CHAPITRE 42

CHAPITRE 42

 

1.

La rencontre de Greg avec les visiteurs imprévus me fait rire. Mon fiancé me regarde, un peu incertain. Il se demande sans doute si je ris de lui… J’explique ou j’en suis de la lecture de son journal et j’ajoute :

- Tu sais pourquoi ils étaient nus ? Akira m’a raconté. Ils venaient de prendre une douche. Ils ont attendu un temps fou dans la ligne d’attente pour passer la douane à l'aéroport, ils avaient chaud, ils étaient stressés, épuisés… Après la douche, c'était le soulagement total ! Ils allaient se rhabiller… si tu étais arrivé cinq minutes plus tard, tu aurais manqué ce grand moment !

Greg prend un air ostensiblement dubitatif qui me met en joie.

- Une explication bien commode…

Quand je lui rends son cahier, je sais que je ne l’ouvrirai plus, à moins qu’il n’insiste à nouveau pour me montrer quelque chose. Mais je veux me souvenir de ce que je viens de lire. Alors je retranscris tout rapidement, pendant que c’est frais dans ma mémoire. Evidemment, ce sont mes mots, mon style, et comme toujours quand j'écris, la langue française s’impose.

Ce qui me fascine aussi, ce sont ses réflexions “pour plus tard”. Par exemple celle sur sa famille - je ne sais plus où c'était inséré, sans doute après sa conversation avec Katsumi à propos de Jackson… Quelque chose comme :

A réfléchir plus tard : peut-on avoir une famille trop nombreuse ?

J’ai trois mères autour de moi : Katherine, ma mère biologique. Vilma qui m’a élevé comme son fils. Et Marion, qui m’a adopté à sa façon, en me pardonnant d’avoir tué Michael. Notre correspondance constante depuis la prison, la façon dont elle m'écoute et me comprend… Nous savons l’un et l’autre que c’est une relation de mère à fils.

J’ai trois pères : Paul, qui s’est révélé mon grand-père, George mon oncle, et le mystérieux père biologique.

Trois femmes dans ma courte vie d’adulte depuis ma sortie de prison : Carol, l’amie de la famille, en fait une ennemie, Max venue d’ailleurs - si bénéfique, et maintenant - qui ? Même si je sais que c’est fini, Max est trop présente pour que je pense à celle qui, je suppose, lui succédera un jour.

Finalement, sa règle de trois ne s’est pas révélée exacte pour les femmes de sa vie, jusqu'à présent en tout cas. A moins de parler de Max et Max 2.0. Le fait est, depuis mon retour, une nouvelle relation a commencé entre nous.

Nous avons cru, l’un et l’autre, que c’était fini. Et puis, quand j’ai pu finalement parler à Akira, qu’il m’a appris qu’il était à Tacoma avec Greg, un espoir que je ne voulais pas admettre jusque-là a jailli. Greg avait renoncé à divulguer ma nature à qui que ce soit. Une réconciliation était possible.  Akira m’a encouragée. Il a apprécié ‘le félon' dès leur première rencontre.

Nous sommes vraiment fiancés maintenant, c’est comme ça que je le vis. Il m’avait donné la bague la première fois en s’excusant presque de penser à un avenir commun. Cette fois, nous sommes tous deux dans un grand enthousiasme. Ça nous amuse de réfléchir aux détails de la cérémonie - il faut qu’on prévienne Libby à propos, qui d’autre qu’elle pour nous marier ?

Le mariage m’a toujours paru quelque chose qui représente un engagement louable et qui en vaut la peine - mais pas vraiment pour moi. C’est un grand effort. De belles amitiés me semblent plus précieuses, et moins exigeantes en termes de mode de vie. Mon seul mari était Brisart jusqu'au 21eme siècle, et le fait est, on nous a (un peu) forcé la main. Pourtant, ce fut une belle expérience.

Personne pour me pousser à convoler cette fois ci. Épouser Greg, ça tombe sous le sens. Bon, nous vivons ensemble, c’est une étape. Tiphaine avait raison dans le fond. Tout dépend de la qualité du mari.

 

2.

De retour de Cluny, rejoindre Brisart dans la tour s’imposait. La petite pièce circulaire, en tout point semblable à celle que j’avais occupée pendant ma convalescence après la bataille, était occupée par un lit à baldaquin, cadeau de notre Seigneur en remerciements pour ses services lors de l’attaque récente du château. Près de la cheminée, un large crucifix était accroché sur le mur, devant un prie Dieu.

Les premiers temps, je passais une partie de la nuit auprès d’Audeline comme auparavant. Une fois ma protégée endormie, je bavardais un moment avec mes cousines puis rejoignais mon mari. Fidèle à sa promesse, il me laissait aller et venir comme je l’entendais. D’ailleurs, les lits n'étaient pas, comme aujourd’hui, des lieux d'intimité exclusifs. Je me souviens de certaines nuits où Audeline nous fit la surprise de venir dans notre chambre, après un cauchemar ou lors d’orages, parce qu’elle avait peur et que ses compagnes de lit dormaient. Plutôt que de les réveiller, elle nous rejoignait et c’était à l'époque parfaitement naturel. Je la revois, endormie contre moi comme quand elle était petite, le bras protecteur de Brisart nous entourant toutes deux.

La perspective de partager la chambre de mon mari m’avait intimidée mais sa courtoisie et la liberté que je ressentais en évoluant à ses côtés me permettaient de trouver l’espace dont j’avais besoin pour m’enraciner dans cette nouvelle relation sans me sentir contrainte.

Nous vivions des moments heureux. Brisart ne cessait de louer Dieu pour avoir créé les humains de façon qu’ils puissent partager une telle félicité. Quand je lui appris que je ne pouvais pas avoir d’enfant, son soulagement fut immédiat.

- Je n’ai pas l'étoffe d’un père, dit-il simplement.

Sa virginité m’avait surprise en un temps où les hommes, célibataires ou mariés, avaient accès sans entrave aux maisons closes que toute petite ville comportait. Aucun opprobre à l'encontre de ces établissements à l'époque. Souvent des religieuses les administraient. Alors qu’il était écuyer, le chevalier qu’il servait décida de l’emmener avec lui.

- Je n'étais pas contre… commenta Brisart, un après-midi lors d’une promenade, alors que nous nous relevions d’une pause tendre sous un chêne qui en avait été son vrai motif. 

Il poursuivit :

- J'étais mal à l'aise, certes. Mais curieux et désireux d’apprendre. Cela semblait si important pour mes compagnons d'armes.

Le talent particulier de Brisart interféra avec son expérience.

- Ces pauvres filles… soupira-t-il en m’aidant à rajuster mes vêtements. Elles accueillent les clients en prétendant se réjouir de leur venue, dissimulent leur détresse pour faire bon commerce de leurs corps. Leur misère, leur vraie tristesse m’étaient évidentes. Accomplir ce pour quoi j'étais venu… impossible. J’aurais eu l’impression d’abuser d’elles.

Je lui souris. Il était bon d'être mariée à cet homme.

 

3.

Pourtant, ce bonheur était une fine pellicule de glace au-dessus d’un gouffre. Je me doutais qu’un jour, malgré ma prudence, je serais démasquée. 

Je m’y attendais, et pourtant je fus anéantie quand, une nuit, j’entendis la question tant redoutée.

- Mais… où est ta cicatrice ?

Dans la semi-obscurité de notre lit conjugal, Brisart explorait mon côté droit et son épiderme lisse sans déceler la moindre irrégularité. Un tremblement me parcourut. J’avais déjà vécu ce qui allait suivre, l’effroi, l’indignation, le dégoût, la certitude de mon origine démoniaque et l'inévitable conclusion, le bûcher.

- La plaie s’est refermée, mon mari… Ma blessure a guéri… balbutiai-je.

C’était vrai. Mais Brisart savait que les souvenirs de ces entailles profondes ne disparaissent jamais complètement. Je tentai de fuir, lui s'efforça de m'agripper, je glissai entre ses doigts et basculai hors du lit, me retrouvant dans le froid, au sol. Il me suivit aussitôt et d’un geste rapide, saisit deux bougies qu’il alluma au feu de notre cheminée. Sans prendre le temps de les planter dans un bougeoir, il se pencha pour les rapprocher de mon visage. J'étais à terre, nue, prostrée.

- Parle-moi, dit-il simplement d’une voix dont le calme me surprit. Explique-moi.

La lumière irrégulière, fuyante des bougies, et celle qui émanait de la cheminée lui suffisaient pour discerner mes expressions. Agenouillée sur les dalles froides, j’avouai ce que j'étais, insistant sur mon ignorance quant à l'origine de ma nature, et sur le fait que ce n’était nullement un choix de ma part. Je répétais plusieurs fois, comme une prière, que je n'étais pas l'œuvre de Satan. Il resta silencieux puis saisit mon bras et me força à me lever. J’avais si peur que je tenais à peine sur mes jambes. J’attendais le moment où des invectives éclateraient à mes oreilles. Je me préparais aux souffrances à venir. 

- Viens, retournons au lit. Je dois réfléchir…

J'étais stupéfaite qu’il me veuille encore à ses côtés sous les couvertures et les fourrures.  Voulait-il s’assurer que je ne puisse pas m'échapper ? Réfléchissait-il à la meilleure façon de se débarrasser de moi, compte tenu de ce que je venais de lui apprendre, la plus indolore aussi, s’il avait un peu de pitié ?

Après un long moment de silence dans notre lit, il poussa un soupir et se tourna vers moi.

- Voici ce que je tiens pour vrai dans tout ce que tu viens de me dire, Jeanne. Tu n’es pas un démon. La Bible nous l’enseigne : on reconnaît l’arbre à ses fruits. Notre Père Haudouin nous l’a répété dans ses homélies. Le Malin apporte division, rivalités et malheurs. Depuis ton arrivée au château, Audeline s’est rétablie, elle qui s'éteignait jour après jour. Ta présence a été décisive lors de l’attaque du château. Et tu as fait de moi un mari heureux, ce qui était, j’en avais la certitude, impossible. Je ne sais pas ce que tu es… mais un démon, non.

Il se tut quelques instants. Même si un peu d’espoir s’insinuait dans mes pensées, je n’osai pas prononcer un mot. Ce qu’il ajouta me surprit.

- J’ai dû affronter ce genre d’accusations, moi aussi. Mes yeux vairons… Certains ont assuré que le diable lui-même avait enfoncé un œil maléfique dans mon visage à la place de celui avec lequel j'étais né. Parmi eux, des prêtres ! Ma façon de reconnaître les mensonges… Ceux que je perçais à jour avaient vite fait de m’accuser de diablerie ! Tu n’es pas un démon, ma femme. Un être angélique égaré parmi nous, ça je veux bien le croire…

J'étais encore glacée d’effroi quand il me serra dans ses bras, m’assurant de son amour. Prenant ma protection en charge, il m’enjoignit solennellement de ne rien dire à personne. Je souris dans l'obscurité.  Imaginait-il que j’allais soudain partager ce secret avec qui que ce soit ? Même Tiphaine n’avait aucune idée, ce qu’il apprécia.

J’avais cru survenue la fin tragique de mon existence au château. Quel soulagement d’avoir eu tort… ce jour-là.

 

3.

SI je me sentais libre aux côtés de ce nouveau mari, je gardais en mémoire la façon dont il avait réagi lors de cette funeste promenade. Jamais je ne prenais l’initiative d’une caresse ou même un simple contact. Je le laissai prendre ma main et me guider.

Un soir, je fis face à un mari furieux. Qu’avais-je fait ? Quelle frontière invisible avais-je franchi ? Quelque chose avait dû se produire pour déchaîner sa colère. L’expression indignée de Brisart est restée dans ma mémoire pour toujours, à la mesure de ma stupéfaction.

Nous étions dans notre chambre, nous préparant à nous coucher. Les mots furieux de Brisart étaient chuchotés pour que personne d’autre que nous ne puissent les entendre mais ils m’atteignaient comme des clameurs et autant de gifles, venant d’un homme toujours calme et bienveillant.

Je fis un bond en arrière et, me heurtant au mur, glissai jusqu'à me retrouver recroquevillée au sol, cherchant à occuper le moins d’espace possible. Assise par terre, mes bras entourant ma tête, je restai ainsi, comme perdue dans ma stupeur pendant un long moment.

Quand je bougeai finalement, chacun de mes membres étaient ankylosés par mon immobilité. La nuit était tombée et aucune bougie n’avait été allumée. Le feu de la cheminée me permettait de discerner la silhouette de Brisart. Il était assis sur le tabouret et me faisait face, silencieux et triste.

Je fis mouvement de me lever mais il m’interrompit, m’invitant à rester assise. Il avait quelque chose à me dire. Je m’installai de façon à soulager les diverses parties de mon corps, les yeux fixés sur lui.

Il commença par me demander pardon pour son éclat. Il s’était laissé surprendre par cette sombre part de lui-même. Je n’avais aucunement mérité d'être ainsi apostrophée, insista-t-il.

J’esquissai un geste que je voulais apaisant et de nouveau, allai me lever quand il reprit la parole.

- J’ai réfléchi et prié ce soir, en voyant les conséquences de mes actions sur vous, qui n’aviez rien fait. Il faut que vous sachiez. Ne me parlez pas. Ne me posez pas de question. Ce que je dois vous dire, je ne l’ai jamais dit à personne. Aucun mot pour décrire ces événements n’a jamais existé. Je vais faire vite car la souffrance d’avoir à relater ce qui m’est arrivé est extrême.

Je devinais seulement ses traits dans l'obscurité grandissante ainsi que la tension qui pesait sur lui. 

- Je vous ai parlé de ma famille, et comment notre château fut attaqué lorsque j’avais dix ans. Je ne vous ai pas dit… Ce que je n’ai dit à personne…

Il resta silencieux un moment comme s’il peinait à prendre son élan avant de s’attaquer à un obstacle démesuré. Puis une cascade de mots.

- Mon frère fut tué pendant l’assaut, un coup d'épée qui l’acheva sur le champ. Fut-il conscient de sa chance ? Je ne crois pas, pourtant elle était bien réelle. Mon père, blessé, fut saisi par les attaquants. J’avais été attrapé par un de nos soldats qui espérait monnayer sa vie en échange de la mienne. Il me livra au chef de ce groupe disparate en révélant mon identité. Le chef des brigands se plut à nous torturer, mon père et moi, de la pire des façons. Il me… En présence de mon père, il se saisit de moi et m’abusa comme si j'étais une fille. Puis il fit trancher la gorge de mon père devant moi. Honte et douleur ne m’ont plus quitté depuis ce jour. Quant à mon père, il souffrit non seulement de ce qui m’était infligé, mais aussi de savoir qu’être témoin de son exécution me marquerait à jamais. Cet homme utilisa nos liens de famille et d’affection pour infliger ses tourments.

Bouleversée, je ne dis pas un mot. J'étais à peine capable de respirer. Brisart fit une pause puis reprit :

- J’eus la piètre satisfaction de blesser mon tortionnaire quelques heures plus tard. J’enrage encore aujourd’hui de ne pas avoir réussi à le tuer. Il m’avait contraint de m’asseoir à ses côtés pendant le répugnant banquet qui suivit leur victoire, après la mise à sac de nos celliers et de nos caves. Tous burent abondamment, lui plus que tous les autres, et tombèrent les uns après les autres dans un sommeil alcoolique. Je pus me saisir d’une bouteille brisée qui avait roulé non loin de moi. Quand cet homme ignoble se réveilla de sa torpeur et voulut me saisir à nouveau, je le frappai avec toute la force de mon chagrin - enfonçant dans son œil le tesson de la bouteille. J’avais vu dans son regard le plaisir de nous faire souffrir à l'extrême, mon père et moi. Ses yeux étaient une cible parfaite.  Le sang jaillit. Il hurla tandis que je m’enfuyais. J’entends encore ses ordres pour qu’on me rattrape. Ses acolytes, ceux qui étaient encore capables de se mouvoir, me poursuivirent, mais dans ce lieu où j'avais grandi, dont je connaissais tous les détours, je réussis à leur échapper. C’est alors que je fuis jusqu’au domaine de l’ami de mon père, où je fus accueilli comme je vous l’ai raconté. Pendant que je faisais ce chemin, redoutant à tout instant d'être capturé, je résolus, si je survivais, de ne jamais dire un mot de ce qui m’était arrivé. Et une certitude s’imposa en moi. Je ne me marierais pas. Créer une famille, s’attacher à ses enfants, c’est fournir une arme d’une force terrifiante à ses ennemis.

Brisart se tut à nouveau et cette fois, tendit la main vers moi pour m’aider à me lever, puis alluma quelques bougies. Le temps reprenait son cours. Sans dire un mot - je sentais que toute parole aurait été malvenue - je posai la main sur la sienne et il la prit, puis me serra toute entière contre lui.

- Merci de m’avoir écouté, ma femme, souffla-t-il. Je sais que ton propre chemin te permet de comprendre mieux que quiconque. Je suis parfois possédé par ces souffrances passées, comme si j'étais encore dans le château de mon enfance poursuivi par ces êtres mauvais. Et la colère en moi n’a jamais cessé de bouillonner. Elle surgit quand je m’y attends le moins.

Il entoura mon visage de ses mains et me regarda avec intensité. Sa question me surprit.

- M’aimes-tu encore ?

Je sursautai - presque un mouvement d’indignation. Je le fixai, dirigeant mon regard vers l'œil vert.

- Plus que jamais.

Mes paroles résonnèrent dans la pièce où des faits emplis de cris et de tourments avaient été évoqués à voix basse. Il sourit de la conviction que j’avais mise dans ma réponse.

- J’avais besoin d’entendre ces mots. Ce bandit a fait de moi une souillure d’homme. Alors que je m'apprêtais à devenir un Chevalier, j'ai failli mettre fin à ma vie pour ne plus sentir ce dégoût de moi. Comment pouvais-je être digne de cette charge ? Je suis entré dans une église et j’ai demandé pardon à Dieu, à l'avance, pour ce que je m'apprêtais à faire. Et j’ai entendu cette parole : regarde Mon fils. J’ai levé les yeux vers l’autel. Cet homme attaché à la croix. Une victime de la violence des hommes, dépouillé de ses vêtements, vulnérable, attaché à un instrument de torture. Notre Seigneur. Notre Dieu. J’ai senti sa présence, chaleureuse, fraternelle. Il m’invitait à avancer à sa suite avec mes propres blessures, sans honte et sans hésitation.

Il jeta un regard vers le crucifix tandis que nous nous préparions à nous coucher, suspendant nos vêtements au baldaquin comme nous le faisions chaque soir. Jamais je n’appréciai autant la chaleur et l'intimité que le lit, derrière ses tentures rabattues tout autour de nous, nous prodiguait. Les confidences de Brisart m’avaient pétrifiée. J’imaginais cet enfant qui s’était vu arracher en quelques heures sa famille, le lieu où il avait toujours vécu, et son intégrité physique.  Était-il lui aussi transi par ses souvenirs ? Nous nous sommes recroquevillés, aussi étroitement serrés l’un contre l’autre que possible.

Plus tard dans la nuit, je sortis du sommeil. Brisart n’était plus auprès de moi. Inquiète, j'écartai les tentures. A la lueur de la cheminée, j'aperçus mon mari. Agenouillé sur le prie Dieu, il priait. Je discernai les mouvements saccadés de son corps. Il pleurait.

Mon premier instinct, me jeter hors du lit pour le réconforter, fut interrompu par la réalisation de l’effort qu’il faisait, en dépit de la profusion de ses sanglots, pour rester aussi silencieux que possible. C’était un moment qu’il avait besoin de vivre loin des regards, même le mien.

 

 

5.

Il me fallut plusieurs jours pour me remettre des confidences de Brisart. J’avais l’impression d'être en convalescence. Un effort était nécessaire pour me comporter comme je le faisais toujours.

- Je pensais que si je révélais ce secret, je tomberais en mille morceaux, me dit mon mari tandis que nous allions à la messe matinale. Et je me sens… comme d’habitude. Plus léger, je crois.

En effet, Brisart n'était pas différent de celui qu’il était auparavant. Plus détendu, peut-être. Et parfois, il évoquait son enfance, sa famille, des souvenirs de jeux avec son frère, des paroles sages de ses parents, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant.

Nous nous sentions plus proches que jamais au moment de vivre une transition délicate. Vint le moment où Audeline partit rejoindre Thibaut qui allait devenir son mari. Comme nous l'avions espéré, Tiphaine, ses filles et Berthe l’accompagnèrent. Audeline ne me demanda jamais d'être fidèle à ma promesse, maintenant que j'étais mariée.

La voir partir, me séparer de mes cousines était un déchirement - et dans le même temps un soulagement de savoir l’adolescente si bien entourée.

- Regrettez-vous de ne plus être à ses côtés ? me demanda Brisart un soir en s’asseyant près de moi au bord de notre lit.

Je m’efforçai de sourire.

- Non. Si j’avais voulu l’accompagner, vous m’auriez laissé faire, je le sais. Son absence est dure, mais tout est comme il se doit : elle avec son mari, moi avec le mien. Nous allons nous écrire.

J’ajoutai, en le regardant dans les yeux pour qu’il n’ait aucun doute sur ma sincérité, que le seul endroit où je voulais vivre était près de lui. Il m’embrassa sur le front. Lui aussi était triste - de fait, une vague d’accablement était perceptible dans tout le château depuis le départ d’Audeline. L’absence de la joyeuse énergie qui émanait de notre petit groupe se faisait ressentir, la fin d’un âge d’or d’insouciance et de gaieté.

Plusieurs années passèrent, faites de courriers échangés, de nouvelles que Brisart et moi commentions longuement - souvent avec l’aide de Christophe et du Père Haudouin. Tiphaine se remaria. Audeline eut une petite fille. Je fus émue d’apprendre qu’elle l’avait appelée Jeanne.

Loin de mes cousines, je n’aurais jamais deviné que celle qui allait devenir une amie si précieuse se révéla être le Corbeau. Les cheveux de Marthe Corbusier avaient blanchi sans rien lui ôter de son autorité dans les cuisines. De nouvelles habitudes s’instaurèrent. Aux heures où elle était moins occupée, je la retrouvais, nous parlions. Je fus impressionnée par sa connaissance des plantes et des remèdes. Marthe me parla de son père, un apothicaire de renom - plus précisément ce que nous appellerions aujourd’hui un herboriste. Elle avait travaillé avec lui jusqu'à sa mort. Elle n’avait pas pris sa suite - elle parla d’un climat qui ne s’y prêtait pas, de craintes d'être accusée de sorcellerie… elle quitta la petite ville où elle avait toujours vécu sans rien emporter avec elle. Mais son expérience, son savoir l’accompagnaient. Où qu’elle aille, elle ajoutait des compétences de soignante à ses activités. Je fouillai ma mémoire pour y trouver les conversations que j’avais eues avec Evrard, le père de Xavière Deschamps. J’avais vécu plus de quarante paisibles années avec cette famille et j’avais beaucoup appris. Mon savoir n’avait pas l’ampleur de celui de Marthe mais elle m'écoutait avec attention et gentillesse. 

 

6.

Un jour, une bagarre aussi violente qu’imprévue éclata sur les remparts entre plusieurs hommes de garde. Brisart s’interposa. Dans la confusion, il perdit l'équilibre et tomba dans les escaliers étroits qui y menaient. Il se releva immédiatement mais des douleurs de dos l'accablèrent à partir de ce jour.

Les premiers temps, il mena une vie normale par la force de sa volonté, mais de jour en jour les douleurs devinrent insupportables.

Marthe, en fournissant tisanes et cataplasmes que j’appliquais, offrit à Brisart des moments de soulagement et de sommeil au milieu de ses douleurs constantes. Son autorité et l'évidence avec laquelle elle fournissait ses remèdes me réconfortaient dans mon désarroi de voir mon mari souffrir autant.

Il devint vite clair qu’il n’était plus en mesure d’assumer ses responsabilités. Il eut des conversations avec notre Seigneur. Il ne pouvait faire autrement que de s'effacer, et il suggérait de promouvoir Christophe à sa place, son lieutenant depuis des années.

Marthe venait nous rejoindre aussi souvent que possible dans notre chambre où nous étions confinés pour la plus grande part de nos journées, tant il était devenu douloureux pour Brisart de marcher et encore plus de monter ou descendre des escaliers. Elle avait une idée pour notre devenir.

Notre Seigneur, nous apprit-elle, possédait plusieurs maisons au cœur du village. Deux ou trois d’entre elles n'étaient pas occupées. Nous demanderions la permission de loger dans l’une d’elle. Albéric, estimait-elle, n’exigerait sans doute pas de loyer. Compte tenu de nos services à la famille seigneuriale, il était possible même qu’il offre une rente qui nous permette de survivre. Elle hésita un instant avant de poursuivre :

- Je pourrais me joindre à vous, vivre avec vous. Il est temps pour moi de me retirer de la vie des cuisines.

Elle pourrait ainsi m’aider à prendre soin de mon mari, et, si le besoin s’en faisait sentir, nous pourrions elle et moi ouvrir un petit commerce.

L'idée nous plut aussitôt. Brisart, aussi abattu qu’il soit par ses douleurs invalidantes, aimait l'idée d’une amie partageant notre vie, me tenant compagnie et m’aidant à m'occuper de lui. La présence de Marthe à nos côtés me rassurait d’avance. Elle me raconta, avec un petit sourire, qu’elle avait envié la complicité et la chaleur que Tiphaine et moi partagions quand nous étions sous son autorité en cuisine.

- Je n’ai jamais eu d’amies comme ça, soupira-t-elle. Je n’ai jamais d’amies en fait.

Je posai ma main sur la sienne.

- Vous avez une amie, maintenant, Marthe.

- Deux amis, renchérit Brisart.

Ce projet me donna de l’espoir. Au calme dans ce logis, Brisart verrait peut-être ses douleurs diminuer. Ses hommes pourraient lui rendre visite, Christophe lui demander conseil.

Lorsque Marthe et moi exposâmes nos projets à notre Seigneur et sa Dame, je fus surprise de leur réaction - ou absence de réaction. J'avais anticipé une détente de leur part, nous prenions l’initiative de quitter le château sans qu’ils aient à se préoccuper de nous demander de partir.

- Nous allons considérer votre idée, dit Alberic tandis que dame Hermance évitait de nous regarder.

Alors que nous prenions congé, Marthe vit mon air inquiet et chuchota :

- Ils ne sont peut-être pas prêts à voir Brisart les quitter.

Je ne dis rien.

 

7.

Quelques jours plus tard, le Père Haudouin vint nous rendre visite. Je le vis entrer dans notre chambre sans plaisir. Ses prières pour Brisart étaient toujours centrées sur une supplication pour que Dieu lève la punition dont Il avait accablé le Chevalier. Je n’avais pas voix au chapitre mais Dieu, punir un homme aussi méritant que mon mari ? C’était absurde et offensant.

Mon indignation faisait sourire Brisart.

- Tu me surestimes, ma femme. Je suis un pêcheur comme chacun d'entre nous.

Mais il ne croyait pas non plus que son accident soit un châtiment venu du Ciel.

- Ce qui m’arrive est malencontreux et c’est vrai, ces douleurs constantes m’affligent, me dit-il un matin, en buvant une tisane d'écorce de saule, préparée et filtrée par Marthe.  Non une punition mais une invitation à une autre vie, faite de dévotions et de paix. Tandis que tu es à mes côtés, je peux tout supporter.

Le Père Haudouin, ce jour-là, nous transmit un ordre de notre Seigneur : nous devions, dès le lendemain, quitter St Rémi et rejoindre Audeline et sa famille dans le domaine de Lionel des Bruyères où elle vivait avec Thibaut. Nous étions stupéfaits. Ce trajet serait un supplice pour Brisart. Il ne pouvait pas monter à cheval. Un carrosse s’imposait et ce voyage brinquebalant serait insupportable.

- Mais pourquoi cette décision ? demandai-je, au bord des larmes.

Embarrassé, le prêtre balbutia des explications qu’il avait entendues - sans être sûr de leur véracité. Audeline nous réclamait parce que la santé et le comportement de sa fille l'inquiétaient, proche du sien quand elle était enfant.

J’entendis d’autres rumeurs, en provenance des hommes de garde et partagées par Christophe, selon lesquelles un message avait été envoyé à Lionel des Bruyères. La réponse avait été rapide : Urbain Foulques, son Capitaine avec lequel Brisart ne s’était jamais entendu, était en route pour prendre la tête de la garde. Mais il avait exigé que celui à qui il allait succéder quitte la région. S’il vivait au village, il continuerait à être une influence sur ses hommes.

- Méfions-nous de la peur, des rumeurs, de l’amertume… me dit mon mari calmement. Il est possible aussi qu’Audeline nous demande de venir au plus vite parce qu’elle a auprès d’elle un physicien qui peut faire des miracles. Bien sûr, le voyage sera pénible. Mais c’est peu de chose comparé à ce qu’a vécu notre Sauveur sur la croix.

Brisart, au milieu de ses douleurs, m'incitait à faire confiance en l’avenir. Comme toujours, ses paroles m’apaisaient.

 

7.

Marthe tapa impatiemment sur le bras de l’homme de garde pour qu’il baisse la torche qu’il tenait. Le soleil n’était pas encore levé, et elle avait besoin de cette lumière pour arranger une fourrure épaisse et des coussins sur la banquette du petit carrosse avant que Brisart ne s’y installe.

Le Père Haudouin, représentant notre Seigneur, transmit ses adieux et remerciements et conclut par une bénédiction. Je refusai de baisser la tête et dévisageai avec défiance le vieil homme qui avait fermé les yeux pour sa prière.

- Il obéit aux ordres d'Albéric, eus-je besoin de me rappeler. Rien de ceci n’est son choix. Et souviens-toi du petit garçon qu’il était, qui t’a sauvée par sa présence d’esprit…

Brisart monta dans la voiture en réprimant une plainte. Marthe l’aida puis redescendit et me fit face. J'ouvris les bras pour l’embrasser mais elle se raidit et recula.

- Tu auras la place de t’asseoir à ses côtés, me dit-elle, plutôt qu’en face de lui. Ce sera préférable.

- Merci, merci pour tout ce que vous avez fait pour nous, et…

- Je l’ai fait pour lui, pas pour toi, me coupa-t-elle. Tu donneras mes amitiés à Tiphaine… Elle a un mari, sa sœur, ses filles, mais ce n’est pas assez, apparemment. C’est elle qui va te récupérer, en fin de compte.

Au moment de nos adieux, elle redevint donc Corbeau avec ces mots cinglants, après lesquels elle s'éloigna sans se retourner. Elle avait choisi l’indignation pour exprimer la déception brutale de notre départ. Tiphaine et moi étions sans doute les cibles les plus faciles contre lesquelles s’emporter.

 

8.

- Es-tu en colère contre Alberic, ma femme ?

Brisart, recroquevillé sur la banquette, la tête posée sur mes genoux, ne pouvait pas voir mon visage mais il me connaissait si bien qu’il discernait sans peine les émotions derrière mon silence. J’essuyai les larmes qui avaient coulé au moment de notre départ.

- Que dire… soupirai-je. J’étais déçue de ne pas le voir, ni Dame Hermance. Vous avez tant travaillé pour leur protection…

Sauraient-ils jamais l'énergie et la minutie avec lesquelles Brisart avait construit la force armée qui les entourait pendant des années ? Voilà qu’ils nous envoyaient au loin, au-devant d’un voyage pénible et dangereux. Seuls deux hommes à cheval, nouveaux dans leur service et que Brisart connaissait à peine, nous escortaient.

- C’est vrai… admit mon mari. Mais nous ne connaissons pas les raisons de tout ceci, ni les circonstances qui les entourent. Alors… dans le doute, autant pardonner.

Je posai la main sur son épaule, tout à la fois touchée par sa magnanimité et, me demandant avec irrévérence si, dans un effort inconscient de mettre fin à la punition divine dont le Père Haudouin avait tant parlé, il ne cherchait pas à montrer aux autorités du Ciel à quel point il était fidèle aux enseignements du Christ. Il poursuivit :

- Et n’oublie pas que nous allons retrouver Audeline et tes cousines. Ce sera merveilleux de rencontrer la petite Jeanne pour la première fois…

Je ne pus m'empêcher de sourire à cette perspective. Je finis par m’enfoncer dans une torpeur proche du sommeil malgré l’inconfort de notre transport.

Une plainte, le bruit d’une chute, proche de la voiture, me firent sursauter. En un instant, avec un cri de douleur, Brisart fut sur ses pieds,

- Nous sommes attaqués ! lança-t-il.

Il se pencha à la fenêtre du carrosse. Au même instant, il fut atteint par deux flèches, l’une à la gorge, créant un jaillissement de sang, l’autre en plein cœur. Je le vis passer de vie à trépas, avant même qu’il ne s’effondre. 

 

9.

Lumière voilée et douleur. Puis la voix de ma petite Sainte.

- Ne bouge pas. Surtout pas un geste. Tu es morte pour le moment.

Un linge m’enveloppait. Mon linceul.

- Christophe et ses hommes vous ont trouvés. Les gens de Vineuse-sur-Frégande, la commune voisine, ont offert leur assistance. Ils ont pourvu les linceuls et une charrette. Tu es dessus, aux côtés de Brisart. La nuit est tombée, ils vont attendre demain pour ramener vos corps à St Remi.

- Comment ont-ils su ?

Ils étaient arrivés vite, sinon j’aurais eu le temps de revenir à moi. Que faisaient-ils, sur nos talons ? Emilie soupira - un souffle immatériel près de mon oreille droite.

- Ils cherchaient à vous rattraper, à la demande de votre Seigneur.

- Notre ex-Seigneur.

- Il a regretté sa décision. Dame Hermance l’a convaincu qu’il était encore temps.

- Elle se trompait.

- Eh oui… Beaucoup de sanglots et de pensées amères en perspective au Château…

Bien sûr, personne d’autre que moi ne pouvait entendre et percevoir ma compagne. Et elle entendait mes paroles sans que j’aie besoin de les prononcer. Ce qui était heureux : ma gorge était un enfer de douleurs. Il me faudrait une longue convalescence - au moins une dizaine de jours - avant de pouvoir m’exprimer à nouveau. Que m’était-il arrivé ? La mort de Brisart était mon dernier souvenir avant mon réveil dans ce linceul.

J’interrogeai mon corps. J’avais été égorgée - sans doute ce qui m’avait tué - mais aussi battue, mes côtes en portaient la marque. Des déchirements de chairs intimes m’informaient que j’avais subi d’autres sévices. Les brigands n’avaient pas trouvé grand-chose de valeur dans nos bagages et la sauvagerie de leur assaut exprimait sans doute leur frustration. L’alliance de lapis que j’aimais tant avait été dérobée, bien sûr.

Au milieu de ces constatations, une pensée consolante : Brisart était mort le premier, en un instant. Il n’avait pas vu ce qui m’arrivait. Il était à présent réuni avec sa famille. Il m’avait dit récemment avoir rêvé de sa mère plusieurs fois, une présence chaleureuse qui lui tendait les bras.

- Elle est si reconnaissante de te savoir à mes côtés, ma femme, me dit-il peu de temps avant notre équipée. Elle se désolait de ma solitude.

Peut-être avait-elle permis cette bienfaisante amnésie ? Je posai la question à ma petite Sainte et ne fus pas trop surprise qu’elle ne réponde pas. Peu importe. Brisart avait été épargné, parti dans un au-delà qui l’avait protégé. Ce n’était que justice après ce qu’il avait traversé de son vivant.

 

10.

Quelques heures plus tard, au milieu de la nuit, Emilie m'aida à m’extirper du linceul. J'aperçus le feu de camp autour duquel les gens d’arme dormaient, une sentinelle veillant, le regard tourné vers le chemin menant vers le village, dans la direction opposée de la charrette où nos corps se trouvaient.

J’aurais voulu embrasser Brisart une dernière fois, serrer Christophe dans mes bras, mais bien sûr, ce n’était pas possible. M'éloigner en silence dans l'obscurité de la forêt, sans gémir de douleur, était une tâche qui m’absorbait totalement. Mes vêtements étaient déchirés, tachés de sang et j’avais perdu mes souliers. Je marchais pieds nus. Emilie évoluait devant moi, nimbée d’une lumière douce qui me guidait. Chaque pas était une torture. Mais il était indispensable de mettre une distance suffisante avec le petit groupe.

Elle s'arrêta soudain et tendit le bras pour me montrer un objet à terre, dont j'aperçus l'éclat argenté. Veronika. Nos assaillants avaient-ils fui si précipitamment qu’ils avaient laissé tomber le petit poignard ? Je portai la main à ma gorge. M’avaient-ils tuée en utilisant Veronika ? Emilie me regarda avec insistance mais je ne bougeai pas, refusant de ramasser l’arme. Veronika m’avait trahie.

Emilie soupira, se saisit de l’arme.

- Ne sois pas ridicule ! Tu en auras besoin.

Elle s'éloignait déjà, mais je restai sur place. Si ces brigands avaient laissé tomber les quelques objets précieux qu’ils nous avaient volés, mon alliance était peut-être là, toute proche ? Emilie me fit signe de reprendre notre chemin. Nous avions peu de temps.

Le ciel commençait à s'éclaircir et je n’avais pas pu parcourir une grande distance dans mon état. Déjà j’entendais au loin les exclamations du petit groupe découvrant la disparition de mon corps. Emilie me montra un arbre dont les branches basses touchaient presque le sol. Avec son aide, je grimpai, passant d’une branche à l'autre, et lentement réussis à me hisser de plus en plus haut. Finalement, à califourchon sur une large branche, les bras entourant le tronc, je m’immobilisai. Emilie glissa ses bras autour de moi, répandant une chaleur dont mon corps avait tant besoin.

Les voix se rapprochèrent, puis s'éloignèrent.

- Ils vont repartir, souffla Emilie. Ils pensent que des loups t’ont enlevée, attirés par l’odeur du sang. Ils ne diront à personne que ton corps a disparu. Dans l'état où ils t’ont trouvée, de toute façon, ils ne t’auraient pas sorti de ton linceul. Personne ne saura. Ils mettront un sac de terre dans ton cercueil. Officiellement, tu seras enterrée aux côtés de Brisart. 

Un long moment passa. Le soleil se leva. Les douleurs s’intensifiaient. Même respirer était une épreuve.

- Emilie, je ne pourrai pas descendre de cet arbre… Je suis trop mal.

- C’est vrai… confirma ma compagne calmement.

Le silence était revenu. J’entendais seulement les branches d’arbres et les feuilles bruisser tout autour de nous.

- Ça va être douloureux, reprit Emilie, mais c’est le seul moyen. Tu vois cet homme, là-bas sur le chemin ? Il va prendre soin de toi. C’est le moment, ma chérie.

D’un geste d’une puissance irrésistible, Emilie me poussa dans le vide. Guillain, le moine roux au sang vif, devenu ermite pour acquérir un peu de sagesse, me vit tomber avec horreur.

Il allait devenir mon frère.

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Edouard PArle
Posté le 25/06/2023
Coucou Annececile !
Dur chapitre ! Après un petit passage dans le présent très réconfortant, on assiste à l’effondrement de la vie de Max au moyen-âge. La mort de Brisart est vraiment triste, car très injuste, Brisart et Max ont répandu le bien autour d'eux et voilà ce qu'ils récoltent....
Pour Brisart, tu as réussi à rendre ce personnage attachant avec sa magnanimité, sa piété etc... Il a un petit côté Greg dans le caractère, pas étonnant que Max se soit tant attachée à lui. J'ai très peur de voir ce que tu as réservé à Greg pour la fin de l'histoire, est-ce que ça se finira aussi de manière tragique ? Tu me briserais le coeur^^
Petite remarque :
"SI je me sentais libre aux côtés de ce nouveau mari," -> Si
Un plaisir,
A bientôt !
annececile
Posté le 26/06/2023
Ton interet pour les personnages me fait vraiment chaud au coeur :-) Oui, c'etait un chapitre douloureux... meme si le fait que Brisart soit mort si vite, le premier,ait ete une vraie consolation pour la narratrice. Quant a Greg... evidemment je ne dis rien. A suivre !
Merci de ton commentaire ! Et a tres bientot !
Aryell84
Posté le 16/02/2023
Coucou !!!
Bon voilà j'ai le coeur brisé maintenant!!!! J'aimais tellement Brisart!!! La vie qu'ils ont partagés tous les deux étaient vraiment belle et attendrissante: il a tellement bien réagi quand elle lui a révélé son secret, en ne se laissant pas dominer par sa peur de l'inconnu mais en réfléchissant intelligemment à partir de la Bible! et il est lui même une si belle personne se battant pour surmonter ses traumatismes et être un homme bon, y compris en confiant ce dont il lui est si difficile de parler... Et sa mort est tellement triste (même si on n'a pas vraiment le fin mot de l'histoire sur la raison de leur départ)!!!! J'avoue espérer que tu nous donneras encore des petites anecdotes avec lui par la suite j'ai trop aimé le retrouver pendant ces chapitres!
Bref, merci pour ce beau personnage, j'attends la suite avec impatience ;)
annececile
Posté le 17/02/2023
Helas.... Brisart devait bien mourir un jour, puisqu'il n'etait pas un Semblable. Mais ta reaction me fait plaisir (non pas que je me rejouisse que tu aies le coeur brise!) car moi aussi je trouve que c'est un personnage attachant. Ce n'est pas un hasard si la narratrice a mis si longtemps a considerer un nouveau mariage par la suite. Je crois aussi qu'elle a trouve une certaine paix en l'imaginant reuni a sa famille, en particulier sa mere. Le fait qu'il reve de sa mere plusieurs fois etait un signe precurseur qu'il allait la rejoindre.

Merci de tes commentaires et de ton enthousiasme! C'est tellement encourageant ! A tres bientot !






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