Chapitre 41 - Erin

Notes de l’auteur : Bonjour :D J'ai failli oublié de poster le chapitre de la semaine, et je suis trop fatigué pour faire une vraie correction, j'espère qu'il ne reste aucune phrase incompréhensible ^^' Bonne lecture !

Sous ses pieds nus, les feuilles mortes reprenaient vie.

Erin sentait les miettes de magie qui s’effritaient pour retourner à la terre, puis se glissaient dans le ventre des petites créatures qui répandaient leurs déjections entre les racines. Les miettes remontaient les tiges, pour gorger les feuilles et les fleurs, mangées encore par d’autres insectes, ou qui tombaient pour lentement se décomposer. Elle sentait ces miettes dans l’air lumineux, rendu si clair par les milliers de lueurs florales qui s’étaient échappées à l’aube et retourneraient à la terre au crépuscule.

La magie, Erin pouvait presque la goûter sur sa langue et l’enserrer dans ses poumons, à chaque inspiration qu’elle prenait. Elle la sentait lui échapper à chaque expiration, à chaque goutte de sueur qui coulait entre ses épines sur sa peau corrompue de vert, et glissait dans l’humus. 

Pour les maegis, percevoir la magie avait toujours été d’une simplicité déconcertante. Où la trouver, qui s’en servait, comment, avec quel degré de contrôle et avec quelle intensité… toutes ces informations étaient à portée de sens aussi simplement que tendre la main pour toucher un objet devant eux. Mais ce qu’Erin ressentait désormais, c’était tout autre chose.

La forêt lui paraissait plus belle qu’elle n’aurait jamais pu la voir. C’était un puzzle imparfait, un puzzle dont aucune pièce n’avait été conçue pour elle mais qui s’y imbriquait aisément. Chaque chose trouvait sa place, faisait sa place, forçait sa place. La forêt ne contrôlait rien mais la forêt était, sans effort, sans concessions sur sa nature. Nul besoin de correspondre à un schéma - seulement de s’accrocher à la vie.

Un instinct nouveau dans ses veines la poussait à vouloir s’y connecter - mais lorsqu’elle tendait l’oreille, elle n’entendait rien. 

Comme si le monde était mort, en réalité. Que toute la vie qu’elle percevait n’était qu’un souvenir, un écho de ce qu’elle avait été, de ce qu’elle aurait pu être.

Erin avait su pourquoi cette sensation l’assaillait, avant. Mais depuis qu’elle avait rendu ses souvenirs à Lo, la réponse lui échappait.

Au milieu de tout ce qui était mort, dans ce monde, lea faune était la seule chose qui lui paraissait vivante, son aura un appel impossible à ignorer. Elle avait comme la certitude qu’iel était quelque chose de spécial, presque royal. Une reine pour la forêt entière, capable de la ramener à la vie, si iel acceptait seulement de prendre ce rôle. 

Je ne peux pas faire ce que tu attends de moi, avait-iel murmuré, quelque part dans sa mémoire.

Mais quand ? Et que ne pouvait-iel pas faire ?

Avoir oublié était frustrant, et lui demander explicitement des réponses impossible tant qu’ils avançaient, improbable une fois qu’ils auraient retrouvés les valenis, qui risquaient de remplir leur bateau et faire disparaître le peu d’intimité qu’ils avaient encore.

Et sans la vraie réponse, son coeur lui en soufflait une autre, comme si la sensation de mort qu’elle ressentait n’était qu’un reflet de ce qu’elle était. Morte, sans son frère. Morte, alors que sa soeur laissait le mal la ronger. Morte, sans aucun endroit où l’emmener en sécurité et sans aucune idée de comment les sauver.

— Cesse de penser à ce qui n’est pas là.

Elle sursauta, et se tourna vers Lo, qui marchait désormais à ses côtés. Erin n’avait pas remarqué que l’ordre de marche avait changé : Zakaria et Nodia, en tête, discutaient principalement par signes de ce qui semblaient être des tactiques militaires, et Jin s’était rabattue avec Del et Sehar pour s’appuyer sur le jeune hybride, coincé entre les deux maegis qui lui relataient l’attaque depuis le ciel. Elle entendait les grandes ailes de Suzette et Sia au-dessus des arbres, alors que les deux Oranimus survolaient les alentours pour s’assurer que rien ni personne de dangereux ne les approchait.

— Tu peux lire mes pensées ? souffla-t-elle.

Sa voix, encore rauque, lui écorcha la gorge. Lo eut l’ébauche d’un sourire, mais secoua la tête.

— Tu tirais la tronche. Et je sens aussi cette absence. 

Erin ne doutait pas qu’iel fasse référence à la forêt, et non pas aux pertes qu’Erin avait et allait subir. En réalité, lea faune n’avait bel et bien aucune idée de ce qu’il se passait dans sa tête, et elle s’en trouva étrangement déçue. Mais puisqu’iel lui offrait implicitement l’opportunité de trouver des réponses, rien qu’en l’ayant rejoint, elle la saisit.

— Pourquoi je la sens, cette absence ?

— Je n’en suis pas sûr. Ce que je t'ais fait, ce n’est pas vraiment un sortilège ordinaire… Je ne sais même pas si quelqu’un l’a fait avant. 

— Tu la sens aussi, donc ?

Iel acquiesça sombrement, glissa machinalement les doigts sur un tronc proche, sans que l’arbre ne réagisse. C’était un comportement normal d’arbre, mais Erin s’était presque attendue à ce que quelque chose se passe, sous ses mains.

— Les forêts d’ici sont mortes. 

— Comment les réveillons-nous ?

Iel la regarda, les sourcils froncés et le regard voilé d’un courroux qu’elle ne comprenait pas, mais dont elle ressentait l’écho du souvenir effacé dans son coeur.

Nous ne faisons rien.

Erin avait dépassé les limites de sa cordialité, pour cette fois-ci. Elle laissa le silence revenir, sans oser demander ce que la phrase dont elle s’était souvenue signifiait. Elle ne saurait pas encore ce que Lo refusait de faire - peut-être ce qu’iel venait encore de refuser. 

Lea faune ne s’éloigna pas, cependant. C’était à son tour de lui poser une question, de revenir à un problème plus pressant, que dans sa confusion, elle avait du mal à saisir. Comme s’il ne s’agissait plus que d’un mauvais rêve.

— Les valenis… dans quel état seront-ils ?

— Diminués. Ce qui veut dire endormis, et mis dans une boite.

Lo la regarda avec surprise, alors elle développa l’explication, autant qu’elle le pouvait. Fenara ne lui avait pas vraiment laissé l’opportunité d’en apprendre autant qu’elle le voulait, après tout.

— Les ombres ne paraissent grandes qu’en comparaison des lumières qui les entourent. Sans lumière…

Elle fronça les sourcils. Sans lumière, quelle importance, en réalité ? Depuis que Lo l’avait changée, elle sentait la nuit différemment. La lumière florale était partout, même lorsque ses yeux ne pouvaient plus la voir. Elle était là, dans un autre état, plus difficile à saisir.

— Sans lumière, reprit-elle avec hésitation. Je crois…

L’air trembla, juste avant que le son ne parvienne dans ses oreilles tremblantes.

Le hurlement d’une Féroce. Furieuse, et affamée.

— Sérieusement ? couina Del.

— Peut-être qu’elle ne nous attaquera pas ? supposa Sehar avec espoir.

Un deuxième hurlement retentit, puis un troisième. Tous dans des directions différentes. Ils étaient encerclés.

— Tu ne pourras pas tous les amadouer, trancha Zakaria. Suzette, elles sont combien ?

Aucune réponse. Au-dessus d’eux, Erin n’entendait pas le bruissement familier des ailes des corbeaux, comme si Suzette et Sia avaient pris la fuite. Ce qu’elles n’auraient fait en aucune circonstance. Erin échangea un regard avec Jin, et sut qu’elles partageaient la même inquiétude.

— On court ! les poussa Zak, le regard troublé par l’absence de sa vieille amie et une lance lumineuse à la main.

Ils lui obéirent sans protester davantage alors qu’un quatrième hurlement déchirait l’air. Le galop des Féroces se rapprochait alors qu’ils courraient entre les troncs, et Erin apercevait des morceaux de leurs silhouettes menaçantes apparaître et disparaître dans les trouées d’arbres. Lo leur ouvrait le chemin, et Erin l’imitait comme elle pouvait. Mais courir était déjà trop difficile. Elle ne parvenait pas à puiser dans sa magie l’énergie nécessaire pour avoir plus de vitesse et d’endurance, comme elle le ferait normalement. Jin et Del semblaient encore en être capable, malgré leurs états maladifs respectifs, alors pour ne pas prendre de retard, elle tenta d’utiliser la végatation comme substitut.

Dans l’urgence, impossible d’apprendre à s’en servir correctement. Mais elle essaya de toutes ses forces.

Le temps qu’elle ne touche presque une ébauche de compréhension, et la forêt avait disparu.

Ils déboulèrent en haut d’une colline nue, et dévalèrent la pente à découvert. Erin dernière de file, juste derrière Sehar qui gardait les arrières de Del et jetait régulièrement un regard en arrière vers elle.

Dans le ciel, toujours aucune aile noire.

Un nouveau hurlement les fit accélérer, alors que les créatures massives peinaient à s’extraire de la végétation touffue de la forêt avec autant d’aisance qu’eux. C’était le seul avantage qu’ils avaient sur elles. Pas pour longtemps.

La forteresse de Zarnima était en vue, désormais. Juchée au sommet de la colline suivante, ce n’était qu’un large rectangle gris foncé posé dans une herbe toute aussi grisâtre, avec une unique tour de surveillance plantée au milieu. Les gardes postées là-haut avait la vue dégagée pour leur tirer dessus.

Mais peut-être qu’ils laisseraient simplement les Féroces les anéantir.

La première sauta hors des buissons, puis une deuxième, une troisième, et bientôt, c’était dix Féroces qui les rattrapaient au galop alors qu’ils entamaient la montée de la colline, à peine aidés par l’impulsion de la descente de la précédente.

— On défonce la porte ! ordonna Zakaria.

Pas le temps de trouver un autre plan. Quitte à choisir, mieux valait affronter les gardes de la forteresse que des Féroces affamés. 

Lo lançait des graines de sortilèges en arrière pour les faire tomber, mais les Féroces se relevaient toujours bien trop vite. Lorsque l’une d’elle se rapprocha assez pour faire claquer ses machoires à quelques centimètres de Sehar, qui faisait barrière entre Del et la horde monstrueuse, Nodia sauta sur le dos de la bête et lui transperça le crâne sans aucun scrupule.

Jin et Zakaria avaient atteints la porte, et préparaient un sortilège pour la déverrouiller dans leurs mains.

Elle s’ouvrit sans opposer de résistance, dès que le grand valeni posa la main sur le large battant.

Personne ne les attaqua, pas quand Erin, Sehar et Del franchirent les derniers mètres qui les séparaient de la porte, ni quand ils refermèrent cette dernière sur eux. Aucun comité d’accueil ne les attendait, alors que les Féroces se cognaient à la muraille, poussaient un dernier cri de guerre frustré, puis firent demi-tour pour chercher une proie ailleurs.

Pour garder cette forteresse, il n’y avait personne.

Cela aurait dû l’inquiéter. Mais c’était autre chose, qui obsédait Erin.

Elle en était certaine, les Féroces n’étaient pas les animaux qu’elle avait toujours cru qu’ils étaient. Elle l’avait senti, avec une précision qui lui donnait la nausée. Elle n’aurait jamais pu le percevoir, si elle n’avait pas été à la fois maegis et cette chose qu’elle était devenue. 

Les Féroces avaient été corrompues. Elles appartenaient à autre chose que la forêt, à laquelle elles auraient dû être connectées comme tout le reste. Elles avaient été corrompues, et l’étaient depuis si longtemps que personne n’aurait pu se rendre compte du changement. 

Et Erin connaissait la coupable. Les pièces imparfaites du puzzle se mettaient en place dans son esprit pour former une hideuse image, mais il était trop tard pour faire demi-tour. Les fenêtres blindées et les grilles des portes de la forteresse se refermèrent sur eux, et l’obscurité meurtrière les enveloppa.

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Nanouchka
Posté le 17/05/2022
YES, moi aussi je sens qu'il y a un puzzle à déconstruire autour des Féroces, et j'adore qu'Erin soit celle à travers qui on va mener cette réflexion, ça va la rendre plus réelle pour moi.

J'aime bien la réserve de Lo, toujours observateur, toujours prudent.

La course-poursuite gagnerait à ce que tu décrives en quelques phrases où en sont les Féroces aussi, ça augmenterait l'urgence de la fuite.
AnatoleJ
Posté le 22/05/2022
Erin passion puzzle x)
C’est noté pour la course poursuite !
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