Chapitre 42 : Julie - Permission

Un matin, la main de Julie s'approcha de la poignée de la porte du restaurant mais une hésitation la plongea dans un fort état de stupéfaction. Elle se tourna vers ses propres émotions. Se restaurer représentait un des rares moments de détente dans sa vie. La nourriture était délicieuse et le chef adorable avec elle. Pourquoi ne pas vouloir s'y rendre ?

L'évidence la gifla. Nicolas l'y rejoindrait et ils discuteraient. Sa présence animait de violents sentiments en elle. Il la faisait rire, la calmait, l'écoutait, répondait l'exact mot attendu. Il était parfait.

Depuis deux ans, il la rejoignait presque à tous ses repas pour discuter. Parfois, la bulle de sécurité était mise en place et elle lui racontait les avancées concernant l’arène. La veille, l’inauguration de l’événement avait fait quintupler le nombre de Vampires au palais, de quoi ravir Chris.

Pourquoi alors hésiter à entrer ? Elle comprit. Sa présence la faisait trop souffrir. Il lui rappelait les interdits pesant sur elle. La veille, elle avait eu envie de lui sauter dans les bras, de hurler son bonheur de sa réussite. Se retenir lui avait tant coûté ! C’était au-delà de ses forces. S’imaginer vivre ça, encore et encore, lui fit monter les larmes aux yeux. Mieux valait que cela cesse.

Elle inspira et poussa la porte pour aller s’asseoir. Un initié lui apporta le délicieux petit-déjeuner concocté par Sam. Quelques secondes plus tard, Nicolas apparut mais l'humaine était prête.

- Je souhaite que vous cessiez de venir me voir, annonça-t-elle.

Nicolas se figea devant Julie. La jeune femme avait envie de hurler mais elle restait calme. Elle voulait fondre en larmes et lui crier de rester, de l'enlacer, de la serrer dans ses bras et bien plus. Tout cela lui était interdit. Mieux valait qu'il parte. Nicolas recula d'un pas. Il venait de se prendre un coup de poing virtuel. Il hocha la tête avant de disparaître.

Julie craqua. Dans un hurlement déchirant, elle balaya sa table de ses bras et son repas s'écrasa un peu partout dans la salle de restauration. Les Vampires sur le trajet de certains projectiles s'écartèrent pour ne pas être touchés. Nul ne fit de commentaire ni ne chercha à venir lui parler. La colère, la rage, la peine, la tristesse, la souffrance, la culpabilité, mais également l'amour avaient besoin de sortir et pendant quelques minutes, Julie ne contrôla plus rien. Finalement, elle reprit la maîtrise d’elle-même.

Elle respira plusieurs fois, essuya son visage trempé de larmes pour se lever et nettoyer le restaurant.

- Mes commis s’en chargeront, précisa Sam.

- C'est à moi de le faire, dit Julie et Sam se recula pour la laisser tranquille.

Elle avait besoin de se racheter. Impuissante face à sa propre vie, ce simple acte contrôlé comptait énormément pour elle. Finalement, elle sortit pour rejoindre la salle de contrôle afin de se perdre dans le travail.

 

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- Julie, sans déconner, va te faire masser ou frapper dans un punching ball mais sors !

Julie se tourna vers Sophie. Qu’est-ce qui prenait à la femme en noir ?

- Tu fais conneries sur conneries. Tu es tendue comme un string. Va te défouler et reviens quand tu seras calmée.

Julie se prit la gifle virtuelle de plein fouet.

- Ça fait combien de temps que tu n’as pas dormi ?

Depuis son rejet de Nicolas, Julie faisait des cauchemars, toutes les nuits. Ses songes commençaient tous bien, par un rapprochement doux et intime avec Nicolas. Elle finissait toujours avec les dents du roi sur sa gorge. Elle préférait autant ne pas fermer les yeux.

- Reviens nous après une bonne nuit de sommeil. Julie ! Je ne déconne pas, gronda Sophie alors que Julie ne bougeait pas. Tu nous fais perdre notre temps. Sors d’ici et va te détendre !

Julie obtempéra devant la Vampire en colère. Elle erra dans les couloirs. Elle ne voulait pas aller dormir et risquer de retrouver l’horreur. Si ce n’était pas Nicolas ou Chris, Elijah viendrait la hanter alors à quoi bon ?

Se détendre ? Aller au lac et nager ? Julie s’imagina plonger et ne pas ressortir. Mourir serait reposant, sans aucun doute. Quelqu’un viendrait-il la sortir de l’eau ? Sophie et Elisa s’occupaient de l’escape game et de l’arène. Elles ne pouvaient pas la suivre tout le temps. Sauf qu’un Vampire passant par là pouvait toujours la sortir de l’eau, elle, le trésor du roi.

« Ma chambre, pensa Julie. Elle est sécurisée. Baptiste et Chris ne peuvent pas tout le temps être à l’écoute. Il faudrait trouver un moyen silencieux. Il n’y a pas de rasoir mais me pendre est facile. »

Julie frissonna de partout. Était-elle vraiment en train de planifier son suicide ? Qu’est-ce qui lui prenait ? Elle ne se reconnut pas. Elle courut jusqu’à sa chambre et, terrifiée, bafouilla :

- J’ai besoin de parler à Baptiste.

- Demande envoyée, indiqua la voix métallique de l’IA.

- Madame Admel ? Que puis-je pour vous ? résonna la voix du maître des laboratoires.

Il n’avait pas l’air agacé le moins du monde.

- Vous m’avez dit être médecin, bredouilla Julie, la voix hachée par les sanglots.

- Madame Admel ? Ça ne va pas ? Vous êtes malade ? s’enquit Baptiste.

- Baptiste demande l’autorisation d’entrer dans votre chambre, signala l’IA.

Julie hocha la tête. Baptiste entra et la porte se referma toute seule derrière lui. Il s’avança mais resta à distance respectueuse. Julie restait intouchable.

- Qu’est-ce qui ne va pas ? interrogea-t-il. Je ne sens aucun microbe en vous. Votre tension est bonne mais votre rythme cardiaque est erratique. Vous avez l’air épuisée.

- Je n’ai pas dormi depuis des jours, indiqua Julie.

Baptiste fronça les sourcils.

- Je fais des cauchemars, précisa Julie.

Baptiste hocha sombrement la tête.

- Je peux vous donner un somnifère.

- Et des anti-dépresseurs ? Je viens de passer la dernière heure à chercher la meilleure solution pour me suicider.

Baptiste grimaça mais se garda de toute critique.

- Avalez la pilule à côté de votre lit avec le verre d’eau. Je vous promets un sommeil sans rêve.

- Merci beaucoup, dit Julie avant de renifler.

Elle se précipita sur le bonbon blanc et l’avala d’un trait. Elle s’écroula sur le matelas. Effet immédiat. Efficacité maximale. Les laborantins à la hauteur de leur réputation.

 

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Julie s’éveilla avec la sensation d’avoir dormi mille ans. Sa console lui permit de savoir qu’il venait en fait de s’écouler vingt-sept heures. Julie courut aux toilettes pour se soulager puis avala un grand verre d’eau.

- Chris demande à ce que vous veniez immédiatement le rejoindre à la pouponnière, l’informa l’IA.

Julie quitta sa salle de bain pour se rendre directement à l’endroit requis. Le mur s’ouvrit devant elle pour se refermer tout seul derrière elle. Elle avança dans plusieurs couloirs vides jusqu’à déboucher dans une grande salle ronde avec des coussins, des fauteuils, une table, des porte-manteaux, des étagères avec des livres pour enfants, des dessins d’animaux sur les murs, de doux tapis mignons sur le sol. Un endroit parfait pour réunir des enfants.

Chris apparut à l’autre bout de la pièce et Julie se figea. Le roi arborait un visage… que Julie ne lui avait jamais vu et qu’elle ne parvint pas à déchiffrer. Il s’arrêta à quelques pas d’elle, la foudroya des yeux avant d’annoncer d’une voix glaciale :

- J’allège ton intouchabilité.

Julie eut l’impression que le monde s’écroulait. Baptiste avait-il prévenu le roi de son envie de se suicider ? Venait-il de donner le droit à son frère de la punir ? Elle ne put empêcher les larmes d’inonder ses joues.

- Je suis désolée, bafouilla-t-elle.

Elle se sentait mal, profondément. Si seulement il la tuait, là, maintenant, tout de suite, tout serait tellement plus simple. Elle n’en pouvait plus de souffrir. C’était trop, insurmontable !

- À partir de maintenant, tu pourras toucher Imhotep et il a mon accord pour faire de même.

Julie lutta pour se concentrer sur les propos prononcés. Pourtant, ils ne faisaient pas sens. Elle contrôla sa respiration et après plusieurs inspirations, parvint à articuler :

- Qui est Imhotep ?

- Tu dois le connaître sous le nom de Dracula, indiqua Chris.

Julie en arrêta de respirer. Nicolas ? Il lui permettait de toucher Nicolas, la bombe anatomique ? Elle en crevait d’envie mais jamais elle n’aurait cru que le roi le lui permettrait.

- Sors, Julie. Va-t-en ! siffla Chris.

Il transpirait la colère. « Non, pensa Julie, il n’est pas en colère. Il est consumé par la rage. Pourquoi fait-il cela si cela le fait autant souffrir ? » Elle secoua la tête. Peu importait. Elle venait d’obtenir le droit de toucher l’être aimé. Elle recula pas à pas. La tuerait-il si elle osait lui tourner le dos ?

Elle passa la porte à reculons. Ce ne fut qu’une fois dans le couloir qu’elle osa se retourner. Elle atteignit le mur du fond mais il ne s’ouvrit pas.

- Julie !

Elle se retourna pour voir Chris à l’autre bout du couloir.

- Ne t’avise pas de faire du mal à mon petit. Pique une crise de jalousie ou fais un caprice et tu le regretteras. Comprends moi bien : je ne t’ordonne pas de l’aimer.

- Je l’aime, murmura Julie d’une voix éraillée par la terreur et les larmes.

- L’amour, ça va, ça vient, répliqua Chris. Si un jour ce sentiment devait te quitter, soit honnête et dis-le lui. Ne lui mens pas ! Pas là-dessus. Il a trop souffert en amour par ma faute. Je ne tolérerai pas que cela se reproduise une fois de plus.

Julie hocha rapidement la tête. Sur un geste de la main de Chris, une ouverture se fit dans le mur et Julie bondit dehors. L’enceinte redevint impénétrable. Julie s’appuya contre un mur, la respiration difficile. Elle n’en revenait pas.

Elle prit le temps de retrouver une respiration calme avant de partir droit sur le quartier des initiés. Elle retrouva Auguste, marchant tranquillement au milieu des huttes. Il semblait se parler à lui-même mais Julie le savait muni d’une console personnelle, cadeau de Baptiste qui avait accepté d’échanger avec Auguste à condition que celui-ci ne s’avise ni de l’appeler mon oncle, ni tonton.

L’obtention de la console personnelle avait permis à Auguste de mieux gérer les initiés. Les besoins étaient comblés bien plus rapidement. Les initiés ne tarissaient pas d’éloge sur ce prince si attentif à leur bien-être.

Julie s’approcha dans le champ de vision d’Auguste. Celui-ci leva le nez vers elle et lui sourit. Julie sentit pourtant que quelque chose n’allait pas.

- Je vais bien, ne t’inquiète pas, dit-elle en l’enlaçant.

- Je devrais être inquiet ? Oh ! Parce que Chris a réclamé ta présence alors qu’un Vampire vient de mourir dans l’arène ? Bah, comme la dernière fois : il t’a félicitée, je suppose.

Julie fut ravie qu’il ne prenne aussi bien. Moins qu’il semble aussi détaché.

- Lyanna est morte hier soir, annonça la console.

- Oh Auguste ! Je suis navrée ! Toutes mes condoléances ! pleura Julie.

- Elle a fait son devoir. Son sacrifice l’honore. Elle a servi de la meilleure manière qui soit.

Un Vampire avait bu à la source jusqu’à épuisement, comprit Julie. Elle en eut la nausée.

- Comment tiens-tu le coup ?

Julie n’ignorait pas l’attachement qu’il avait pour la jeune femme. Ils passaient tous leurs temps libres ensemble.

- Nous savourions chaque minute passée ensemble et désormais, elle est près de moi pour toujours. Tu peux aller t’occuper de tes événements tranquille, maman. Je vais bien.

Auguste s’éloigna en souriant et il se remit à parler.

- Il a demandé à ce que sa console lui recrée Lyanna, expliqua l’IA.

- Comment ça ?

- Sa console projette une version virtuelle de Lyanna, très réelle aux sens d’Auguste.

- Réelle ? s’étrangla Julie. Il peut la voir et l’entendre, mais ça ne fait pas tout !

- Il peut aussi la sentir, la goûter et la toucher. Les laborantins ont été ravis par le défi. Désormais, les drones, toujours sans toucher le sujet, peuvent s’approcher très près et envoyer de petites décharges, recréant une sensation d’odeur, de goût ou de toucher. C’est très réaliste. Tu veux essayer ?

- Non, cingla Julie.

Elle n’avait aucune envie de vivre dans un monde virtuel. Elle observa Auguste qui marchait en souriant et ne put s’empêcher de pleurer. Son fils vivait avec une morte, un fantôme. Baptiste l’avait prévenue de ne pas donner vie à sa console. Auguste était allé au-delà.

Devait-elle faire quelque chose pour y mettre un terme ? Et obliger son fils à perdre Lyanna, et toutes les suivantes, les unes après les autres ? Après tout, si cela lui permettait d’être heureux en enfer, c’était un bien maigre prix à payer.

Julie s’éloigna et repoussa sa nausée. Auguste était heureux, se répéta-t-elle, davantage pour s’en convaincre que parce qu’elle le pensait. Elle devait maintenant penser à elle.

Ses pensées tourbillonnaient. Elle manquait d’informations pour assembler le tout de manière cohérente. Ça tombait bien : elle savait où les trouver.

Elle n’était jamais entrée dans la bibliothèque du palais mais elle avait souvent discuté via console interposée avec son conservateur. Historien et écrivain, il élaborait tous les textes pour l’arène. Il s’occupait d’interroger les candidats puis rédigeait les prompts pour les journalistes qui distillaient les informations au compte-goutte. Il parvenait à tenir en haleine tout le palais de sa plume extraordinaire.

- Julie ? dit une voix étonnée. Tu ne viens jamais ici d'habitude.

Julie avait eu du mal au début mais maintenant, elle avait pris l’habitude de tutoyer le conservateur. Il avait tant insisté qu’elle avait fini par craquer. C’était un homme jovial et toujours de bonne humeur.

L'homme d'apparence trentenaire apparut derrière un rayonnage croulant sous les livres bien ordonnés et propres. Il portait l’habit classique d’un conservateur de bibliothèque. Ne lui manquait que la paire de lunettes.

- Bonjour, Stiny, dit l'humaine.

- Ma dernière biographie ne t'a pas plu ?

- Je ne l’ai pas encore lu, indiqua Julie. Mes pensées étaient occupées ailleurs.

- Pas de souci, répondit-il. Que puis-je pour toi, en ce cas ?

- Tu écris la biographie d’un maximum de Vampires, n’est-ce pas ?

Stiny acquiesça d’un geste.

- J’écris aussi la biographie d’humains. Je ne suis pas raciste.

Julie rit avant de redevenir sérieuse.

- Je n’ai pas le temps alors s’il te plaît, fais-moi un résumé. J’aimerais que tu me dises qui est Dracula.

Stiny se renferma. Elle venait de l’obliger à se mettre en posture défensive. Devant n’importe quel Vampire, elle aurait reculer mais d’abord elle avait besoin de savoir et ensuite elle s’entendait très bien avec Stiny, en qui elle avait confiance.

- Pourquoi le roi l’appelle-t-il Imhotep ? insista Julie.

- Parce que c’est sous ce nom-là que Sa Majesté l’a croisé pour la première fois.

- Imhotep, répéta Julie, comme le grand prêtre d’Anubis du film « La Momie » ?

Stiny acquiesça.

- D’accord, souffla Julie qui comprit qu’elle allait devoir tirer les vers du nez à un conservateur étrangement avare de détails. Qu'est-ce que cela signifie quand un Vampire dit d'un autre qu'il est son petit ?

- Ça signifie que c'est lui qui l'a transformé, répondit Stiny en fronçant les sourcils.

- Je ne comprends pas. Chris n'est-il pas le premier de tous les Vampires ? N'êtes-vous pas tous ses petits ?

- Ce n'est pas Chris qui m'a mordu. J'ai été mordu par le petit, du petit, du petit, du petit… j'ignore combien il y en a, et ainsi de suite jusqu'à Chris. Pour certains Vampires, le rang a de l'importance. Ainsi, aux Royaumes-Unis par exemple, les membres d'une même famille sont affublés d'un numéro, correspondant à leur rang. Un petit de rang 1 a été mordu par le chef de famille. Dans ce cas, on dit simplement "petit". Ensuite, viennent ceux de rang 2, puis 3, puis 4, etc. Cela n'a aucune influence sur leurs capacités et aucun rapport avec leur âge. Simplement, souvent, plus le numéro est petit et plus les responsabilités et permissions sont nombreuses.

- Il doit bien y avoir des Vampires qui se comparent par rapport à leur rang à Chris, ça doit bien exister, fit remarquer Julie.

- Oui et non, répondit Stiny, pour la pure et simple raison qu'il est souvent impossible pour un Vampire américain de connaître son rang par rapport à Chris.

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Parce que c'est la définition d'un Vampire américain, indiqua Stiny qui ne cachait pas sa surprise face à l'ignorance de son interlocutrice. Julie, tu sais que les Vampires dit "américains" sont pour une grande majorité né en dehors de l'Amérique, n'est-ce pas ?

Julie secoua négativement la tête.

- Je ne savais même pas que les Vampires se séparaient en deux sortes, admit-elle.

- Un Vampire est dit "européen" lorsqu'il est de la lignée de Chris sans passer par Gilles d'Helmer. Les autres sont américains.

- Je ne sais pas qui est Gilles d'Helmer, indiqua Julie, et je m’en fous. Chris est un créateur né. Il est le créateur par excellence. Il doit avoir des millions de petits !

Stiny inspira fortement, cligna plusieurs fois des yeux puis soupira. Il faisait de gros efforts pour paraître humain devant Julie et la jeune femme apprécia beaucoup.

- Aujourd'hui, Chris a trois petits de rang 1, finit-il par annoncer.

- Trois ? répéta Julie, incrédule, avant de secouer la tête et d'annoncer : C'est impossible. Les prêtresses du mal sont les filles physiques de Chris mais également ses petites. Je sais qu’il y en a au moins trois et je suppose que leur nombre doit être un peu plus grand que ça.

- Si tu parles de Sophie et Elisa, les deux qui te secondent sur l’escape game et l’arène, alors elles sont nées avant 1350.

Julie n'était pas douée en histoire. Elle ignorait totalement ce qui avait pu se passer à cette date et son visage incrédule l'annonça clairement.

- C'est à cette date que Chris a transformé une prêtresse du mal lui-même pour la première fois, prenant réellement le commandement de l'organisation de Malika. Avant cela, Malika mordait elle-même ses filles, en faisant des petits de rang 2.

- Malika est donc l'un des petits de Chris, comprit Julie.

- Oui, mais c'est la deuxième dans l'ordre chronologique. Le premier petit de Chris encore en vie aujourd'hui est son frère, Baptiste.

Julie se souvint que Baptiste l’avait indiqué.

- Le troisième est le grand vizir, compta-t-elle.

- En effet, approuva Stiny. Il a été crée très peu de temps après Malika.

- En quoi Chris est-il responsable de ses malheurs en amour ? interrogea Julie.

Stiny secoua la tête et hésita. Les questions de Julie le dérangeaient clairement.

- Chris s'est fait passer pour un dieu le jour de la transformation de Dracula.

« Quelle surprise », pensa Julie. Rien que du très banal dans la vie de cet homme. Julie trouva que pour quelqu’un qui jurait ne pas se considérer comme un dieu, il en prenait souvent l’apparence.

- Ce dernier, poursuivit Stiny, touché par la grâce, s'est alors formellement refusé à transmettre ce don divin.

- Et alors ?

- Alors il ne faut jamais interdire à un Vampire se procréer. Jamais. Sinon…

Stiny frissonna. Julie comprit que c’était grave.

- Sinon quoi ?

- Il entre en sine condicione, chuchota Stiny, terrifié.

- Qu’est-ce qui est sans condition ? demanda Julie qui avait reconnu puis traduit du latin, langue morte qu’elle avait étudié avec Elijah sans toutefois le parler couramment.

- L’amour, dit Stiny en serrant les dents. Le Vampire finit par tomber amoureux, un amour incontrôlable, complet, total. Il est tellement profond qu’il vous ronge de l’intérieur, vous contrôle. Vous ne pensez plus qu’à l’être aimé. Le reste du monde cesse d’exister.

- L’amour quoi ! fit remarquer Julie en souriant.

- Non, Julie, non. C’est atroce. Baptiste en a perdu la capacité à faire des sciences.

Julie savait que le maître des laboratoires passait ses journées à résoudre des équations et à publier les résultats de ses recherches. Ce truc devait vraiment être puissant pour engendrer une telle réaction !

- Le Vampire ne peut pas tolérer la mort de l’être aimé. Il doit le transformer. L’idée de le perdre est trop insupportable.

Julie fronça les sourcils. La nature faisait en sorte d’obliger un Vampire réticent à procréer à le faire.

- Dracula était persuadé d’avoir été transformé par un dieu. De ce fait, il s’est refusé obstinément à transmettre le cadeau divin. Il a connu le sine condicione encore, et encore, et encore, et encore, voyant à chaque fois son amour mourir, lui causant une douleur atroce, une peine insurmontable, hantant ses nuits. Julie, connais-tu la guerre de Troie ? Pyrame et Thisbée ? Tristan et Iseult ? As-tu lu le roman « Dracula » ? Quel est le point commun entre toutes ces histoires ?

- Ce sont des drames amoureux, reconnut Julie.

Son père les lui avait fait lire étant jeune. Il tenait à ce que sa fille ait un minimum de culture.

- Imhotep, Dracula, Nicolas, le grand vizir, appelle-le comme tu veux, les as tous vécu. À cause de son origine soi-disant divine, il s’est refusé à transformer l’être aimé alors le sine condicione a insisté.

Julie en fut immensément triste pour lui.

- Heureusement, Chris et Malika ont fini par trouver le remède. Par hasard, ils ont découvert le lien entre l’interdiction de procréer faite à un Vampire et le sine condicione. Il suffit au Vampire de devenir créateur pour que la douleur cesse.

- Nicolas a-t-il procrée ? demanda Julie.

Stiny hocha la tête.

- Une humaine a réussi à entrer dans son cœur, non pas en sine condicione, pas d’un amour érotique non plus, mais dans son cœur de père. Elle lui a demandé de devenir son créateur. Au début, bien sûr, il a refusé mais elle s’est montré insistante et perspicace. Dracula l’a transformée, mettant ainsi fin à des siècles de tourmente. Sa petite l’a ensuite convaincu de rejoindre son créateur et c’est ainsi que Chris et lui se sont retrouvés.

- Le grand vizir doit adorer cette humaine devenue sa petite qui lui a rendu son créateur ! Je n’ai jamais vu quiconque à ses côtés, indiqua Julie.

- Elle est loin. Dracula découvre cette communauté et son créateur. Ses responsabilités l’empêchent de prendre soin d’elle. Cet éloignement lui déplaît mais il n’a pas le choix. Il la ramènera près de lui quand il sera prêt. Pour l’instant, Chris souhaite développer sa relation avec son petit. La petite de Dracula, un boulet pas au contrôle, ne pourrait que les gêner.

Voilà pourquoi Chris tenait à s’assurer que Julie ne ferait pas souffrir Nicolas. Il se sentait responsable de sa tristesse passée ainsi que de l’éloignement forcé de sa petite. Il ne tenait pas à en rajouter.

Julie aimait Nicolas, d’un amour passionnel, elle le savait. Sauf qu’elle ne voulait pas aller le voir lui dire : « Allez, c’est bon, on peut baiser, envoie la sauce ! ». Elle préférait largement le séduire. Elle voulait lui faire un cadeau mais que pouvait-on offrir à un Vampire plusieurs fois millénaire ?

Julie sourit. Elle venait d’avoir une idée. Voilà qui lui plairait sûrement.

- Merci, dit-elle avant de se diriger vers la sortie.

- De rien, répondit Stiny. Ravi d’avoir pu t’aider. Voudrais-tu me dire pourquoi tu voulais autant d’informations sur mon meilleur ami ?

- Nicolas est ton meilleur ami ? s’étonna Julie. J’ignorais.

Elle quitta la bibliothèque sans répondre à la question du conservateur, un immense sourire aux lèvres.

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