Chapitre 40

Notes de l’auteur : Je ne sais pas si vous continuez à lire cette histoire, mais nous touchons bientôt à la fin de la 1ère partie :)

Gabriel était arrivé en avance. Il vérifia nerveusement l’heure sur son smartphone. Encore deux minutes à attendre. Le gringalet soupira et dégagea une mèche qui lui gênait la vue. Il devait sérieusement penser à se couper les cheveux...

Il releva la tête quand il entendit la clé tourner dans la serrure. La porte s’ouvrit sur la jolie brune qui arborait un sourire amical. Le balafré rougit d’embarras et chercha ses mots : 

– Je t’ai vu arriver. Je me demandais quand tu allais sonner à la porte, confia-t-elle, les yeux pétillants.

L’influenceuse l’invita à entrer. Gabriel, quant à lui, essaya en vain de fuir les rougeurs qui se frayaient un chemin jusqu’à ses joues. Quel idiot ! Il retira son manteau pour le poser sur une chaise et jeta un œil au reste de la maison. Celle-ci n’avait plus rien à voir avec le lieu de réception de la semaine précédente. Les murs de couleur crème renvoyaient une atmosphère chaleureuse où la lumière régnait en maître. Le moderne était au rendez-vous, plutôt étonnant quand l’extérieur de l’habitation s’apparentait plus au charme de l’ancien. Un détail retint cependant son attention : 

– Charlotte n’est pas là ?

– Elle a un rendez-vous avec ce mec… Je ne sais plus comment il s’appelle.

– Tommy.

– Oui, voilà ! 

Gabriel ne s’attendait pas à ce que son amie l’abandonne pour un rendez-vous galant. Certes, il la trouvait distraite ces temps-ci, mais cela virait à l'obsession. Elle devait vraiment être amoureuse.

– Tu veux boire quelque chose ?

– De l’eau s'il te plaît.

Il finit son verre d’une traite afin d’éviter le regard curieux de sa comparse. Le silence de la pièce le mettait mal à l’aise. La situation le mettait mal à l’aise. Se savoir seul avec cette magnifique créature lui faisait perdre tous ses moyens. Gabriel s’éclaircit la gorge quand il croisa ses iris noisette.

– Qu’est-ce que tu veux commander ?

– Une pizza au fromage.

– Moyenne ?

– Oui.

Le jeune homme la laissa commander et s’intéressa à son environnement. Le matériel qui reposait sur la table de la salle à manger attira son attention. Du maquillage. Beaucoup de maquillage.

– Je fais le tri. Je n’en utilise pas la moitié.

Il saisit une étrange éponge qui ressemblait à un œuf et la serra par simple curiosité. Gabriel se demanda à quoi pouvait bien servir ce genre d’instrument : absorber l’excédent ou nettoyer la peau ? Il reposa la chose pour s’intéresser à la caméra qui reposait sur un trépied. La marque était la même que son propre appareil photo. Le modèle était bien plus récent que celui offert par son frère.

– Tu t’intéresses à la photographie ?

– J’aime bien photographier les paysages.

Le jeune homme s’était trouvé une nouvelle activité depuis peu : photographier son jardin. Il s’amusait à essayer les différentes options, à modifier la luminosité ou à changer les prises de vues. Il préférait capturer la nature à passer ses heures devant les jeux vidéos. Ce passe-temps parvenait à calmer le trop-plein d’émotions et de solitude qu’il emmagasinait depuis des années.

Il s'assit à l’autre bout du canapé et suivit des yeux l’avancée de Clara sur Netflix. Elle semblait hésiter entre plusieurs séries que Gabriel n’avait jamais vues et ne comptait jamais voir. Il grimaça en voyant les noms, priant silencieusement qu’elle passe à un tout autre genre. Les séries d’amourettes, ce n’était clairement pas son truc.

– Tu regardes quoi d’habitude ?

– Des animés.

– Oh ! Des dessins animés.

– On peut dire ça comme ça.

L’invité ne chercha pas à la corriger. À la place, il continua de la regarder naviguer entre les différentes options. Elle passa plusieurs séries d’animation qu’il avait commencé à visionner et manqua de s’étouffer en la voyant s’arrêter sur un animé particulièrement gore.

– Je préfère Black Lagoon ! 

Il souffla de soulagement en la voyant sélectionner sa recommandation. Il ne connaissait pas le degré de sensibilité de la jolie brune, et il ne préférait pas tenter le diable. Gabriel s’installa plus confortablement quand l’épisode commença. 

Par moment, le gringalet se surprit à lui lancer quelques regards à la dérobée. Il voulait voir ses réactions, entendre ses commentaires face à certaines scènes. Il se félicita de son choix quand il la vit si investie dans l’épisode. Ses questions ne le dérangeaient pas. Le lycéen avait vu toutes les saisons, il pouvait bien la renseigner.

– J’avais déjà vu quelques épisodes de Sailor Moon mais ça, c’est complètement différent !

Le balafré ne sut quoi répondre face à cette nouvelle information. Il n’avait jamais regardé cette série d’animation pour “les filles”. Quand il préférait les ghouls et les titans, Clara regardait les lycéennes possédant des pouvoirs magiques. Gabriel ne jugeait pas. Chacun ses goûts.

 

*

 

Gabriel dégusta sa pizza sans se soucier de la cicatrice qui déformait ses traits. Il était affamé. Son estomac avait crié famine pendant la diffusion de l’épisode, et il se régalait désormais les papilles. Il batailla à plusieurs reprises avec le fromage fondu et s’essuya plus d’une fois le menton. Concentré sur sa nourriture, il ne se rendit même pas compte du regard de la plus âgée. Clara sourit en le voyant manger aussi goulûment.

Le lycéen releva la tête quand il l’entendit rire. La jolie brune désigna son propre menton et Gabriel rougit jusqu’aux oreilles. Il s’essuya prestement avec un bout de Sopalin. La honte ! Il cacha sa gêne derrière son verre d’eau, et désigna à son tour sa propre joue. Des restes de sauce tomate avaient élu résidence sur le visage parfait de son amie. Elle tâtonna la zone désignée avant de déchirer à son tour un tissu du rouleau. Ses rougeurs étaient atténuées par son maquillage et passèrent presque inaperçues aux yeux de l’homme qui continua de rire à gorge déployée. 

Clara captura ce moment dans sa mémoire. La tête penchée en arrière, ses cheveux ne cachaient plus son visage juvénile et mâle à la fois. Sa cicatrice n’était qu’un détail sur lequel on ne s’attardait plus tant son sourire était éclatant. Les ridules au coin de ses yeux rendaient l’instant authentique.

– Tu devrais sourire plus souvent.

Le commentaire ramena Gabriel sur terre. De nouvelles brûlures saisirent ses joues. Il n’avait pas l’habitude qu’une femme le regarde avec ces yeux-là. Avec de l’affection. Il n’était pas naïf au point de croire que cela pouvait s’apparenter à de l’intérêt plus qu’amical. Il ne se voilait pas la face. Seulement, cette observation formula un bon nombre de questions dans sa tête. Qu’est-ce qu’elle pensait de moi ? Comment elle me voit exactement ? À cet instant, le jeune homme aurait aimé pouvoir lire dans les pensées, rien qu’un instant. 

Au lieu de poser ses interrogations de vive voix, il remit ses mèches en place sur son front bien qu’elles lui gênent la vue. Gabriel fuyait derrière ses boucles sombres et indomptables.

– On regarde la suite ? proposa la brune en le voyant se replier dans son cocon.

Le gringalet la suivit et ils passèrent l’après-midi ainsi, exerçant par la même occasion un jeu de question-réponse qui bénéficiait plus à l’invité qu’à son hôte. Le garçon ne voulait presque rien lâcher le concernant. Il n’était pas encore prêt à dévoiler tout de lui, et Clara n’insista pas plus. Elle avait accepté le fait qu’il ait des secrets qu’il ne souhaite révéler à personne.

– Tes cours se passent bien ?

– Ils passent, ça c’est sûr ! 

– Je comprends ! C'est tellement barbant ! Et l'université n'est pas mieux !

– Tu étudies quoi ? 

– Je suis en journalisme. Je pensais que les cours allaient me passionner à la rentrée, une belle désillusion oui… dévoile-t-elle, l’expression amère. 

– Ça donne envie, renchérit Gabriel en lui adressant un sourire.

Qu’allait-il bien pouvoir faire après le lycée ? Il n’en savait strictement rien. Ses perspectives étaient assez floues. Il refusait une carrière dans le social ou tout ce qui se rapportait au relationnel. Pour le jeune homme, il ne restait qu’une infime liste de possibilités. Puis, connaissant ses parents, ils voudraient le voir évoluer à l’université, tout comme son frère. Quelles possibilités lui restait-il ? De sérieuses recherches se profilaient à l’horizon. Il souffla de dépit, le regard inexorablement fixé sur la télévision. 

– À quoi tu penses ?

– À l’avenir.

– Il est trop tôt pour penser à ça.

– Tu vas me dire que tu n’y penses jamais ?

– Tout le temps. En permanence.

Gabriel rit nerveusement à cet aveu. 

– Tu travailles pourtant… J’ai vu sur internet que les influenceurs se faisaient un paquet d’argent.

Le lycéen n’osait avouer qu’il avait orienté ses recherches sur son cas en particulier.

– Ce métier a une durée. On ne peut pas totalement se reposer dessus, avoua-t-elle en jouant avec la pointe de ses cheveux.

L’avenir restait une grosse interrogation pour tout le monde.

 

*

 

Clara découvrait cet autre univers avec grand intérêt. En invitant l’ami de sa sœur pour le dîner, elle ne s’attendait certainement pas à se prendre de passion pour les animés. Elle en avait beaucoup entendu parler grâce aux réseaux sociaux et elle en découvrait aujourd’hui toutes les saveurs, au plus grand dam de Gabriel qui devait répondre à toutes ses questions.

En le voyant batailler avec l’une de ses mèches, elle lui proposa l’élastique qui lui enserrait le poignet. Le lycéen refusa poliment. 

– Tu veux que je te fasse un cours ?

– Ça ira, merci.

Le balafré ne voulait pas faire un remake de la semaine dernière. Sans maquillage, il était sûr que ses réactions disproportionnées le vendraient. La moindre rougeur sur son visage était repérable à des kilomètres à la ronde. Si, en plus de son attention, elle venait à le toucher, il ne donnait pas cher de sa peau : la honte le consumerait. 

Gabriel regarda discrètement dans sa direction. Elle était vraiment jolie dans son sweat trop large. Ses lunettes rondes lui donnaient un air intello qui la rendait encore plus attirante, selon lui. La flamme qui brûlait aux fonds de ses yeux couleurs miels l’attirait aussi sûrement que ses gourmandises favorites. Le jeune homme l’admettait bien volontiers : il était tombé sous son charme.  Un charme qui avait conquis beaucoup de personnes s’il en croyait les réseaux sociaux. Hommes comme femmes. Avec autant de choix à disposition, Clara ne se contenterait certainement pas de la personne balafrée à ses côtés. 

Aucune femme ne voudra de lui.

Le lycéen souffla de dépit. Il était malheureusement voué à finir sa vie seul. La jolie brune l’interrogea du regard. Le gringalet détourna ses iris empreints de bleu pour suivre la fin de l’épisode. Il devait cesser cette tendance à s’autoflageller. L’apparence n’était pas la seule origine d’un refus. La personnalité avait aussi son lot d’importance. Seulement, il se savait ennuyant, morose. Il n’y avait pour ainsi dire rien d'attractif chez lui.

Gabriel se ressaisit. Il ne parviendrait pas à avancer avec ce genre de pensées parasites. Ne te morfonds pas dans ton silence et parle !

– Alors, ça fait combien de temps que tu t’es lancée sur les réseaux ?

– 2-3 ans, il me semble… Je postais des vidéos gaming au début mais comme je ne faisais pas beaucoup de vues, je me suis recyclée ailleurs. Le maquillage et les démonstrations de produits cosmétiques sont plus rentables.

Les yeux de son invité s’illuminèrent d’une nouvelle étincelle. Il voulait en apprendre plus et Clara se livra avec un embarras manifeste.

– J’ai joué pendant plusieurs années aux Sims et à Call of Duty. J’étais plutôt bonne à l’époque.

– Tu jouais en ligne ?

– Oui. Une expérience assez traumatisante pour une fille. Mes deux mains ne suffiraient pas à dénombrer le nombre de propos misogynes… avoua-t-elle, la voix amère. 

Gabriel avait déjà été témoin de scènes similaires. Il ne s’était jamais interposé. Ce genre de querelle ne l'intéressait pas : lui souhaitait surtout jouer. Et communiquer. C’était la seule alternative qu’il avait trouvée pour combler ses moments de solitude à l’intérieur de sa chambre. Il remonta nerveusement ses lunettes en voyant le visage crispé de son interlocutrice. Que pouvait-il dire ?

– Je suis désolé.

– Ne va pas t’excuser pour ces gamins sans cervelle.

La jeune femme se leva et se dirigea vers la télévision. Le balafré se redressa quand il entendit le doux ronronnement d’une console qu’on allume. Un sourire fleurit sur ses lèvres lorsque Clara se retourna vers lui munie de deux manettes :

– Ça te dit une partie ?

Voilà un langage qu’il était capable de comprendre parfaitement. Il accepta volontiers la manette noire et laissa la jolie brune diriger les commandes. Elle possédait elle aussi le tout nouveau jeu. Elle accéda au mode “Battle royale”, un mode que le lycéen n’avait pas encore eu l’occasion d’explorer.

– On lance un pari ?

– Je n’ai pas d’argent, décréta nerveusement le plus jeune.

– Je pensais plus à une sorte de gage, rien d’extrême.

– Ok.

Gabriel n’osa pas refuser son hôte. Il ne voulait pas passer pour un loser à ses yeux. Ils choisirent une map ensemble et le jeu commença. Il fut le premier à mourir. Sa méconnaissance de la carte le désavantageait beaucoup, et l’influenceuse en profita. L’issue de la partie était connue des deux participants. Le plus jeune souffla de dépit en constatant le score final.

– J’en déduis que tu ne joues jamais ce mode ? avança-t-elle, les yeux pétillants de malice.

– Jamais. Je joue souvent seul.

– Donne-moi ton identifiant, je t’ajoute dans la liste de mes amis. On se fera des petites parties à distance comme ça.

Le lycéen se connecta à son compte via internet et montra le nom à entrer. Clara n’était pas la première amie qu’il se faisait sur le jeu. Elle était cependant la première à lui demander sans écrans interposés.

– Alors, pour mon gage maintenant…

Il tortilla nerveusement ses doigts dans la poche de son sweat. Gabriel craignait la demande de la jeune femme. Il ne la connaissait pas encore suffisamment pour savoir jusqu’où elle était prête à aller. Il déglutit et attendit.

– Je veux que tu m’aides à filmer une vidéo. Tu seras, bien sûr, rémunéré.

Le balafré releva brusquement la tête. Ses deux billes bleues étincelaient de surprise. La brune sourit. Il ne semblait pas contre l’idée.

– Ce ne sera pas quelque chose de grandiose. Je veux juste que tu me filmes pendant que je fais les magasins avec mon amie.

Le mot “magasin” résonna un long moment dans la tête du plus jeune. Il devrait sortir. Assumer son visage en grande surface ? En était-il seulement capable ? Le simple fait d’y penser le mettait mal à l’aise. En voyant la couleur disparaître de ses joues, Clara se ravisa : 

– Mais si tu ne veux pas alors--

– Ok. Je vais le faire, lâcha-t-il brusquement.

Il s’était promis d’avancer. Cette sortie était un pas de plus dans ce sens. Le gringalet remonta sa monture sur son nez. Il était nerveux. Terrifié même. Il prit une profonde inspiration et se ressaisit. S’il était désormais capable d’aller au lycée, il était tout aussi capable d’aller dans un magasin rempli d’inconnus. Gabriel pouvait réussir ce pas de géant. Il suffisait de le vouloir, se persuada-t-il.

– Les toilettes sont par là si tu veux, lança Clara, le sourire aux lèvres afin de détendre l’atmosphère.

Ses mots suffirent à les relancer. Ils jouèrent une bonne partie de l’après-midi, se partageant victoire et défaite dans la bonne humeur. Le jeune homme se sentait bien à ses côtés. Ses idées noires l’avaient quitté le temps d’un après-midi. 

Gabriel n’avait détourné le regard que pour cacher sa gêne, et non sa honte, sa cicatrice. Il avait osé affronter ses prunelles sombres et chaleureuses parce qu’elles ne contenaient aucun jugement ni aucune curiosité mal placée. Le jeune homme ne ressentait pas le poids des questions et des interrogations. La jolie brune le traitait comme quelqu’un de normal. Tout ce qu’il avait toujours voulu.

Il rejoignit la voiture de sa mère en fin de journée, le sourire aux lèvres et le cœur à l’abri. Ces quelques heures passées à ses côtés l’avaient convaincu d’une chose : il pouvait changer.

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