Playlist Alex :
Maps – Maroon 5
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J’ai toujours eu un véritable don pour les travaux manuels. Déjà très jeune je m’amusais à confectionner toutes sortes d’accessoires dont la qualité avait impressionné mes parents. Ma première écharpe – la première dont le résultat m’avait paru correct – je l’avais offerte à Nick. C’était une écharpe à grosse mailles tressées en laine d’un joli dégradé vert assortie à ses yeux. Ses franges étaient un peu usées, son vert légèrement délavé – après tout, cela faisait quand même cinq ans ! – mais il l’aimait beaucoup et en prenait grand soin.
C’était peut-être à cause du sourire qui flottait sur ses lèvres lorsqu’il la regardait ou peut-être l’éclat dans ses yeux lorsqu’il la portait, toujours est-il qu’à partir de cet instant, confectionner des vêtements devint une véritable passion pour moi. J’avais un faible pour le tricot, un autre pour la couture et la broderie. J’avais toujours rêvé d’apprendre à faire de la dentelle et éprouvais une grande quiétude à jouer du crochet.
Aujourd’hui en revanche, pas d’aiguilles. Ou presque. Debout devant mon mannequin de couture, j’apportais les dernières retouches à nos tenues pour la fête anniversaire de l’Adonis.
Les tenues d’Alex et Romy m’avaient posé le plus de soucis. Leur amour respectif pour les froufrous et la dentelle m’avaient poussé à en ajouter dans leur costume. Oh bien sûr, je n’oubliais pas le thème de la soirée ; « glamour chic & paillette » ne quittaient pas mon esprit depuis des semaines. Néanmoins, comme pour nos tenues à Max et moi, il fallait que celles de nos amis reflètent leur personnalité.
Romy était une petite princesse au cœur tendre, elle était douce et mesurée, je ne l’avais même jamais vu élever la voix. Pour elle, j’avais opté pour une robe à volants au bustier d’un vert pâle délicat et aux jupes roses pastel. L’ensemble lui donnerait l’air d’une véritable petite fée des fleurs. Sur le bustier, j’étais même allée jusqu’à coller à la main – un travail fastidieux vous pouvez me croire, mes yeux en pleuraient encore ! – des strass formant le dessin de jolis papillons. Je lui avais trouvé des sandales dorée assorties et lui avais confectionné un joli serre-tête à fleurs roses en papier entouré de grelots dorés. Le tout était juste adorable, il me tardait de la voir l’essayer.
Alex était plus complexe. Derrière ses airs calmes parfois polaires se cachait un grand cœur tendre. Il avait de l’humour et son air un brin rêveur lui donnait un charme certain. La première fois qu’il s’était présenté à nous les cheveux décolorés, Romy l’avait comparé à un prince vampire, ce qui lui allait à merveille avec son air mélancolique et les vêtements lugubres qu’il portait à l’époque. Le style gothique lui allait si bien qu’il était même dommage qu’il en ait changé.
Pour lui, j’avais donc opté pour un costume de vampire avec une chemise blanche à jabot sur un pantalon noir cintré. L’ensemble était assez simple et je comptais encore ajouter quelques couches de paillettes dorées de ci de là.
Je m’y attelais d’ailleurs, sur fond de musique pop, lorsque mon regard se posa sur la jolie horloge vintage qui décorait mon mur. Déjà 21 heures. Je fis la moue. Jules devait être arrivé maintenant. Dire que cet enquiquineur allait passer une nouvelle nuit ici…
— Misère… soufflai-je dépitée.
Laissant mon travail de côté, je profitai d’une petite pause pour me changer. La journée avait été harassante et il me tardait de retrouver mon pyjama. Il n’était plus tout jeune et les couleurs avaient pâli après tant de lavages, mais le tissu tenait bon et il était le plus confortable de ma penderie.
— En avant pour les cupcakes, souris-je en étalant avec soin le vieil ensemble sur mon dessus de lit.
Je venais de retirer mon t-shirt quand la porte de ma chambre s’ouvrit à la volée.
Sur Jules.
Allô, cliché, bonjour, grommelai-je en moi-même. Je voudrais votre meilleure paire de claques pour un cliché vraiment agaçant où le pseudo badboy de l’histoire entre par « inadvertance » dans la chambre de la fille alors qu’elle se change.
Pouvait-on vraiment faire pire que celui-ci ? Je ne pensais pas. D’autant que ce crétin qui prenait tout son temps pour me reluquer savait pertinemment qu’il s’agissait de ma chambre. Et même s’il l’ignorait, il n’était certainement pas assez aveugle pour ne pas voir l’énorme pancarte que j’avais dessinée et bricolée deux ans plus tôt avant de la placarder sur ma porte. En grosses lettres et mis en avant par de jolies fioritures fantasy était écrit : CHAMBRE DE CHARLIE.
Il y eut un instant de flottement durant lequel aucun de nous ne bougea. En fond sonore on pouvait entendre Maroon 5 chanter :
So I’m following the map that leads to you
The map that leads to you
Ain’t nothing I can do…
Je serrai les dents. Très drôle, avais-je envie de dire au destin, vraiment très drôle. L’Univers avait décidément un sacré sens de l’humour.
Nullement dérangé par cet instant des plus gênant, Jules afficha l’un de ces sourires gourmands qui devait faire fondre les donzelles qui lui couraient après. Au bout d’une petite éternité, il releva enfin les yeux vers moi. Non, franchement, un vrai prince charmant, grinçai-je intérieurement.
— Ta mère t’as jamais appris à frapper avant d’entrer ? demandai-je ulcérée.
Me contenir pour ne pas lui enfoncer mon poing dans la figure était vraiment l’épreuve la plus complexe que j’aie dû affronter. Une épreuve qu’il ne rendit que plus difficile lorsqu’il s’adossa au chambranle avec cette nonchalance qui m’exaspérait tant.
— Mes excuses, haussa-t-il des épaules avec désinvolture, je croyais que c’était la chambre de Tom.
— Mais bien sûr, ricanai-je avec mépris.
Et cette maudite chanson qui continuait en fond…
Following, following, following to you…
Si Alex ne m’avait pas prêté ce CD, nul doute que je l’aurais pulvérisé pour ne plus jamais avoir à l’entendre. Pourquoi fallait-il qu’il me gâche le plaisir d’une nouvelle chanson ?
— Joli soutif, au fait, poursuivit-il comme si de rien n’était.
Mon regard coula sur ce dernier et son tissu à imprimé bonbon Haribo que j’avais confectionné l’an dernier.
Je n’étais pas vraiment gênée. En fait, j’étais même soulagée. La plupart du temps je ne portais pas de soutien-gorge. Ces derniers me donnaient toujours l’impression d’étouffer et avec une poitrine aussi petite que la mienne, ils n’avaient pas vraiment d’utilité. Mais sous un t-shirt blanc, à une saison où se jeter de l’eau à la figure était un passe-temps comme un autre… enfin vous voyez sûrement le tableau.
Relevant la tête, je fusillai Jules du regard. Il n’y avait pas de doute, je voyais bien trop souvent cette tête de con ces derniers temps.
— Dégage de là ! m’écriai-je en lui balançant la première chose qui me passa sous la main.
Jules esquiva de justesse l’oreiller rose pastel et se dépêcha de claquer la porte derrière lui. Son rire résonna bien trop longtemps à mes oreilles. Enfin seule, je ne pus retenir un soupir.
— Je ne comprendrai décidément jamais ce qu’elles lui trouvent toutes, maugréai-je en allant ramasser l’oreiller.
Je le remis rapidement à sa place et entrepris de me changer. Un rapide coup d’œil à l’heure m’indiqua qu’il serait bientôt temps d’aller se coucher. Je devais me lever tôt demain matin pour aider Nick à la boutique. Nouveau soupir. Qu’est-ce que j’avais hâte de voir papa et maman rentrer !
Avant d’aller me coucher, je décidai tout de même de repasser par le salon. Même si je répugnais à l’idée de recroiser ces deux idiots qu’étaient respectivement mon frère et son meilleur ami, je ne pouvais me résoudre à partir me coucher sans dire bonne nuit à Nick. Mon papa poule préféré, songeai-je amusée en dévalant l’escalier jusqu’au salon.
Ce dernier était déjà envahi par Tom et Jules, tous deux savamment vautré dans le canapé, le regard vissé à la télé. Dans ces moments-là, le monde pouvait bien trembler, s’effondrer, disparaître, ils ne le remarqueraient même pas. Ou plutôt, ils s’en rendraient compte après avoir levé les yeux d’un écran qui ne fonctionnerait plus suite à la fin du monde tout en râlant à ce propos. Bref ! Me détournant de ce triste spectacle, je reportai plutôt mon attention sur la cuisine où je voyais Nick s’afférer. Bizarre. Mon frère n’avait jamais été d’une maniaquerie excessive comme notre père. Enfin… sauf quand quelque chose n’allait pas.
Faisant mine de ne pas avoir remarqué son agitation, je me postai à ses côtés.
— Ah Charl’s, soupira-t-il avec un sourire en se redressant. Je me demandais quand tu allais ressortir de ton antre.
— Pour tout te dire, j’étais tentée d’attendre que l’autre abruti dégage de notre salon, fis-je en le pointant du doigt.
Nick sourcilla.
— Charlie, je sais bien que tu ne l’aime pas, mais…
— Reste au moins polie, je sais, soupirai-je. Mais comment veux-tu que je reste polie quand ce trou de bal nous harcèle depuis si longtemps, les jumeaux, Romy et moi ?
Nick sourit avec indulgence.
— Dans ce cas, concéda-t-il, soit un minimum polie quand je suis là, d’accord ? Que j’ai l’illusion que tout va bien dans le meilleur des mondes.
— Oh mais tout va bien dans le meilleur des mondes. Quand ils ne sont pas là ! ajoutai-je, espiègle.
Nick rit enfin et je m’autorisai à sourire.
— Plus sérieusement, repris-je, tu as eu des nouvelles des parents ?
Mon frère parut reprendre un peu de contenance. Le voile de souci que j’avais vu obscurcir son regard s’était enfin levé. Pour combien de temps en revanche… Il allait falloir que j’enquête.
— Si tout va bien, ils devraient rentrer d’ici la semaine prochaine, me répondit-il après un instant de réflexion. Mais tu connais les grands-parents, sourit-il amusé, il y a des chances qu’ils se retrouvent coincés là-bas pour encore un moment.
Le micro-onde choisit cet instant pour se faire entendre. Nick se dépêcha d’en sortir les deux boites de pop-corn qu’il y avait mis et en versa le contenu dans un saladier. Après en avoir étudié l’emballage – du pop-corn sucré – je plongeai la main dedans pour en picorer. Tom, qui venait d’apparaître dans la cuisine, se matérialisa brusquement à côté de moi et me tapa la main.
— Vire tes doigts, c’est pas pour toi.
Je lui tirai la langue. Il me répondit par une grimace méprisante avant de retourner à son film, le saladier de pop-corn dans les mains.
Ayant maintenant le champ libre – plus rien ne semblait pouvoir accaparer l’attention de mon grand frère hormis cette stupide trace d’huile qu’il s’échinait à présent à nettoyer malgré sa décennie – je me hissai sur le comptoir à ses côtés. L’heure était à l’interrogatoire !
Je n’avais jamais été très bonne à ce jeu. Passer par quatre chemins, tourner autour du pot… très peu pour moi. Hormis le fait que j’en étais tout bonnement incapable, c’était quelque chose qui m’énervait au plus haut point. Je préférais de loin mettre les pieds dans le plat.
— Comment va Livio ?
Nick parut si surpris d’entendre ce nom qu’il manqua s’écraser le nez sur le plan de travail. Bonne pioche, me dis-je à moi-même en l’observant attentivement. Il n’y avait que trois sujets qui auraient pu le mettre dans un état pareil : la boutique, sa famille… ou son petit-ami. Les affaire de la boutique se portant à merveille et nous aussi, ne restait plus que le petit-ami.
J’aimais beaucoup Livio, c’était l’un des rares flirt de Nick que j’avais autant apprécié mais ils avaient tendance à se disputer ces derniers temps, des disputes qui rendaient Nick si nerveux qu’il se transformait en vrai maniaque.
— Nous… commença-t-il la gorge sèche. Nous nous sommes disputés, avoua-t-il enfin sans oser me regarder dans les yeux.
Il aurait certainement rajouté « encore » s’il n’avait pas eu si peur d’être jugé. Mon frère était un garçon en or, mais il attachait bien trop d’importance aux dires des autres. Pour exemple, son coming-out avait été une véritable épreuve. Notre famille avait toujours été ouverte d’esprit, mes parents s’entendaient d’ailleurs très bien avec Gérard – enfin, Gloriana – la drag-queen dirigeant l’Adonis.
Dans un environnement si sain et communicatif, il n’aurait jamais dû être aussi nerveux. Pourtant il avait tellement stressé à l’idée de nous avouer qu’il préférait les hommes qu’il s’en était rendu malade. Le voir ainsi m’avait brisé le cœur et je n’avais pas quitté son chevet jusqu’à ce qu’il soit totalement rétabli. Je n’avais que huit ans.
— Tu as essayé de lui parler ? demandai-je doucement. Une bonne communication est essentielle dans un couple, regarde papa et maman.
Il releva des yeux piteux dans ma direction. Je lui offrais un sourire timide.
— J’ignore ce qui a provoqué cette nouvelle dispute, dis-je en lui prenant la main, mais je suis certaine que ce n’est pas aussi catastrophique que tu le penses. Inutile de retourner chacune de vos conversations, d’en analyser chaque mot. Je sais que tu as tendance à le faire, souris-je avant qu’il n’ait pu protester.
Je serrai sa main un peu plus fort.
— Tu es quelqu’un de formidable Nick, et je suis sûre que Livio pense la même chose, alors ne laisse pas cette querelle vous miner.
Les larmes montèrent aux yeux de mon frère.
— Et si nous n’étions pas faits pour être ensemble ? Et si notre amour s’essoufflait comme celui des grands-parents ?
— Ça j’en doute fortement, répondis-je avec calme.
— Tu ne peux pas…
— C’est la première fois, le coupai-je avec fermeté en le regardant bien dans les yeux, que je te vois aussi épanoui dans ton couple. Je suis très observatrice, tu le sais, et ce que je vois lorsque je vous regarde c’est un amour qui est fait pour durer. Mais pour ce faire, il faut des efforts, des deux côtés.
Il y eut un long silence durant lequel Nick sembla perdu dans ses pensées. Parfois j’aurai bien aimé savoir ce qui pouvait se passer dans sa jolie tête blonde… Alors que je commençais moi-même à m’égaré dans de lointaines réflexions, Nick posa un regard brillant sur moi. Il serra tendrement ma main dans les siennes alors qu’un sourire rieur s’épanouissait ses lèvres.
— Depuis quand joues-tu si bien les conseillères conjugales ? s’amusa-t-il en essuyant le coin de ses yeux.
— Disons qu’après avoir ramassé Max à la petite cuillère si souvent, on finit par prendre des notes.
Je sautai du comptoir et l’embrassai.
— S’il te plait, penses-y. Livio est quelqu’un de bien. Et c’est le premier que j’apprécie autant ! Je serais triste de le voir partir et je sais comme tu tiens à lui.
Nick soupira et finit par opiner. Je souris.
— Bonne nuit, Nick.
— Bonne lui Charlie, sourit-il faiblement.
Je m’apprêtais à rejoindre ma chambre quand je sentis un regard posé sur moi. En me retournant, je vis Jules me fixer, un sourire goguenard aux lèvres.
— Fais de beaux rêves Cupcake !
Comme d’habitude, Tom ne réagit pas. Fatiguée, je me contentai de lui répondre avec mon majeur et me dépêchai de rejoindre ma chambre.
Mais il faut bien avouer que Nick a d'autres chats à fouetter avec son histoire personnelle avec Livio (qu'il me tarde de rencontrer). Merci pour ce chapitre, je file vers le suivant !