Chapitre 43 : Aelia

Par Talharr

Aelia :

Une grande tour, des champs dorés, des yeux jaunes, puis le feu, le sang. Le chaos.

Aelia se réveilla, une fois encore, trempée de sueur. Elle sortit de la tente en veillant à ne pas réveiller ses amies et alla s’asseoir près du feu.
Autour d’elle, plus d’arbres aux feuilles vertes : la Forêt Sans Morts était loin derrière eux. Restait une végétation cramoisie, d’où montait une odeur étrange.
Ils avaient dressé leur campement sur une petite colline. De jour, on ne voyait que désolation : ruines à perte de vue, pas un signe de vie depuis qu’ils avaient quitté la forêt.
Les Terres Abandonnées portaient bien leur nom.

Dans la chaleur du feu, elle repensa à son cauchemar. Il avait changé : ce n’était plus celui où elle voyait tous ses compagnons mourir, ni sa propre fin.
Peut-être qu’Arnitan a vu la même chose… pensa-t-elle, espérant qu’il vienne la rejoindre.

Elle ne l’avouerait à personne, pas même à Arlietta, mais la présence du garçon était plus qu’un réconfort. Elle se sentait stupide : il était en deuil, et Gwenn avait été bien plus qu’une amie. Plusieurs fois, elle s’était ordonnée de cesser de le regarder, ou d’aller lui parler pour rien. Impossible. C’était comme si une force la poussait vers lui.

Aux yeux des autres, elle passerait sans doute pour une folle. Mais être ici, avec eux, avec lui… rien n’aurait pu la rendre plus heureuse. La mort les guettait à chaque instant, et pourtant elle souriait plus qu’à Lordal. Ici, elle était libre. Ses choix lui appartenaient, et non aux promesses imposées.
Son mariage avec Sairen était annulé, et ils en étaient tous deux soulagés. Alors pourquoi n’aurait-elle pas le droit, elle aussi, de choisir ?
Le poids qu’ils partageaient, la chaleur ressentie lorsque leurs marques s’étaient allumées ensemble…
J’ai le droit ! Mes choix m’appartiennent. Plus jamais personne ne me dira quoi faire ou qui aimer.

Elle enfouit son visage dans ses genoux, les épaules secouées de sanglots étouffés.

    — Aelia ?

Elle sursauta, redressa la tête. Arnitan s’était assis près d’elle, le regard inquiet accroché au sien.

    — Tu vas bien ?

Elle essuya ses joues d’un revers maladroit.

    — Oui… oui, c’est le cauchemar. Il a changé.

Arnitan leva les yeux vers le ciel étoilé, la mâchoire serrée.

    — Moi, c’est toujours le même. Celui qui me montre… la mort.

    — Je n’en peux plus de ces cauchemars… Quand cela va-t-il s’arrêter ? Quand serons-nous en paix ?

Il eut un sourire bref.

    — Sûrement quand nous aurons terminé ce voyage.

Terminer le voyage. L’idée la glaça. Et après ? Revenir comtesse, enfermée ? Non.

    — Arnitan… Qu’est-ce que tu feras, quand tout sera fini ? demanda-t-elle, une boule au ventre.

    — Si je le peux, je retournerai à Krieg. J’y ai encore des choses à faire, répondit-il, la voix voilée. Et toi ?

    — Je ne sais pas. Je ne veux pas redevenir la jeune comtesse que j’étais… Tu crois que je pourrai…

Elle s’interrompit, le souffle court.
Il la fixa un instant, puis sourit doucement.

    — Si c’est ce que tu veux, tu découvriras d’autres terres. Ça t’aidera, le jour où tu deviendras comtesse de Vaelan.

Le cœur d’Aelia bondit. Il avait compris sans qu’elle le dise. Elle plongea ses yeux olive dans l’océan des siens.

    — Merci, murmura-t-elle.

    — Ça me fait plaisir, répondit-il simplement.

Les joues d’Aelia s’enflammèrent.
Puis il changea de sujet :

    — Alors, ton cauchemar ? Tu as dit qu’il avait changé.

    — Oh… Oui. D’abord des champs dorés à perte de vue, une grande tour encerclée de hautes murailles. Puis la mort est revenue. Mais ce n’était pas vous. Partout, des yeux jaunes. Des flammes, des cris. Puis tout a disparu dans une éclaircie, expliqua-t-elle.

Arnitan se tendit.

    — La tour… elle était comment ?

    — Immense. Je n’ai pas eu le temps de la visiter, répondit Aelia, confuse.

    — Et du feu, à l’intérieur ? demanda-t-il vivement, l’inquiétude vibrant dans sa voix.

    — Non… je ne crois pas. Je n’en ai pas vu.

Un silence pesant s’abattit. Son regard se durcit, et Aelia sentit son cœur se serrer.

    — Qu’y a-t-il ? Tu connais cet endroit ?

    — Une tour gigantesque, des champs dorés… Ça ne peut être que Dralan, la capitale de Balar.

Ses poings se crispèrent. Elle tenta de le rassurer.

    — Ce n’était qu’un cauchemar, ce n’était pas réel.

Si ?

    — Es-tu déjà allée à Dralan ?

    — Non.

    — Alors comment peux-tu décrire un lieu que tu ne connais pas ?

    — Je… je ne sais pas. Je me suis déjà posé la question quand…

LIA !

Elle baissa les yeux. Trop tard, Arnitan la dévisageait.

    — Quand quoi ?

Je ne peux pas lui mentir… je dois lui dire.

    — Avant que ma mère nous annonce la mort de Gwenn, j’ai eu un cauchemar. D’ordinaire, j’y voyais Elira tuée par un serpent géant. Mais cette fois-là… c’était ton amie.

Arnitan la fixa, pétrifié.

    — Je suis désolée… Je croyais que ce n’était qu’un rêve.

Elle posa une main tremblante sur la sienne. Il la repoussa aussitôt.

    — Arnitan…

    — Tu aurais dû m’en parler. Tu aurais dû… dit-il d’une voix glaciale, avant qu’elle ne faiblisse.

Elle se hâta :

    — Tu venais à peine de m’adresser la parole. Je n’étais pas sûre… tu ne m’aurais pas crue. J’avais peur que tu partes. Tu te souciais déjà tellement d’elle…

    — Et tu as choisi pour moi. Tu m’as privé de mon choix.

Aelia eut l’impression de recevoir un coup en plein ventre. Les larmes lui montèrent aux yeux.

    — Non… je n’ai jamais voulu ça. J’ai vraiment cru que c’était…

    — Un mauvais rêve, oui. J’ai compris. Mais tu as dit Dralan. Le reste de ma famille, et celle de Gwenn, s’y trouvaient.

Cette fois, il laissa sa main sous la sienne.

    — L’armée de Cartan a dû leur venir en aide. Ils ont forcément tenu, dit-elle avec conviction.

Il soupira.

    — Je l’espère. Nous devons trouver ce rocher, et détruire ce dieu.

Il se leva, la laissant seule près du feu. Mais avant de rejoindre sa tente, il se retourna.

    — Je suis désolé, Lia. Je sais que tu ne voulais pas me blesser. Tu as souffert, toi aussi. Je suis heureux de t’avoir rencontrée. Mais désormais, parle-moi toujours de tes visions. Ce ne sont pas que des rêves. Je veux savoir si ma famille est en danger.

Ses yeux étincelaient de vie. Elle acquiesça, le cœur battant.

    — Je te le promets, dit-elle simplement.

Puis il repartit vers sa tente et disparut dans son obscurité chaleureuse.

Aelia resta encore quelques instants, songeuse, devant le feu.

Je suis vraiment stupide.

Et pourtant, il n’était pas resté longtemps en colère. Plutôt triste.

Mais son cœur tambourinait.

Il a dit Lia. Depuis qu'elle lui avait demandé de l'appeler Aelia ou Lia, il avait toujours choisi la première option. Pourquoi ce changement soudain ? Qu’il l’ait enfin prononcé, c’est… Elle sourit bêtement.

Puis ses pensées revinrent aux cauchemars. Il a raison. Ce sont des visions.

Est-ce que Sylros en avait lui aussi ? Elle devait lui demander.
Voyait-elle l’avenir ? Le passé ? Pouvait-elle sauver des vies grâce à cela ?
Elle devait en savoir plus. Pour ceux qu’elle n’avait pas pu protéger.

Sa réflexion terminée, elle retourna dans la tente partagée. Gabrielle ronflait, Céleste luttait contre le sommeil, et Arlietta dormait paisiblement.
Elle doit en avoir assez de porter toujours les mêmes vêtements, songea-t-elle en s’allongeant.

Elle se rendormit. Les cauchemars la laissèrent tranquille.
Le visage de ses parents heureux et celui d’un petit garçon courant vers elle furent les dernières images avant son réveil.
Elle souriait encore. Ma vie d’avant… Je ne m’en souviens pas. Mais ces bribes, pour l’heure, lui suffisaient amplement.

Au matin, Gabrielle et Céleste n’étaient déjà plus là : elles cueillaient sûrement des herbes et préparaient le petit-déjeuner. Une odeur salée flottait dans l’air.
Arlietta, elle, dormait encore comme une loutre. Aelia la laissa.

En sortant, le soleil l’aveugla un instant. Quand ses yeux s’habituèrent, elle chercha Sylros. Gabrielle et Céleste s’affairaient autour du feu. Les guerriers démontaient les tentes. Arnitan discutait avec Draiss. Et enfin, elle aperçut le mage.

Il se tenait debout, cape au vent, fixant l’horizon.

    — Maître, dit-elle poliment. J’ai quelque chose à vous demander.

    — Je t’écoute, jeune Hirondelle.

    — Avez-vous… des visions ?

Il tourna la tête.

    — Des visions ? Non. Il m’arrive parfois de voir quelques secondes de l’avenir ou du passé, mais c’est extrêmement rare, répondit-il, intrigué.

Alors elle fixa l’horizon et lui parla de ses songes : la mort de Gwenn, celle d’Elira, Dralan.
Sylros resta longtemps silencieux.

    — Le sang de ta mère coule dans tes veines. Tu as hérité de ses capacités, finit-il par dire.

    — Ma mère peut voir le passé ou l’avenir ?

    — Oui. Elle peut même appeler les visions… mais elles ont un prix. Elira n’use presque jamais de ce don.

    — Mais moi, je ne les appelle pas. Elles viennent quand je dors.

    — C’est parce que tu ne contrôles pas encore tes dons. Tu es plus puissante que tu ne le crois, jeune Hirondelle. Le sang d’un demi-dieu coule en toi.

Le sang d’un demi-dieu ?!

    — En effet. Mais je préfère que ta mère t’en parle elle-même.

Encore des secrets… Elle serra les poings.

Sylros sourit.

    — Continuons ta formation. Tu apprendras à contrôler ta puissance. Et tes visions pourront nous guider.

Elle acquiesça.

Le groupe se remit en marche, après que Calir eut indiqué un chemin. Sylros l’instruisait tout en avançant

Je deviendrai forte. Plus forte que toi, mère.

Elle se fit la promesse, sous le regard d’Arnitan.

Je le promets.

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Scribilix
Posté le 15/09/2025
Eh bien, il fait un peu sa drama queen Arnitan. Mais leur discussion était sympa, surtout le fait qu'ils s'interrogent sur leur vie après.
Je n'ai pas relevé de fautes de formes si ce n'est encore quelques coupures abruptes mais je sais que tu aimes bien en ajouter.
A la prochaine,
Scrib.
Talharr
Posté le 15/09/2025
J'ai essayé de rendre Arnitan un peu relou (même si j'aurais sûrement réagi pareil) s'ils étaient tout le temps sympa ça rimerait à rien. Il faut bien que les coeurs s'ouvrent aha
Aha ouai les coupures c'est vraiment dans mon style, j'aime bien coupé les phrases pour que le lecteur comprenne sans avoir besoin que j'en dis plus.
Merci encore et à plus :)
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