Chapitre 43.

Notes de l’auteur : Bonne lecture et bonne fin d'années :)

Chapitre 43

Le temps était sombre et grisâtre. La mer anthracite se confondait dans le gris perle des nuages. La houle était heureusement assez faible pour permettre au Mod de percer une ligne blanchâtre parmi les vagues et de filer droit vers sa destination. Le génois était tendu sous la poussée du vent d'est. Sibéal s'accrochait prudemment aux cordages pour atteindre la voile et opérer quelques vérifications. Satisfaite, elle se redressa et releva le visage sur le fanion du vent écarlate attaché à la grand-voile. De grosses gouttes de pluie glissèrent de sa capuche à son visage. Elle s'essuya du mieux possible ses verres et jeta un coup d'œil à l'horizon vierge tandis qu'à bâbord s'étendait les atolls du parc international des Archipels. Elle discerna des dauphins bleus jouant près de la coque du Modsognir, cherchant à aller plus vite que lui. Elle dégaina son téléphone aussitôt et prit une vidéo des animaux avant de la terminer sur son sourire et un signe de la main pour saluer Anak.

Avant de rentrer à l'intérieur du navire, elle sortit le winch et borda fermement de deux tours la drisse. Le génois se fit plus raide encore, le voilier filait à vive allure. Satisfaite, elle se glissa dans l'ouverture et referma derrière elle pour tomber sur Oriag pilotant le navire. Les cheveux nattés de tissus en wax orange et la mine concentrée, elle tenait avec dextérité la barre.

« Sacré grain hein ? Ça va pas trop trempée ?

- J'vais aller me réchauffer, assura-t-elle en rabaissant sa capuche sur ses épaules, tout roule en tout cas. Tu nous dis juste quand on doit changer de bord.

- T'inquiète, tu peux aller manger tranquille. On en a encore pour une bonne heure sur ce cap. »

Sibéal lui proposa de lui remonter une portion, la navigatrice l'en remercia avec chaleur. Elle descendit dans le carré et y retrouva son frère dans son tablier à touiller avec attention le contenu de sa marmite penchée à trente degrés sur la petite gazinière. Elle lui embrassa la joue, le faisant grimacer.

« T'es trempée Sib ! »

Elle leva les yeux au ciel et s'ébroua la chevelure pour finir de l'agacer proprement. Il brandit sa spatule, lui ordonnant d'aller s'asseoir. Elle retira son ciré, se sécha les cheveux de la serviette laissée à cet effet et s'assit sur la banquette. Apollo et Murdock jouaient aux cartes par-dessus les assiettes vides. Elle se pencha par-dessus les coussins pour allumer la petite enceinte et lança une playlist sur son téléphone. Un air de funk celtique s'éleva, faisant dodeliner doucement la tête d'Apollo concentré sur son jeu. Murdock, crâneur, avait laissé ses propres cartes à plat sur la table. Il attendait, bras croisés derrière sa tête, que son compagnon se décide à jouer. Sibéal glissa un coup d'œil par-dessus le jeu de l'ex-militaire, le demi-nain arqua un sourcil à son intention. Elle resta de marbre face à cet évident signe de soudoiement. 

« Polo, fais gaffe, avertit Nialh. Ils trichent.

- Ah bon ? Releva-t-il la tête.

- Pardon ? s'étrangla-t-elle, mais pas du tout !

- Tsss, plissa-t-il des yeux. J'y crois pas une seconde, j'vois pas comment le capitaine peut continuellement nous plumer si Sib est pas de mèche avec lui. 

- Nialh digère mal sa p'tite défaite de toute à l'heure, susurra malicieusement Murdock.

- Je n’appellerai pas ça une défaite au sens propre.

- Il existe un autre sens ? S'amusa Sibéal.

- Bien sûr, c'est un synonyme de mauvaise foi... commença le demi-nain, laisse moi réfléchir ça va m'venir...

- Malhonnêteté ? Susceptibilité ?

- On s'en rapproche...

- Qu'est-ce que je disais, persifla Nialh avec aigreur, Toujours de mèche ! Toute notre paie finit dans sa poche !

- Oh, tu sais moi l'argent... temporisa Apollo.

- Polo, prends mon parti s'te plait.

- Et je n'étais pas là tout à l'heure quand tu as perdu, argua Sibéal. »

Son frère lui adressa un regard peu convaincu par ses excuses, c'était si outrageusement risible qu'elle éclata de rire. Apollo eut un sourire qui dévoila ses dents blanches. Nialh bougonna et se retourna sur sa préparation.

« J'vous préviens, j'vais rajouter du piment ! Ça va vous nettoyer le gosier !

- Tu supportes pas la nourriture épicée, taquina Sibéal. 

- T'occupe Sib, ça fera plus de bouffe pour nous, s'exclama Murdock. 

- Si j'étais pas là vous boufferiez des conserves... grommela-t-il.

- C'est bien pour ça que j'te vire pas, t'es décent comme cuistot. »

Nialh semblait ronger son frein, Sibéal sentant la moutarde lui monter au nez se leva pour lui proposer de l'aide. 

« J'ai pas besoin d'aide, bougonna-t-il.

- Allez, c'est pas grave, le consola-t-elle, tu as quand même pas perdu tant que ça si ? »

Son frère darda un regard noir à Murdock qui lui souriait goguenard. Sibéal enjoignit d'un coup d'œil le demi-nain à calmer son petit air satisfait. Elle avait envie de manger un truc sans se faire trouer l'estomac par la même occasion. Murdock leva les yeux au ciel mais céda de bon cœur avant de se concentrer sur Apollo.

Il avait vraisemblablement une autre cible à plumer.

OoOoOo

Elle glissa sur le dos et leva les yeux sur le hublot. La nuit était nuageuse, on n’apercevait pas une étoile, même la lune avait disparu dans l'encre du ciel. Le balancement régulier du navire la berçait doucement sans parvenir à la faire sombrer enfin dans le sommeil. Elle se repassait en boucle sa conversation avec Anak au stand de tir. Songeuse, elle se mordillait le pouce, le regard fixé sur le lambris de sa cabine. Il s'abîmait sur les nervures du bois à l'image de ses pensées dans les nœuds de son esprit. 

Agacée, elle se retourna sur le côté et se recroquevilla en chien de fusil, rabattant sa couverture jusqu'à son cou. Elle fixa son exemplaire corné du Sentiers des Astres à moitié entamé et abandonné sur la petite étagère. A côté, sa tasse Tardis tâchée de thé dégageait une odeur de bergamote froide. Son quart n'était pas avant la fin de la nuit. Elle poussa un soupir et finalement se redressa, mit ses lunettes sur son nez. Elle enfila un pull, des chaussettes dépareillées et sortit en s’emparant de son mug au passage.

Hors de la cabine, le bruit des vagues se brisant sur la coque du Mod devenait comme un va et vient sourd et ténu. Elle grimpa jusqu'au carré, et se glissa dans la lumière tamisée en silence. 

« Murdock ? »

Elle pensait le quart d'Apollo déjà entamé. Son capitaine releva les yeux de sa carte marine des Tuvalu, son compas abandonné près de son crayon de papier. 

« Hé, souffla-t-elle. Ça va ?

- Hum. C'est ton quart ?

- J'arrive juste pas à dormir, avoua-t-elle nerveusement. Je fais de la tisane, t'en veux ? »

Il lui tendit sa tasse vide, elle mit la bouilloire sur le gaz et lava consciencieusement les deux mugs. Elle n'entendait que le bip régulier de l'instrument mesurant la vitesse et le sifflement du vent contre les hublots. Des mots pesaient lourdement au fond de sa gorge. Il y avait beau avoir eu cette conversation pour remettre les choses à plats, sur les rails de l'habitude, ce silence lui hérissait tous les poils des bras dans une anticipation pressante.

« Tu crois que c'est vraiment la dernière étape du voyage ? lâcha-t-elle. La grotte, j'veux dire.

- Mouais... ça a l'air sacré leur machin. Ya moyen.

- Hum... je me demande si on y trouvera quelque chose pour briser la malédiction.

- On verra quand on y sera Sib.

- Je sais bien…

- T'inquiète. »

Elle hocha la tête, lui souriant maladroitement, l'esprit à des années lumières de la malédiction, du Kozak et de Muturagi. La bouilloire se mit à siffler. Elle se détourna pour remplir leurs tasses, et observa s'infuser la tisane en grattant nerveusement le dessin du Tardis. Son cœur se mit à battre frénétiquement. Son ongle crissait imperceptiblement contre l'émail.

« Murdock, est-ce que... est-ce qu'on a une chance ? »

Son estomac lui paraissait être au bord de ses lèvres. La question ne pouvait plus retourner au fond d'elle. L'obsession de la réponse l'empêchait de prendre la moindre de décision. Seul le mutisme de Murdock lui répondait. Elle en aurait pleuré de déception sur le plan de travail en fixant ces deux misérables tasses de tisane. Elle finit par se retourner lentement vers lui. 

Il la dévisageait. Elle joua nerveusement avec la hanse de son mug. Les mots qui s'étaient bousculés ces derniers jours et ce beau plaidoyer élaboré dans sa tête... tout avait soudainement disparu. 

« Pour la malédiction ? »

Nodens... Elle secoua la tête lentement, les oreilles bourdonnantes. 

« Pour nous deux... ? »

Elle planta ses yeux dans les siens. Un sourire se dessina instantanément sur les lèvres de Murdock. Son cœur rata un battement. Il devint assourdissant. Les coins de sa propre bouche s'étiraient sans pouvoir s'arrêter. Le nœud au creux de son ventre se démêlait à toute vitesse.

« Ce n'est... ce n'est pas un choix pas dépit, tu sais je... »

Il eut un petit rire qui la réduisit au silence. 

« Ouais, j'sais bien que t'as trop de principes. » 

Se sentant soudain délicieusement idiote, elle s'esclaffa. L'air bloqué dans sa gorge s'échappa pour dénouer la tension dans ses épaules et faire éclater les petites bulles dans sa poitrine. Le visage de Murdock était lumineux. Elle esquissa un geste vers lui.

« Salut Murdock, désolé j'ai eu mal à émerger... Sib ? C'est ton quart ? »

Apollo apparut soudainement dans le carré, la mine ensommeillée et sa tablette sous le bras. Coupée dans son élan, Sibéal devint écarlate. Elle marmonna une piteuse explication en agitant machinalement sa cuillère dans sa tasse. Il se tourna vers leur capitaine. 

« On en est où du coup ? »

Murdock lui adressa un œil excédé, lui intimant de retourner sur le champ dans l'antre d'où il était venue et de ne plus en sortir. L'ex-militaire, les paupières papillonnantes, ne sembla pas comprendre le message. Il s'assit sur la banquette en baillant et ouvrit le carnet de bord. Il inscrit son nom pour faire la passation. Le demi-nain se pinça la naissance, puis il tourna son attention sur Sibéal. Elle le fixa d’un petit regard insistant.

« Je vais me recoucher, lâcha-t-elle.

- Dors bien Sibéal, répondit gentiment Apollo. »

Elle le remercia et tourna les talons pour retourner jusqu'à sa cabine. Le surréalisme de la situation l'enveloppa lorsqu'elle s'assit sur le bord de sa couchette. Le bout de ses doigts la piquait et un tremblement euphorique empêchait son genou de rester en place. Sans envie, elle sirota quelques gorgées de tisane. L'attente lui parut durer une éternité. 

Elle se releva, posa brusquement son thé. Murdock déboula dans l'encadrement de la porte.

« Pour un mec qui bouffe de la télénovelas tous les soirs, il est foutrement obtus. »

En deux pas, Sibéal fut sur lui pour le faire taire.

OoOoOo

L'univers était chaud, cotonneux et paisible. Sibeal eut dû mal à décoller ses paupières et retrouver le joyeux bordel de sa cabine. Il y eut un étonnant temps de flottement, puis une bouffée de chaleur crépita dans sa poitrine. Elle posa délicatement sa main sur le visage endormi de Murdock et caressa sa joue. Toutes les questions qui l'angoissaient hier encore sur le risque de perdre leur complicité si jamais leur couple ne fonctionnait pas, sur les doutes et le ressenti qu'il pouvait avoir vis-à-vis de sa volteface, toutes s'étaient évaporées. Elle aurait pu rester la journée entière lovée dans les draps et son odeur, sans se soucier du monde extérieur. Ses yeux dérivèrent sur l'heure affichée par son téléphone. 

« Hey, je crois qu'il faut se lever. »

Les yeux chocolat de Murdock s'ouvrirent. Il se rapprocha sensiblement d'elle, il ne paraissait pas plus pressé qu'elle de s'extirper de la couchette. Elle continuait de faire courir ses doigts sur sa barbe, un sourire plaqué sur son visage.

« J'ai loupé mon quart, constata-t-elle.

- Quel manque de professionnalisme Sib... On s'demande bien comment le Mod a fait pour pas sombrer. »

Elle lui donna un petit coup de coude, avant de se couler un peu plus dans son étreinte pour voler encore un instant de tranquillité. Elle frémit en le sentant s'amuser avec ses cheveux, ferma les yeux pour profiter de cette attention. Elle lâcha un soupir frustré.

« On va pas les laisser gérer tout seuls la nav'...

 -Eh oh, c'est qui déjà le capitaine sur ce rafiot ?

- Tu risquerais la mutinerie, non ?

- Tout de suite les grands mots...

- Oh ben tu connais Nialh... Il est prompt à prendre la mouche.

- Cette victime incomprise devant l'éternel... »

Elle eut un petit rire, visualisant parfaitement son frère drapé dans son indignation annonçant qu'il quittait un navire où personne ne le considérait pour son inestimable valeur. Elle s'extirpa tant bien que mal de la couchette, peu aidée par Murdock, et finit par se dresser au milieu de la petite cabine pour chercher ses chaussettes et remettre ses lunettes. En ouvrant la minuscule penderie, une flopée de t-shirts s'effondrèrent sur elle. Amusé, le demi-nain l'observait se débattre avec ses vêtements.

Lorsqu'il daigna enfin admettre qu'il était l'heure que le capitaine fasse une apparition, ce ne fut pas avant quelques derniers baisers dans l'intimité de la cabine. Et quand Sibéal entra enfin dans le carré pour le petit-déjeuner, elle avait les joues roses et un irrépressible sourire sur le visage. Oriag, Apollo et Nialh tournèrent leur attention vers eux, attablés à se partager la confiture. Elle le salua d'une voix guillerette avant de remettre de l'eau dans la bouilloire. Murdock se planta à côté d'elle, préparant son café. Elle lui glissait de petits coup d’oeil amoureux le plus discrètement possible. Croisa à chaque fois son propre regard.

« ça va Sib ? Bien dormi ? lâcha ironiquement Nialh. »

Elle se raidit et échangea un regard en biais avec le demi-nain. Versant son café, il ignorait royalement Nialh. 

« Euh oui, lâcha-t-elle maladroitement. Et toi ?

- Tu m'étonnes... quand on roupille tranquille dans sa cabine au lieu de faire son quart, on est bien reposé le matin !

- Ah oui... 

- Moi je me suis farci le quart chiant en plus !

- T'exagère pas un chouia Nialh ? Taquina Oriag.

- Je suis désolée, s'excusa-t-elle à l'adresse d'Apollo avant de bafouiller. Je me suis endormie et euh... j'ai oublié de me réveiller.

- T'inquiète pas, assura-t-il. Vu comme tu avais pas l'air de passer une bonne nuit, j'me suis dit que que tu devais dormir. 

- C’est gentil.

- Et puis j'avais deux épisodes de retard...

- Polo... soupira Nialh. La question c'est pas ça ! La question c'est la répartition des tâches ingrates !

- Ça ne me gène pas, assura-t-il. Et puis il ne s'est rien passé pendant son quart.»

Il adressa un regard bienveillant à Sibéal qui le remercia silencieusement. Oriag souriait avec malice des états d'âme de Nialh. Il avait vraisemblablement rongé son frein jusqu'à ce qu'elle fasse son apparition. Son frère apostropha soudain Murdock en brandissant une main accusatrice dans sa direction. 

« Et il en dit quoi, hein, le capitaine ? »

Murdock l’ignora, désintéressé et, face aux sourcils arqués de son frère, haussa les épaules. Nialh grommela pour lui-même derrière son café allongé.

« Ya du favoritisme. » 

Se détournant de la figure furibonde de son frère, Sibéal versa précautionneusement l'eau brûlante dans sa tasse. Une main effleura sa joue, elle leva les yeux sur Murdock avant de sentir ses lèvres se poser sur les siennes. Elle eut vaguement l'impression d'entendre quelqu'un cracher sa boisson chaude et s'étouffer dans sa toux. 

« C'est quoi ce bordel ?! »

Murdock ne la quittait pas des yeux. Sa fossette ravie lui arracha un sourire béat. 

« Faut te faire un dessin ou tu vas t'en sortir tout seul, mon grand ? »

OoOoOo

En début de soirée, l'équipage du Modsognir avait mouillé dans une crique abritée du vent, et avait eu le temps de vérifier les cordages du navire lorsque le Yak avait fait son entrée dans la petite baie. Une fois l'ancre du catamaran déposée dans les eaux froides et claires, ils avaient débarqué sur l'arête de sable minuscule que formait l'étroite plage. Et tous s'activaient pour mettre en place le feu autour duquel ils allaient se réunir pour partager un copieux repas de fruits de mer ramenés par Esteban et Fran. Ces derniers étaient occupés à décortiquer les crevettes avec Anak. Sibéal, de corvée de bois, serpentait à la lisière de la jungle, accompagnée de Wanda, Moh et Nialh qui discutaient avec animation sur sa droite. 

« Siiii si j'te jure ! assénait son frère. De toute façon, c'est pas étonnant ! 

- Je ne suis pas surprise du tout.... je l'avais vu venir depuis looooongtemps, toujours fourré l'un avec l'autre... c'était clair comme de l'eau de roche ! acquiesça Wanda avec une petite moue désabusée. 

- Exactement !

- Je me demande comment t'as pu être étonné franchement.

- Je n'étais pas vraiment étonné, corrigea-t-il. Le capitaine aime juste travailler ses entrées. Je buvais mon café, je n'étais pas en condition.

- C'est pas un peu pareil ? fronça des sourcils Moh.

- Peu importe ! Coupa-t-il vivement en brandissant une branche de bois sec dans la direction de soeur, en tout cas je comprends mieux pourquoi il prend toujours son parti ! »

Il lui adressa un regard accusateur tandis que les deux autres appuyaient son avis. Blasée par tant de dramaturgie, elle s'exclama en se penchant pour ramasser du bois flotté :

« Il me semble pourtant que tu étais persuadé que j'allais finir par tomber dans les bras d'Apollo.

- Apollo ? fronça des sourcils Wanda, non pas une seconde... impossible !

- A cause d’elle, je t’assure ! affirma-t-il. C'était pour son bien, mais je savais que tout était voué à l'échec à cause de Chad…

- C'est vrai qu'ils sont adorables ensemble, assura Moh. »

Sibéal tourna son attention vers le rivage. Tandis que Yakta et Murdock s'occupaient d'allumer le feu, Apollo et Chad étaient en train de déplier quelques chaises longues tout autour. Le grand noir prenant soin de surveiller du coin de l'oeil les gestes de son petit-ami convalescent. Il le couvait d'un regard tendre, que Chad faisait mine de ne pas voir en prenant une mine détachée, mais que toutes les personnes sur cette plage pouvaient reconnaître à un kilomètre. Il émit une grimace, se portant la main au ventre. Apollo se précipita sur lui pour lui proposer un appui. Le petit sourire satisfait de l'autre semblait cacher moins une douleur que le plaisir qu'il avait à être entouré de bras musclés. 

« Certes, concéda Niah du bout des lèvres. »

Wanda partagea son avis d'un petit reniflement peu convaincu. Sibéal leva les yeux au ciel devant tant de mauvaise foi tandis que Moh, aveugle à leur discours, avait repris sa quête entre les arbres. Les bras chargés de bois, elle revint sur ses pas pour venir déposer son butin et s'assit pour retirer ses chaussures et laisser ses pieds gonflés s'enfoncer dans le sable encore chaud. 

Elle aperçut près des rochers les silhouettes d'Anak et Valérian plongeant pour arracher des noix de saint jacques à leur refuge. On aurait plutôt dit qu'ils jouaient comme des enfants. Son amie bondit dans les bras du triton, le faisant basculer en arrière. Lorsqu'ils émergèrent à nouveau, Sibéal détourna pudiquement les yeux de leur baiser.

Un petit cri de victoire de Yakta et le feu prit enfin. Les deux capitaines échangèrent un signe du menton satisfait. Puis, Murdock s'échoua lourdement à côté d'elle, redressé sur ses coudes et contemplant le campement de fortune.

« On s'croirait en colo de vacances, lâcha-t-il.

- A qui la faute, hein ?

- Hum.... Anak non ? Fit-il mine de réfléchir intensément.

- Ah bon... il me semblait que c'était plutôt toi qui avait proclamé que c'était l'heure de l'apéro… j’ai dû mal entendre.

- Un bon capitaine doit savoir quand remonter le moral des troupes, déclama-t-il avec sérieux.

- C'est vrai qu'il est en berne... ironisa-t-elle. »

Elle glissa ses doigts entre les siens, faisant naître un petit sourire entendu sur les lèvres de Murdock. Anak déboula alors sur eux dans sa serviette colorée, les cheveux collés sur son front et un air ravi plaqué sur le visage. Elle était particulièrement radieuse en s'asseyant en face d'eux.

« Bon alors gamine, on va bouffer de la poiscaille ce soir ou ça sera les vaches maigres ?

- On a pêché quelques noix de saint jacques, assura-t-elle avec force.

- Ben tiens, t'as surtout mis le grappin sur une belle sardine. 

- Ah oui, sourit-elle avec bonheur en jetant un coup d'œil vers le concerné. 

- J'te remercie pas d'ailleurs, vu comment il est shooté à la dopamine maintenant il répond plus à aucune de mes vannes. C'est d'un gâchis. 

- Parce qu'il y répondait ? répliqua Sibéal avec humour. »

La remarque fit s’esclaffer Anak dont la bonne humeur ne pouvait être entamée. Sibéal adressa un petit regard à Murdock. Il se redressa alors pour enrouler triomphalement son bras autour de ses épaules. Son cœur se mit à accélérer de joie. Un large sourire se plaqua sur son visage tandis qu'elle sentait briller dans l'éclat malicieux de ses yeux  toute la poésie dont il était capable.

« Figure toi gamine que t'es pas la seule à avoir remonté le poisson dans la barque ! »

La Sioux plaqua ses paumes de mains l'une contre l'autre devant sa bouche ébahie. Sibéal arqua un sourcil amusé.

« Quel poète... 

- C'est trop bien ! s’écria vivement Anak en bondissant sur elle. Je suis trop contente ! Tu vois qu'il fallait pas désespérer Murdock !»

Sibéal adressa un regard surpris à son capitaine, il prit une mine dégagée faisant mine d'évacuer cette remarque dans les oubliettes du passé.

« Tu étais désespéré ? souffla-t-elle troublée.

- Faut pas exagérer, temporisa-t-il. J'savais bien que t'allais pas pouvoir résister à mes charmes.

- Ton égo tu veux dire ?

- C'est l'un d'eux, en effet, assura-t-il.

- Hihihihihi, fit Anak en les serrant soudainement contre elle, je le savaiiiiis ! Depuis le débuuuut ! »

Sibéal rougit un peu à ce souvenir. Murdock s'esclaffa en lui balançant affectueusement sa paluche entre les omoplates. Nialh, dont l'oreille traînait de leur côté, se dressa près d'eux les bras croisés autour de son torse.

« Hé oh Anak, arrête un peu ton char. Tu savais rien du tout ! »

OoOoOo

Les doigts de Mohvo pinçaient les cordes du ukulélé tandis qu'il chantonnait doucement une musique celtique populaire. Sibéal, suivant Anak, Fran et Wanda, entonna les paroles. Oriag, Yakta et Apollo battaient la mesure. Elle dodelina la tête au rythme de l'air traditionnel très populaire chez les Celtes. Une odeur de sucre fondu lui montait au nez. 

« Pourquoi tu m'as rien dit... »

Nialh avait une mine boudeuse et blessée sur le visage. Elle avait finalement pris le pas sur la surprise et la vexation. Sibéal lui donna gentiment un petit coup de coude, et posa sa joue sur son épaule. 

« J'étais un peu perdue tu sais… et j’arrêtais pas de culpabiliser.

- Un peu perdue ? Tu as changé de copain comme de chemise ! »

Blessée par ce jugement, elle se détacha de lui sombrement. Elle lui adressa une mine fermée et irritée. Elle ne voulait pas entendre quelqu'un douter de sa sincérité, la critiquer ou croire que Murdock était un amour pansement ou elle ne savait quelle autre expression désobligeante. Sa remarque faisait remonter l'appréhension du jugement des autres.

« Non mais Sib, c'est pas ce que j'voulais dire, s'excusa-t-il aussitôt, personne pense que tu te consoles de Gauvain, t'inquiète. 

- Ah bon ? souffla-t-elle, c'est pourtant ce que tu viens d'insinuer. Je te remercie.

- Roh mais non, s'empressa-t-il, j'vois bien à ta tronche que t'es amoureuse de Murdock, c'est évident pour tout le monde. T'as jamais eu cette expression mièvre avec l'autre chanteur d'opérette.

- Ah bon ! rougit-elle avant de répéter avec inquiétude, vraiment ? mièvre ?

- Un peu ! Mais t'inquiète tout le monde a pas ma perception ! Et puis bon on se demande bien pourquoi tu craques pour lui... m'enfin t'as pas perdu aux changes au moins ! »

Elle lui donna un petit coup de coude pour le faire taire. Il sortit du feu son morceau de marshmallow fondu et lui proposa avec mansuétude comme offrande de paix. Elle s'en saisit aussitôt et le fourra dans sa bouche. Elle le sentit fondre sous sa langue, presque à l'en brûler. Nialh piqua à nouveau une guimauve en lui adressa un petit sourire.

« Bon en tout cas je suis content que tu pleures plus ou broie du noir pour l'autre connard.

- Y'avait pas que pour ça quand même.

- Ah ouais ? J'veux tous les détails maintenant ! Comment t'as mis le grappin sur l'capitaine en vrai ? Tu l'as appâté avec un tonneau de bière ou quoi ?

- Oui ben on verra, temporisa-t-elle, Tu vas encore aller tout raconter à Wanda.

- Tout de suite... comme si tu voulais te cacher ! J't'ai déjà parlé de ton air mièvre ? 

- Je ne suis pas mièvre, répéta-t-elle butée mais peu convaincue.

- Niaise s'tu préfères.

- Je suis pas sûre que tu sois familier du concept des synonymes...

- Bon okay okay, garde tes secrets Sibby ! Fit-il avec un geste de dépit la main, Tu finiras bien par cracher le morceau. J’suis patient ! » 

Il se tut un instant, portant sa bière à ses lèvres pour constater avec tristesse qu'elle était vide. Il resta songeur puis une expression sardonique apparut sur son visage.

« Dis-moi seulement si tu l'as cocufié l'autre enfoiré. »

Sibéal sentit une légère rougeur lui monter aux joues, elle espéra qu'elle pouvait passer pour un effet de la chaleur des flammes devant eux. Son frère adopta un petit air satisfait.

« Tant mieux, sourit-t-il narquoisement. Tu lui as dit, j'espère !

- Y’avait rien à savoir ! marmonna-t-elle gênée. 

- Nodens… j’aurais payé pour voir sa tête toute arrogante se décomposer...

- Franchement, on s'en fiche, le rabroua-t-elle.

- Bon alors, il est remis de ses émotions l'frangin ? »

Émergeant de derrière eux, Murdock s'assit dans le sable, brandissant la glacière. Nialh l'ouvrit aussitôt pour trouver de quoi se réhydrater. Puis, de bonne grâce il s'en saisit et la tendit à Chad pour qu'il puisse se servir. 

« Excuse moi du peu m'enfin jusqu'à ya pas deux semaines Sibéal était encore avec l'’autre chanteur. »

La mine du demi-nain se renfrogna presque imperceptiblement. Cette expression mécontente fit ronronner un plaisir coupable au creux du ventre de Sibéal.

« En tout cas, je suis content pour vous, assura-t-il. »

Le demi-nain décapsula sa bière, et Sibéal reprit sa place contre son torse. La bras de Murdock se posa en travers de ses clavicules. Ses doigts caressaient à nouveau doucement le creux de son épaule. Ils lui lançaient des frissons par petites vagues. 

Elle ferma les yeux sur Anak et Yakta qui montraient quelques pas de danse sioux à Apollo. La belle voix de Mohvo s'élevait clairement par-dessus le crépitement des braises. Un petit air frais balayait ses jambes nues. Mais la chaleur de Murdock et celle du feu l'enveloppaient de coton.

« Venez on lui envoie une photo à ce bâtard.

- Niaaalh, stop. »

Elle n'ouvrit pas les yeux, sentit s'échapper un petit rire ravi de la gorge de Murdock. Elle pouvait deviner l'air boudeur de son frère.

« Bon d'accord, un petit post insta alors ? »


 

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