Chapitre 43 : Hans

Par Zoju
Notes de l’auteur : Bonne lecture :-)

Elena est assise sur mes genoux, sa tête posée sur mon épaule. J’ai un peu du mal à reconnaitre la femme qu’elle était avant la bataille. La mort de Luna a dû la changer. Je frotte pensivement sa main. Je suis heureux. Je n’aurais jamais cru l’être ici, surtout après ce que nous avons vécu. Elena agrippe ma veste.

- Désolée, dit-elle.

Je soupire exagérément.

- Que dois-je encore te pardonner ?

Elle ne relève toujours pas la tête.

- Tout.

- C’est fait.

Ses yeux, où la surprise se lit, rencontrent les miens.

- Vraiment ?

- Je ne t’en voulais pas. Cesse de t’excuser à tout bout de champ.

- Pardon.

- Qu’est-ce que je viens de dire ? grommelé-je.

Pour toutes réponses, elle m’embrasse. Elle s’éloigne trop vite à mon goût. J’ignore combien de temps cet instant va durer. Elena se lève, mais ne lâche pas ma main.

- Avant que tu ne partes, je souhaiterais aborder un point avec toi, me dit-elle.  

- Je t’écoute.

Elle se mord la lèvre inférieure. J’ai remarqué qu’elle fait ça souvent lorsqu’elle est dans une situation délicate. Je crains déjà le pire.

- C’est à propos de Tellin.

- Pourquoi me parles-tu de ce type ? soupiré-je.

- Tu sais qu’il me montre de l’intérêt.

Je hoche la tête. La joie a laissé la place à la colère.

- Il faudrait peut-être éviter d’afficher nos sentiments en public, continue-t-elle mal assurée.

- Pourquoi ? demandé-je, même si je redoute déjà de connaitre la réponse.

- Tellin est d’une jalousie maladive et très possessif. J’ai peur pour toi, Hans.

J’ai eu tort de croire qu’elle avait changé à ce point. Elle est restée la même. Celle qui espère protéger tout le monde, mais qui ne sait pas comment s’y prendre.

- Dis-moi, Elena, ton discours de tout à l’heure c’était du vent ?

Elle me regarde, horrifiée.

- Absolument pas ! s’exclame-t-elle.

- Alors pourquoi devrions-nous nous cacher ?

- Tu pourrais en payer les conséquences par ma faute, répond-elle d’une toute petite voix.  

Ce n’est plus possible ! Je me lève à mon tour. La douleur dans mon dos s’est réveillée, mais cela m’importe peu. Il y a plus préoccupant.  

- Arrête de vouloir prendre tout sur toi. Je sais très bien me protéger moi-même. Est-ce un crime que d’éprouver des sentiments pour quelqu’un ?

- Bien sûr que non ! Mais j’ai beau me le répéter, je n’arrive pas à l’accepter. Je me suis toujours débrouillée seule et maintenant que j’ai quelqu’un à qui je tiens, je refuse de perdre ça.

Je lui relève le menton pour capter son attention.

- Tu n’es plus seule et tu ne le seras plus, dis-je.

Elle me jette un regard furieux.

- C’est facile pour toi de dire ça. Tu as ta famille, tu as Nikolaï. Moi je n’ai plus personne, Luna est morte, ma mère est morte, mon père me hait et j’ai un cinglé qui me colle aux basques en permanence en espérant me voir craquer pour me foutre dans son lit. Si je me retrouve seule ici, je ne pense pas pouvoir tenir longtemps !

- Je trouve que tu m’enterres un peu trop rapidement, répliqué-je vexé par le peu de confiance qu’elle m’octroie.

- Luna était la meilleure et maintenant, elle n’est plus là, lâche-t-elle froidement. Alors oui, je crains à tout moment qu’il t’arrive la même chose. Même si j’ai ma part de responsabilité, dois-je te rappeler dans quel état tu es revenu du combat ?

Un silence pesant s’est installé entre nous.

- Dans ce cas, partons ! m’exclamé-je.

- Nous ne pouvons pas. Il y a Isis, Nikolaï et aussi le Projet 66.

Je sais qu’elle a raison, mais c’est dur de l’admettre.

- Mettons-y fin.

- Comment ?

- Il doit bien exister un moyen. Faisons éclater la vérité.

Elena secoue la tête.

- Le gouvernement est surement de mèche.

- Trouvons les preuves et nous verrons ensuite.

- Et ensuite quoi ? Tu serais prêt à risquer ta vie pour des suppositions ?

Je passe une main dans les cheveux.

- Si la cause me semble juste alors oui.

Elle secoue une nouvelle fois la tête.  

- Je le refuse.

Je soupire. Cette discussion ne mènera nulle part.

- Cessons ce dialogue de sourds, déclaré-je. Dis-moi, Elena, tu veux du changement ?

- Bien sûr ! affirme-t-elle sans hésitation.

- Explique-moi donc pourquoi depuis tout à l’heure, tu ne cherches que des excuses pour ne rien faire.

Elle me tourne le dos. Un frisson la parcourt.

- J’ai peur d’agir. Tout me parait si incertain.

Je pose une main sur son épaule.

- Ça l’est pour tout le monde.

Elena, dont le corps s’était penché en avant, se redresse. Ses mains s’ouvrent et elle les regarde comme si c’était la chose la plus fascinante qui existe.

- Non, ce n’est pas la même chose. Il m’arrive d’avoir des moments de lucidité. Tout devient clair, je sais exactement quoi faire, mais c’est de courte durée. L’instant d’après, je suis de nouveau paralysée.

- Je ne te suis pas là. La peur n’est pas une maladie.

Elle me refait face, mais ses yeux fixent le sol.

- Pour moi, cela y ressemble. Il y a six ans, mon esprit a été brisé par les coups et mes missions. J’ai encore du mal à le reconstruire.

Sa bouche se ferme et lorsqu’elle reprend la parole, sa voix tremble.

- C’est dur de ne pas sombrer.

Elle continue son monologue, mais je n’arrive plus à suivre. Cela n’a ni queue ni tête. J’avais oublié à quel point elle est instable. Cela me fait haïr d’autant plus cette base. Je suis sûr que Tellin n’est pas étranger à ce comportement. Il a dû lui enfoncer une idée dans son esprit, mais quoi ? Si elle n’était pas venue ici, si elle n’était pas la fille du maréchal rien ne serait survenu. Je la serre contre moi avec douceur. Lorsqu’elle est comme ça, mieux vaut éviter tout geste brusque. Elle se laisse faire.   

- Calme-toi. Tu sais quand l’on veut quelque chose, il faut tout faire pour y arriver. Si cette peur te paralyse à ce point, surpasse-la.

J’abaisse mon visage pour voir ses prunelles brunes et poursuis :

- Ne la laisse pas te dévorer. Tu es plus forte que tu ne le crois.  

Elle me contemple tristement.

- Tout parait si simple avec toi.

Je souris.

- C’est parce que ça l’est.

- Tu penses que je pourrai y arriver ?

- Certain.

Elle se dégage de mon étreinte.

- J’essayerai, promis, mais je ne te garantis rien.

- Toujours aussi optimiste à ce que je vois.

Elle hausse les épaules.

- Que veux-tu ? Je suis comme ça.

Elle se rapproche de moi et tire sur mon col. Je suis à quelques centimètres de son visage.

- Maintenant, cesse de parler et embrasse-moi. 

Je ne me le fais pas dire deux fois et comble la distance qui nous sépare. Lorsque je suis avec cette femme, j’ai l’impression de voir le jour et la nuit en même temps. Deux personnalités diamétralement opposées, mais les deux la définissent. Aussi instable que la mer. Voilà qui est Elena. Je suis conscient de ça et, pourtant, pour rien au monde je ne voudrais être avec quelqu’un d’autre. 

 

Il est relativement tard quand je me rends au QG le lendemain matin. J’avais prévu de me lever plus tôt, mais n’ayant pas réussi à bien dormir à cause des lancements dans mon dos, j’ai somnolé une bonne partie de la matinée. Toutefois, étant donné mes antécédents, on ne devrait rien me reprocher. Je suis devant mon casier. Je dois rattraper le boulot en retard. Je m’attendais à ce qu’il soit rempli, mais il est plutôt vide. Je jette rapidement un coup d’œil à une lettre qui se trouve au-dessus du paquet. Je reprends mon tour de garde demain soir. La poisse ! Moi qui espérais en être dispensé encore une semaine, c’est raté. Tout en lisant mon courrier, je me dirige vers mon bureau. Un soldat m’interpelle avant que je ne franchisse la porte :

- Colonel Wolfgard, téléphone pour vous.

Je le regarde sans comprendre. Les membres de cette base ont l’interdiction de posséder tout moyen de communication avec l’extérieur. Seules les lettres sont autorisées, mais elles sont ouvertes par l’armée avant de partir. Les chefs de la base craignent que l’on ne dévoile quelque chose. Il n’existe qu’un téléphone fonctionnel ici et c’est pour les situations urgentes. Qui peut bien m’appeler ?

- Qui est-ce ? demandé-je

- Je l’ignore, on m’a seulement demandé de vous chercher.

- Je te suis.   

Je lui emboite le pas. Je n’aime pas ça. Nous arrivons assez vite devant la cabine. Le soldat chargé des liaisons me fait signer un papier puis m’autorise à prendre l’appel. J’empoigne le combiné téléphonique.

- Colonel Hans Wolfgard à l’appareil.

- Hans, c’est toi ?

Je sursaute. Je ne m’attendais pas à entendre cette voix ici.

- Maman ?

- Je sais que je ne dois pas appeler, mais je n’avais pas le choix.

- Ne t’inquiète pas, je payerai la communication. Qu’est-ce qui se passe ?

- C’est ton père.

Je manque de lâcher l’appareil.

- Comment va papa ?

- Pas bien. L’hiver est rude ici. Il est très malade.

Je l’entends retenir un sanglot puis continuer :

- J’ignore s’il survivra.

- Tu as pu voir un médecin ? demandé-je, préoccupé.

- Oui, mais il n’a rien pu faire. Hans, je sais que c’est dur avec ton travail, mais j’aimerais bien que toi et ton frère veniez.

- Mais bien sûr. Écoute, je vais réclamer une permission. Nous revenons le plus tôt possible. Je te donne des nouvelles rapidement. Je t’aime. Embrasse bien fort papa de ma part.

- Je n’y manquerai pas. Fais attention à toi.

Elle raccroche. Je remercie le soldat et cours chez le secrétaire du maréchal. Je ne peux pas me permettre de perdre une minute. J’irai prévenir Nikolaï après. Le secrétaire est dans son bureau lorsque je frappe à sa porte. Je lui explique brièvement la situation.

- Si je comprends bien votre demande, colonel, cela ne peut pas être déplacé ? s’enquiert-il.

- Malheureusement non, ma mère craint que mon père ne survive pas dans les semaines à venir.

- Combien de jours pensez-vous avoir besoin ?

- Aucune idée, lieutenant, avoué-je.

Un pli de contrariété creuse son front. Il finit par hocher la tête avant de se lever.

- Je vais voir ce que je peux faire. Attendez-moi ici, je vais demander au maréchal.

Il revient dix minutes plus tard.

- Le maréchal vous accorde votre congé à vous et au lieutenant-colonel Wolfgard, et ce pour une durée indéterminée. Il souhaite toutefois que vous rentriez au plus tôt. Vous partez demain matin, un camion de l’armée, qui doit se rendre en ville, vous déposera chez vous. Lorsque vous aurez fini ce que vous avez à faire, téléphonez à la base et l’on vous enverra une voiture pour vous rapatrier. Venez cette après-midi pour récupérer vos permissions.

Je me détends enfin. Je le remercie et me dépêche d’aller prévenir mon frère. Je suis inquiet pour lui. La mort de Luna l’a anéanti. Je ne pense pas qu’il supporterait une nouvelle perte, mais je ne peux pas le lui cacher. Il accepte la situation avec un détachement qui me surprend. Il se contente d’affirmer qu’il sera prêt.

- Comment y allons-nous ? demande-t-il avant que je ne le laisse.

- Un camion de l’armée doit se rendre en ville demain. Nous partons avec lui. Pour le retour, nous aviserons. Le secrétaire m’a dit de passer un coup de fil lorsque nous devons rentrer. Il comprend la situation.

- Tant mieux. À demain, Hans.

- À demain.  

Maintenant, le plus dur reste à faire, prévenir Elena. Je repense à notre séparation hier soir. Je lui ai promis de demeurer avec elle et devoir déjà la quitter pendant un moment me serre le cœur. Elle me manquera, mais ce qui m’inquiète le plus c’est l’idée de la laisser seule dans cette base avec Tellin qui rôde. Je ne peux qu’espérer que tout se passe bien. Je suis certain qu’elle comprendra et que ça ira. Je dois me faire du souci pour rien.

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annececile
Posté le 22/05/2020
Hans ferait bien de se souvenir de l'effet que lui a fait Tellin en tete-a-tete avant de sous-estimer a quel point il peut etre dangereux... Et maintenant, il va s'absenter. Problemes a l'horizon!
Un chapitre qui se lit avec plaisir et on a hate d'avoir la suite!
Zoju
Posté le 22/05/2020
Merci pour ton commentaire qui me fais très plaisir !
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