Chapitre 44 - Annyaëlle

Annyaëlle avait eu du mal à se réveiller ce matin-là. À la hâte, elle attrapa le grand sac de toile où elle rangeait ses armes d’entraînement et se précipita dans les couloirs du palais. Heureusement, elle avait fini par apprendre à se repérer dans ce nouvel endroit, et à présent, elle ne se perdait plus.

Comme tous les matins, elle rejoignit Saule pour poursuivre leur entraînement dans l’espace qu’on leur avait dédié à leur arrivée. C’était un bel endroit. Quatre couloirs se rejoignaient et entouraient un patio de bonne taille, à demi dissimulé par une multitude de colonnes sculptées avec raffinement. Annyaëlle s’étonnait toujours du charme fascinant qui se dégageait de chaque recoin de la cité. Encadré par les pierres noires typiques du Royaume de Piques, les quelques plantes qui s’épanouissaient dans l’espace ouvert semblaient étinceler comme des diamants parmi les rares rayons du soleil.

Bien qu’elle appréciait la douce lumière qui chauffait agréablement sa peau, éloignant un peu plus la froideur des murs de pierre, elle regrettait le merveilleux paysage qu’elle avait découvert à son arrivée. Lorsqu’ils avaient atteint Lignis quelque temps plus tôt, la cité était alors recouverte d’un somptueux manteau de neige, camouflant la ville tel un écrin délicat. L’endroit lui avait paru si paisible et tranquille sous le doux crissement que faisaient ses pas. Et puis la neige avait fini par fondre.

Ils avaient été invités à prendre résidence dans la partie haute de Lignis, la partie la plus splendide de la cité, mais aussi la moins peuplée. Annyaëlle avait été attristée de découvrir que seulement une partie de la population était libre de se déplacer comme bon lui semble et que seule l’élite avait accès à ces lieux. Elle avait beau réfléchir, la jeune fille n’arrivait pas à en comprendre la raison. C’était une cité bien différente de l’endroit où elle avait grandi et dont les mœurs lui échappaient complètement, mais ce n’était pas le rôle d’une aspirante d’y trouver à redire.

Très vite, les Ombres qu’ils accompagnaient étaient reparties en mission et même si elles revenaient régulièrement, elles ne s’attardaient jamais très longtemps. Lors de leurs rares étapes, Saule et elle les questionnaient toujours sur leurs périples à l’extérieur, friands de chaque détails qu’ils manquaient. Au début, les Ombres se relayaient pour rester avec eux pendant que les autres partaient patrouiller aux alentours de la cité, mais très vite elles n’avaient plus jugé cette formalité nécessaire. Ils étaient donc seuls la plupart du temps et passaient leurs journées à s’entraîner et à essayer de développer l’Affinité d’Annyaëlle. Pour le moment, elle n’avait plus reçu de signe de son esprit-guide à travers ses rêves, pourtant elle ne s’en inquiétait pas, elle ressentait à nouveau la sensation de se trouver au bon endroit.

Le souffle court, Annyaëlle recula pour reprendre une posture défensive, prête à recevoir l’attaque de Saule. Elle en profita pour écarter une longue mèche de cheveux qui barrait son visage, essuyant quelques gouttes de sueur d’un même geste rapide. Une fraction de seconde, ses yeux accrochèrent un détail inattendu et l’aspirante perdit sa concentration. Au-delà des colonnes, elle aperçut une silhouette qui les observait, sous le couvert de la pénombre. Annyaëlle reconnut sans difficulté la chevelure de jais et les yeux gris de leur hôte, le Duc de Lignis.

Cela n’avait duré qu’un instant, mais il suffit à l’empêcher d’anticiper correctement l’attaque de son adversaire. Elle se décala pour parer le coup une seconde trop tard et ne le bloqua qu’à moitié. Déséquilibrée, Annyaëlle bascula en arrière et entraîna Saule dans son élan, qui l’écrasa de tout son poids. Les deux aspirants se fixèrent quelques secondes, hébétés, le corps couvert de sueur et de poussière, puis ils explosèrent de rire. Se rappelant soudain qu’ils étaient observés, elle jeta un rapide coup d’œil vers le couloir désormais vide et Saule la libéra en se laissant rouler sur le côté.

— Comment trouves-tu le seigneur des lieux ? se moqua-t-il.

Annyaëlle tourna la tête vers lui.

— Tu l’as vu toi aussi ?

— Ouais. Ce n’est pas la première fois.

Saule se redressa, épousseta ses cheveux et s’installa en tailleur, le dos en arrière, appuyé sur ses mains.

— Blague à part, ton avis m’intéresse.

Annyaëlle ne put s’empêcher de sourire. Elle était vraiment heureuse qu’ils aient été tous les deux envoyés au même endroit. Ils s’étaient toujours très bien entendus depuis leur rencontre, mais elle avait l’impression qu’ils se rapprochaient plus de jour en jour et elle appréciait ça. Annyaëlle avait rarement eu aussi confiance en quelqu’un. Elle prit le temps de réfléchir à la question avant de lui répondre franchement.

— Je ne sais pas trop. On ne l’a pas beaucoup vu jusque là. Il est distingué, il parle bien, sûrement trop même. Il est conscient du pouvoir qu’il détient, mais bon, comme beaucoup de nobles, je suppose. Et observateur aussi.

— D’observateur à calculateur, il n’y a qu’un pas, commenta l’aspirant.

— C’est vrai, la frontière est parfois mince. Et toi, Saule, qu’en penses-tu ?

— Et bien, maître d’une telle cité à son âge… Il semble à peine plus âgé que nous, il a soit beaucoup de chance, soit il est très intelligent, ce dont je ne douterais pas trop. Il n’est pas non plus en reste côté physique, ce qui doit être un avantage non négligeable pour s’ouvrir les portes de la cour, même si personnellement, je trouve son air charmeur à la limite de l’écœurement. Mais peut-être est-ce la manière habituelle de se comporter pour des nobles ?

Annyaëlle grimaça à cette dernière remarque.

— Oh, crois-moi, pas dans tous les royaumes !

— Je suis heureux de l’apprendre, lui dit-il en souriant.


 

Quelques heures plus tard, Annyaëlle et Saule mirent enfin terme à leur entraînement, totalement épuisés. L’aspirante étira douloureusement ses muscles et grimaça quand certains de ses os craquèrent sous la tension. Bourrue de fatigue, elle s’imaginait se délasser dans l’eau chaude des bains de la Confrérie, mais elle ne se trouvait plus sur l’île du Crépuscule. Peu après son arrivée, elle avait découvert un lieu intriguant dans l’une des ailes du palais. C’était deux vastes salles, l’une réservée aux hommes, l’autre aux femmes, où se trouvaient plusieurs bassins chauffés à des températures différentes. Annyaëlle avait mis un long moment à comprendre pourquoi ceux les plus froids étaient les plus réputées, jusqu’à ce que Saule lui rappelle que certains affiliés de Feu étaient moins sensibles au froid. Évidemment, la plupart des nobles de Lignis avaient leurs propres bains, mais ils n’hésitaient pas à venir jusqu’ici de temps à autre, afin de raviver dans la mémoire de leurs confrères combien leur Affinité était supérieure. Annyaëlle trouvait ce comportement ridicule. Heureusement pour elle et Saule, certains des bassins avaient des températures correctes, probablement réchauffées par des sources chaudes, et ils avaient pris l’habitude de s’y délasser après leurs entraînements. Passer d’un bain à l’autre était particulièrement agréable pour détendre les muscles. L’endroit était quasiment toujours désert à cette heure et comme à son habitude, Annyaëlle y resta un long moment avant de se décider à sortir. Elle farfouilla son sac de toile pour en retirer des vêtements propres et se coiffa rapidement, puis quitta les bains. L’aspirante s’apprêtait à prendre le chemin de sa chambre, les cheveux encore dégoulinants, lorsqu’elle croisa leur hôte. Elle le salua d’un hochement de tête, prêtre à poursuivre sa route, mais il s’approcha d’elle et l’interpella.

— Aspirante Annya, c’est bien ça ? Je vous cherchais.

Annyaëlle s’immobilisa et leva les yeux vers lui, surprise. Elle inclina une nouvelle fois la tête.

— Que puis-je faire pour vous, Duc Erkhän ?

— Je vous en prie, appelez-moi Erkhän, lui dit-il d’un sourire enjôleur.

Elle continua de le fixer, perplexe, se demandant en quoi elle pouvait lui être utile. C’était la première fois qu’il s’adressait directement à elle. Étrangement, elle remarqua qu’il avait l’air de peser ses mots et semblait moins assuré qu’à son habitude. Comme s’il avait suivi ses pensées, Erkhän se raidit et se composa un visage étonnamment charmeur malgré l’air de supériorité qui en émanait.

— Je voulais simplement m’excuser, expliqua le Duc. Plus tôt, je me suis permis d’assister à une partie de votre entraînement et j’ai bien vu que je vous ai surprise. Je voulais m’assurer que vous n’étiez pas blessé.

— Oh ! Je vais très bien, s’empressa de répondre Annyaëlle. Je vous remercie de vous en soucier.

Erkhän ne la quittait toujours pas des yeux.

— La curiosité n’est pas toujours appréciée, n’est-ce pas ? Cependant, j’aime à y voir une qualité. Et, à vrai dire, j’ai toujours été très intrigué par la Confrérie et ses Ombres, mais elles ne sont pas faciles à approcher.

Il l’observa longuement, comme s’il attendait qu’elle ajoute quelque chose, et laissa échapper un court rire nerveux en comprenant que ce ne serait pas le cas. Annyaëlle n’avait strictement aucune idée de ce qu’il insinuait. D’un geste expert, il passa une main dans ses cheveux et reprit la parole d’un ton plus ferme qu’il l’aurait voulu.

— C’est la première fois que j’ai l’occasion de rencontrer des aspirants et j’apprécierais beaucoup d’en apprendre plus. Tenez-moi compagnie ce soir.

Sans même attendre une réponse, Erkhän reparti d’un pas rapide et gracieux, laissant Annyaëlle abasourdie devant l’étrangeté de la situation.

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Rubrik Abrak
Posté le 01/02/2024
Salut je drop juste au hasard quelques chapitres, c'est assez classique, hésite pas a rendre les scènes visuelles afin que l'oeil du lecteur sache sur quoi s'attarder.

juste "Elle en profita pour écarter une longue mèche de cheveux qui barrait son visage, essuyant quelques gouttes de sueur d’un même geste rapide."
Avoir les cheveux long, partir pour un entrainement (d'autant plus combat) et ne pas se les attacher, pour moi ça tient du troll ahah.

Je pense que le point fort de ton style est l'accroche rapide et dynamique, les phrases sont plutot courtes et impactantes, la lecture déroule assez naturellement. Les dialogues sont fluides ++ Le paragraphe central manque un peu de respiration.

Quelques petites coquille mais dans l'ensemble pas grand chose a redire "D’un geste expert, il passa une main dans ses cheveux et reprit la parole d’un ton plus ferme qu’il l’aurait voulu." je crois qu'il faut une négation ici en mode "et reprit la parole d’un ton plus ferme qu’il ne l’aurait voulu."

Continue :y:
Némériss
Posté le 06/02/2024
Hello !
Merci de passer, même si tu ne lis pas toute l'histoire !
Effectivement, ce n'est pas la scène la plus visuelle, je prends note

Alors pour faire du sabre et avoir les cheveux longs, je peux t'assurer qu'ils ne restent pas toujours dans l'élastique malheureusement xD Mais je vais voir si je ne peux pas mieux formuler ça

Merci beaucoup pour toutes tes indications :)
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