Je ne pense qu'au volley-ball.
Je ne vis que volley-ball.
Je ne peux de toute façon que faire ça.
Sinon, je viendrais tous les soirs chez elle.
Et je deviendrais fou.
Je sais qu’elle va bien et qu’elle recommence à avoir un véritable routine. C’est son père qui me l’a dit, en même temps qu’il m’a demandé s’il avait besoin de me briser les jambes parce que sa fille n’était pas bien pendant un moment, les garçons la voient souvent. Parce qu’ils ont le droit de la voir. Eux. Ils se font des soirées jeux et je ne suis pas invité ! Et Isaac n’arrête pas de me charrier avec ça.
En parlant de lui, je dois retrouver ce sale traître pour le dernier épisode de notre ainme avant la saison finale qui devait déjà être la saison que l’a regardait. Le pire ? C’est que je dois le soudoyer pour obtenir des informations et des nouvelles de Manon. Pourquoi il a fallu que ce soit la personne dont elle est le plus proche dans l’équipe ? Rien que là, je suis obligé de venir le chercher en voiture alors qu’il est chez Manon.
Oui.
Je suis comme un con dans ma voiture.
Garer devant sa maison.
Comme un putain de stalker.
A écouter notre playlist en commun.
Je regarde fixement l’écran de mon téléphone.
Et j’espère qu’un miracle se produise. Sauf que je ne sais pas lequel j'attends. Qu’Isaac bouge ses fesses et se ramène dans ma voiture avant que je ne cède à mes pulsions et que je vienne sonner chez Manon. Ou que le numéro de Manon s’affiche avec un message réparateur qui m’invitera à la rejoindre. Mais le téléphone reste muet et est une confirmation silencieuse de la cruelle réalité.
Elle est inatteignable.
Pour l’instant.
Elle ne veut plus de moi, pour une raison que j’ignore encore. J’ai l’impression de m’éteindre quand je ne suis pas avec elle. Toute l’équipe a essayé de me distraire, de m’insufler un peu de vie, mais le monde extérieur n’est qu’un tableau terne compare à l’éclat qui existait quand elle était là ou encore pire à un match de volley-ball sans ace. Je tape du poing sur mon volant luttant contre la frustration. Chaque coin de sa ville, de l’université, chaque librairie, chaque recoin du gymnase porte son empreinte et de notre amitié.
La soirée commence à s’entamer comme ma patience. Et pour ne rien arranger, une pluie fine vient s’ajouter à l’équation. Celle-ci martèle le toit de ma voiture, créant une mélodie monotone qui accompagne le flot de mes pensées. Les gouttes s’étalent sur mon pare-brise, distordant les lumières de la rue.
Soudain, une silhouette familière apparaît sur le trottoir à proximité. J’ai quelques secondes de doute, cela fait des années que je ne l’ai pas vu. Mais elle n’a pas tant changé que ça, la pluie glisse sur son parapluie, créant un halo mystique autour d’elle. Rien qu’en la regardant, je ressens un mélange de colère refoulée et de curiosité malsaine. Pourquoi est-elle là ? Devant la maison de Manon ? Le souvenir de sa dernière conversation avec celle-ci me revient, Manon était détruite. Qu'est-ce que sa mère lui veut. Je l'observe à travers les essuie-glaces qui travaillent en surdrive pour dégager la vue.
Sans y réfléchir, je me retrouve à ouvrir la portière dans un grincement et à braver la pluie. Les gouttes glissent le long de mon front alors que je m’approche du plus grand cauchemar de mon copine.
- Madame ?, je l'appelle fortement alors que ma voix se mêle au bruit de la pluie.
Elle se retourne et je ne peux m'empêcher de penser qu'elle n'a pas changé malgré le temps. Elle est aussi impressionnante, perchée sur ses talons et dans son incontournable tailleur. Comment peut-elle se déplacer dans cette tenue par ce temps ? Dans un premier temps, elle me regarde surprise. Puis, lentement, elle esquisse un sourire qui ne parvient pas à atteindre ses yeux.
- Vous êtes ?, répond-elle sobrement.
( Owen, j'étais votre voisin. Puis-je savoir ce qui vous amène ici, sous cette pluie ?, je demande, l'ironie dans ma voix ne lui échappant pas.
( Ah Owen, le petit garçon qui n’arrêtait pas de venir chez nous, comme si je n’avais pas assez d’une gosse. Tu as grandi, c’est déjà ça. Tu joues toujours à la baballe si mes souvenirs sont bons, au moins tu es bon dans ce que tu fais, tu pourrais peut-être donné des conseils de réussite à Manon.
( Vous êtes si affable, votre compagnie m’avait manqué. Que nous vaut votre visite ?
( Voir ma très chère fille, notre dernière conversation m’a laissé sur un goût amer mais je suis certaine que ma récente intervention va la rendre beaucoup plus maléable .
Je ne comprends rien à ce qu’elle raconte et je commence clairement à être trempé puisque l’idée de partager son parapluie ne semble pas lui venir. Mes chaussures pataugent dans les flaques d'eau.
- Est-ce que Manon est au courant de votre visite ? je l’interroge, scrutant son visage comme si je cherche des réponses gravées dans sa peau.
- Absolument pas, ça gâcherait l’effet de surprise.
- Dans ce cas, je ne suis navré mais je ne peux pas vous laisser la voir.
- Pour qui te prends-tu ? Je suis sa mère, si je veux la voir, je la vois, ses traits commençent à se déformer sous la colère.
- Pour son mec et tant que vous n’avez pas retiré ce masque de mère vengeresse et entrer le respect dans votre vocabulaire, il est hors-de-question que vous voyez ma copine.
Je sais que je mens, que je ne suis pas officiellement son mec. Je pourrais la laisser voir Manon après tout, elle revient toujours vers moi après une confrontation avec sa mère. Mais l’idée de la faire souffir m’est insupportable. Elle ne le saura jamais et j’en m’en fiche. Je ne cherche pas la reconnaissance, je veux juste la protéger comme je le peux. Je me glisse devant elle, faisant barrière de mon corps entre la maison de mon ange et du diable qui lui sert de mère.
Je m’étends de tout mon long (en faisant totalement exprès de gonfler mes muscles), voulant l’impressionner comme je le peux. C’est pile à ce moment, qu’Isaac décide de sortir. J’entends ses pas tout sauf discret quand il se stoppe à mes côtés. Je sais qu’à ce moment, il ressent toute la tension de la situation puisqu’il adopte la même position que moi.
- Un problème, capitaine ?
- Non, la dame allait partir. N’est-ce pas ?.
Et je suis certain que mes yeux lancent des éclairs à cet instant.
- Je ne la verrais peut-être pas aujourd’hui mais mon retour ne saurait tarder. Si elle pense que je vais accepter la décision de son père, elle se met les doigts dans l’oeil, dit-elle en faisant un rapide demi-tour nous éclaboussant avec les gouttes encore présentes sur son parapluie.
Le silence reprend et je me retouve à baisser rapidement les épaules. Je ne m’étais pas rendu compte que j’étais à ce point mal à l’aise et stressé par la situation. Sauf que la vipère ne semble pas en avoir fini, elle se stoppe alors qu’elle arrive à proximité de sa voiture et se retourne en faisant un grand sourire.
- Owen, tu diras à ton père que c’était un plaisir d’échanger avec lui la dernière fois. J’ai hâte de le revoir.
Puis, elle se glisse dans l’habitacle, referme son parapluie et allume le moteur avant de partir. Sa phrase me laisse perplexe, pourquoi est-ce qu’elle aurait vu mon père ? Sérieusement, les deux pires parents de l’univers réunit, cela devrait être utilisé pour le scénario d’un film catastrophe.
- C’était qui ?, me demande Isaac.
- La mère de Manon.
Alors que je viens à peine de termienr ma phrase, il m’assène un coup de poing violent sur le bras. Je me le frotte vigoureusement avant de me retourner lentement pour le dévisager. Je ne suis clairement pas d’humeur pour ça.
- Mais c’est elle qui a foutu la merde dans la tête de Manon. Je me demandais bien d’où elle pouvait sortir toutes ces conneries. La prochaine fois que je la vois, je la défonce.
- Est-ce que tu peux m’expliquer ce qui se passe au juste ?
Et là, il m’explique tout. Dans les moindres détails. J’ai chaud et pourtant ce n’est pas à cause du chauffage que j’ai allumé pour faire sécher nos vêtements. Ma paume me démange me montrant que jouer au volley-ball devient un besoin urgent si je n’ai pas envie d’arracher la tête de quelqu’un. Les rouages commençent à se rassembler. Cette connasse aurait dit à Manon que mes performances étaient médiocres à cause d’elle, que je devrais la détester et qu’elle n’était qu’un poids dans ma vie. Sauf que quelque chose ne colle pas. La mère de Manon ne me connaît pas assez et mon ange le sait. Elle n’aurait pas pu la convaincre de son influence sur moi et de mes sentiments envers elle.
La seule chose dont elle est capable s’est jouée avec les sentiments de Manon et connaître ses faiblesses. Quelqu’un de mon côté a dû intervenir. Une personne avec assez de pouvoir pour faire plier Manon et la convaincre que je ne voudrais bientôt plus d’elle. Une personne qui connaît assez bien mes statistiques et ma passion pour le volley-ball. Mais à qui sa mère aurait pu donner les clés en mains pour briser la confiance qu’elle a en nous ?
La dernière phrase de sa mère me revient et je comprends. Le scénario catastrophe est bien arrivé.
Putain, je vais le buter.