Chapitre 41 - Yi

   On a réussi. Notre plan a parfaitement fonctionné et sans blessure dans notre camp ! Nous nous sommes tous téléportés simultanément auprès des gardes. Kari et David ont mis une seconde de plus, mais l’arbre a masqué leur arrivée.

   Sacha a été la première à agir, elle a enfoncé la lame de son poignard dans le dos du garde juste devant elle tout en projetant de sa main gauche un pic de glace dans le cœur de celui d’à-côté. Diego en a transpercé un autre avec son sabre, pendant que Marina faisait de même avec une flèche et que j’en étranglais un avec mon nunchaku. Déjà cinq partis en fumée lorsque le coup de feu de Paul a résonné alors que David et Kari jetaient le contenu des flacons de chaque côté de l’arbre. Deux coups de feu plus tard, tous les gardes avaient été réduits en poussière.

   Pas le temps de célébrer la réussite de notre attaque, nous entamons tout de suite les recherches. Paul et Kari se dirigent vers la porte du bâtiment, Sacha et Marina vont explorer les Jeeps, et David, Diego et moi nous approchons de ces étranges tas de terre à proximité de l’arbre.

   Diego avait raison, ils ont bien enterré des choses ici.

   - On dirait des tombes, dit David en s’accroupissant près de l’une d’elles. Comme dans un cimetière, juste avant qu’une dalle ne vienne les recouvrir.

   - Sauf qu’ici il n’y a pas de dalle et qu’il n’y en aura jamais, j’ajoute en me baissant à mon tour.

   - Regardez, nous dit alors Diego.

   Il désigne un petit panneau en bois au bout de la tombe près de laquelle nous nous tenons. Rien d’autre qu’un numéro dessus. Huit. Je me relève et je prends enfin conscience de la quantité de tas de terre autour de nous. Quinze. Alignés par rangées de quatre, numérotés dans l’ordre croissant.

   - C’est un cimetière, continue Diego en suivant mon regard.

   - Pour enterrer qui ?, questionne David. Les démons se transforment en fumée lorsqu’ils meurent.

   - Alors ce ne sont pas des démons qu’ils ont enterrés ici, je lui réponds.

   - Qui d’autre ?

   - Il y a des numéros, intervient Diego. Donc il doit y avoir une liste.

   Rien qui ressemble à une liste à proximité de l’arbre. Si elle existe, elle doit se trouver dans le bâtiment. Nous rejoignons Paul et Kari, toujours plantés devant la porte fermée. Paul marmonne dans ses moustaches tout en déplaçant ses mains autour de la poignée. Sacha et Marina arrivent en même temps que nous.

   - Rien d’intéressant du côté des Jeeps, constate Marina. Ce sont les mêmes qu’en Afrique, équipées de la même manière, au détail près.

   - Alors cette porte ?, interroge Sacha d’un ton un peu brusque.

   Paul se tourne vers elle.

   - Le métal n’est pas ma spécialité. C’est celle d’Alex.

   Il s’apprête à se concentrer de nouveau sur la poignée, mais David l’interrompt.

   - Il y a peut-être plus simple, non ?, dit-il à Paul en désignant du regard le pistolet qu’il a dans sa ceinture.

   Paul baisse les yeux, fronce les sourcils, puis sort son arme en regardant David.

   - Tu veux que j’explose la serrure ?

   - Ça devrait marcher, ils le font tout le temps dans les films.

   Paul hésite un instant, ses yeux passant de l’objet dans sa main à celui qui lui résiste. Il finit par se décider.

   - Si tu le dis. Reculez de plusieurs pas.

   Il tire et met un bon coup de pied dans la porte. Elle s’ouvre dans un bruit strident.

   - Finalement, je ne regrette pas de t’avoir emmené, dit-il à David dans un sourire.

  Nous entrons dans le bâtiment. Il nous faut quelques secondes pour nous habituer à la pénombre.

   Il n’y a pas grand-chose à l’intérieur. Une simple table au centre sur laquelle se trouve un ordinateur. Des meubles de rangement métalliques, un tableau blanc au mur sur lequel il n’y a rien d’écrit. David s’approche de l’ordinateur.

   - Il y a l’électricité ici ?

   - Je crois bien que oui, lui répond Sacha dans un bruit sourd suivi d’un grognement.

   Elle se baisse, appuie sur quelque chose et tout à coup une ampoule s’allume au plafond. Elle a heurté un générateur. David démarre l’ordinateur.

   Je suis Diego jusqu’aux meubles de classement. Il ouvre un tiroir. Vide. J’en ouvre un autre. Vide aussi. Nous nous mettons à les ouvrir à toute vitesse. Ils sont tous vides à l’exception de celui en haut à gauche. Occupé par seize dossiers, numérotés de zéro à quinze. Diego plonge sa main dans le premier et en ressort une feuille intitulée « Inventaire ».

   Un juron de David perturbe notre recherche. L’ordinateur a démarré, mais il est protégé par un mot de passe, qu’apparemment David n’arrive pas à trouver. Et il a déjà dû essayer trois fois. La machine vient de se bloquer.

   Penché sous le bureau, Paul fouille dans un petit meuble d’où il sort des papiers qu’il passe à Kari et Marina pour qu’elles les examinent. Sacha est ressortie en se frottant le genou et en grognant qu’elle allait monter la garde.

   - Regarde, me dit Diego en me mettant un coup de coude pour me ramener à sa trouvaille.

   Sous « Inventaire » se trouve une liste de un à quinze avec un nom à côté de chaque nombre :  Selina Cooks, Pierre Blanchard, Jan Mueller, Mary-Ann Stilwater, Kim Weng, James Garwick, Johanna Sherman, Andrew Sherman, Peter Millsbury, Ekaterina Terikova, Maxim Terikova, Anna Terikova, Carrie Dunns, Thomas Smith, Charlene Dubrev.

   Nous la lisons et la relisons en silence, puis Diego finit par articuler avec soulagement :

   - Alex n’est pas dessus.

   - Mais ses parents y sont.

   Et je ne peux pas sortir de ma tête le fait que j’étais penché il y a quelques minutes seulement sur la tombe du père d’Alex. La tombe numéro huit.

   Diego a replongé la main dans le casier et il en sort les dossiers sept et huit. La première page est une simple fiche d’identité, puis les suivantes sont difficiles à identifier, les informations ont été partiellement noircies et aucune phrase n’a de sens. J’attrape un autre dossier au hasard. Même chose.

   - Je crois que vous devriez tous voir ça, affirme alors Diego en se tournant vers les autres.

   Nous nous regroupons au centre de la pièce. La première chose sur laquelle tout le monde s’arrête est le fait que les parents d’Alex soient morts et qu’ils soient enterrés ici. Paul reste longtemps à examiner la liste, mais il dit n’y reconnaître aucun autre nom. J’aurais pourtant juré que ses yeux s’étaient attardés sur l’un d’entre eux. Puis les dossiers passent de main en main et le verdict reste le même : personne n’y comprend rien.

   Sacha passe soudain sa tête par la porte et nous incite à nous dépêcher. Rester ici trop longtemps est risqué. Diego et moi embarquons tout le contenu du tiroir. Kari emmène l’une des cartes que Paul a sorties du meuble sous le bureau. David éteint le générateur et nous partons.

   Avant de nous téléporter vers la voiture, Paul, Marina et Kari font un détour par les tombes et se tiennent simplement en silence devant les numéros sept et huit. Je me force à penser au fait qu’Alex ne se trouve pas sur la liste. Sa sœur non plus. Et d’ailleurs la fille de Paul non plus. C’est peut-être ce à quoi il pensait en regardant les noms avec insistance.

   Une fois que nous avons rejoint notre Land Rover, Kari propose de se rendre au point rouge le plus proche sur la carte que Paul vient de trouver. Il y en a six en tout, cinq de la même taille et un plus gros, répartis sur tout le centre de l’Australie. L’un d’eux se situe juste à l’emplacement du cimetière que nous avons découvert.

   - Celui-là est plus gros, fait remarquer Marina en montrant du doigt le point rouge le plus central. Ça pourrait être cette base où vous êtes arrivés par erreur ?

   - Possible, lui répond Paul. Mais il faudrait mieux continuer à explorer les sites annexes avant de s’attaquer à la base.

   - Le plus proche doit être à environ une heure de route, poursuit Kari.

   - Alors on y va, affirme Paul.

   Il reprend le volant et David fait le copilote. Je monte à l’arrière avec Diego pour continuer à examiner les dossiers des personnes enterrées par les démons. Les filles se joignent à nous et nous voilà tous plongés dans une lecture minutieuse.