Chapitre 43 : Elena

Par Zoju
Notes de l’auteur : Je serai curieuse de connaitre votre avis sur ce chapitre. J'espère qu'il vous plaira ! Bonne lecture ;-)

Clouée sur mon lit, c’est la respiration laborieuse que je subis les effets secondaires de ma séance chez Assic. Le monde tangue autour de moi. Mes doigts moites de sueurs s’enfoncent dans mon matelas lorsque la douleur dans ma poitrine gagne en intensité. Un haut-le-cœur remonte soudain en moi et j’ai à peine le temps de basculer sur le côté que je vomis de la bile dans le seau qui me serre de toilette à côté de ma paillasse. Malgré le fait que mon estomac soit vide, ça ne cesse de sortir. L’odeur ne parvient plus à mes narines. Les secondes s’écoulent alors que haletante, je reprends mon souffle. Un frisson me parcourt et ce sont les mains tremblantes que je frotte ma peau trempée. J’ai froid et pourtant si chaud à la fois. Aujourd’hui, je n’ai été épargné en rien. Au moment où Assic est entré dans la pièce, toujours impeccablement habillé et coiffé, et qu’il a croisé mon regard, j’ai compris qu’il allait me faire payer. Tout me faire payer. Il a été humilié par Tellin quand ce dernier m’a évité les tests. Il a été humilié par les rebelles quand ils lui ont volé ses précieux cobayes. Pour son égo démesuré, c’est bien trop qu’il puisse supporter. Mes lèvres s’écartent, mais seul un râle en sort. Pendant toute la séance, Stephen ne m’a pas quitté des yeux. Son expression était neutre, mais il suffisait de constater son teint verdâtre et son corps aplati contre le mur pour comprendre qu’il n’allait pas bien. Lorsque Tellin lui a annoncé qu’il avait ma charge, il n’a pas cillé en me voyant et s’est contenté d’opiner et d’aider Enrik à m’immobiliser sur la chaise de mon supplice. D’habitude pendant les séances, je m’efforce à garder une certaine contenance, à ne pas crier. Je me refuse à montrer une quelconque trace de faiblesses face à ses monstres qui me souillent toujours plus profondément. Seulement, ici j’en ai été incapable. Tellin, les rebelles, ma grossesse, la vengeance d’Assic, c’était trop que je puisse supporter et j’ai hurlé. Beugler à en perdre la voix. On a fini par m’administrer quelque chose qui m’a assommé aussi sec. Le reste n’est que visions floues, de brefs sursauts de lucidité déchirés par d’interminables souffrances. Sang, vomi, urine, j’ai tout évacué sans qu’à aucun instant mes tortionnaires éprouvent le moindre remords. Quand j’ai enfin émergé pour de bon, j’étais dans ma cellule. Ankylosée et horriblement faible, une terreur sans nom s’est emparée de moi face à mon ignorance quant aux supplices qu’ils m’ont fait subir lors de mon évanouissement.   

 

L’extinction des lumières liée au couvre-feu est déjà effective depuis un long moment quand je suis tirée de ma somnolence par l’entrée de quelqu’un dans mon cachot. Attitude hésitante, silence pesant, je comprends directement que ce n’est pas Tellin. Pourtant loin de me détendre, mes muscles restent douloureusement crispés. Je décide de prendre les devants tout en continuant à être de dos au nouvel arrivant.

- Qu’est-ce que tu me veux, Stephen ?

Ma crise s’étant estompée, c’est d’une voix claire et forte que je parle. La respiration de l’intrus s’arrête un battement de cil. J’ai vu juste. C’est bien lui. Malgré ma question, il reste muet. J’ignore ce que je cherche, mais je décide de continuer la discussion.

- Au fait, j’ai remarqué que tu es monté en grade. Félicitations pour cette promotion. Tu le mérites, sincèrement.

Pourquoi commencer par ça ? Aucune idée. C’est la première chose qui m’est passée par la tête, mais on pourrait très bien parler du beau temps que mon intonation serait la même. Toujours aucune réaction. Sentant que c’est fait pour s’éterniser, je déclare après avoir trouvé le courage de le faire :

- Tu sais, Stephen. Je souhaiterais m’excuser pour la dernière fois et je crois que si Hans était présent il le désirerait aussi. Nous ne voulions pas t’assommer, mais essaye de comprendre, nous n’avions pas le choix.

Nouveau silence. Si je ne percevais pas ses inspirations et expirations régulières, je pourrais douter de ma santé mentale à parler toute seule. Je soupire. Cette attente sans réponse commence vraiment à devenir pénible.

- Si tu n’as rien à me dire. Pars. Tu ne devrais pas être ici et je refuse d’être responsable si tu te fais choper.

- Vous n’avez rien à vous reprocher, colonel Darkan, lâche-t-il soudain en ignorant ma dernière remarque.

Entendre le son de sa voix et surtout la manière dont il s’adresse à moi m’ébranle. Je ne m’y attendais pas. Je m’efforce à me reprendre et c’est d’un ton neutre que je parviens à déclarer :

- Je ne suis plus ta supérieure hiérarchique. Je ne suis plus un soldat.

- Veuillez m’excuser, colo…

Pendant un instant, j’ai l’impression de faire un bon dans le passé quand nous étions au sommet de cette tour de garde et qu’il se bornait à employer mon grade. Je me retourne enfin vers lui et le vois. Il a allumé sa lampe et son expression ne reflète que l’embarras. Maintenant que je prends le temps de l’observer, je remarque qu’il n’est plus le même que dans mon souvenir. Plus de sourire. Plus d’enthousiasme. Seulement un homme fatigué, tassé sur lui-même. Si par le passé, je trouvais qu’il faisait plus jeune que son âge, ici c’est tout le contraire.

- 66… murmure-t-il. Ravasz m’a dit de vous appeler de la sorte, mais je n’y arrive pas. Vous n’êtes pas un numéro.

C’est affirmer avec une telle naïveté dans ces lieux.

- Et pourtant, c’est désormais mon identité.

Prononcer ces mots me font mal, car en l’énonçant de cette façon, j’ai l’impression d’établir une vérité. À l’instant où je les articule, un malaise s’installe entre nous. Ne voyant aucune réaction de sa part, je lui demande :

- Comment t’es-tu retrouvé ici ?

- Par hasard, je dirais.

- Tu n’es pas fait pour ce travail.

Si je ne me suis pas trompé sur son compte, il est trop gentil, trop humain pour évoluer dans la section médicale. Il laisse échapper un ricanement dépité.

- Ça se voit donc tellement.

- J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi vert.

Il baisse la tête et fixe ses pieds.

- Quelques jours après votre fuite avec le colonel Wolfgard, j’ai été promu capitaine pour m’être opposé à vous. Votre père m’a convoqué hier. Il voulait me féliciter pour mon travail et estimait qu’il était temps que je sois récompensé par une tâche plus gratifiante. Heftigang venait de mourir et on lui cherchait un remplaçant. Pourquoi moi ? Je me le demande encore.

Pourquoi lui ? Pourquoi Stephen et pas un autre ? Je ne cesse de me poser cette question depuis que j’ai vu aux côtés de Tellin. Je n’ai qu’une certitude : mon père ne fait rien au hasard, surtout pas quand il avance ses pions.

- Va savoir, marmonné-je. Mais dis-moi, Ste…

Je n’ai pas le temps de poursuivre qu’un nouveau haut-le-cœur remonte en moi. Je me plie en deux et régurgite de la bile dans le seau. Ce n’est qu’en me redressant que je remarque que le capitaine s’est approché. Je déteste cette pitié dans son regard et me doute rapidement de la suite de ses propos. Je m’essuie la bouche et le devance avant qu’il me pose la question fétiche de Vincent :

- Je te le redemande, Stephen. Pourquoi es-tu ici ?

Il se tait un instant, surpris, puis lâche, hésitant :

- Il y a des rumeurs qui circulent sur vous depuis votre prétendue mort.

Je soupire. Il fallait s’y attendre.

- Quelles rumeurs ?

- Que vous avez trahi l’armée.

Une brusque envie de le gifler me prend. J’ignore par quel miracle je me contiens.

- Ce n’est pas une rumeur, mais un fait, agacé-je.

Il me fait un pauvre sourire.

- Ça, je m’en doutais bien. Déjà lors de nos gardes ensemble, j’ai remarqué que vous ne vous sentiez pas à votre place ici. Non, c’est autre chose.

C’est à mon tour d’être prise de court.

- Quoi donc ?

Il grimace et c’est avec réticence qu’il m’avoue :

- Que vous avez tué le colonel Wolfgard.

En entendant ça, j’ignore comment réagir et me contente de contempler sans comprendre Stephen qui ne cesse de me détailler du regard.

- Que j’ai quoi ? Qu’est-ce que ce sont que ces conneries ?

- Face à votre traîtrise, le colonel a tenté de vous raisonner, mais que ivre de folie, vous l’avez assassiné.

Si la situation n’était pas aussi dramatique, je me serais étranglé de rire. Moi, tuer Hans ? Parce que je suis folle ? Mais il n’y a rien de drôle. D’habitude, je me fiche de ce que l’on peut cracher sur mon dos. Seulement, ici, il m’est tout simplement impensable de fermer les yeux. Je plaque ma main sur ma bouche pour contenir les émotions qui m’envahissent.

- Qui ose dire une atrocité pareille ?

- Le major général Tellin.

Un cri se coince dans ma gorge.

- Pardon ?

- C’est d’ailleurs en partie grâce à lui que le colonel Wolfgard a été décoré post-mortem pour service rendu.

J’ai l’impression de recevoir un coup de massue. Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Quelle décoration ?

- Minute ! C’est quoi encore que cette histoire. Que ce soit lors de notre fuite dans la base ou de notre arrestation, Tellin nous a toujours désignés comme des traîtres. Il a d’ailleurs ordonné à ses subordonnés d’exécuter Hans pour ce motif. Toi-même, tu as été témoin dans la cour ! Est-ce que Hans avait vraiment l’air de vouloir m’arrêter ?

L’expression du capitaine se fait de plus en plus perplexe. À l’évidence, il semble aussi perdu que moi. Je fais le choix d’insister. Il y a quelque chose qui cloche dans cette affaire.

- Et les soldats qui accompagnaient Tellin. Ils doivent bien savoir que c’est faux. Qu’est-ce qu’ils racontent ?

- Ils ne sont jamais revenus. Le major général Tellin était seul avec vous. Il a expliqué que les rebelles avaient décimé son escouade. Il nous a ensuite relaté la fin tragique de sa troupe et du colonel Wolfgard en rétablissant la vérité et en reconnaissant sa méprise sur la loyauté du colonel.

Mes mains forment un poing et mon corps se met à trembler. C’est avec difficulté que je contiens ma rage en assimilant ces informations. Après tout le mal qu’il a causé à Hans, il continue à le souiller jusque dans la mort. Cet homme n’est décidément que laideur. Je relève la tête et croise le regard de mon vis-à-vis.

- Et toi, tu le crois ?

- Que je crois quoi ?

- Que j’ai tué Hans par démence ?

- Vous savez, nous avons passé peu de temps ensemble, mais ça a suffi pour moi pour vous apprécier. Je ne peux pas accepter que je me sois à ce point trompé sur vous.

- Folle… murmuré-je. J’ignore si je le suis, mais s’il y a bien une chose que je peux t’affirmer, c’est que je n’ai pas tué Hans. Tellin seul est responsable.

Et comme pour me libérer d’un poids, je lui raconte tout, depuis la contamination de Hans jusqu’à notre échec. C’est assez rapide. Nous n’avons pas le temps de nous éterniser plus que nécessaire. Stephen m’écoute sans m’interrompre. Je me demande s’il me croit, s’il croit celle que l’on désigne comme une traitresse folle à lier. Quand j’ai fini, il reste silencieux un long moment.  

- Ça fait beaucoup à encaisser, dit-il dans un souffle.

- As-tu encore des doutes ?

- Plus maintenant.

La tension qui m’étreint la poitrine s’apaise quelque peu. Quelqu’un de plus connait la vérité et l’accepte. C’est la seule chose que je peux faire pour honorer la mémoire de Hans. Pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli. Le silence s’installe entre nous. C’est prudente que je lui pose la question qui me brûle les lèvres.

- Que comptes-tu faire maintenant ?

Il secoue la tête complètement perdue.

- Je l’ignore.

- J’ai besoin de ton aide.

Ces mots m’ont échappé. Loin du ton suppliant que j’utilise avec Vincent, c’est d’une voix calme que je parle. Stephen se redresse vivement.

- Comment ça ?

- Fais-moi sortir d’ici.

Sa bouche se tord d’une grimace.

- Je ne peux pas.

Malgré son opposition, l’espoir que je croyais avoir perdu brille soudain au creux de ma poitrine. Maintenant que je l’ai énoncé, c’est désormais une évidence pour moi. Je refuse que l’on me l’arrache à nouveau. Je me lève de mon lit et avance vers le soldat pour arriver presque collé à lui. Il me domine de sa hauteur, mais de nous deux, c’est lui qui est intimidé et dans ses prunelles, seule l’anxiété se reflète. Il ne bouge pas.

- Tu as bien vu les tortures que je subis. Toi-même, tu n’approuves pas.

J’agrippe sa veste.

- Fais-moi sortir d’ici, répété-je. J’ai besoin de toi.

Ma voix se brise sur la fin. Il s’écarte pour mettre de la distance entre nous.

- Vous savez, colo… Elena, je n’ai que de l’estime pour vous, mais ce serait du suicide. Et puis…

Il se tourne dos à moi et je l’entends étouffer un sanglot. Quand il reprend la parole, ce n’est plus qu’un murmure :

- Je ne suis peut-être qu’un égoïste, mais je ne peux… ne veux pas courir autant de risques.

Ces doutes, je ne les connais que trop bien. Moi aussi par le passé, j’avais toujours peur d’agir. Se taire pour avoir une chance de survivre quitte à perdre mon humanité et devenir aveugle. Je devrais accepter cette faiblesse de sa part. Le problème, c’est que j’en suis tout bonnement incapable.

- Dans ce cas, pourquoi es-tu là si n’est pas pour m’aider ?

Il reste de dos. Je ricane.

- Laisse-moi deviner. Tu voulais simplement avoir la conscience tranquille. C’est vrai qu’avoir une aliénée dans tes connaissances, ça fait mauvais genre.

À ce moment, je me trouve infecte de le traiter de cette manière. Il m’a toujours soutenu. Je ne peux pas croire qu’il soit à ce point hypocrite. Il me jette un coup d’œil peiné par-dessus son épaule avant de se retourner en gardant un écart entre nous.

- Jamais, je ne me permettrai de vous juger de la sorte. Je suis venu, car je désirais vous parler. Tout simplement. Pour ce qui est de votre demande, je suis désolé, Elena. Sincèrement. Malheureusement, le danger est trop grand. Comprenez-moi.

Il se tait. Malgré les mots qui se bousculent dans ma gorge, je ne réplique rien. J’ignore quoi dire pour le faire changer d’avis. Ne voyant aucune réaction de ma part, il complète :

- Je tâcherai tout de même de rendre votre captivité supportable.

En l’entendant, je retiens de glousser bêtement. Que c’est gentil !

- Nier ne t’apportera pas la sécurité, l’avertis-je.

- Vous avez sans doute raison, mais c’est toujours mieux que de tout perdre.

Sur ces mots, il finit par me saluer d’un hochement de tête et quitte ma cellule. Mes poings se serrent. Et moi, pensé-je, je n’ai rien à perdre.

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Sklaërenn
Posté le 09/11/2021
J'ai adorer le début ( comment ça je suis sadique ? Pas du tout ! ) le côté torture dans trop en dire mais assez pour nous expliquer à quel point c'était insupportable pour elle.

Sinon je ne sais pas trop ce que tu nous réserve avec Stephen, mais c'est cool de nous montrer un autre perso. Ça change ^^
Zoju
Posté le 10/11/2021
Merci pour ton message ! Je dois t’avouer que moi aussi j’aime beaucoup le début, même si ça me rend triste de lui faire subir ça. Je suis vraiment contente qu’elle te plaise.
Pour Stephen, je te laisse découvrir la suite. C’est un personnage que l’on avait peu vu dans la première partie. Je suis contente de pouvoir lui donner plus de place dans cette partie ! Encore merci pour ton soutien pour cette histoire, j’espère que la suite continuera à te plaire !
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