Chapitre 45.

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Chapitre 45

« Anak ! »

Sibéal, éberluée et penchée sur le pont à bâbord, cligna des yeux sans comprendre. La Sioux ne l'avait pas entendu, le grondement sourd des vagues qui s'écrasaient contre l'énorme rocher couvrait tous les autres bruits. Elle n'était qu'une minuscule coquille à la merci de l'océan. Elle discerna dans les remous de larges formes sinueuses s'entortillant autour de son embarcation alors que la mer menaçait de l'envoyer dans les abysses.

« Qu'est-ce qu'elle fiche ?! cria Nialh par-dessus le vent. »

Le Modsognir, toutes voilures dehors, avait déjà dépassé leur amie. Son regard s'abima dans l'écume des vagues sans parvenir à retrouver Anak. Son cœur se serra d'inquiétude, elle avait disparu et Murdock n'avait pas faibli l'allure.

« Je ne sais pas, souffla-t-elle. Yakta doit avoir un plan...»

Soudain, le rocher et l'horizon disparurent. Le voilier perça le brouillard avant d'être aussitôt enveloppé par celui-ci. Instantanément sa chevelure se gorgea d'humidité, se collant à son front. Des gouttelettes perlèrent sur ses verres. L'air se fit épais, froid, presque glacial. Sibéal ne voyait pas à cinq mètres, seule la vision naine de Murdock leur permettait de ne pas heurter un obstacle en maintenant cette cadence. Oriag avait vérifié la météo et les courants marins de cet endroit. Il n'y avait aucune possibilité pour que cette chape nuageuse épaisse soit d'origine naturelle. Elle se raidissait d'appréhension au fur et à mesure que les minutes s'égrainaient. La mer maintenant étrangement calme, aussi lisse qu'un miroir, lui nouait la gorge d'une bile amère qu'elle n'arrivait pas à avaler.

«Nodens. »

Le juron de Nialh attira aussitôt son attention. Là, dans les vapeurs blanches de la brume, se découpait la forme d'un navire. Sa coque était rouge. Son cœur s'arrêta dans sa poitrine un instant. Elle avait espéré jusqu'au dernier moment que c'était un cauchemar, une ombre tissée dans le brouillard. Mais il était là, comme un spectre revenu les harceler.

« Le Kozak... 

- Mais comment c'est possible qu'ils soient là ? Ils ont réussi à retirer la marque d'Ulmer ? Fit Nialh la voix nouée.

- J'imagine que les sirènes à bord ne doivent plus avoir de scrupule à se tenir à l'écart, depuis que Valérian a violé leur contrat…

- Génial... »

Une rafale de coups de feu la fit s'accroupir aussitôt sur le pont, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Ses sens se mirent instantanément en alerte. Elle glissa un œil par-dessus le pare-battage. Elle ne discernait qu'avec difficulté la coque du Yak. Nialh lui agrippa la main, elle lâcha la drisse et ils se précipitèrent à l'intérieur. 

A la barre, Murdock positionna le Mod face au vent pour réduire leur allure. Le casque sur les oreilles, Oriag jouait avec la molette de la radio en espérant capter un nouveau message de Yakta. Elle secoua la tête, les traits crispés, en direction d'Apollo. Il avait la mâchoire serrée d’inquiétude. Les armes de sous la banquette avaient été sorties, constata Sibéal avec amertume.

« On a plus de réponse du Yak, souffla la navigatrice. Chad a... apparemment des membres du Kozak sont à bord.»

Il y eut à nouveau un coup de feu qui perça le silence du cockpit. Sibéal blêmit.

« On fait quoi ? demanda Nialh d'une voix blanche. 

- Mettez vos gilet de sauvetage, ordonna Murdock, on va s'approcher.

- S'approcher ? Répéta-t-il. Ils vont nous voir !

- On est pas là pour jouer à cache-cache. 

- Tu veux monter sur le Yak ? Demanda Oriag éberluée.

- Sur le Kozak.

- Aborder le Kozak ? S'irrita son frère, et on va faire comment hein ? C'est pas Pirates des Caraïbes au cas où t'aurais pas remarqué !

- Faut mettre hors jeu le pilote, coupa-t-il en s'adressant à Apollo. »

Le bantou avait gardé le silence jusque-là, semblant ne pas tergiverser sur ce qu'il fallait faire. Il savait ce qu'il avait à faire pour mettre à bien le plan de Murdock. Sa poigne refermée sur la crosse de son arme révélait toute sa détermination. Sibéal tressaillit en songeant à l'extrémité à laquelle il était rendue. Une rafale de balles déchira le brouillard devant eux.

« Allez, on se magne ! ordonna Murdock. »

Sibéal et Nialh échangèrent un regard craintif. La dernière fois... Elle se fit la promesse de le protéger, de ne pas le lâcher des yeux. Elle opina du menton vers le demi-nain et enfila son gilet de sauvetage. Ses mains tremblaient imperceptiblement en serrant les lanières pour l'ajuster. Apollo leur tendit respectivement une arme, elle la glissa entre les sangles de son gilet. Elle sentait ses genoux soudainement faibles, le poids du pistolet lui paraissait comme une enclume à sa hanche.

« Faudra être rapide, murmura Oriag, dès qu'ils vont nous voir... »

Apollo hocha la tête, le visage fermé et intensément concentré. Il semblait avoir rejeté toute émotion parasite au fond de lui. Il grimpa le premier sur le pont, suivi par Nialh moins assuré. Sibéal fut saisie par le poids du brouillard, presque suffocant. Il était moite d'une eau étonnamment salée sur ses lèvres. Les poils de son bras se hérissèrent, l'air était aussi froid que malaisant. Elle s'accroupit pour s'attacher consciencieusement à la ligne de vie. Murdock passa la tête par l'ouverture du cockpit. Sa mine était tendue.

« Faut l’avoir du premier coup.

- Il va falloir s'approcher très près... souffla-t-elle.

- Et faudra virer de bord le plus vite possible. 

- D'accord... assura-t-elle sans grande fermeté, quand est-ce que je donne le signal ?

- Dès qu'Apollo tire, Nialh et toi vous virez direct de bord. Tu attends pas, tu lâches le génois!... Ça va tanguer pas mal.»

Il se pencha vers elle, et vérifia le cran de sécurité de son mousqueton autour du cordage de vie. Elle fut saisie d’un tremblement. Il planta ses yeux dans les siens, elle ne savait pas si c'était pour la rassurer mais elle n'était pas du tout apaisée par l'afflux d’inquiétude qu'elle lisait dans son regard.

« Fais attention, okay ? »

Son cœur lui envoya une décharge de panique. Elle hocha la tête, et donna un coup sec sur la corde pour vérifier son nœud. Elle était bien attachée au Modsognir. Elle lui adressa un faible sourire.

« ça va aller, promit-elle. »

Elle referma l'ouverture du cockpit sur lui et se redressa avec raideur. L'étrangeté de ce vent qui n’irisait pas la surface de l'océan la mettait mal à l'aise. Elle se saisit d'un cordage pour atteindre le mat de la grand-voile. Nialh s'était assis, le winch était en place dans l'enrouleur. Il la fixait et attendait son signal pour abattre le phoque. Apollo s'était posté à tribord près de la proue. Il avait posé un genou sur le pont, tandis que l'autre servait de support à son coude. Il se concentrait sur la visée. Ses muscles étaient bandés par l'effort de rester immobile. 

Sibéal se dressa à bâbord, et se pencha par-dessus le bastingage. Sa main s'agrippa à une corde de la grande voile. Elle sentit le Modsognir prendre sensiblement de la vitesse. Le Kozak et le Yak se rapprochaient maintenant très vite. Son ventre était devenu aussi dur qu’une pierre. Sa poigne se raffermit sur le bout. Il y avait un silence angoissant autour des deux bateaux. Les cordes du Kozak se discernaient maintenant, bientôt le filet du catamaran serait tout aussi net. Sibéal se courba un peu plus, les yeux fixés sur la bordure du phoque.

« Maintenant ? s'écria Nialh.

- Plus près ! »

La voix d'Apollo avait claqué. Sibéal sentit la crispation de son frère enfler, alimentant un peu plus la sienne. Il y eu un mouvement sur le Yak. Elle tourna son attention vers l'agitation. Elle pouvait presque voir qui c'était, elle plissa les yeux. Etait-ce Moh... Chad ?

« COUCHEZ-VOUS ! S'exclama Apollo. »

Le coup de feu déchira la brume. Sibéal se jeta sur le pont, abandonnant la drisse à la bourrasque. Le ventre plaqué sur le pont humide, son sang grondait à ses oreilles. Ses yeux se portèrent frénétiquement sur son frère. Sa respiration se relâcha aussitôt. Il était là, en sécurité dans le cockpit, courbé sur le winch.

« Maintenant ?! beugla-t-il. »

Apollo ne prit pas la peine de répondre, l'œil derrière la visière. Nialh eut un juron celtique. Sibéal se redressa en tremblant. Il fallait qu'elle ait les yeux sur la voilure pour la manœuvre, ils ne pouvaient pas rater le moment. Son frère la fixait avec angoisse, conscient qu'elle s'exposait ainsi à Vern. Les membres de Sibéal bourdonnaient d'adrénaline et de peur. Le Kozak était si proche, elle voyait maintenant que c'était Jasper derrière la verrière, tenant la barre. Et sur le pont du Yak, Vern rechargeait son arme. Elle n'arrivait plus à respirer. Vite, vite. Le « clac » de son arme signala qu'elle était à nouveau opérationnelle. Une vague de panique monta en elle. A cette distance, il pouvait l'atteindre.

« APOLLO ! Hurla Nialh. »

Le coup partit. La verrière du Kozak éclata en morceaux et Murdock redressa le navire. Sibéal se pencha en avant. Le phoque s'affalait.

« Maintenant ! cria-t-elle à son frère. » 

Il relâcha la tension de la voile, celle-ci claqua dans le vent en s'agitant dans tous sens comme un oiseau prit dans un piège. Sibéal bondit dans le cockpit et se saisit de la drisse à tribord. Elle tira dessus de toutes ses forces. Le génois passa de l'autre côté de la grand-voile. Une rafale de balles au-dessus de sa tête. Elle manqua de lâcher la corde. Celle-ci glissa un instant entre ses doigts, elle les referma frénétiquement sur elle. Le frottement arracha sa peau en une brûlure douloureuse. Elle poussa un cri, les doigts crispés et irrités. Surtout ne pas la lâcher.

Nialh fut enfin à ses côtés. Il enfonça brusquement le winch, donna deux tours énergiques dans l'enrouleur. La drisse se bloqua, les doigts de Sibéal s'écartèrent, écarlates et boursouflés. Le Modsognir vira brutalement de bord en un mugissement de coque et de voile. Tout à coup, le navire gîta dangereusement sur tribord. Sibéal et Nialh furent projetés l'un sur l'autre de l'autre côté du cockpit. Le choc lui coupa le souffle. Les balles de Veirn s'écrasèrent contre la coque en aluminium en un écho sourd. 

Apollo se redressa, ferma l'œil gauche et tira à nouveau. Sibéal, lovée sous la grande-voile se boucha les oreilles. Le vent faisait enfler le génois et prendre de la vitesse au bateau. La grand-voile était transpercée d'impacts de balles. Le voilier s'arracha de l'angle de visée du Kozak. Apollo tira encore.

« Tu l'as eu ? cria Nialh.

- Aucune idée ! »

Tout à coup, il y eut un cahot brutal. Il résonna depuis la coque pour vibrer jusqu'à la pointe des voiles. L'onde de choc fit s'affaisser le bantou sur le pont. Un mugissement, comme une lente et ample complainte d'animal, résonna jusque dans la poitrine de Sibéal. Le chant n'avait rien de celui d'une baleine. Il la glaça jusqu'à l'os.

« C'était quoi ce truc ?  S'exclama Nialh. »

Elle se redressa difficilement, les jambes cotonneuses. Le navire gîtait dans un angle si aigu qu'il était impossible de tenir debout. Elle parvient à atteindre le bastingage opposé et, courbée en deux, jeta un coup d'œil par-dessus. Son souffle se bloqua dans sa gorge. 

Ulmer ne s'était pas débarrassé de la marque.

Il y avait, là sous l’eau, une masse plus large qu'une baleine, aux écailles noires et nageoires bordées de palmes pointues. Elles ne reflétaient aucune lumière. La tête de la chose était d’une forme anormale. Plate et allongée comme celle d'un reptile. Elle semblait dépourvue d'yeux. Le monstre tournait comme une murène dans son ornière autour du Yak et du Kozak. Sibéal se précipita vers l'intérieur du Mod et manqua de percuter Murdock au milieu de l'échelle.

« ça va ? lâcha-t-il d'une voix blanche. »

Elle lui agrippa aussitôt les avants bras, livide. 

« C'est... c'est un monstre. Comme le Jormungand, comme... comme Muturangi ! 

- Ils... ils vont se faire couler ! Fit Nialh, blême, derrière elle.

- Faut aller les aider ! Lâcha-t-elle en plantant ses yeux dans celui de Murdock, ils ne peuvent pas s'occuper d'Ulmer et du monstre !

- Polochon ! aboya le demi-nain. »

Le bantou se dressait derrière Nialh, se massant la nuque avec une grimace.

« Tu l'as eu ? 

- J'en sais rien, avoua-t-il d'une voix inquiète. Pas sûr.

- Okay, le rabroua vivement Murdock, faut leur enlever cette épine du pied. 

- Et on va faire quoi ? On va lui tirer dessus ?! Cria Nialh d'une voix aigu, c'est du suicide !

- J'attends tes propositions, rétorqua sèchement leur capitaine.

- Et on fait quoi une fois qu'elle nous aura repéré ? On la harponne comme si c'était une baleine ?!

- Ben tu vois, même pas besoin de t'expliquer.

- Je rêve....

- Faut se préparer à virer de bord très rapidement, coupa la voix d'Oriag depuis la barre. Une fois que la chose nous aura repéré, on pourra l’entraîner plus loin ! 

- On peut pas s'éloigner d'Ulmer, répliqua Sibéal, la chose est attirée par lui. Et il est sûrement sur le Yak… »

Sibéal espérait que Yakta n'était pas mauvaise posture de son côté. Elle se rappelait très nettement des mains de cet homme sur le cou d’Anak, la flamme de fureur dans ses yeux. Wanda et Moho devaient avoir été mis à l'abri, un abris relatif mais... Yakta n'avait plus Anak sur son navire et devait faire face à Ulmer et Vern, et peut-être Jasper…, uniquement secondée par Chad. Est-ce qu'Apollo avait réussi à leur donner un avantage ? Son cœur se serra. Ils n'avaient aucun moyen de le savoir.

« Yakta va gérer, assura Murdock. Elle est coriace.»

Elle hocha la tête dans sa direction. Ils n'avaient pas le choix que de croire en les compétences, le sang-froid et l'intelligence de la capitaine du Yak. 

« Polochon, va chercher le lance-harpon. »

OoOoOo

« Prêt ! 

- Prête ! »

Le Modsognir voguait, presque couché sur le flanc. Il longeait les deux autres navires, montrant sa coque aux canons de Vern et Ulmer pour protéger les trois membres de l'équipage sur le pont. Sibéal s'était dressée devant Nialh, elle pouvait sentir le plat de sa main la stabiliser alors qu'elle se penchait pour observer le génois. Ainsi courbée, elle sentait les éclaboussures de l’océan sur ses joues. Le vent avait forci mais la mer restait terriblement plate, comme une tache d'huile. La forme sous la coque du Yak se discernait à peine dans les eaux sombres, c'était une masse énorme. Dès que le Yak tentait de s'éloigner, elle émettait des plaintes rauques. Un chant fait de claquements aigus et de gémissement furieux qui vous pénétrait comme une aiguille dans la poitrine. 

Sibéal tentait de rationaliser ce comportement, pour calmer l’angoisse qui rampait derrière les gestes familiers. Ce lugubre chant n'était émis que lorsque les navires s'éloignaient. C'était sa manière de les repérer, la chose paraissait aveugle.

Apollo s'était couché sur le pont à bâbord, calé entre un pare-battage et le mat de la grande voile pour ne pas glisser de l'autre côté du bateau sous l'effet de la pente. Il avait armé le lance harpon et ne bougeait plus. Il attendait le signal de Sibéal. Elle s'abreuva de son calme, s'y accrochant avec avidité. Elle essaya de ne pas penser à la fragilité de leur plan, à la stupidité de celui-ci et sa dangerosité. Ils n'avaient pas le temps. 

Un mugissement fait de claquements et de cliquetis déchira le rugissement des bourrasques. Elle se tourna vers la chose, et se tétanisa. Un hurlement d'horreur se bloqua dans la gorge. 

« Sibéal... »

La main de son frère serra douloureusement sa ceinture. La masse s'était dressée, fendant la mer pour présenter sa face à la surface. Elle était d'un vert noir, dépourvue de bouche et d'yeux. Une bête innommable. Le monstre échappa un nouveau mugissement et, dans une lenteur terrifiante, sa tête se divisa en six épaisses membranes acérées d'ivoire luisant. 

Bouche-bée, Sibéal resta statufiée devant cette vision sortie des cauchemars du monde. Brisant ce lent éveil, les membres tortueux se plantèrent alors brutalement dans la coque du Kozak. L'enveloppant dans une étreinte mortelle, faite de tôle fracassée et de verre brisé. Le mugissement se fit de plus en plus aigu, frétillant d'un plaisir macabre qui perçait les tympans.

Comme répondant à l'appel, la mer s’éveilla soudainement dans un déchaînement animal. 

« Attention ! Cria Apollo en s'accrochant au bastingage. »

Une vague, telle une avalanche, s'abattit sur le Mod. Sibéal poussa un cri, et manqua de basculer à l'eau, rattrapée par sa ligne de vie et la poigne de son frère. Il était livide et tremblant. Elle n'avait aucune parole de réconfort à lui offrir. Il était au bord des larmes. Aucun d'eux ne voulait mourir, ils allaient s'en sortir. Ils allaient s'en sortir se répétait-elle comme un mantra.

Une forme bondit du Kozak, se jetant sur le Yak alors qu'un bruit de tôle froissé couinait atrocement dans l'air. Jasper, le bras en sang. Il y eut un coup de feu et il s'effondra sur le pont hors de la vue de Sibéal. La mer se fracassait contre la coque du Mod, la coque vibrait sous la pression. Ces ondes remontaient jusqu'aux racines des cheveux de Sibéal. Elle fixa le spectacle du Kozak, avalé par le monstre. Leur voilier lui sembla bien fragile. Cette pensée la terrifiait. Ils n’avaient nulle part où fuir.

Elle le sentit alors, par-dessus les vagues, le vent et l’angoisse. Ce mouvement familier qu'elle reconnaissait toujours instantanément. Murdock barrait face au vent.

« ON CHOQUE ! »

Nialh engagea la manœuvre, libérant la drisse. Le navire retrouva aussitôt son horizontalité, les offrant à la vue de Vern et Ulmer. Apollo tira sur la créature, ré-arma et tira à nouveau. La voile s’agitait frénétiquement devant, puis passa à bâbord. Le navire tanguait avec maladresse... Sibéal était tendue, attentive à son balancement... Maintenant ! 

« BORDE ! »

Nialh se jeta sur le winch et borda du plus fort qu'il pu la corde. Elle se précipita pour lui porter main forte. Vite, vite, vite ! Le génois affalé se tendit en un sifflement sec. Apollo se dressa alors, ré-arma et visa avec soin. Le harpon fila droit sur la créature.

Un mugissement blessé leur transperça le crâne. Sibéal porta ses mains à ses oreilles, en gémissant. C'était trop intense, comme une épingle enfoncée dans ses tympans. Elle tomba à genoux, que ça cesse, que ça cesse... pitié que ça cesse. 

Le vagissement devient alors rauque, étouffé sous les flots où la créature blessée s'était immergée. Elle redressa la tête. Apollo tenait en joue le gargouillis de bulles où elle avait disparu. Le cœur de Sibéal battait à cent à l'heure. Elle ne discernait plus rien sous la surface. Un calme glacial la saisit alors qu'autour la mer s'agitait avec colère. L'écume grondait furieusement, les vagues se fracassaient contre la coque du Modsognir et du Yak. Le Kozak sombrait.

« C'est parti ? Souffla Nialh avec espoir.

- Apollo ! »

Le bantou releva les yeux. Allongé sur le toit du cockpit, Chad le dévisageait par-dessus sa propre arme. Apollo relâcha un soupir. Il eut un lumineux sourire de soulagement. 

« Tout est sous contrôle ? lança-t-il dans sa direction. 

- Comment vont les autres ? ajouta Sibéal. »

Il n'eut pas le temps de lui répondre. Bondissant des remous de la mer, la chose se dressa entre eux dans toute son énormité. Ses longues membranes formant sa tête, toutes dressées vers eux. Elle poussa un rugissement colérique, dardant ses dents dans la direction du Mod. Sibéal sentit ses membres défaillir, une sueur froide lui lécha le dos. Nodens... Ils n'allaient pas s'en sortir. 

La voix de Chad déchira ses pensées.

« APOLLO ! »

Les langues noires s'abattirent sur eux, elle n'eut pas le temps de hurler. Murdock avait barré violemment à tribord. Elle fut projetée de l'autre côté du navire, sa cheville se prit dans un angle contondant. Sa tête alla cogner sur le pont. La ligne de vie lui scia la poitrine. Nialh et Apollo roulèrent à ses côtés. 

Le Modsognir était presque presque à la verticale. En retombant, les membres du monstre avaient généré une vague qui s’abattit comme une gifle sur le pont du voilier. Sibéal cracha l'eau salée. 

Le génois se gonfla, envoyant plus de vitesse dans l'allure du navire. Le Modsognir se décrocha du piège du monstre. 

« J'crois que tu nous l'as énervé, lâcha Nialh livide. 

- Vous le voyez ? souffla Sibéal. »

Le vent hurlait maintenant dans les voiles, comme s'il allait les déchirer de sa fureur. Les anneaux de métal ne cliquetaient plus, tendus sous l'effort pour retenir le phoque. Le cordage vrombissait derrière les bourrasques. La coque-même frémissait. Sibéal scrutait avec frénésie parmi les vagues, les écumes bouillonnaient l’empêchant de percer la surface. L'angoisse lui serrait la poitrine, ça allait revenir. Ça allait forcément revenir.

Elle les perçut alors, remontant des abysses comme un chant funèbre. Les cliquetis aigus et la plainte rauque. Elle eut envie de pleurer. Apollo chargea le lance harpon, Nialh sortit son arme. Elle se sentit faire de même dans un mouvement maladroit et tremblant. Ses cheveux battaient violemment ses joues, se collant aux verres de ses lunettes. 

« Là ! »

Elle pointa dans la direction que désignait Apollo. La masse avait bondi hors de l'eau, et hurlait en dardant ses langues sur eux. Aussi haute qu’une montagne. Elle abaissa son arme, terrifiée. ça ne servait à rien contre ça. Le bantou tira. Le harpon alla se planta dans une de ses épaisses et tortueuses membranes. Un cri aigu, furieux. La chose abattit ses langues sur eux. Emportant avec elle une lame de plusieurs mètres. 

Sibéal fut soulevée du pont, percuta le mat. Et resta à terre, sonnée. Il y eut un choc énorme, et un claquement. L’anneau de l'écoute se brisa. La baume, libérée, vola à tribord. Non..

« NIALH ! »

Il était déjà à terre, elle se coucha sur lui pour le protéger de l'impact. Le nez niché dans sa chevelure. La baume, mortelle, passa à quelques centimètres de sa tête. Puis, il y eut un craquement sec. Elle releva le visage, écarquilla les yeux d’horreur. La baume avait été arrachée du bateau, emportant avec elle la grand-voile, dans un déchirement sec. Sibéal resta, tétanisée, à fixer l'étoffe blanche être emportée dans le tréfonds de la mer. Le Modsognir était fatalement amputé. 

Ils ne pouvaient plus fuir.

« Apollo ! »

Nialh rampa vers leur ami. Le bantou avait perdu des couleurs et serrait en grimaçant sa cuisse. Un liquide rouge vif suintait d'entre ses doigts. Sa respiration était saccadée, de la sueur perlait de son front. Les yeux de son frère se gonflèrent de larmes. Sibéal arracha un morceau de ce qu'il restait de la grand-voile. Le muscle était déchiqueté, une dent avait dû s’y planter. Elle enveloppa sa blessure béante, serra fermement en arrachant un gémissement à Apollo. Le blanc se colora de pourpre aussitôt. 

Son frère était mutique et livide, serrant la main d'Apollo. Il respirait avec difficulté.

Le monstre avait laissé des écorchures dans les voiles, et éventré le pont de trous béants. La proue, brisée, ne tenait plus à rien. L'eau allait s'infiltrer dans le voilier et les emporter dans les abysses. Comme une gifle en pleine figure, ce constat fit se ressaisir Sibéal. 

La chose était aveugle, elle ne pourrait peut-être pas les discerner s'ils sautaient à l'eau. Elle était agitée, dangereuse mais... Quant aux autres créatures qu'avait ramené Ulmer, elle songea aux serpents autour du zodiaque d'Anak.... La chose allait revenir. Ils n'avaient pas le choix.

Elle se releva et chancela entre les débris, les jambes cotonneuses, jusqu'à l'ouverture arrachée. Elle se glissa précautionneusement dans le cockpit, une odeur humide et salée s'élevait. Elle fut saisie d'une appréhension angoissée. Les semelles de ses chaussures furent trempées en un instant. 

Elle trouva Oriag, la respiration sifflante, affalée sous la table de navigation. Elle se tenait la poitrine en grimaçant. Murdock, une coupure au milieu du front se redressait lentement. Sibéal relâcha sa respiration, goûtant un instant au soulagement.

« Le Mod sombre. Il faut partir !

- La... la créature ? Dans l'eau ? Siffla Oriag.

- On a pas le choix, secoua-t-elle la tête, c'est ça ou couler avec le bateau. Elle... elle est aveugle. Je crois…

- Le zodiaque ? Lâcha Murdock en posa sa main sur son front rougi. Les gilets de sauvetage ?

- Dans la cale, elle... elle est sous l'eau. »

Une ombre douloureuse traversa le visage de Murdock. Elle lui laissa le temps de digérer en aidant Oriag à grimper à l'échelle jusqu'au pont. La navigatrice souffla qu'elle s'était cassée quelques côtes en tombant contre la table des instruments. Nialh, blême, prit le relais de sa sœur à mi-parcours. Il attacha vivement deux pare-battages de fortune autour des hanches d'Oriag, sans cela c'était la noyade. L'océan rugissait avec colère autour d'eux. Les vagues sur le pont rampaient, de plus en plus près, toujours plus avides.

« Faut en finir. »

Sibéal se retourna vers Murdock, plantée dans le cockpit. Elle eut un frémissement inquiet. Les deux autres le dévisageaient.

« Le Mod coule, souffla-t-elle.

- Pas sans noyer cette horreur avec lui, asséna-t-il. Ya aucun abris ici. On va y passer.»

Elle se tut, elle reconnaissait parfaitement cette expression bornée. Une poigne glacé lui serra le cœur, un boule se noua dans sa gorge. Sa décision à elle s'imposa aussitôt dans son esprit, avant même que son frère n'éclate :

« Non mais t'es malade ? Tu vas y rester !

- Un capitaine ne quitte pas son navire, lâcha-t-il avec un ton faussement léger.

- Ça suffit l'humour à deux balles et l'orgueil mal placé bordel ! cracha Nialh. Capitaine ou pas, tu vas sortir ton cul de nain du cockpit !

- Vous deux, occupez-vous de sauver les miches d'Oriag et Apollo, l'ignora-t-il. »

Oriag grogna sans arriver à formuler la moindre parole, la respiration trop laborieuse. Le poing serré sur la poitrine. Nialh, furibond, passa son bras sur ses épaules et la releva. Sibéal resta plantée à côté de Murdock, lui adressa un regard désolé. Son visage se décomposa.

« Non, Sib. Non, tu viens avec nous.

- Je peux pas...

- Sib, frémit Murdock avec menace. »

Elle lui adressa un regard aussi vif et buté que le sien. Soit il acceptait de venir avec elle, soit elle restait sur le Modsognir avec lui. Hors de question de l'abandonner. La simple idée de le laisser se noyer avec son vaisseau lui donnait envie de vomir. Elle ne pourrait pas vivre avec. Le demi-nain posa fermement sa main sur son épaule, prête à lui sortir ses meilleures arguments dans un langage fleuri. 

Soudain, les claquements et cliquetis, la plainte rauque. Elle crut défaillir. Si tôt, beaucoup trop tôt.

« ça revient, fit son frère lugubrement.

- Nialh, on n’a plus le temps ! Il faut sortir Oriag et Apollo ! On est juste derrière toi. 

- Sibéal...

- Je te promets qu'on va s'en sortir. »

Il secoua la tête, les larmes roulaient en torrent sur ses joues. Il avait l’air d’avoir huit ans à nouveau. Elle lui sourit avec affection. Il se détourna brusquement, fusillant du regard Murdock. Elle lâcha un soupir soulagé en le voyant sauter par-dessus bord, Apollo chancelant à ses côtés et Oriag contre lui.

« Sibéal.

- On a plus le temps, coupa-t-elle avec douceur. »

Il la dévisagea avec colère. Le cliquetis se faisait de plus en plus frénétique, l'eau leur arrivait à la cheville.

« C'est quoi ton plan ? »

OoOoOo

Sibéal détachait rapidement les planches du sol du cockpit, bazardant les bacs de denrées, pâtes, riz et autres fruits secs, jetés à terre sans arrière pensée. Elle cherchait à atteindre le moteur, accessible sous la barre du Modsognir. Les claquements et cliquetis harcelaient ses oreilles. La bête chantait sa menaçante complainte, sans se décider pour autant à finir de faire sombrer le navire. Elle espérait que ce n'était pas Nialh, Apollo et Oriag dans l'eau qui avaient attiré son attention. Elle tentait de se convaincre que la chose était aveugle, que la masse du Mod camouflait son équipage des dents acérées du monstre marin. 

Balançant un paquet de biscuits par-dessus son épaule, elle parvint à détacher une dernière planche et atteint enfin ce qu'elle cherchait. Le moteur, encore tiède, était là.

« Murdock ! C’est bon !

- Le fond est atteint ? 

- Je crois qu'il est sec.. le tâta-t-elle. »

Murdock se pencha par-dessus son épaule et vient passer lui-même la main contre la paroi de plastique protégeant la cale intérieure et le moteur. Un froncement concentré se dessina sur son visage. Il hocha la tête.

« Je vais chercher le bidon d'essence, se redressa-t-elle aussitôt.

- Fais gaffe, okay ?

- Je fais au plus vite. »

Elle abandonna Murdock au démembrement du talkie-walkie et se précipita dans le couloir. Un choc sous ses pieds la déséquilibra brusquement, un second l'envoya bouler brutalement en bas de l'échelle. Elle s'étala à terre dans un bruit d'eau. Elle redressa la tête et cracha l'eau salée entrée dans sa bouche et son nez. La chose poussa un cri ravi, comme si cette lente mise à mort l'amusait. Ce ronronnement sordide vrombissait sous la coque, juste sous ses paumes. Il la saisit d'effroi. Ne pas perdre son calme, ne pas perdre son calme…

La voix de Murdock perça depuis le cockpit.

« SIB ! Ça va ? »

Elle se releva, grimaça l’affirmative en s'appuyant au mur. Elle claudiqua maladroitement jusqu'à la cale. L'eau montait de plus en plus vite dans un gargouillis aqueux. Elle atteignait ses genoux. La porte ouverte de la chambre d'Apollo dévoilait un spectacle qui la dévasta un court instant. La paroi extérieure était enfoncée, les livres et affaires du bantou tombés à terre flottaient imbibés d'eau devant la penderie vomissant les vêtements. Son foyer allait disparaître pour toujours.

Elle tressaillit, puis se fraya difficilement un chemin dans la masse d'eau et parmi les débris flottant. Elle s'extirpa lentement du couloir pour atteindre l'ouverture de la calle dans l'obscurité. La paroi tribord était crevée par une ouverture de la taille d'un ballon de handball. Et un ruisseau vrombissait par l'ouverture, inonda la soute jusqu'à sa taille. Les étagères tenaient toujours mais la sécurité avait sauté et leur contenu s'était répandu sous l'eau. Elle descendit et s'enfonça jusqu'aux hanches, passant ses mains sous l'eau avec précaution. 

Le chant persifla, perçant la coque. Si proche… Puis, un reflux. Elle se figea. Il y eut un long silence. L'effroi la saisit instinctivement. Vite. Elle se mit à tâtonner précipitamment quand soudain, le navire roula à bâbord. Elle glissa dans l'eau, s'accrocha à une barre d'étagère pour ne pas percuter la paroi tribord. La masse d'eau captive s’abattit sur elle. Elle toussa et reprit ses esprits en sentant la coque en aluminium autour d'elle se contracter, se recroqueviller sous une pression menaçante. Des lames d'ivoires transperçaient les parois et serraient, serraient le Mod dans une étreinte mortelle. Elle allait finir écraser. 

Horrifiée, elle se mit à chercher frénétiquement le bidon d'essence. Ses doigts finirent par l'effleurer. Elle tira dessus vivement avant de tomber à nouveau dans l'eau sous le poids. Elle se redressa, battant des bras alors que l'eau lui arrivait à la poitrine. La cale couinait sous la pression en un son métallique. Il se mêlait aux claquements stridents et rageurs du monstre. Elle ne voulait pas y rester, elle ne voulait pas finir là. Elle tira à nouveau furieusement, le bidon tressauta. Coincé.

« Allez ! cracha-t-elle irritée, Nodens, ALLEZ ! »

Elle banda tous ses muscles et déploya une force qu'elle ne soupçonnait pas. Le bidon se dégagea brusquement, son élan l'entraîna à la renverse sous l'eau. Elle resurgit vivement en battant des bras. Le plafond ployait dangereusement au-dessus d'elle. Vite, vite.

Elle poussa sur la chambranle de la porte pour parvenir à atteindre le couloir. L'eau montait jusqu'à ses épaules. Elle avançait difficilement, les doigts crispés sur le manche du bidon, la respiration saccadée. Une odeur de sel lui brûlait le nez. Elle crachait l'eau de mer en nageant avec encombre. Un bruit aiguë derrière elle. Elle jeta un œil, trop d'eau. Elle ne vit rien. Un bruit d'éclaboussure lui fit relever la tête. 

« Sib !

- Murdock ! La cale, elle...

- Je sais, je sais ! Faut se magner ! »

Il posa sa main sur la sienne pour empoigner le bidon d'essence et l'extirper hors de l'eau. Ensemble, ils parvinrent jusqu'à la porte menant au carré. Tout était inondé, la kitchenette se noyait. Son mug préféré flottait encore entre des paquets de chips. Le cockpit ne lui avait jamais paru aussi loin. Un craquement horrible retentit derrière elle, et un fracas assourdissant déchira l'intérieur du carré. L'angoisse devint panique.

« Te retourne pas, lâcha-t-il d'une voix autoritaire. Monte ! »

Sans attendre, elle grimpa à l'échelle jusqu'au cockpit, se retourna vers lui pour l'aider à hisser le bidon d'essence. L'eau avait atteint déjà le cockpit, et y dévalait à une vitesse hallucinante depuis l'extérieur du navire. Les cartes marines flottaient parmi les éclats de bois. Murdock ouvrit le bidon, lui ordonna de le vider sur toutes les surfaces possibles. Elle obtempéra dans une frénésie paniquée et maladroite. Des giclées d'essences étaient projetées dans tous les sens, elle n'était plus capable d'être concentrée. Elle n'entendait plus que le bruit d'aluminium froissé qui gémissait en se brisant dans les langues du monstre.

Un couinement mécanique. Le navire se mit à pencher de plus en plus en avant. Elle s'accrocha vivement à la table de navigation. Le naufrage était imminent.

« Murdock ! Il faut partir ! 

- Une minute ! »

Il lui arracha le bidon à moitié vide et se pencha pour remplir sans précision le réservoir du moteur. Le Modsognir penchait plus fort. Murdock accrocha le talkie-walkie désossé au réservoir du moteur, enveloppé de papiers et de tissus imbibés pour que l'étincelle des fils dénudés enflamment l'ensemble sous l'appel du second. Le navire s'inclina, l'eau leur montait aux genoux. La plainte du monstre montait de plus en plus dans les aigus, il y eut un craquement sourd autour du cockpit. Les langues allaient les écraser.

Elle le saisit par le bras pour l'arracher à son ouvrage.

« Murdock ! MAINTENANT ! »

Soudain, ils basculèrent brutalement en arrière, entraînés par le navire. Elle roula dans l'eau. Sa tête percuta violemment la table de navigation, son souffle se coupa. Elle le chercha douloureusement, les larmes aux yeux. Un baquet d'eau se projeta furieusement dans le cockpit. Sa tête tournait, ses jambes étaient molles. Elle cherchait à se redresser lorsque Murdock la saisit fermement et l'extirpa de l'eau d'autorité. Il l'entraîna dans la volée de marches jusqu'au pont. Le second talkie-walkie précieusement dans la main.

Dehors, la brume obstruait tout, opaque même dans le vent furieux. Le spectacle de dévastation était désolant. La proue avait disparu, le mât supérieur était écroulé au milieu. Seul le génois déchiré battait encore désespérément, comme le cœur paniqué d'un oiseau pris au piège. Une langue noire s'enroulait autour du bateau à un mètre d'eux. Ses dents incisives déchiraient le pont. Sibéal s'agrippa à l'épaule de Murdock. Le monstre était sous le Modsognir, l'aspirant tout entier dans sa gueule.

« Vite ! »

Ils se dressèrent sur le bord du pont, elle n'osa pas regarder sous ses pieds. La bête était là. Un frisson de panique lui étrangla gorge. Murdock n'avait pas de gilet de sauvetage, ni le temps d'en fignoler un. Sans réfléchir, elle enroula ses bras autour de son cou et ses jambes autour de ses hanches. Il passa son bras autour d'elle et tira brusquement sur la ficelle de son gilet. Celui-ci se gonfla instantanément. Aussitôt, le demi-nain bondit dans le vide. Elle ferma les yeux en étouffant un cri. Son cœur tambourinait plus fort que les vents dans ses oreilles. Elle ne le vit pas ouvrir le canal du talkie-walkie.

Ils percutèrent l'eau avec violence. Son emprise autour de lui se relâcha sous l'impact. Une onde de choc les fit rouler sous la vague. De longs reflets rouges percèrent la mer sur plusieurs mètres comme des aiguilles de feu. Le monstre apparut dans toute son énormité. Prise d’un sentiment d’horreur, elle ferma les yeux en resserrant son étreinte autour de Murdock. Brutalement, le gilet les propulsa à la surface.

Elle happa goulûment l'air en reprenant ses esprits. Un sifflement strident s'éleva dans une lenteur agonisante. Elle resserra ses jambes autour du corps de Murdock, et fixa la chose qui disparaissait de la surface avec le voilier. Son sifflement s'éteignit doucement.

« Est-ce que c'est mort ? Souffla-t-elle.

- on dirait bien... Elle a pas digéré le Mod. »

Le visage de Murdock était indescriptible, déchiré par la tristesse, les traits tirés de résignation. Un éclat de satisfaction brillait dans ses yeux. Sibéal était tellement soulagée de le savoir avec elle, elle en aurait pleuré. Sa remarque légère, mal placée la fit s'esclaffer pour relâcher l'adrénaline. Il lui décocha un regard étonné avant de rire un instant avec elle. Elle porta sa main à sa barbe, sidérée de ce miracle. Ils étaient en vie, ils étaient en vie.

Un grondement orageux la crispa aussitôt. Ils levèrent la tête sur le ciel, la brume s'était dissipée mais le ciel était devenu noir, aussi noir que la mer. Elle frémit instinctivement. Le temps ne relevait plus de la météo. Ils avaient tué un monstre. Une créature chérie du dieu. Elle resserra l'étreinte de ses jambes autour de Murdock avec appréhension. Un souffle étrangement chaud soufflait sur la mer. Il se levait à l'horizon, de plus en plus vite. L'océan rondissait à vue d'œil, de hautes vagues se formaient. Ils furent soulevés par l'une d'elles, s'accrochèrent l'un à l'autre. Une écume blanchâtre leur tomba sur le visage, salée à en être acide. Une nouvelle se présenta, les emportant sur sa crête. Elle s'agrippa farouchement à Murdock. Il pouvait être entraîné par le fond. Un grondement sourd éclata, et le vent forcit. Ce souffle furieux acéra la crête des lames. Les membres de Sibéal, glacés par la température, se raidirent autour du demi-nain.

Une montagne se dressait devant eux, son souffle se bloqua. Stupidement, elle ne prit pas de respiration. La masse aqueuse s'abattit avec violence sur eux. Ils semblèrent tourbillonner indéfiniment dans son rouleau. Secoués dans tous les sens. Elle agrippa son dos sans plus aucune force, ses poumons se compressaient dans sa poitrine, de l'air, de l'air ! 

Elle creva la surface, respira précipitamment, prise de vertige. Elle entendait le souffle saccadé de Murdock contre son oreille. Ses membres étaient mous et cotonneux. Une nouvelle lame s'abattit lourdement sur eux. Ses membres trop faibles se décrochèrent du demi-nain. Avec horreur, elle le sentit être arrachée à ses bras. Elle roula sur elle-même, secouée en tous sens. Elle ne distinguait plus la surface du fond. Elle perdit connaissance quelques secondes. Son gilet la propulsa à la surface. 

L'écume glacée sur son front la fit ouvrir les yeux. Les bourrasques hurlaient à ses oreilles, comme si le ciel vomissait de colère. Elle cracha l'ea, et, désorientée, tourna sur elle-même. 

« MURDOCK ! »

Une vague à nouveau, un baquet d'eau. Elle s'ébroua, cria son prénom avec panique. Ses yeux cherchaient dans le moindre éclat de vague la forme du demi-nain. Elle tourna sur elle-même, évitant une lame de justesse. Il n'était nulle part, il n'était absolument nulle part. Un sanglot horrifié lui troua la poitrine. Le grondement des vagues étouffait ses appels. Elle cria désespérément son nom dans le vent. Ses larmes se mêlèrent au sel de l'eau sur ses joues. Non, non, non, non.

Une onde de désespoir la laissa sans force, secouée par ses pleurs. Comme une poupée de chiffon, elle se fit aspirer par un rouleau. Propulsée dans une lame, elle n'arrivait plus à se débattre. L'eau filtra dans sa bouche. Une chose s'enroula autour de son torse, elle se débattit faiblement, griffant les membres tortueux. Elle n'avait plus de force, plus de courage. Elle sentit l'eau infiltrer ses poumons. 

Brusquement, elle fut attirée vers la surface. Elle ouvrit les yeux sur une chevelure mouillée et des yeux bleus. Valérian. Elle le regarda sans le voir, sonnée et assourdie par la fureur du vent et de la mer. Il la secoua avec brusquerie. Elle toussa enfin, recrachant le sel acide sur sa langue. 

« Sibéal ! Sibéal ! Ça va ?! »

Des sanglots douloureux déchirèrent son visage.

« Tout va bien, tout va bien ! Rassura-t-il avec autorité, les autres sont en sécurité. Sib ! Ils sont en sécurité sur le Mamui Ata !

- Mur... Murdock, gémit-elle, Murdock il est...

- Fran le cherche, elle va le trouver Sibéal. Elle va le trouver !

- Murdock... Murdock... bégayait-elle délirante. je… je l’ai… je l’ai lâché…»

Et elle l'avait perdu. 

OoOoOo

Sibéal se hissa péniblement sur le pont du Mamui Ata, et n'y parvient qu'avec l'aide de Valérian. Elle se laissa choir frissonnante et hébétée. Ses yeux se levèrent sur le ciel orageux au-dessus d'eux, des tourbillons de nuages noirs s'y formaient. Sous ses paumes le bateau était secoué d'avant en arrière, brisant brutalement les vagues. L'impact régulier était aussi violent que sourd. L’agitation ne l'atteignit plus. Le vent qui hurlait ou l'écume qui se fracassait contre le navire, tout ça n'existait plus. Ses membres étaient sans force.

« Sibéal ! »

On la redressa contre son gré pour l'enfouir dans une étreinte. Nialh. Il la serra à l'en étouffer, la berçant contre lui.`Il bafouillait à son oreille avec frénésie.

« Tu vas bien ?! Le Mod a explosé ! Nodens, j'ai cru... j'ai cru que tu t'étais noyée !... Sib ? Sib ça va? »

La caresse de son frère dans son dos n'eut aucun effet. Elle s'était mise à sangloter de façon incontrôlable contre son épaule. Ses mots n'avaient plus aucune cohérence. Nialh inquiet se tourna sur Valérian assis sous sa forme de triton en travers du bateau, alerte comme s'il pouvait entendre un signal à travers la tempête. Sa voix fut froidement pragmatique.

« Fran cherche Murdock. »

Sibéal portant ses mains à son visage. Et si… si elle ne le trouvait pas ? Si... s'il avait disparu pour toujours ? Si elle ne le revoyait plus jamais ? Ces pensées, horribles, la tétanisaient. Nialh se tue, caressa à nouveau son dos. Puis, il la sortit délicatement de son gilet de sauvetage et tenta de la faire se relever. Elle s'accrocha faiblement à un pare battage, refusant de bouger. Il n’insista pas. Elle resta prostrée, à fixer la moindre vague, la moindre écume qui pouvait cacher Murdock dans son ombre. Ses yeux brouillés de larmes balayaient sans relâche l'horizon. Fran devait le trouver, elle devait lui ramener. 

« Sib, viens te réchauffer... »

Elle résista en secouant la tête, elle ne pouvait pas s'éloigner du pont. Fran pouvait revenir à tout moment. Elle et Murdock pouvaient arriver à tout moment. Elle ne pourrait respirer à nouveau qu'en le voyant sain et sauf. Nialh s'éloigna, la laissant seul avec Valérian. Ce dernier resta silencieux, ne semblant pas savoir trouver les mots justes. Il fixait la proue du bateau, le visage fermé. Le navire filait à contre vent dans une direction précise. Mais d'ici ils ne voyaient pas le Yak. 

Elle sentit une serviette l'envelopper puis, Nialh se mit à la frictionner vigoureusement.

« T'inquiète pas Sib, il est coriace. 

- Nialh, se tourna-t-elle pitoyablement vers lui.

- Chut, chuuut, t'inquiète. Fran va le trouver.

- Nialh je... je l'ai lâché, souffla-t-elle douloureusement. Je l'ai lâché. »

Sa voix était aussi faible qu'un gémissement. Son regard éteint se tourna sur lui. Elle voulait se recroqueviller en boule, disparaître et se laisser oublier pour toujours. Interdit, il se tut en lui séchant les cheveux. Elle frissonna. Elle avait froid, ses doigts agrippés au bastingage étaient rigides. Le vent lui perçait la peau comme autant d'aiguilles glaciales.

« Ce n'est pas ta faute, d'accord ?

- Il... il est... peut être qu'il… peut être qu’il est mort. »

Un sanglot lui déchira brutalement la gorge, lui brisant la voix. Il la secoua de part en part. Elle referma ses bras autour d'elle-même, pleurant comme une enfant. Nialh lui attrapa les épaules gentiment. 

« Dis pas n'importe quoi Sibby, avec sa grosse tête il est capable de flotter.»

Valérian décocha un regard désabusé et peu convaincu à Nialh. Celui-ci grimaça. Il y eut un silence, les bourrasques démontaient la mer en larmes acérées et grondantes. Esteban qui pilotait, se débattait contre elles avec difficulté.

« Comment va Apollo ? demanda Valérian.

- Pas top, avoua Nialh. Oriag lui a filé des anti-douleurs, ça l'a shooté mais ça continue de saigner...

- Je suis désolé que Laureline ne soit plus là...

- Faudrait retrouver le Yak.

- Certes... On y travaille. »

Les yeux bleus de Valérian s’agrippaient à l'horizon avec une intensité inquiète. Oriag émergea sur le pont, enveloppée dans une couverture. Ses fines nattes étaient secouées par les bourrasques de vent, battant son visage pâle et sonné. Un large morceau de tissu avait été serré autour de sa poitrine pour immobiliser le mouvement de son torse et préserver ses cottes. Elle eut un sourire soulagé en tombant sur Sibéal. Ses yeux cherchèrent ensuite leur capitaine. Nialh secoua la tête. Sibéal, abrutie par ses pleurs, se détourna. La navigatrice se composa une mine fermée et contrôlée puis passa sa couverture autour d'elle.

« Viens te changer, tu vas attraper froid. »

Des frissons la parcouraient, son corps était rigide. Elle secoua faiblement la tête. Non. Non, Murdock allait arriver, il allait revenir. Brusquement, son frère la releva alors avec autorité, elle était si faible qu'elle fut incapable de lutter contre lui. Il l'entraîna à la suite d'Oriag à l'intérieur jusqu'à une cabine qu'elle supposa être celle de Fran. Là, Nialh lui essuya ses lunettes, retirant de leur protection fignolée par Oriag. Celle-ci la maternait gentiment du mieux que sa blessure le pouvait, lui enfila des vêtements secs. Sibéal se laissait faire, prostrée sur le lit. Même une fois au chaud, ses lèvres bleuies tremblaient et ses membres étaient secoués de tressaillements incontrôlables. Elle les voyait sans les voir tandis qu'ils lui séchaient les cheveux. 

« Tu veux t'allonger un peu ? proposa Oriag, on tente d'atteindre Yakta. Sa radio fonctionne plus...»

La voix de la navigatrice était gonflée d'inquiétude. Sibéal secoua la tête. Incapable de penser à autre chose qu'à Murdock. Comme si s'en détacher revenait à le condamner et le perdre définitivement. Le Mamui Ata tangua fortement à bâbord. Oriah grimaça de douleur, et s'effondra sur le lit. Nialh l'aida à s'allonger. Sibéal se releva difficilement puis sortit. 

Elle passa devant une cabine ouverte, et croisa le regard fiévreux d'Apollo. Les couleurs avaient quitté son visage, il tenta de faire bonne impression dans un sourire crispé mais la sueur qui perlait sur son front trahissait sa souffrance. 

« Tout va bien ? souffla-t-il dans un filet de voix. »

Elle hocha faiblement la tête. Ses paupières gonflées et son visage bouffi ne convainquirent pas le bantou. Il était dans un tel état... Ses doigts se contractaient régulièrement dans les draps humides, s'y accrochaient comme pour ne pas sombrer dans l'inconscience. Son cœur se serra de tristesse. Elle lui saisit la main sans rien dire.

« Où... où est Murdock ? »

Un son rauque lui échappa, elle tenta de le contenir dans sa gorge en ravalant ses larmes. La mine d'Apollo s'horrifia. Il n'avait même pas la force de serrer ses doigts. Ils restèrent ainsi, silencieux et hébétés. Dehors, le vent mugissait avec fureur et semblait ne jamais vouloir retrouver son calme. La respiration sifflante d'Apollo était douloureuse à entendre.

« Tu veux quelque chose ? »

Il hocha faiblement la tête, elle l'abandonna alors pour essayer d'atteindre la kitchenette en s'agrippant aux angles du navire. Une fois hissée jusque là, elle mit un sachet de thé dans un mug. La vision du sien, flottant avec les paquets de chips dans le Modsognir qui sombrait resurgit. Leur maison était au fond de l'eau, avalée par les abysses pour toujours. Dans ce linceul aqueux, elle emportait tous les souvenirs de ces dernières années, toutes les petites choses précieuses amassées qui faisaient de cette carcasse de bois et d'aluminium leur foyer. Cette pensée lui serra la poitrine. 

Un brouhaha la sortit de sa tâche machinale, puis un bruit sourd. Son cœur s'arrêta avec appréhension. Nodens... Une frisson d’horreur la saisit. Ce bruit lui rappela celui des langues acérées de la bête autour du voilier. Abandonnant aussitôt sa tâche, elle se précipita vers le pont. 

Dévalant la volée de marches, Murdock apparut brusquement dans le carré. Elle se figea. Il était trempé et essoulée. Une expression soulagée naquit sur son visage. Un son plaintif échappa à Sibéal. Elle ne sut pas bien qui atteignit l'autre en premier. Ils se fondirent dans une étreinte froide, humide de sel et de larmes. 

Elle bégaya des phrases qu'il étouffa en l’enveloppant contre lui. Il était glacé, sain et sauf. Sanglotant, elle le serra de toutes ses forces, ses bras enroulés autour de lui et son nez contre son cou. Les paumes de Murdock fermement plaquées dans son dos la rassurèrent de sa présence. Elle avait cru... elle avait cru ne jamais le revoir. Une vague d’amour l’embrasait. L’étreinte de Murdock se resserra un peu plus, à lui en couper le souffle.

« Je t'aime aussi, Sib. Je t'aime aussi. »

Elle eut un hoquet, il se brisa dans un petit rire soulagé. Bouleversée, elle se détacha légèrement. Elle posa ses mains sur ses joues et l'embrassa avec ferveur. Ses lèvres se posèrent ensuite sur la moindre parcelle de peau de son visage qu'elle pouvait atteindre.

« Plus jamais... plus jamais, hoqueta-t-elle, tu joues le capitaine insubmersible  ! Tu mets ton foutu gilet ! Tu m’entends ?! »

OoOoOo

Murdock et Sibéal étaient lovés l'un contre l'autre, enveloppés par des couvertures, sur la banquette du carré. Assis en face d'eux, Valérian, Oriag et Nialh. Esteban pilotait toujours dans la tempête, les éléments se déchaînaient à l'extérieur avec fureur. Le vent sifflait derrière les hublots assombris. Il faisait sombre comme en pleine nuit, on n’était qu’au milieu de la journée.

Dehors, Fran, sous sa forme de sirène, tentait de percevoir le Yaktantton par une sorte de sixième sens que ne comprenait pas encore bien Sibéal.

« Vous croyez qu'ils s'en sont sortis de ce fou furieux ? demanda Nialh inquiet.

- Ulmer cherche pas à obtenir quelque chose mais se venger, grimaça Oriag avec pessimisme.

- Ils sont armés et Yakta sait se débrouiller, temporisa Murdock. Elle sait qu’on va arriver tôt ou tard.

- Mais elle n'a que Chad de compétent, murmura Sibéal contre lui, Anak n'est plus sur le navire...

- Hein ? La gamine a abandonné le Yak ?

- On l'a vu sur le zodiaque, toute seule, assura Nialh.

- Seule ? répéta Valérian avec un accent pressant dans la voix, comment ça toute seule ? Qu'est-ce qu'elle faisait ? »

Sibéal se rappela des ombres sinueuses qui menaçaient l'embarcation lorsqu’elle avait aperçu son amie. Elle détourna les yeux du regard insistant de Valérian. Elle n'était pas certaine de ce qu'elle avait vu, elle ne voulait pas l'angoisser plus. Mais en un écho inquiet commença à résonner de plus en plus fort.

« Elle était proche du caillou où se trouve la grotte, ajouta-t-elle.

- Yakta a dû l'y envoyer, conclut Murdock.

- Seule ? Alors que son équipage est en mauvaise posture ? Fit Nialh. C’est de la folie !

- Visiblement, elle n'avait pas le choix, lâcha Oriag. »

Quelle réalité avait poussé la capitaine à se séparer de sa seconde alors qu'elle faisait face à l'équipage du Kozak ? Cette question restait en suspens, pesante au-dessus de leur tête. Mille et un scénarii traversaient l’esprit de Sibéal. Elle eut un frisson d’appréhension, le bras de Murdock se resserra autour de ses épaules. 

« Où est Laureline ? demanda Oriag.

- Partie sur l'îlot, répondit Valérian. 

- Elles sont peut-être ensemble ? proposa Nialh. 

- Elle n'a pas essayé de nous contacter depuis un bout de temps, elle le devait pourtant. »

Valérian porta sa main à son visage, accablée par une vague de questions et d'inquiétude. Epuisés par les propres épreuves qu'ils avaient dû affronter, ils n'osèrent pas le détourner du nuage qui s'assombrissait sur son front. Il serra la mâchoire, prit une expression sévère et décidé.

« Je vais y aller. 

- Tout seul ? répondit Oriag. C'est pas prudent.

- On va pas se séparer, s'exclama Nialh, faut qu'on soit là pour Yakta.

- Anak a peut être besoin d'aide aussi, souffla Sibéal.

- Elle est peut-être avec Laureline ! Sur le Yak ya tout l’équipage du Kozak !

- Laureline n'a pas répondu...»

Valérian ne les écoutait déjà plus, il était parti s'affairer dans les tiroirs bien décidé à quitter le Mamui Ata peu importe le résultat de leur débat. Sibéal échangea un regard en biais avec Murdock, il arbora aussitôt un air récalcitrant. Il savait bien qu’ils ne pouvaient pas le laisser y aller seul, et que Yakta avait besoin de personnes aptes à se battre pour venir à bout d'Ulmer. Ils étaient deux contre cinq, quatre si on retirait Jasper abattu par Chad, deux contre quatre. Le temps pressait. Elle lui serra doucement sa main, lui caressa le dos du pouce. Le demi-nain secoua la tête, mécontent mais finit par acquiescer. 

Elle se retourna vers le reste de son équipage et le triton, ses doigts solidement mêlés à ceux de Murdock.

« Valérian, je viens avec toi. »


 

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