Chapitre 44 : Intuition persistante

Carl serra le téléphone entre ses doigts, ses jointures blanchissant sous la pression. Il avait morflé lorsque il avait vu Elena sombrer malgré l’hospitalisation. Il avait eu l’impression de se noyer avec elle. Heureusement, il avait pu compter sur le soutien infaillible de Cooper. Il avait fait plus pour lui que n’importe qui, plus même que son propre frère dont pourtant il avait été très proche de son vivant. Cependant, en cet instant, il le sentait : Coop ne lui disait pas tout. Il essayait de le préserver comme il l’avait fait lorsqu’il était au plus mal, comme il l’avait fait ces derniers mois. Il était toutefois hors de question pour lui de rester à l’écart plus longtemps. Certes, il s’était interdit de rendre visite à Elena au Texas et ne l’avait même pas contacter toute la durée de son séjour chez Harry. Il avait eu peur d’être suivi, d’être écouté, de la mettre en danger jusqu’à ce que Coop lui assure que tout était sous contrôle et qu’elle avait besoin de lui. Il n’avait pas été dure à convaincre : Elle lui avait douloureusement manqué. Le travail lui avait tenu la tête hors de l’eau mais, il désespérait que cette histoire soit enfin derrière eux, afin de pouvoir la serrer à nouveau dans ses bras. Lui reparler pour la première fois au téléphone, lui avait donner l’impression de respirer enfin. C’est comme s’il était resté en apnée tout ce temps, comme s’il avait arrêté le cours de sa vie. Car dès qu’il avait pris la décision de récupérer cette gamine et lui rendre le nom qui était le sien, c’est ce qu’elle était devenue : Sa Vie.

Il voulait que Cooper lui dise la vérité, aussi brutale puisse-t-elle être, « J'ai pas besoin que tu me racontes des histoires, Cooper. Je connais ma nièce et je sais qu’elle ne va pas bien. Dis-moi exactement ce qu'il en est. » Sa voix grave trahissait l'inquiétude qui l'étreignait.

Il connaissait Cooper bien mieux encore que Cooper ne se connaissait lui-même. Ils avaient été coéquipiers sur le terrain, colocataires à l’université puis partenaires au FBI. Il n’avait pas de secret pour lui et même par téléphone, Carl savait quand Cooper lui mentait, et là, précisément, il lui mentait.

Cooper souffla à l’autre bout du téléphone. Carl était guidé par une seule chose, Elena. Il était près à tout sacrifier pour elle. Il n’avait pas toujours compris ce choix. Il se souvenait encore du jour où Carl avait annoncé son départ de l'unité. Il lui en avait voulu, profondément. Comment pouvait-il quitter son rêve, sa vocation, pour une gamine qu'il ne connaissait pas ? Pourtant, avec le temps, il avait fini par accepter et même comprendre. Aujourd'hui, Elena faisait tout autant partie de sa vie que de la sienne, et la voir sombrer à nouveau lui était insupportable. Il avait espéré qu’en se confiant à elle, en partageant leur souffrance, il parviendrait à l’entraîner avec lui vers la surface. Il y avait cru mais, elle semblait lui avoir échappé à nouveau. Cela faisait plusieurs jours qu’ils avaient eu cette conversation à cœur ouvert et depuis, chaque nuit était plus agitée que la précédente. Elle se réveillait tantôt en larmes tantôt en criant mais, chaque fois elle assurait à Cooper que ça passerait. Elle s’obstinait à refuser sa présence à ses côtés, le laissant seul, impuissant de l’autre côté de la porte. Cooper savait qu'il ne pouvait pas mentir à Carl plus longtemps. Il n’avait jamais aimer lui mentir. « Elle refait des cauchemars... »

Le silence s'étira entre eux, pesant. Carl ferma les yeux, le cœur serré. Il avait deviné, mais l'entendre confirmé lui donnait un goût amer en bouche. « Et merde !!! Je savais que quelque chose n'allait pas. Elle a beau prétendre le contraire, je sens bien qu'elle est en train de sombrer. » Son inquiétude était presque tangible.

« C'est peut-être juste l'approche du procès... » suggéra Cooper. « Les procès remuent toujours ce qui reste habituellement tapi au fond de nous. Tu le sais aussi bien que moi. Et puis, la personne contre qui elle témoigne... elle a de quoi perdre ses moyens, non ? »

Carl resta silencieux un instant. Il savait que son ami avait raison, mais quelque chose lui disait qu'il y avait plus, « C'est vrai, mais j'ai peur qu'il n'y ait pas que ça... »

« C'est parce que tu es trop proche d'elle, Carl. Tu n'es pas objectif. Tu sais que ce que je dis est vrai. »

Carl souffla longuement. Cooper n'avait pas tort. C’est pour ça normalement que les proches étaient écartés de l’affaire : les sentiments obscurcissaient leur jugement. Pourtant, cette intuition persistait et tous les raisonnements du monde ne parvenaient y remédier.

« Elle était fragile en revenant dans sa ville natale, » reprit Cooper. « Elle a bien donné le change, c'est vrai. Son frère et son copain l'ont bien aidé aussi à remonter la pente. Je crois qu’Alec lui manque. Elle ne veut pas l’avouer mais, elle était amoureuse. Le quitter pour ce procès lui a fait un mal de chien. »

« C’est vrai. J’ai essayer de lui dire que rien n’était définitif, qu’elle pourrait le retrouver très bientôt. » Il se tût un instance avant d’expliquer, «  Elle ne veut rien savoir parce qu’elle est persuadé de le mettre en danger. Elle croit que ceux qui l’aiment finissent par mourir alors, elle préfère rester loin de lui. »

« C’est débile. » répliqua Cooper sans aucun tact.

Carl serra la mâchoire, réprimant une remarque acerbe.

Cooper sourit, conscient d’avoir touché un point sensible. Il insista, « Tu trouves pas ça débile ?! Tu penses pas qu’elle passe à côté du bonheur en agissant ainsi ? »

Carl réfléchit avant de répondre, il était coincé. Vu sous cette angle, il ne pouvait qu’être d’accord avec son ami, « J’aurais pas dit débile… Mais, tu as raison. Elle n’a pas à se punir pour quelque chose dont elle n’est pas responsable. Ce n’est pas de sa faute si Julia est morte. »

« Et ce n’est pas de ta faute si Cassie est morte ! »

« Alors, c’est là que tu voulais en venir. »

« Ça fait des années que tu fais la sourde oreille quand je te le dis, il serait peut-être temps que tu en prennes conscience. »

« Tu as sans doute raison mais, ça reste difficile. »

« Mais, pas insurmontable. Il faut que vous acceptiez toi et elle que rien de tout ça n’est de votre faute. Ce n’est pas Elena qui tenait l’arme qui a tué Julia, et ce n’est pas toi qui tenait l’arme qui a tué Cassie... »

La voix de Carl se fit plus fragile, « Elle était sous ma protection. »

« Oui, et tu as bien failli y passer toi aussi. Personne n’aurait pu l’empêcher... »

Carl déglutit. Il n’avait aucun argument à opposé à ça.

«  Elena a pu mettre le passé sous le tapis lorsqu’elle était avec Harry et Alec mais, à présent, elle n’a plus d’échappatoire. Elle est obligée de faire face à son passé, affronter sa culpabilité, même si elle n’a pas lieu d’être. J’espère que le procès l’aidera à en prendre conscience une fois que cette crevure sera jugée coupable.Et puis, quand on y réfléchit bien, ça fait même pas un an... Ça prend du temps de remonter la pente après avoir vécu un tel trauma. »

Carl serra les dents. « Elle était pourtant parvenue à retrouver le sourire, putain ! Un vrai sourire ! On aurait dû informer Harry et Alec. Cette relation ne se serait pas terminé ainsi, j’en suis convaincu. »

« Plus il y a de monde au courant et plus le risque de fuite est grand. On ne pouvait pas se le permettre. Et puis, s’ils avaient été au courant, ils ne se seraient pas comporté avec elle de la même façon. Le but, c’était de la couper de ses ruminations, de sa culpabilité persécutive. »

Carl sourit, « Ouah ! Coop ! J’aurais jamais cru t’entendre parler comme ça un jour ! Doug serait fière de toi. »

« Ta gueule ! » répliqua-t-il pour mettre fin à ses railleries. Il s’alluma une clope avant de reprendre, « Elena est la femme la plus forte que j'ai rencontrée. Cette gamine est devenue une femme époustouflante. Elle s'en sortira. »

Carl le pensait aussi, Elena était une femme forte, et pourtant, « Je sais pas Cooper... J'espère que tu as raison. »

« Bien sûr que j'ai raison. Quand ce procès sera terminé, on ira voir son copain s'il le faut pour tout lui expliquer. Il avait l’air complètement accro. Ils se rabibocheront et elle retrouvera le sourire. » insista Cooper « Il faut bien que l’un d’entre nous trouve le bonheur en amour dans c'te putain de famille! Ça me ferait chié de l’admettre parce que j’étais pas son plus grand fan au début mais, son copain a quand même l'air d'un mec bien. »

« Je dois avouer qu'au début moi aussi j'avais de sérieux doute, mais je ne peux que constater les évolutions d'Elena à ses côtés. » concéda Carl.

« Si tu l'aimes pas c'est uniquement parce que justement tu sens que c'est quelqu'un d'important pour elle et que t'as pas envie de partager ton petit rayon de soleil. Mais va falloir que tu t'y habitues vieux frère, Elena c'est plus une gamine et ça depuis longtemps à vrai dire. » s'amusa Cooper.

« Mais ta gueule ! Laisse-moi encore rêver que ma petite nièce est une gamine pure et innocente ! »

Cooper explosa de rire, « Si ça te rassure de le penser, mais je te préviens, le réveil va être dure ! »

« Ok. En tout cas, veilles bien sur ma nièce. Tant que ce foutu procès n'est pas terminé, tout peut encore arriver. » indiqua Carl en reprenant tout son sérieux.

Cooper ne répondit pas tout de suite. Quand il le fit, sa voix était plus grave encore. « Je te le promets, Carl. Je la protégerai, peu importe le prix. Cette gamine... elle est aussi un peu la mienne. Il est hors de question que je la laisse tomber. »

Carl acquiesça, « Je compte sur toi, vieux frère. »

Lorsqu'il raccrocha, Cooper resta un instant immobile, le téléphone toujours en main. Il avait tenté de rassurer Carl, autant qu'il avait tenté de se rassurer lui-même. Mais dans le fond, une angoisse sourde le rongeait. Il avait peur. Peur de la perdre lui aussi. Et il n'avait jamais eu autant raison d'avoir peur.

Il écrasa sa clope avant de retourner au salon où Brian patientait devant un match de la NFL. « Elena n’est toujours pas sortie de sa chambre ? »

C’était davantage une question qu’une constatation mais, Brian y répondit « Non, toujours pas. Peut-être qu’elle dort ? »

« Je crois pas. » Devant la perplexité de son jeune collègue, il précisa, « sinon on l’aurait entendu faire un cauchemar. Désormais, elle en fait dès qu’elle ferme les yeux et vu sa réaction, ils sont violent.
Brian lu l’inquiétude sur le visage de Cooper. Il ne sut pas quoi dire toutefois pour le rassurer, il n’y avait rien à dire.

De l’autre côté de la porte porte, Elena restait prostrée sur son lit, assaillie par la peine et la culpabilité. Dès qu'elle fermait les yeux, la photo d'Alec surgissait, impitoyable, imprimée dans son esprit comme une marque indélébile. Son visage, tuméfié et ensanglanté. Cette photo, ce maudit cliché, la hantait sans répits.

C'était sa faute, encore une fois. Une pensée venimeuse, qu'elle ressassait sans fin, creusant peu à peu son esprit. Si elle était restée loin d'eux, Alec serait encore libre. Il ne souffrirait pas à cause d'elle. Il ne serait pas là-bas, entre leurs mains. La culpabilité s'insinuait dans ses veines comme un poison, l'emplissant d'un désespoir poisseux contre lequel elle n'avait plus la force de lutter.

Elle avait tenté de donner le change. Offrir un sourire lorsqu'il était attendu, prétendre aller mieux lorsqu'on l'interrogeait, parler de Julia même si cela lui donnait chaque fois la nausée, se forcer à respirer même quand l'air lui manquait. Elle savait que Carl, Cooper et les autres la surveillaient, qu'ils scrutaient ses moindres réactions, inquiets de la voir vaciller. Elle se sentait perdue, piégée. Elle ne savait pas comment sauver Alec et elle craignait qu’en révélant la situation, ils mettent à exécution leurs menaces. Elle était épuisée, affaiblie et incapable de raisonner. Tous ceux qu’elle aimait finissaient par mourir...

Cooper l’entendit sangloter de l’autre côté de la porte, lui aussi avait l’intuition persistante que quelque chose lui échappait mais il ne parvenait pas à savoir quoi.

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