Chapitre 40 - Le Prêtre de l'Aube

Notes de l’auteur : Hello ! Me revoilà après une petite pause durant les fêtes.
Tout d'abord, je vous souhaite une bonne année ! Merci à vous, qui êtes encore ici, à lire petit à petit les chapitres de Némésis. Voir que vous êtes toujours là me fait chaud au cœur :)
J'espère que vous voyagerez encore longtemps auprès de mes personnages !

Le Prêtre de l’Aube se laissa choir de son cheval et épousseta avec soin son long manteau souillé. D’un air satisfait, il constata que la robe qu’il portait en dessous était toujours parfaitement immaculée. Il releva son capuchon et sourit, son périple arrivait à sa fin.

Il laissa son cheval aux autres membres de l’Église Indicible qui l’accompagnait sans leur adresser le moindre regard. C’était pour la plupart des apprentis rêvant de pouvoir un jour ne serait-ce que d’arriver à sa hauteur et quelques assistants d’une loyauté à toute épreuve. Le Prêtre de l’Aube s’avança vers la muraille noire, émerveillé. Ils venaient de passer de longues journées à chevaucher dans un océan de neige et cette construction semblait sortir de nulle part, comme un mirage ou un vœu désespéré qui se réalise. Ses assistants et ses apprentis le rejoignirent et ensemble ils s’approchèrent des immenses et majestueuses portes de Sectra, la capitale du Royaume de Piques.

Tout à son observation, il les laissa les présenter aux gardes tandis qu’il contemplait, béat d’admiration, l’arche qui s’étendait au-dessus de lui. Sur plusieurs mètres de hauteur dansaient flammes, dragons et autres chimères associées au feu, sculptés dans la plus pure obsidienne et avec un savoir-faire inouï. De part et d’autre s’étirait un infranchissable mur d’enceinte constitué de pierres volcaniques et qui semblait entourer toute la cité. Pourtant, le Prêtre de l’Aube savait que ce n’était pas le cas, l’éblouissante cité de Sectra trônait à flanc de falaise, inatteignable, et personne n’avait jugé utile d’ériger un mur face à l’océan. De ce que l’on racontait, les différents monarques à travers les âges avaient toujours aimé se balader au bord du vide, le long des Falaises d’Argent, savourant ainsi leur toute-puissance.

Le Prêtre de l’Aube sourit en pénétrant dans la ville, il avait hâte de pouvoir rencontrer le roi en personne. Il avait beaucoup entendu parler de lui, autant en bien qu’en mal, mais peu lui importait les titres et les actes d’un homme, l’Affinité était la seule chose qui avait de l’importance pour le prêtre. Tyrannique, cruel, généreux, stratège, les qualificatifs que l’on donnait au Roi de Piques ne manquaient pas. De nombreuses rumeurs circulaient à son sujet et l’accusaient de l’assassinat de l’ancien monarque et même de l’empoisonnement de sa propre femme, la défunte reine Palläs de Sectra. Ces bruits de couloirs se répandaient comme une traînée de poudre dans les autres royaumes, où ne parvenait que quelques rares informations sur le royaume isolé au nord du continent, mais pour le Prêtre de l’Aube, ces deux-là étaient ceux qui avaient le plus de chance d’être fondés. Pas que cela lui importe vraiment, ce roi-là faisait partie des élus des Divinités, il n’avait pas à juger ses actes. Il se surprit à penser à l’éblouissant Duc de Lignis, un jeune homme fascinant, il espérait que le père serait à la hauteur du fils.

Tandis qu’ils traversaient la majestueuse cité recouverte d’un épais manteau de neige, il s’amusait des regards curieux de la population, qui n’avait probablement jamais rencontré de membres de l’Église Indicible jusqu’à ce jour. Tout était encore à faire ici et il avait hâte de s’en donner à cœur joie.

Le Prêtre de l’Aube décida de s’arrêter dans une auberge assez proche du palais, une adresse qu’un de ses contacts lui avait fortement recommandée. L’endroit était réputé à la fois pour son prestige et pour sa discrétion, des qualités rares qui n’allaient pas souvent ensemble. Lorsqu’ils l’atteignirent, il s’immobilisa sur le seuil et fit signe à deux de ses apprentis.

— Vous deux, arpentez la ville et mémorisez-la, je veux tout savoir. Repérez les endroits où il est susceptible de trouver des informations intéressantes, mais n’en demandez pas. Pas encore. Je veux votre rapport à minuit. Soyez discrets.

Sur ces mots, les deux apprentis s’inclinèrent et disparurent entre les ruelles aux habitations de pierre sombre. Le Prêtre de l’Aube les regarda s’éloigner en silence, puis franchit la porte de l’auberge. Sans qu’il ait besoin d’en donner l’ordre, l’un de ses assistants se précipita vers l’homme bedonnant occupé à faire machinalement briller son comptoir et réserva plusieurs chambres au dernier étage de l’établissement.

Le prêtre ne jeta même pas un regard à l’immense pièce qui occupait tout le rez-de-chaussée et qui semblait pourtant particulièrement chaleureuse, nimbée d’une intense lumière dorée. Quelques têtes se tournèrent vers l’étrange groupe qu’ils formaient, plus par réflexe que par réelle curiosité, et les clients replongèrent très vite leur attention sur les bières devant eux. Personne ne se mêlait des affaires des autres ici.

L’auberge ne comptait que trois niveaux et le Prêtre de l’Aube fut ravi de constater qu’ils étaient les seuls occupants du dernier étage. Suivi de son escorte, il entra dans l’endroit qui allait lui servir de chambre en attendant d’être logé au palais. La pièce était plus grande et spacieuse qu’il s’y attendait. Les meubles n’étaient pas récents, mais ils témoignaient d’un certain luxe et étaient encore en bon état. Une grande fenêtre aux vitraux mordorés répandait une épaisse lumière de la même teinte que celle de la salle commune et permettait de voir à l’extérieur sans être vu. Il s’approcha pour regarder en contrebas, curieux, mais celle-ci donnait sur une ruelle étroite qui n’avait pas l’air d’être souvent empruntée. De l’autre côté de la pièce, une porte s’ouvrait sur une salle d’eau de belle taille contenant une grande baignoire à la céramique rayée par le temps.

Tandis qu’il faisait le tour de ses nouveaux appartements, apprentis et assistants s’affairaient à défaire leurs lourds paquetages de voyage et à remplir l’armoire attenante au lit. Le Prêtre de l’Aube jeta un nouveau coup d’œil à travers la fenêtre, l’après-midi était déjà bien entamé et la faim ne tarderait plus à se faire sentir. Sans même se tourner vers eux, il s’adressa à ses apprentis restants.

— Quand Ort et Siln reviendront, deux d’entre vous partiront à leur place. Vous avez les mêmes consignes. Débrouillez-vous pour alterner de la sorte jusqu’à ce que nous soyons invités au palais, une fois là-bas, vous aurez de nouvelles directives. Vous êtes mes yeux et mes oreilles, j’attends beaucoup de vos rapports. Dans deux jours, vous commencerez à poser des questions, mais pas avant, pour l’instant contentez-vous d’observer, je veux tout savoir. Et maintenant, préparez-moi mon bain.

Les apprentis hochèrent la tête et s’inclinèrent du plus bas qu’ils le pouvaient même s’il leur tournait le dos, puis partirent d’un pas pressé s’occuper du bain de leur maître. Ils avaient totalement conscience que le Prêtre de l’Aube avait leur avenir au sein de l’Église Indicible entre ses mains. Il se tourna finalement vers les trois autres personnes qui étaient toujours présentes au sein de la pièce, ses fidèles assistants.

— Toi, pars immédiatement au palais informer Sa Majesté de notre présence dans sa cité et fait en sorte de m’obtenir une entrevue. Peu importe si cela prend du temps, il ne faut surtout pas que nous ayons l’air de brusquer son excellence, précisa-t-il avant d’ajouter. Zet, accompagne-le. Restez ensemble, mais observe bien qui vous croiserez à la cour et fait en sorte de savoir si la princesse Seknä de Redgem est déjà arrivée. Pas de questions bien sûr.

Les deux assistants levèrent leur main droite et serrèrent le poing, puis attrapèrent leur poignet de l’autre main et s’inclinèrent avec respect devant le prêtre. Lorsqu’ils quittèrent la pièce, il observa à son tour son dernier assistant, qui attendait patiemment ses ordres.

— Fais savoir que je dînerais dans ma chambre, lui indiqua le Prêtre de l’Aube. Je te laisse le soin de superviser le repas, que personne ne monte à l’étage. Je veux que ce soit prêt quand je sortirais de mon bain. Ensuite, tu pourras libérer les apprentis.

— Bien, maître.

Sans attendre, le prêtre se dirigea vers la salle d’eau, ravi de pouvoir se détendre après ce long voyage. Il laissa ses apprentis le débarrasser de sa robe et l’aider à entrer dans son bain, même s’il n’en avait pas vraiment besoin, et un instant, son regard s’arrêta sur le reflet que renvoyait un immense miroir, un corps usé par le temps et parsemé de fines cicatrices. Les brûlures étaient pour la plupart assez anciennes et ne laissaient presque plus de marques. Elles témoignaient de ces expériences sur la maîtrise de son Affinité, qui se révéla malheureusement être très faible chez lui. Cependant, elle n’en restait pas moins existante, l’élevant lui aussi au statut d’élu des Divinités.

Toute sa vie, le Prêtre de l’Aube avait tenté de s’exercer pour développer son Affinité, s’épuisant pour un résultat toujours très décevant. Il ne comptait plus les fois où il s’était entaillé ou brûlé la peau, espérant que sa maîtrise de l’Eau lui permette de soigner ses blessures. Le processus n’était jamais concluant, toujours bien trop long, presque insignifiant, et la seule chose qu’il parvenait à faire était de réduire ses cicatrices.

Le Prêtre de l’Aube chassa ses sombres pensées de son esprit et se plongea dans l’eau brûlante de son bain. Après tout, peu lui importait, il était l’un des élus et les Divinités lui avaient donné une mission à accomplir.

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