Chapitre 40 - Zakaria

Notes de l’auteur : Bonjour :D Un chapitre un peu plus tranquille pour souffler entre deux batailles, il faut bien un peu de calme dans ce monde de brute... Bonne lecture :)

L’Oursin avançait dans l’aurore, doucement éclairée par les premières lueurs relâchées par les fleurs tout en bas, sur les collines et dans les vallons. Il n’y avait pas d’autres bruits qu’un vent léger dans les voiles et le crissement des cordages - pas de coups de canons, pas de cris de guerre, pas de hurlement des Féroces ni le tumulte des sabots qui fuyaient un Cauchemar. Abradja, encore endormie, n’avait aucune terreur à offrir, en cet instant.

Zakaria n’avait fermé l’oeil que quelques heures. Une fois ses muscles reposés, son esprit agité l’avait maintenu alerte, alors il n’avait pas lutté longtemps contre l’insomnie. Après la bataille de Pied-de-Troll, il se sentait étrangement apaisé. Peut-être parce qu’ils avaient pris le dessus sur les chasseurs envoyés par Fenara. Peut-être aussi parce que ses compagnons de route l’avaient écoutés, que sa magie et ses lances avaient défendu le village. C’était probablement égocentrique de sa part, d’être aussi content de lui-même, mais Zak ne prétendrait jamais être humble. Il n'avait jamais été capable de l'être.

Tout n’était pas que bonnes nouvelles, bien sûr. Fuir une attaque, même avec succès, mettait toujours n’importe qui en désavantage. Et ce qu’il avait appris de l’Armada ne lui disait rien de bon non plus. Depuis combien de temps les autres pirates agissaient-ils ainsi dans son dos en essayant de récolter les soutiens de village en échange de leur sécurité ? C’était totalement contraire à leurs principes d’origine, défendre tout le monde sans distinction, pourvu que l’hégémonie de la toile tombe.

Depuis combien de temps cherchaient-ils une excuse pour le dégager, si c’était ça, leur objectif véritable ?

— Toi aussi t’as le mal des airs ?

Zakaria se retourna, et croisa le regard nauséeux de Del qui titubait vers la rambarde pour l’y rejoindre. Ses yeux étaient encore alourdis de sommeil, mais le petit maegis semblait davantage prêt à vomir dans son scaphandre que retourner sous la voile qui lui servait d’édredon. 

— Tu demandes ça à un pirate ? se moqua Zakaria.

Del grimaça et s’avachit à demi sur la rambarde.

— Urgh. Ça va déjà mieux, mais être allongé ça marchait pas pour le moment.

— Pas pour sonner comme Suzette, mais tu devrais prendre tout le repos que tu peux. Qui sait ce qui va nous attaquer ensuite.

— Je sais…

Le maegis pivota pour tourner son dos au vide, et observer le petit groupe endormi sur le pont. Les jumelles avaient récupéré la cabine en bas, mais Lo, Nodia et Sehar étaient encore enroulés dans des vieilles voiles et dormaient en plein air, comme Del et Zakaria quelques instants plus tôt. Le maegis fixait Sehar,roulé en boule le front appuyé sur le dos de sa demi-soeur et sa queue rabattue sur ses côtes. Même en partie masqué par le verre teinté, le regard enamouré de Del ne laissait aucun doute. Zakaria sourit, et ne résista pas à l’envie de le taquiner. Après tout, cela ne pouvait pas faire de mal, après toutes les emmerdes qu’ils avaient eu, de parler de choses simples qui n’étaient pas des questions de vie ou de mort.

— Sehar et toi, vous êtes ensembles ?

Un couinement de panique sortit de la bouche du maegis, qui se mordit aussitôt la lèvre et répondit le plus bas possible pour ne pas être entendu des endormis.

— Ensembles, genre… Haha, non, non non non. On vient de se rencontrer, et puis c’est pas vraiment le moment hein ? 

— Pas vraiment le moment ?

Le maegis hésita un peu, son regard oscillant entre les endormis qui n’avaient pas été réveillé par leurs voix, et Zakaria qui l’observait avec son sourire amusé.

— On est en pleine fuite ! Et tu l’as dit toi-même, on ne sait pas qui va attaquer ensuite.

— Et alors ?

Del le fixa avec consternation, comme si Zakaria venait de lâcher la réponse la plus stupide du monde, ce qui amusa encore plus ce dernier. Ah, l’innocence de la jeunesse.

— Et alors, je me sens presque mal ne serait-ce que d’avoir un béguin dans ces circonstances ! On a peine le temps de trouver des plans pour se sortir de la merde, il faudrait que je fasse de la place dans le truc qui me sert de cerveau, tu vois ?

Le valeni rit de l’absence de filtre du petit maegis et de la franchise avec laquelle il était capable d’énoncer ses sentiments. Il les trouvait décidément adorables, ces deux garçons - surtout qu’il ne doutait pas un seul instant que Sehar partage les sentiments de Del.

— En plus je porte toujours ce truc, conclut le maegis avec exaspération. C’est pas pratique pour, euh… enfin…

Sa franchise se changea aussitôt en gêne, et les couleurs de sa cicatrice changèrent avec panique.

— Pour se déshabiller ? compléta Zak sans aucun scrupule.

Ce fut le coup fatal. Le maegis couina et détourna le regard, chassant l’idée de virulents gestes de ses mains.

— Je pensais juste à un baiser, pas à du sexe. 

Del croisa les bras, et grommela pervers sans avoir l’air de vraiment le penser. Zakaria était quasiment sûr que l’idée lui avait donc déjà traversé l’esprit. Décidément, l'adolescence faisait des ravages.

— Un premier baiser c’est forcément romantique, continua Del. Alors j’attends le bon moment, c’est tout.

— Juste avant une grande bataille, un dernier baiser volé au cas où tu ne le revois jamais, pour que le second soit lorsque vous vous retrouvez enfin ?

— Exactement ! s’exclama Del, l’ai rêveur.

Zakaria éclata de rire, ce qui lui valut un regard noir du petit maegis.

— C’est pas comme dans les récits épiques, la vraie vie, tu sais.

Del fronça les sourcils, toujours boudeur.

— Rappelle-moi, t’es pas un prince pirate seul contre le reste du monde, échangé à la naissance, combattant hors pair et défenseur des innocents ? T’as l’air tout droit sorti d’un récit épique, t’es mal placé pour parler.

Zakaria frappa le dos de son scaphandre à défaut de sa tête, et Del lui tira la langue avec un rire moqueur.

— Je suis sérieux. Les bons moments pour faire quelque chose, ça n’existe pas. Ils sont toujours dans le passé ou dans le futur. Oh, et si j’avais fait ça, mais maintenant c’est trop tard… Si j’attends un peu, le bon moment viendra… Mais le passé s’est fini, et le futur n’est jamais garanti. Tout ce que tu as, c’est maintenant, alors si un moment, bon ou pas si bon, arrive, tu le prends. Sinon tu n’auras plus que des regrets et des craintes. 

Le maegis lui adressa une moue peinée, les yeux légèrement plissés pour le jauger. 

— T’es du genre impulsif, toi, non ?

Zakaria rit, et le visage faussement attristé de Del s’éclaircit aussi avec amusement.

— J’essaie de te donner un conseil d’expérience, et tu te moques ?

Le petit maegis rit de plus belle, mais quelque chose de plus lourd qu’une simple peur d’adolescent énamouré vint assombrir son regard, une fois son hilarité passée.

— Je sais que je peux mourir n’importe quand depuis longtemps, tu sais. Et ça n’aide pas à être plus impulsif, du tout.

— Comment ça ?

Del hésita, se mordit la lèvre, puis haussa les épaules.

— Je suis… pas en bonne santé. Je ne peux pas faire ce que je veux, quand je le veux. Pour moi, être prudent, c’est augmenter des chances d’avoir un futur, tu vois ? Même si je suis pas vraiment très doué pour être prudent, je pense que t’as remarqué. Mais bon... J’ai appris à vivre avec le fait que je serais toujours faible. C’est comme ça.

— C’est un mensonge, surtout.

Zakaria n’avait pas hésité un seul instant, oubliant - peut-être impulsivement - d’adoucir la frustration qui avait aussitôt pris son coeur en entendant les sottises du maegis.

— Tu es fort, insista-t-il. Ton esprit, ta magie, même ton corps est plus fort que tu ne le penses. Je peux le voir et tout le monde ici aussi le sait. 

Del le regardait totalement abasourdi, la bouche entrouverte et une perle de larme au coin de l’oeil. Il leva une main pour la chasser, mais la laisser retomber à mi-chemin, l’existence du scaphandre revenu bien vite à sa mémoire.

— Ne dis pas ça, murmura-t-il. Tu ne me connais pas. 

— Hey, tu viens de me rencontrer aussi et tu n’avais pas tort en disant que je suis un héros de chanson ambulant, alors pourquoi je ne pourrais pas avoir raison aussi ?

Del lui adressa un sourire triste, puis détourna le regard vers le ciel. Son masque rieur et insouciant était tombé, et il ne semblait plus vouloir se cacher derrière. La larme coula doucement sur sa joue, ses yeux blancs éteints fixés loin au-dessus d’eux.

— Je ne peux pas te dire pourquoi tu te trompes. Il faudra que tu me croies sur parole, okay ?

Zakaria voulait batailler la question, mais il n’en eut pas le temps. Un croassement enjoué de Sia retentit depuis le poste de pilotage, qu’elle avait pris du bec de Suzette au milieu du chemin pour la laisser dormir un peu. Cette dernière était désormais réveillée, et croassa en retour, avant de clamer pour les non-corbeaux de la troupe :

— Debout les sales gosses, on entame la descente !

Ils étaient encore à une bonne distance de la Forteresse de Zarnima, mais la solution la plus sûre pour l’atteindre était d’atterrir derrière la forêt la plus proche, et finir le trajet à pied. S’y rendre frontalement avec l’Oursin était une garantie qu’ils se fassent torpiller exactement comme eux avaient abattus les trois navires des chasseurs.

Zakaria posa une main sur l’épaule de Del, qui le regarda avec un demi-sourire enjoué, comme pour lui assurer silencieusement que ce n’était rien, qu’il ne devait pas s’inquiéter pour lui. Le valeni le ferait quand même, mais pour le moment, il avança vers le mat pour l’escalader et prêter main-forte à Sia. Le corbeau pouvait en théorie se débrouiller sans son aide, mais après la nuit qu’ils avaient eu, mieux valait ne rien laisser au hasard. 

Se poser sur la terre ferme était toujours plus difficile que de s’amarrer à un quai, mais la présence d’arbres assez haut pour leur servir de point d’ancrage leur facilita la tâche. Dès qu’il fut réveillé, Sehar les rejoignit pour tenir les câbles, et quelques instants plus tard, c’était Jin qui assistait Suzette près de la console de pilotage pour réajuster le sortilège de l’Oursin

Ils n’avaient pas explicitement évoqué le fait que la maegis se déplaçait désormais sans combinaison comme sa soeur. Zakaria ne savait pas ce qui avait motivé sa décision, mais si le mal la faisait vriller, c’était encore un problème qu’ils devraient régler dans la violence. Peut-être était-elle déjà touchée. Peut-être qu’après tout ce qu’elle et sa famille avaient vécu, les conséquences du mal lui paraissaient dérisoires. 

Une fois les câbles solidement ancrés sur les troncs des plus gros arbres et leur navire stabilisé, ils déroulèrent l’échelle, et descendirent vers la forêt. Avec l’aide de Nodia, Zakaria tenta un sortilège pour dissimuler l’Oursin dans les ombres, mais ils n’osèrent pas donner trop de leur magie, après la nuit qu’ils venaient de passer et l’épreuve qui les attendait encore. Le résultat fut donc peu concluant, mais suffisant pour quelques heures d’absence. 

— Dans combien de temps y serons-nous ? demanda Erin.

— Il nous reste trois heures de marche, je pense, répondit Zakaria.

— Trois heures ? s’indigna Del.

Le reste de la troupe suivit Nodia entre les arbres sans hésiter, pas vraiment surpris d’avoir à marcher encore avant d’atteindre leur destination. Le petit maegis ne suivit que lorsque Sehar lui attrapa la main pour l’encourager, et Zakaria ferma la marche, une lueur amusée dans ses yeux noirs. L’affection des deux garçons était définitivement réciproque. Zakaria aurait presque pu être jaloux de leur relation - mais pour être tout à fait honnête, il n’était pas prêt à ressentir tout cela de nouveau. Pas tant que Fenara était encore en vie. Pas tant qu’elle était encore là pour lui arracher la moindre miette de bonheur que le monde serait prêt à lui offrir. Zakaria ne se gênerait pas pour saisir toutes les joies éphémères qui se présenteraient à lui, mais pour le reste, il passait son chemin.

— Hey Lo, pourquoi t’étais pas avec nous dans la chambre cette nuit ? appela Del. T’as pas dormi ?

Lea faune tourna la tête vers son ami, un sourire presque énigmatique aux lèvres que Zakaria imita sans y réfléchir.

— Pas tout de suite, mais Zak m’a aidé en me fatiguant un peu.

Le regard pétillant, Del prit une fausse expression scandalisée pour les observer l’un après l’autre.

— Par les immortels, auriez-vous couché ensemble ?

— L’idée m’a traversé l’esprit, mais non, répondit Zakaria.

— Une autre fois, peut-être, compléta Lo.

L’expression moqueuse du petit maegis devint sincèrement embarrassée en un battement de cil, et les couleurs de sa cicatrice se déstabilisèrent furieusement. Il parut soudainement gêné de tenir la main de Sehar, sans vouloir la lâcher pour autant, lorsqu’il croisa le regard de Zak et que la conversation qu’ils avaient eu à l’aurore revint au devant de son esprit. 
Nodia leur jeta des regards perplexes depuis le devant de la file, sourcils froncés et yeux plissés, mais garda son opinion pour elle. Erin, juste derrière elle, n’eut pas la même délicatesse.

— J’espère que le peu de sommeil que vous avez suffira. La forteresse sera gardée, ce ne sera pas le moment de penser à relâcher la tension.

Le sourire de Zakaria s’élargit avec amusement. Gardée ou non, ils seraient prêts pour cette forteresse. Lui l’était, en tout cas. Ils récupéreraient les soldats de la Nuit, et ramèneraient l’équilibre dans l’Abdraja. Son coeur se serra un peu dans sa poitrine, et il prit une grande inspiration. Peut-être que la vraie vie n’était pas comme les récits épiques tissés dans les voiles et tapisseries et chantés par les bardes, mais pour cette aventure-ci, ils devraient faire en sorte que ce soit le cas.

Zakaria était bien entouré. Tous ensemble, ils pouvaient le faire. Rien ne se mettrait en travers de leur chemin… 

Rien, si ce n’était Fenara. Il serra les dents, et s’enfonça encore davantage dans la forêt, direction la forteresse de Zarnima.

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Nanouchka
Posté le 29/04/2022
Tout le monde est adorable et de bonne volonté. TOUT LE MONDE IL EST BEAU, TOUT LE MONDE IL EST GENTIL. C'est chouette que Zakaria puisse un peu se poser, se sentir partie de cette troupe de bras cassés ultra-puissants.

Je pense que le chapitre est tellement calme que tu peux te permettre de glisser une ou deux pensées mystérieuses, qui nous questionnent, dans les pensées de Zak.
AnatoleJ
Posté le 03/05/2022
Ah tiens, du coup ça fait écho sur ce que tu disais au chapitre précédent : il y a peut-être moyen de transfuser un peu de l’angoisse/action de la bataille ici en utilisant l’option cliffhanger avant. Je ne sais pas encore comment mais je vais y réfléchir !

Zakaria mérite sa place de bras cassé en chef ^^
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