Alex.

— Encore ? m’amusai-je en rangeant les tenues.

— Toujours, sourit malicieusement Max.

Un instant plus tard, nous traversions le living. J’aurais bien proposé à Max de rester dîner, mais elle était déjà en retard et je ne doutais pas qu’Alex lui ferai payer un supplément pour son aide. Dans la cuisine, nous découvrîmes Nick qui venait tout juste de rentrer.

— Salut Max, la salua-t-il avec un sourire.

— Salut Nick.

— Tu restes dîner ? proposa-t-il en enfilant son tablier.

Ou l’art de dire à voix haute ce que je pensais un instant plus tôt. Parfois je me demandais si Nick ne lisait pas dans les pensées.

Visiblement non, puisqu’il avait posé la question.

— Pas ce soir, j’ai du boulot.

— Bonne chance alors, sourit Nick.

— Merci ! Je vais en avoir besoin, marmonna-t-elle plus bas.

Dans le hall, Max me claqua une énorme bise avant de se tourner vers la porte.

— Tu es sûre que tu ne veux pas que je t’accompagne ? demandai-je encore une fois.

— Pourquoi faire ? s’amusa Max. Le Billie’s n’est pas loin et, entre nous, je suis quand même plus costaude que toi.

— C’est vrai, ris-je, mais ça ne m’empêchera pas de m’inquiéter.

— Je croyais que la maman poule c’était Nick, fis remarquer Max avec un sourire de chat.

— Il déteint sur moi, avouai-je. Mais ne le dis surtout pas, ajoutai-je plus bas.

Max fit mine de sceller ses lèvres et me sourit.

— À la prochaine !

— Rentre bien !

Elle me fit signe avant de sautiller dans l’allée. Un peu plus loin, je remarquai Tom remonter la rue le nez toujours plongé dans son téléphone. Max venait tout juste de passer le portail lorsqu’ils se croisèrent. Incapable de s’en empêcher, elle sauta à côté de mon frère pour lui ébouriffer les cheveux sans vergogne.

— Salut tête d’œuf !

Et elle repartit aussitôt. Tom la regarda s’éloigner, un peu déconcerté avant de secouer la tête. Je l’entendis vaguement grogner quelques injures avant qu’il ne replonge dans son téléphone.

De mon côté, je faillis m’étouffer de rire. Je m’arrêtai aussitôt lorsqu’il releva les yeux vers moi. Il était amusant de voir son masque d’indifférence se craqueler ainsi. Max avait un don pour le prendre au dépourvu et c’était toujours très divertissant. L’embêter était d’ailleurs devenu un jeu pour elle. Et il n’y avait pas mieux que ce sobriquet pour le mettre en rage comme à cet instant où, les joues écarlates, il remontait très vite l’allée pour rentrer.

Ce vieux surnom lui collait à la peau depuis la primaire où, une année, Tom s’était fait raser la tête par nos parents suite à une invasion de poux. Nick étant plus âgé, il n’avait pas souffert de ce souci. Quant à moi, j’avais eu la chance d’échapper à la tonte à la condition que je ne quitte pas ma charlotte rose à imprimé fraises que ma grand-tante Berta m’avait offertes. Heureusement pour moi, j’adorais ce drôle d’ustensile. La porter pendant une semaine ne m’avait pas gêné, j’en avais même été assez fière. Si fière en fait que la majeure partie des commentaires désobligeants que j’avais reçu avait glissé sur moi comme l’eau sur les plumes d’un canard. Tom, lui, s’était senti plus humilié que jamais et avait attendu avec impatience la toute petite repousse qui apparut quelques semaines plus tard.

— Pourquoi t’es amie avec cette tarée ? demanda-t-il en parvenant à ma hauteur.

— Parce que je l’adore, souris-je avec nostalgie.

Puis, après avoir refermé derrière lui.

— Et toi, comment tu fais pour supporter tous les cons dont tu t’entoures ?

Tom grimaça.

— Tu vis vraiment sur une autre planète.

— Alors va retrouver la tienne et fiche-moi la paix.

— Cinglée.

— Crétin.

Et, sans lui laisser le temps de poursuivre, je retournais dans ma chambre.

Avant de m’y enfermer, j’entendis Tom prévenir Nick que Jules arriverait d’ici une demi-heure. Et je claquai la porte.

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Aliotis
Posté le 03/08/2025
En effet, les frères et sœurs s'apprécient autant que l'huile et l'eau ! Mais pourquoi cet éloignement de Tom ? Pression sociale ? Harcèlement ? Kidnapping par des extra-terrestres ?
Le mystère reste entier et me pousse à activer ma lecture des prochains chapitres.
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