Julie se dirigea directement vers le quartier des initiés. Elle comptait bien prévenir Auguste. Il sauterait de joie, à n’en pas douter. Elle avait tellement hâte de lui dire !
Lorsqu’elle arriva sur place, l’endroit était désert. Julie trouva cela étrange. Il y avait toujours du monde au centre du village de huttes de chaumes et de bois.
- Où sont-ils tous ?
La console lui indiqua une direction. Elle suivit, un peu inquiète à l’idée de ce qu’elle allait trouver au bout. Finalement, elle déboucha devant un immense bâtiment en pierre. Du marbre, supposa Julie qui n’y connaissait pas grand-chose mais il lui semblait bien reconnaître cette matière noble.
L’édifice proposait quatre flèches qui semblaient toucher les nuages. Rond, il offrait des sculptures sur ses contours, dans des coloris vifs chatoyants. Des tentures en soie voletaient librement de ci, de là. La grande double porte ouverte donnait envie d’entrer.
Julie passa sous l’arche pour débouler dans un petit hall percé d’une porte en bois pour l’instant close. Julie s’avança et poussa lentement. L’intérieur offrait des mosaïques resplendissantes. Une fontaine au centre invitait au calme et à la méditation. De nombreuses plantes rendaient le lieu vivant.
Julie constata la présence de nombreux tableaux et tapisseries et se figea en constatant le personnage représenté : Chris. Julie avait appris qu’il ne changeait presque jamais d’apparence. Il aimait côtoyer les humains et ils avaient besoin de constance. Son visage glabre à la peau olive, ses yeux et ses cheveux courts noirs s’étalaient partout.
Julie n’en revint pas. Les laborantins avaient été sacrément rapides ! Ce lieu de culte dépassait toutes ses espérances. C’était sublime. De nombreux initiés se trouvaient là, la plupart à genoux, marmonnant des mots incompréhensibles que Julie supposa être des prières. Pensaient-ils vraiment que Chris écoutait ?
Une petite voix dans l’esprit de Julie répliqua : « S’il le voulait, il pourrait entendre. Ses sens ultra aiguisés de Vampire le lui permettent. » Sauf qu’il n’en avait aucune envie.
- Maman ? s’écria une voix aiguë et les murmures s’éteignirent d’un coup. Maman !
Auguste traversa la salle carrelée en courant pour se jeter dans les bras de sa mère. Les initiés se redressèrent lentement pour lever sur Julie un regard profond. Julie eut le souffle coupé par le câlin puissant de son fils.
- Tu es vivante ! s’exclama-t-il.
- Évidemment ! répliqua Julie. Pourquoi en serait-il autrement ?
- Un de tes événements a causé la mort d’un Vampire. La rumeur dit que Chris est venu te trouver et que tu as disparu après.
Julie dut admettre que cela pouvait porter à confusion.
- Chris est venu me féliciter. Il adore l’escape game.
Auguste en resta bouche bée, les yeux écarquillés.
- Il a allégé ton intouchabilité.
Le visage d’Auguste devint blême.
- Quoi ? bafouilla-t-il.
- Pas envers les Vampires ! précisa Julie. Non ! Uniquement envers les initiés.
- Je… Quoi ?
- Chris accepte que les initiés puissent te toucher et inversement. À tes risques et périls. S’ils te font du mal, personne n’interviendra. Je suppose d’ailleurs que tu n’as plus de protectrices.
« Je te confirme. Tu as perdu les tiennes aussi. » indiqua la console.
- Je peux… Comment ? Laisse tomber, se contra lui-même Auguste. Je m’en fiche. Merci, maman. Tu es merveilleuse.
Sans lui laisser le temps de répondre, il fila vers une plante à l’autre bout du temple en l’honneur de Chris. Là, il s’arrêta devant une jeune femme, lui parla puis ils s’embrassèrent. Julie en fut à la fois heureuse et peinée. Elle espéra que l’élue du cœur de son fils offrait assez aux Vampires pour qu’elle ne sombre pas rapidement entre leurs crocs.
- Si nous avons bien compris, c’est à vous que nous devons cet endroit, dit un initié que Julie n’avait jamais vu.
- J’ai demandé la permission à Chris qu’un tel lieu existe.
- Nous vous sommes à jamais redevables, dit l’homme. Emy aurait adoré cet endroit.
Julie en cessa de respirer. Que venait de dire cet initié ?
- Je m’appelle Raphaël, précisa-t-il. Je suis un cousin germain d’Emy.
Julie sentit l’émotion l’envahir. Elle n’avait jamais trop repensé à sa meilleure amie, morte dans cette ruelle sombre, celle par qui tout avait commencé.
- Nous n’en avons jamais eu la confirmation. Peut-être le savez-vous. Emy est-elle morte suite à un don à la source ?
Julie hocha la tête. La gorge serrée, elle se retrouva incapable de prononcer un son. Elle revit son amie lui dire de s’éloigner, qu’elle allait passer la soirée avec ce mec glauque, soi-disant son plan cul. Julie revit son corps sur le sol. Elle se revit prendre son collier. Elle revit Elijah lui demander, dans la rue, qui commande. Elle revécut sa première morsure, sous un soleil brillant qu’elle croyait protecteur.
- Ses parents seront heureux de l’apprendre, dit Raphaël. Encore merci, madame Admel.
Il s’inclina rapidement puis retourna prier. Julie se sentit bouleversée. L’estomac noué, elle sortit pour retrouver la fraîcheur de l’air sous les arbres. Il lui semblait avoir passé tout son temps dans l’immense édifice en apnée. L’émotion la submergea et elle fondit en larmes.
- Désolée de vous déranger mais il y a un problème dans l’escape game, vibra la voix métallique de sa console dans ses oreilles.
S’occuper d’un événement ! Voilà de quoi l’éloigner de son tristesse. Elle essuya son visage d’un revers de la main et marcha tel un automate vers la salle de contrôle, pour la trouver vide. Évidemment… Chris vérifiait la loyauté de ses filles, quoi que cela puisse signifier.
Julie se trouva en difficulté. Le Vampire dans l’escape game n’avait ni besoin de dormir, ni de manger, ni de pisser. Elle devait le surveiller tout le temps, adapter, vérifier. Bien sûr, une IA gérait le tout mais le programme était tout sauf au point et Julie se découvrait très mauvaise.
Au bout de trois jours, le visage blême sous des yeux cernés, Julie alla frapper au mur de la pouponnière. La porte s’ouvrit, pour dévoiler Sophie. Julie en pleura de bonheur.
- Tu es vivante ! s’exclama-t-elle. Je t’en prie ! J’ai besoin d’aide. Je ne parviens pas à gérer l’escape game seule !
Sophie acquiesça. Elle sortit sous les arbres.
- Elisa ? demanda Julie en regardant dans le couloir qui disparaissait tandis que le mur se refermait.
Sophie serra la mâchoire en retour.
- Elle est morte ? interrogea Julie d’un murmure.
- Pas encore, dit Sophie. Toujours en test.
- J’espère qu’elle le réussira, dit sincèrement Julie.
- Si Chris le veut, répondit laconiquement Sophie.
Sophie rejoignit la salle de contrôle et Julie put enfin aller déjeuner tranquillement.
- Bonjour, madame Admel.
Julie leva les yeux de sa blanquette de veau. Un homme se tenait debout devant elle. Si elle avait dû décrire son homme idéal, ça aurait été lui. Beau ne lui convenait pas. C'était une bombe anatomique. Même ses imperfections le sublimaient. Il était parfait. Julie mit plusieurs secondes à s'en remettre et à pouvoir répondre :
- Bonjour.
- Puis-je me joindre à vous ?
Elle acquiesça bêtement. Il s’assit avec grâce.
- Salut, Nicolas, dit le cuisinier en apparaissant. Blanquette de veau ce midi.
- Merci, Sam, mais je ne suis pas venu manger, répliqua le dénommé Nicolas. Je veux juste parler à la dame mais elle n’est guère disponible en dehors de ses repas.
- Ça se fait, de partager le repas avec les gens, fit remarquer Sam.
Julie aimait bien ce chef. Un peu taciturne mais ses plats frisaient le divin. Il lui souriait et son look musclé, tatoué, chauve, tee-shirt tête de mort et jean l’amusait. Il détonnait tellement dans le paysage !
Au palais, tout le monde était blanc, grand, blond aux yeux bleus, des corps athlétique avec des pectoraux marqués sans exagération. Les Vampires pouvaient choisir leur apparence alors ils se prenaient tous pour des milliardaires américains, en polo, chaussures en toile et pantalon de ville crème. L’anglais restait la langue majoritaire au palais et ce alors que, d’après les sondages, les langues natales des résidents soient harmonieusement réparties, dont une assez grande quantité de dialectes aujourd’hui disparus.
- Soit, accorda Nicolas. Va pour une blanquette de veau.
Sam sourit avant de disparaître en cuisine.
- Vous vouliez me parler ? proposa Julie qui se demandait ce qui pouvait motiver un Vampire à lui adresser la parole.
- Je viens d’arriver au palais dont j’ai la charge. Votre nom revient dans chaque conversation alors je satisfais à ma curiosité. C’est important, non, de mettre un visage sur un nom ?
- Sûrement, répondit prudemment Julie alors qu’un initié venait déposer son plat devant le nouveau client.
Nicolas prit sa fourchette et dégusta un morceau de carotte. Ce geste électrisa Julie. Le faisait-il exprès que le mouvement soit hautement érotique ? Non, cela venait d’elle. Elle le désirait tellement. Elle secoua la tête et força sa respiration à se calmer. Elle appartenait à Chris.
- Il paraît que tout ça, le restaurant y compris, c’est grâce à vous.
Jamais un Vampire ne venait lui parler. Pourquoi celui-là prenait-il le temps de lui faire la causette ? Elle se souvint de ses propos et quelque chose la gêna.
- Je ne fais qu’obéir au roi. Vous avez dit être en charge du palais ?
- Chris m’a nommé grand vizir, indiqua-t-il. Il est débordé et a choisi de me déléguer la gestion des Vampires hors sol.
Que le roi fut débordé ne choqua pas Julie. Il devait avoir sacrément confiance en ce Vampire pour lui confier une tâche aussi importante. Julie remua le bout du nez. Elle dut s’admettre agacée que Chris ne l’ait pas prévenue.
- Vous venez me demander de fermer l’escape game parce qu’il tue des Vampires ?
- Non, dit la bombe anatomique. Je viens mettre un visage sur un nom. Vous avez des idées pour améliorer encore les lieux ? Je demande histoire de savoir si cet endroit va connaître des modifications majeures. Je dois gérer les résidents et vous êtes un acteur majeur de la vie sociale ici. Il me semble normal de me renseigner.
Julie dévisagea son interlocuteur. Nombreux seraient les Vampires ravis d’avoir des informations en avance. Julie se tourna vers une groupe de trois Vampires déjeunant à une table voisine.
- Chris l’a vraiment nommé grand vizir ?
L’un d’eux hocha la tête. Julie redonna son attention à la bombe anatomique qui souriait. Il ne prenait visiblement pas ombrage de son manque de confiance. Il mit un champignon dans sa bouche et mâcha avant de lécher un peu de sauce qui ornait sa lèvre supérieure. Le cœur de Julie en rata un battement.
- Et puis ce n’est pas désagréable de passer du temps en votre compagnie. Cela me fait également plaisir de retrouver les bons plats de Sam.
- À ton service, Dracula, hurla le cuisinier depuis la cuisine.
- Dracula ? répéta Julie. Comme le célèbre Vampire ? C’est vous qui l’avez inspiré ou vous vous êtes octroyé son patronyme ?
- Le livre a été écrit par rapport à ma vie mais on m’a nommé ainsi seulement après sa publication alors c’est difficile à dire. Tu peux m’appeler Nicolas, si tu veux.
Julie fixa la main propre et manucurée du grand vizir qui manipulait sa fourchette avec dextérité. Nicolas. C’était mieux. Elle ne se voyait vraiment pas appeler quiconque Dracula.
- Alors ? insista-t-il. Des améliorations en vue ?
- Non, grogna Julie en levant les yeux sur le regard marine de son interlocuteur.
Elle pourrait bien s’y noyer. Elle détourna les yeux pour s’intéresser à son assiette dont le contenu délicieux ne l’attirait pourtant pas.
- L’escape game me prend tout mon temps, toute mon énergie, expliqua-t-elle. Je n’ai plus le temps de penser. Je n’ai pas dormi depuis trois jours.
- Delbert vient de mourir, annonça la console. Amina entre dans les locaux.
Plusieurs Vampires dans la salle sursautèrent et Julie gagna en attention, ce dont elle n’avait pas du tout envie.
- Je vais aller dormir, annonça-t-elle. Ravie de vous avoir rencontré, Nicolas.
- Moi de même, répondit-il poliment.
Elle rejoignit sa chambre et s’endormit à peine couchée. Quand elle ouvrit les yeux, ce fut pour découvrir qu’elle venait de dormir trente heures d’affilée. Elle se brossa les dents et se rendit directement à la salle de contrôle.
- Elisa ! s’exclama-t-elle. Je suis heureuse de te voir.
Fidèle à elle-même, la prêtresse du mal ne lui répondit pas. Elle ne décolla même pas les yeux des écrans de contrôle. Julie constata qu’un homme arpentait un couloir.
- Amina a gagné ?
- Elle est morte dès la première épreuve. Le suivant n’a pas été meilleur, indiqua Sophie, la seule des deux à lui adresser la parole.
Elle lui désigna un affichage lumineux sur le mur. Il affichait « 0 :17 ».
- C’est le ratio gagnant : perdant, expliqua Sophie.
- Personne ne gagne ? s’étrangla Julie. Les candidats risquent de se faire rares si ça continue ! C’est un véritable massacre !
- Nous n’avons reçu aucune demande de désinscription, précisa Sophie.
- La plupart des candidats ignorent que les précédents sont morts, intervint Elisa.
- Ils ne suivent pas l’événement ? fut surprise Julie.
- La plupart sont sur Terre, précisa Sophie.
- Sur Terre ?
« Mince, pensa Julie. Le but était de faire venir des Vampires au palais. Ceux-là s’étaient inscrits – ce qui ne pouvait se faire que sur place – avant de repartir ». Julie réfléchit un instant puis annonça :
- À partir de maintenant, si un candidat quitte le palais, il devient dernier sur la liste d’attente. Si un candidat revient au palais, il monte de dix places sur la liste d’attente.
- Modifications effectuées, indiqua Elisa. Tous les candidats ont été prévenus.
- Chris me demande de te transmettre sa satisfaction, dit Sophie.
Julie sourit avant de bouder. C’était bien beau, mais cela restait largement insuffisant. Les Vampires resteraient sur Terre jusqu’à ce qu’ils soient à dix personnes d’entrer. Le dernier inscrit pouvait aller sur Terre. Cela ne changeait rien pour lui. D’autant qu’à la vitesse actuelle, le dernier n’entrerait que dans mille ans. Nul ne s’enfermait en prison pour cette seule raison.
Julie devait rendre le palais attractif pour une autre raison. Son estomac grondant lui fit prendre conscience de sa faim. Elle retourna chez Sam.
- Petit-déjeuner ou repas plus consistant ? demanda le cuisinier.
- Je me laisserai bien tenter par votre petit-déjeuner, avoua Julie.
Ses croissants fait maison étaient à tomber.
- Puis-je me joindre à vous ?
Le bas-ventre de Julie en dégoulina. La bombe anatomique était de retour.
- Bien sûr, Nicolas. Si vous voulez. Mais je pensais que vous vouliez simplement mettre un visage sur un nom. Le mien ne risque pas de changer, vous savez.
Il rit, son merveilleux qui enchanta Julie. Il ne lui sembla pas que sa réponse fut si drôle que ça et pourtant, même les autres clients ricanèrent. Il devait y avoir autre chose derrière.
- Je suis heureux de vous constater en meilleure forme. Ce sommeil vous a fait grand bien.
Julie soupira en enfournant une première bouchée de croissant chaud.
- Et pourtant, l’inspiration ne me vient pas.
- Que cherchez-vous ? demanda Nicolas.
Julie sortit la télécommande de la bulle de sécurité et demanda :
- Ça ne vous dérange pas ?
- Attendez juste que mon petit-déjeuner soit servi, annonça Nicolas.
Quelques minutes plus tard, la protection en place, Julie expliqua :
- Le dôme et Musawa permettent déjà aux Vampires d’explorer leurs relations avec les humains, que ça soit de manière égalitaire ou très inégale.
Nicolas approuva d’un geste.
- J’aimerais que le palais permette d’explorer ce fort esprit de compétition qui vous anime. Les jeux vidéos, le sport, la musique et la danse, c’est bien beau, mais ça ne suffit pas. Ce ne sont pas des activités spécifiques aux Vampires. L’escape game est un bon pas en avant mais il est trop lent et pas visuel. Nul ne sait ce qui se passe à l’intérieur. La première victoire lui redonnera de l’attrait mais il y a déjà presque un millénaire d’attente.
Nicolas ricana. Davantage de publicité ne servirait en effet à rien.
- Les fêtes du vendredi soir font venir du monde, remarqua Nicolas. C’est la première chose dont on m’a parlé à mon arrivée.
- La présence surprise de Chris y est pour beaucoup et je ne peux pas demander au roi de s’investir davantage.
- Je suis déjà étonné qu’il ait accepté de faire cet effort, confirma Nicolas. Peut-être faut-il accentuer le côté « réseau social » ?
- Comment ça ?
- Créer une chaîne de télévision interne. Vous pourriez interviewer des gens, les candidats à l’escape game par exemple, leur demander s’ils s’entraînent et comment, proposer des émissions aux professeurs de l’école. Nul doute que les candidats seraient nombreux.
- Et les vidéos ne seraient visibles que depuis le palais, obligeant les Vampires à venir pour en profiter. Il y aura sûrement des Vampires volontaires pour gérer tout ça. C’est une bonne idée.
- Chacun voudra se faire remarquer pour passer sur la chaîne du palais.
Julie voyait bien une règle comme « Ne seront mis sur la grille que des Vampires actuellement présents au palais ». Cela aiderait, sans aucun doute, mais cela restait très insuffisant.
- Merci, Nicolas, dit sincèrement Julie.
Il prenait sur son temps pour venir lui parler. Elle trouvait cela adorable de sa part. Il paraissait humain et ne mangeait que par pure politesse. Ses efforts la touchaient énormément.
Trois jours plus tard, un Vampire parvint à sortir de l’escape game vivant. Après vingt-huit perdants, Julie commençait à avoir peur que ses obstacles ne soient réellement infranchissables, ce qui n’était pas le but. S’ils mouraient tous, plus un seul n’accepterait d’être candidat.
La victoire d’Alexis fit tripler les demandes d’adhésion, ce qui ne fit qu’amener le temps d’attente à dépasser les trois mille ans. Super… Julie soupira. Les Vampires crevaient d’envie de se mesurer les uns aux autres. L’escape game ne suffisait pas. Il fallait plus grand, plus fort. Julie avait bien une idée mais les conséquences lui donnaient la nausée. Elle la mit de côté, espérant qu’autre chose lui viendrait en tête.
Au bout d’une semaine, elle dut se résigner. Alors que Nicolas la rejoignait, elle brancha la bulle de sécurité à peine son repas posé devant lui. Nicolas pencha la tête et fronça les sourcils. Dernièrement, elle ne l’activait plus. À quoi bon ? Nicolas lui racontait ses journées, que tout le monde connaissait. La curiosité du grand vizir fut à son comble.
- J’ai eu une idée et j’aimerais votre avis. Je ne suis pas certaine que ça soit réalisable ni que les Vampires apprécient…
- Je t’écoute, dit-il le regard brillant.
Elle avait envie de se jeter sur lui, de le dévorer vivant. Il était tellement beau. Il sentait merveilleusement bon. Son sourire faisait bondir son cœur. Elle se concentra sur sa cuisse de poulet rôti qu’elle décortiqua tout en expliquant :
- Il faudrait créer une nouvelle bulle… enfin deux plutôt. L’une des deux, le village, accueillerait des humains évolués, au-delà des sapiens sapiens, peut-être même au-delà de mon fils. Et pas comme le bétail. Eux, ils ont été sélectionnés pour avoir bon goût, vivre longtemps et être gorgés de sang. La nourriture idéale en somme. Là, il faudrait tout l’inverse. Des humains au sang dégueulasse mais aux capacités physiques et mentales hors du commun.
- C’est risqué, fit remarquer Nicolas.
- Il faudra qu’ils vivent dans une bulle sans jamais aucun contact avec l’extérieur. Aucune navette ne devra jamais y aller. Zone interdite totale. Rien n’entre et rien ne sort. Ces humains devront s’occuper d’eux-mêmes.
Nicolas hocha la tête.
- Une autre bulle, non loin – ou pas, je ne sais pas, les ingénieurs feront ce qu’ils veulent, je n’y comprends rien – contiendra l’arène.
- L’arène ? répéta Nicolas en avalant une pomme de terre ruisselante de jus de poulet.
- Un immense lieu naturel comprenant des forêts, des montagnes et des désert, toute la vie terrestre en dehors des êtres humains, comme si l’homo n’avait jamais existé. J’ai hésité à demander des dinosaures mais finalement, j’ai trouvé ça idiot. Non, la Terre telle qu’elle serait devenue après les dinosaures sans l’espèce humaine.
- D’accord, et ensuite ?
- Ensuite, on fait rentrer un Vampire et un des humains du village dans l’arène, à deux endroits différents. Le vainqueur est celui des deux qui en sort vivant.
- C’est vite vu. Le Vampire va gagner.
- Le Vampire rentre avec pour seul équipement une tunique. L’humain peut amener tout ce qu’il veut : armes, vêtements, explosif, pièges, lunettes de vision nocturne, camouflages, munitions diverses… Tout ce qui sera sorti de leurs cerveaux sur-développés.
Nicolas sourit en hochant la tête. Il se recula dans son siège et plissa les paupières. Julie poursuivit :
- Le village pourra être une mégalopole hyper industrielle avec des usines, des gratte-ciels et des mines. Le terme est volontairement pré-moderne pour induire les candidats en erreur. Ils seront prévenus que les humains seront armés.
- Continue.
- L’arène sera en permanence filmée par des drones. Le tout sera retransmis sur une chaîne spécifique au palais, diffusant 24h/24. Des journalistes commenteront.
- Pourra-t-il y avoir plusieurs joueurs en même temps ?
- C’est une idée, approuva Julie. Les humains pourraient s’associer et s’entraider.
- Si un humain tue un Vampire, que se passe-t-il ?
- Il gagne et retourne au village. Il pourra transmettre son expérience aux autres.
- Comment est choisi l’heureux élu parmi les habitants du village ?
- Par les villageois eux-mêmes. Je me fiche de savoir comment, c’est leur problème. On leur laissera un temps limité pour choisir et une fois l’horaire dépassé, si aucun candidat ne se présente, des drones tueront un habitant au hasard toutes les dix minutes. De quoi leur donner très envie de choisir.
Julie vit Nicolas afficher un sourire carnassier. Cela allait plaire. Julie se dégoûta elle-même. Elle allait envoyer des humains à la boucherie. Un jeu sadique et pervers, pour des créatures en mal de divertissement. Hunger games et Battle royal en même temps. Julie en avait la nausée et pourtant, ça allait cartonner, elle le sentait.
- Chris valide, annonça la console.
- Merci, Baptiste.
- Ta demande est tout à fait réalisable, dit la voix du maître des laboratoires.
Le regard de Nicolas prouva qu’il entendait également les paroles.
- Chris estime le risque minime pour un gain immense. Mes ingénieurs et techniciens vont se mettre au travail. Ce que tu demandes est extraordinairement difficile. Nous sommes impatients de relever ce défi.
- Je n’en verrai jamais la réalisation, maugréa Julie.
- Pourquoi ? s’étonna Nicolas.
- Il faut qu’ils créent une nouvelle espèce d’être humain. Cela nécessite de faire grandir des bébés puis qu’ils forment une société et s’entraînent. C’est long.
- Je prévois l’inauguration dans deux ans, précisa Baptiste.
- Deux ans ? s’étrangla Julie.
- Nous possédons déjà ce que tu demandes. Plus on anticipe, mieux on se prépare, argua Baptiste.
Julie frissonna. Dire qu’il la faisait flipper était une litote. Si elle avait pensé un seul instant qu’un jour, l’humanité gagnerait face aux Vampires, tous ses espoirs venaient d’être réduits à néant. Elle soupira. Elle allait devoir se satisfaire de savoir qu’une petite humaine esclave d’un dieu réussirait à amener à des Vampires à mettre les pieds dans un lieu où le risque de mort était maximal. Elle s’estima chanceuse.
- Tu es brillante, la complimenta Nicolas.
- Merci, rougit Julie.