Chapitre 42 - Yi

   La première balle nous prend tous par surprise. Elle a été tirée sur le pneu avant droit et Paul perd le contrôle du véhicule déséquilibré. David lui crie de freiner lorsque la deuxième heurte le pare-brise en plein centre. Elle n’y laisse qu’un petit éclat.

   - Toute la voiture est pare-balles, nous dit Paul presque calmement en continuant à tourner le volant dans tous les sens.

   Nous nous retrouvons secoués de part et d’autre de l’habitacle tandis que Paul essaye de maintenir le véhicule sur la route. Une troisième balle. Une quatrième. Les tirs se multiplient et résonnent contre la carrosserie.

   Dans un dérapage maîtrisé, Paul arrête le Land Rover perpendiculaire au tracé de la route. Il se tourne vers nous.

   - Armez-vous, nous crie-t-il par-dessus le vacarme des tirs. À mon signal, tout le monde sort sur la droite. Vous restez derrière la voiture le temps qu’on évalue la situation. Compris ?

   Hochements de tête. Nous nous exécutons.

   David et Kari ont l’air pétrifié. Ils se tiennent adossés à la portière avant, complètement immobiles. Sacha s’agenouille et se penche pour regarder sous la voiture. Elle fait état de la situation.

   - Ils sont nombreux, au moins une vingtaine. Armes à feu… mais ils ont aussi autre chose, un truc qui brille.

   - Des épées, confirme Paul.

   - Ils avancent ?, demande Marina.

   - Pour l’instant, non, lui répond Sacha.

   Les tirs continuent. Paul, posté au nez du Land Rover, commence à riposter au-dessus du capot. Marina jette un œil au niveau du rétroviseur.

   - Ils sont trop loin, je ne vois pas bien.

   Paul se rabaisse pour nous parler.

   - Il nous faut un plan, affirme-t-il.

   Sacha n’a pas dû l’entendre, ou alors elle n’avait pas envie d’écouter. Partie par l’arrière de la voiture, elle avance maintenant au milieu du champ de bataille, un bouclier de glace devant elle. Les tirs se concentrent sur cette cible idéale qui vient de se mettre complètement à découvert.

   Un regard vers Paul et il comprend tout de suite que je ne vais pas non plus attendre son plan. Je me lance derrière Sacha en projetant des boules de feu au-dessus de son bouclier. Les démons qui réussissent à les éviter se rapprochent à une vitesse incroyable.

   Alors qu’ils deviennent de plus en plus nombreux à nous encercler, l’un d’eux est transpercé par une flèche. Diego arrive en hurlant, sabre en main. Les tirs ralentissent, puis finissent par s’arrêter. Ils sont à court de munitions. Ils veulent du corps-à-corps. Sacha dégaine son poignard et fait fondre son bouclier. Son regard est terrifiant. Nous sommes là pour nous battre.

   J’aperçois Kari du coin de l’œil. Elle a fini par nous rejoindre aussi. Elle évite les coups d’épée avec une agilité époustouflante et la poudre de ses poisons ne cesse de déclencher les cris de nos ennemis. Autour de sa taille, elle a noué un foulard auquel elle a accroché ses flacons.

   Pendant un instant de répit, je cherche les autres des yeux. Marina utilise une flèche comme épée et Diego manie le sabre à la perfection. Paul s’est approché, mais sa télékinésie n’a pas l’air de fonctionner sur les épées des démons. Je le vois même bouger ses bras pour activer son don, mais rien ne se passe. Il reste auprès de Kari et tire sur les victimes de ses poisons pour les réduire en poussière.

  Tandis que je cherche Sacha des yeux, un démon me prend par surprise et j’évite sa lame de justesse. Une boule de feu se forme dans ma main, mais une flèche le transperce et il part en fumée avant que je n’aie eu le temps de réagir. Mon projectile explose un autre de nos ennemis. Ils sont nombreux. Cette attaque était prévue.

   Comment pouvaient-ils savoir que nous serions sur cette route ?

   Je ne sais même pas pourquoi je me pose la question… Nous avons été repérés chez Alex, et nous venons de cambrioler une de leurs stations après avoir éliminé huit gardes. Ça ne pouvait pas passer inaperçu. Ils ont sûrement été alertés par l’absence de communication de la part des gardes, ou le déclenchement du générateur, ou encore les essais de mot de passe sur l’ordinateur… Il y a tellement de choses qui auraient pu les alerter. Notre succès était trop beau pour être vrai. Mais maintenant n’est plus vraiment le moment de s’en soucier. Il faut qu’on reparte d’ici en vie.

   Je finis par distinguer Sacha. Elle poignarde les démons les uns après les autres en poussant des cris inhumains. Son arme dans la main droite et un pic de glace en permanence dans la gauche, elle n’arrête pas d’avancer sur le champ de bataille. Paul l’appelle à plusieurs reprises. Il lui crie de ralentir. De rester à couvert. Elle n’écoute pas. 

   Marina arrive à court de flèches. Elle met en pratique tant bien que mal les techniques de combat que Sacha lui a enseignées à l’hôtel. Son arc lui sert de bouclier, mais nos ennemis ont repéré son léger recul et se mettent à plusieurs sur elle. Diego se rapproche pour la protéger.

   Je fais quelques pas dans leur direction et je crée un cercle de feu autour d’eux. Leurs assaillants reculent aussitôt.

   Kari repart en courant vers la voiture. Elle doit avoir vidé tous ses flacons. J’aperçois rapidement la tête de David, resté à l’abri. Pourvu qu’il ne se fasse pas repérer.

   En voilà deux qui me foncent dessus. J’en renvoie un dans une flamme qui le réduit instantanément en cendres et j’attrape la lame du second avec mon nunchaku. Je tire, mais son épée ne lâche pas sa main. Comme avec la télékinésie de Paul. J’insiste. Rien ne se passe. À croire que leurs épées sont collées à leur paume. Le démon me regarde d’un air satisfait. Je lui écrase une boule de feu sur son sourire idiot et transforme son visage en un nuage de fumée.

   J’essaye de me rapprocher de Sacha. Elle avance trop vite. Paul continue à lui crier de ralentir. Je ne suis même pas sûr qu’elle l’entende.

   Elle ne ralentit pas. Un type énorme lui tient le bras gauche en l’air par le poignet, son pic de glace en train de fondre dans sa main avant qu’elle n’ait pu le projeter. Son poignard bloque le coup d’épée qu’il voulait lui mettre dans le flanc. Elle grogne de colère. Le démon retire soudain la pression sur son épée et tire son bras en arrière. Sacha se retrouve déstabilisée. Elle reprend rapidement le contrôle et lui plante son poignard en pleine poitrine. Le type se désintègre, son bras gauche se libère et elle le porte tout de suite à son ventre. Elle s’effondre au sol dans un cri. L’instant de surprise ne lui a pas été bénéfique qu’à elle.

   Le démon a planté son épée dans l’abdomen de Sacha et lui a traversé le corps. Je hurle à mon tour.

   Mon nunchaku se resserre d’un coup sec autour du cou du démon qui me fait face et dès qu’il commence à partir en poussière, je cours auprès de Sacha. Elle est tombée sur le côté gauche. Ses yeux ont du mal à rester ouverts. Elle respire difficilement. Ses mains appuient sur le point d’entrée de l’épée sur le côté droit de son ventre. Le sang coule aussi dans son dos, l’épée a dû la traverser complètement. Et elle s’est désintégrée en même temps que son propriétaire.

   Des spasmes se mettent à secouer le corps de Sacha et je me rends compte que l’arme a dû partiellement se désintégrer en elle. Elle a de la poussière de démon dans le corps.

   Deux types s’approchent de nous par la droite. Sans me tourner, je projette simplement mon bras dans leur direction pour les exploser d’une rafale de feu. Sacha grogne en se mordant les lèvres. Je ne sais pas quoi faire. Ce n’est pourtant pas le moment de paniquer. Je pose une main sur les siennes et le flux d’énergie semble l’apaiser un peu.

   Mais ça ne suffit pas. Il faut que je la sorte de là.

   Paul n’arrête pas de hurler et je finis par comprendre qu’il s’adresse à moi et me dit de la téléporter. Pour l’emmener où ?

   Kari a rejoint le combat munie de nouveaux flacons. Elle esquive les coups et jette de la poudre à tout va pour venir jusqu’à nous.

   - La maison abandonnée le long de la route !, me crie-t-elle en se pliant en deux pour éviter un énième coup d’épée.

   La maison le long de la route.

   Lorsque nous l’avons passée, Marina a dit que ça ne l’étonnait pas que personne n’ait envie de vivre ici. Il n’y avait rien autour. Juste cette maison au milieu de nulle part.

   Je prends Sacha dans mes bras et l’épée du démon qui se précipitait sur nous ne fait que fendre l’air.