Chapitre 42 - Liam

Liam faisait les cent pas devant la salle du trône, attendant impatiemment les Ombres qui ne tarderaient plus à arriver. Depuis qu’il avait appris que des aspirants faisaient partie du voyage, il ne tenait plus en place. Il culpabilisait toujours d’avoir laissé Annyaëlle repartir sans qu’ils puissent prendre le temps de parler. De temps à autre, il revoyait ses yeux effrayés, écarquillés de peur, et cette pensée l’attristait profondément. Il avait détesté lire ces émotions sur le visage de la jeune fille et encore plus le fait de les avoir provoqués.

Pourtant, Liam allait devoir se faire une raison. En tant qu’aspirante et bientôt Ombre, Annyaëlle serait forcément amenée à se confronter au danger. Cette réflexion lui arracha une grimace, il aurait de loin préféré la savoir à l’abri, en sécurité aux côtés de son frère adoptif. Au fond de lui, il espérait que cet épisode la bouleverserait suffisamment pour la faire renoncer à terminer sa formation au sein de la Confrérie. Une fois marié au prince Mikhaïl, plus rien ne pourrait lui arriver.

Liam se redressa brusquement en entendant le pas lourd des soldats accompagnés de ceux plus discrets des membres de la Confrérie. Une quinzaine d’Ombres étaient là et il reconnut sans peine, à l’arrière, la démarche encore un peu timide de deux aspirants. Il les salua tout en cherchant hâtivement un visage familier, plein d’espoir de pouvoir arranger les choses. Dépité, il détourna la tête en constatant que ni Kaärna ni Annyaëlle n’étaient présentes.

La mine renfrognée, Liam introduisit les membres de la Confrérie dans la salle du trône où les attendaient le Roi de Cœur et ses fils. C’était une salle immense, au plafond haut et aux nombreuses sculptures étrangement poétiques, le tout baignant dans une clarté d’un blanc pur. Les trois hommes interrompirent leur conversation lorsqu’ils entrèrent et Liam leur présenta rapidement leurs invités avant de s’écarter sur le côté avec déférence, ne souhaitant nullement se joindre aux échanges qui allaient suivre. Il restait à une distance respectueuse, mais suffisamment proche pour se tenir à la disposition de son souverain.

L’expression inhabituelle sur son visage n’avait pas échappé au prince Mikhaïl qui lui jetait régulièrement de petits coups d’œil, visiblement plus intéressé par l’attitude de Liam que par toutes ses formalités. En réalité, le prince cadet n’était présent que pour la forme et ne prenait nulle part aux décisions. Il s’empressa donc de se diriger vers Liam dès qu’il fut enfin libéré de ses obligations.

— Tu en fais une tête ! Quelqu’un est mort ?

Le regard que lui adressa Liam lui fit immédiatement regretter ses paroles.

— Du calme, je plaisante ! s’excusa aussitôt Mikhaïl.

Le jeune prince resta auprès de son frère adoptif, se balançant maladroitement d’un pied sur l’autre, sans savoir quoi lui dire. Il se prit d’intérêt pour les Ombres et les observa longuement avant que son regard s’attarde sur une aspirante aux longs cheveux blonds. Contrairement à Mikhaïl, Liam remarqua à peine que la jeune fille les regardaient sans vraiment se cacher, jusqu’à ce que le prince se mette à lui sourire en retour.

— Elle n’est pas là, lâcha Mikhaïl sans quitter des yeux l’aspirante.

— Je sais.

Liam avait répondu sans même réfléchir, comme s’il ne pouvait s’agir d’autre chose. Le prince rompit enfin le contact et tourna la tête vers lui.

— C’est donc pour ça que tu fais cette tête ! s’écria-t-il. C’est à cause de ce que tu m’as raconté la dernière fois ? Tu sais, tu ne devrais pas te mettre dans des états pareils. Oui, elle a eu peur que tu sois blessé pour la protéger, ces choses-là arrivent. Je suis certain qu’elle ne t’en veut pas, tu devrais le savoir. Mais bon, c’est à toi que tu en veux n’est-ce pas ?

— Mikhaïl, soupira Liam, tu ne t’arrêtes jamais de parler ?

— Pas souvent non ! Surtout si c’est pour te regarder te torturer sans broncher. D’ailleurs, tu penses beaucoup à ma fiancée je trouve, je vais finir par devenir jaloux.

Le jeune prince regardait à présent Liam droit dans les yeux, tentant avec difficulté d’adopter un air particulièrement sérieux, sans succès. Il ne réussit pas à le garder plus de quelques secondes et explosa soudain d’un rire sonore qui fit sursauter quelques personnes autour d’eux et qui lui attira un regard assassin de la part de son aîné. Mikhaïl répondit aussitôt au prince Nathanaël par une grimace tandis que Liam levait les yeux au ciel, mi-exaspéré, mi-amusé, sans pouvoir réprimer un vague sourire sur ses lèvres. Mikhaïl sut qu’il avait gagné.

— Je préfère te voir ainsi mon frère. Crois-moi, l’inquiétude ne te va pas du tout.

— Si tu le dis.

— Allez soit sympa ! implora le prince en lui donnant une petite tape dans l’épaule. Regarde, avec toutes ses Ombres dans les parages tu vas bientôt devoir repartir en mission. Pitié, ne m’inflige pas cette tête pour le peu de temps qu’il reste avant ton départ.

Liam haussa un sourcil, mais il avait retrouvé son air enjoué.

— Tu en fais vraiment des caisses, tu sais ?

— Du moment que ça marche ! s’exclama Mikhaïl, tout sourire.


 

La réunion avait duré des heures, mais le jeune prince avait réussi avec succès à remonter le moral de Liam. Comme ils s’en étaient tous deux doutés, le Roi de Cœur avait fini par demander à sa pupille de repartir en mission dans le royaume en compagnie de ses soldats et des Ombres qui venaient d’arriver. Plusieurs alertes avaient déjà été rapportées et bien qu’elles ne semblaient pas en lien avec la Corruption, leur devoir été de s’en assurer au plus vite.

Au final, cela avait pris si longtemps que le roi avait fait venir un véritable festin en l’honneur de ses invités venus protéger son royaume. Lorsque Liam sortit enfin de l’immense salle du trône, la nuit était déjà bien avancée et toutes les Ombres avaient pris congé depuis un moment.

Rester aussi longtemps enfermé l’avait épuisé et il se laissa guider par un besoin irrépressible de prendre l’air. Liam se dirigea sans hésiter vers la petite cour la plus proche, l’une de celles qui reliaient parfois les tours entre elles. Le bruit apaisant d’une fontaine crevait étrangement le silence et Liam s’approcha, inspirant profondément l’air frais et iodé qui caressait sa peau et agitait ses cheveux. Les étoiles semblaient briller de mille feux en l’absence de la lune, contrairement à la cité dont le blanc semblait moins éclatant dans la nuit noire.

Malgré le silence assourdissant, des pas légers et presque inaudibles l’arrachèrent à sa contemplation. Une jeune fille aux longs cheveux blonds approchait, hésitante. Lorsqu’elle fut assez près, il reconnut l’aspirante qu’il avait déjà croisée dans l’après-midi.

— Je suis soulagée de ne pas vous surprendre, lui dit-elle, timide.

— Il en faut plus que ça, répondit machinalement Liam, dont les entraînements militaires lui avaient appris à repérer le moindre bruit.

Il la jaugea à travers la pénombre, se demandant ce qu’elle pouvait bien faire là, au milieu de la nuit. Comme elle ne faisait pas mine de partir et qu’elle n’ajoutait rien, il finit par reprendre parole.

— Est-ce que je peux vous aider ?

Elle s’avança d’un pas avec espoir.

— À vrai dire… je me suis perdue. Je sais, ça ne fait pas vraiment sérieux pour une aspirante de la Confrérie, n’est-ce pas ? Du coup, je n’ai pas osé demander mon chemin. Mais je tourne en rond depuis un moment et… je vous ai vu, alors j’ai pensé…

La tête baissée, la jeune fille le regardait entre ses longs cils blonds, comme si elle avait peur qu’il refuse et la laisse là, seule dans le noir.

— Les aspirants et les Ombres doivent loger au même endroit, je suppose ? Je vous emmène.

— C’est vrai ? Oh, merci !

Liam quitta la petite cour, l’aspirante sur les talons, légèrement déçu de devoir écourter ce moment de tranquillité. Il marchait en silence et après quelques couloirs sans avoir échangé une seule parole, il finit par se dire qu’il ne serait pas une mauvaise idée de se présenter. Après tout, ils allaient probablement être amenés à se côtoyer dans les prochaines semaines. Il se tourna à demi vers elle.

— Au fait, je m’appelle Liam Wilsandr.

— Valet de Cœur et pupille du roi, récita-t-elle immédiatement.

Liam s’arrêta net et la fixa, troublé par sa réaction. Dévisagée, l’aspirante s’empourpra aussitôt et baissa la tête vers le sol pour dissimuler son visage.

— Est-ce qu’on se connaît ? demanda-t-il.

— Euh… non pas du tout ! C’est que… je suis une grande admiratrice ! Quand j’étais plus jeune, je suivais vos exploits à l’académie. Rendez-vous compte, un garçon de la rue soudain propulsé à la cour ! J’ai toujours rêvé de vous rencontrer en personne, je n’arrive pas à croire que mon vœu s’est réalisé !

Elle le regardait avec des yeux pétillants, accentuant un peu plus le malaise qui commençait à envelopper Liam.

— Vous êtes d’ici ?

Il était évident que c’était sans doute le cas, mais Liam n’avait pas pu s’empêcher de poser la question. Il commençait doucement à se demander si l’aspirante était vraiment tombée sur lui par hasard et ça ne lui plaisait pas du tout.

— Oui ! Enfin, non. Pas d’ici dans le palais, j’ai grandis dans les quartiers longeant le port. Mais même depuis que je suis à la Confrérie, j’essayais toujours d’avoir des nouvelles du royaume.

Inconsciemment, Liam avait reculé d’un pas, perturbé par l’avalanche verbale et l’enthousiasme étrange de la jeune fille. L’aspirante s’arrêta dès qu’elle perçut son geste, prenant enfin conscience de l’effet qu’elle devait produire.

— Oh, je suis profondément désolé ! Se mortifia-t-elle. Vous devez me prendre pour une folle et c’est à l’opposé de mes intentions. C’est que… être ici au palais et vous parler en personne, je me suis un peu emportée, pardon. Si vous êtes d’accord, on pourrait tout effacer et repartir de zéro, en toute simplicité ?

Liam resta silencieux quelques secondes, toujours profondément mal à l’aise. Il hésita, mais finit par se laisser convaincre devant les yeux suppliants de la jeune fille.

— Très bien, céda-t-il, recommençons. Je me présente, je m’appelle Liam.

— Enchanté ! Je m’appelle Léoni.

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