Chapitre 46.

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Chapitre 46

“C’est là.”

Un drôle de frisson la raidit, porteur d’un pressentiment désagréable, qui la fit se redresser dans son siège et repositionné le fusil sur ses genoux. Droit devant elles, la paroie de l’énorme rocher était percée d’une ouverture sombre à la pierre grise presque noire dont la vue lugubre n’augurait rien de bon. Insensible à ce décor sinistre et loin de se soucier des tumultes des vagues, Laureline dirigeait sans hésitation aucune le Zodiac vers les entrailles du rocher qui leur ouvrait la bouche comme un titan fait de pierre et d’eau, enthousiaste à l’idée de les avaler. 

Quand le Zodiac passa l’entrée de la grotte, Anak leva les yeux pour observer les murs moites de celle-ci contre lesquels verdissaient quelques mottes de mousses et de fougères qui se faisaient de plus en plus rares à mesure qu’elles s’enfonçaient dans les profondeurs du rocher. L’ombre prenait également le pas sur la lumière et les phares de leur embarcation devinrent rapidement leur unique source de lumière. Les yeux d’Anak épiaient l’obscurité lorsqu’un bruit terrible se fit entendre au loin. Instinctivement, elle se retourna pour ne trouver derrière elles que le chemin aquatique qu’elles venaient d’emprunter.

“On aurait dit une explosion…,” commenta-t-elle avec une pointe d’angoisse.

Laureline fronçait les sourcils mais elle rejeta rapidement cette pensée en secouant la tête.

“C’est loin de nous.

-Mais les autres…

-On ne peut plus rien faire pour eux, décida la sirène, si ce n’est en finir de tout ça de la seule manière efficace et irréversible.

-Et s’ils meurent entre-temps ?”

La voix d’Anak s’était secouée de trémolos qui ne passèrent pas inaperçus chez son interlocutrice et bien que, lors d’un instant fugace, un voile de compassion tomba sur le visage de Laureline, il se volatilisa rapidement pour retrouver son masque de marbre. 

“Nous sommes condamnés aussi longtemps que la malédiction sera active. Au moins, ils mourront pour une cause qui les dépasse et auront contribué à sauver leur monde.

-C’est aussi simple que ça pour toi ?

-Non, avoua Laureline, je souffre moi aussi d’imaginer mon frère et mes amis morts mais… c’est le mieux que l’on puisse faire.”

Frustrée et piquée par une sensation brûlante d’injustice, d’impuissance et de désespoir qui lui mordait la gorge, Anak poussa un bruyant soupir en se réinstallant mollement dans son siège. Seules leurs voix et le ronronnement de leur moteur trouvaient désormais écho autour d’eux. Un silence compact imprégnait l’air suintant de la grotte, et même la petite rivière souterraine le long de laquelle elles évoluaient semblait s’adapter autour de la coque du Zodiac sans produire le moindre clapotis. Cette absence de bruit était oppressante.

“Et si on n’arrive pas à la briser ? s’enquit Anak avec défi.

-Je ne partirai pas d’ici vivante tant que nous ne l’aurons pas brisé.”

La détermination de Laureline paraissait sans faille et Anak ne savait pas bien si ça devait l’inquiéter ou la rassurer. Elles semblaient s’engager dans une voie sans issue mais c’était la seule qui leur restait. N’ayant plus tellement envie de poser des questions dont elle redoutait les réponses, Anak resta silencieuse et attendit qu’ils arrivent au bout de la rivière. Le trajet se fit sans encombre, mis à part une tribu de chauves-souris qu’elles dérangèrent et qui s’en allèrent à tire d’ailes par-dessus leurs têtes.

Finalement, elles atteignirent le bout, là où la rivière s'épuisait sur une petite berge rocailleuse luisante de vase que le courant charriait. Laureline coupa le moteur et elles descendirent pour traîner suffisamment loin le Zodiac sur la pente légère et s’assurer qu’il demeure hors d’atteinte de l’eau jusqu’à leur retour. Équipées de lampes torches, elles laissèrent leur embarcation derrière elles et poursuivirent leur route le long du tunnel qui les menait dans les tréfonds du rocher. Il y régnait une fraîcheur qui fit se dresser les poils des bras d’Anak et de la main qui ne maintenait pas le fusil, elle se frotta la peau pour chasser les frissons. Ses vêtements, ses chaussures ainsi que ses cheveux étaient toujours trempés de sa baignade forcés, ce qui n’aidait pas son corps à retrouver une température confortable. 

Elles marchèrent comme ça longtemps, surveillant chaque endroit où elles mettaient le pied, craignant de tomber dans une crevasse ou bien sur un serpent, et zébrant leur avancée des faisceaux de leurs lampes torches. Quelques tunnels adjacents se présentèrent à elles mais elles firent le choix de rester sur le chemin principal.

“J’espère que c’est bien là, songea Anak, brisant le silence.

-C’est là, confirma Laureline, il n’y a pas d’autres solutions.”

Anak jeta un coup d'œil à sa partenaire d’infortune mais son profil était pauvrement éclairé, et elle n’en tira pas grand-chose. Elle se révélait encore plus insondable que son frère jumeau, ce qui n’était pas peu dire. 

Au bout d’un moment, le tunnel commença à s’éclaircir et cette évolution les interpella, leur causant de presser le pas jusqu’à ce qu’elles débouchèrent finalement sur une cavité plus large que le tunnel. Son plafond voûté était percé par un puits de lumière naturelle qui jetait sur l’endroit une lueur blanche un peu mystique. Le souffle suspendu, elles avancèrent dans cette pièce pittoresque. Une légère bise s'infiltrait par l’ouverture, leur rapportant la rumeur des vagues par la même occasion.

La paroi qui leur faisait directement face était creusée d’une arche finement décorée de dessins sculptés à même la roche. S’alignant sur la courbe de l’arche, des mots qu’Anak ne comprenaient pas étaient inscrits. La lumière naturelle ne suffisant pas, Laureline dirigea le faisceau de sa lampe torche pour découvrir plus précisément chaque petit détail qui se présentait à elles. 

“Tu vois, lâcha Laureline, la voix soufflée par l’émotion, un sourire éclosant sur ses lèvres, on est au bon endroit. C’est le berceau de la malédiction.”

Elle-même fascinée, Anak se rapprocha et posa ses doigts sur la fente qui dessinait l’arche. Une révélation la frappa et elle tourna un regard un peu ébahi vers Laureline avant de la lui partager : 

“C’est une porte !

-Je pense que tu as raison !”

Laureline avait désormais l’air extatique mais Anak était perturbée par un point relativement problématique.

“Mais comment on va l’ouvrir ? abattit Anak.

-Quoi donc ?

-La porte. Celle qui est taillée à même la roche, sans poignée, ni même serrure, et qui doit peser une tonne, cette porte, appuya Anak en la désignant d’un geste de la main agacé, comment on va l’ouvrir ?”

Pour la première fois, Laureline resta muette et incapable de fournir une réponse concrète à l’une de ses questions, et elles retournèrent leurs regards dépités sur l’entrée impénétrable.

Elles n’étaient clairement pas sorties de cette grotte.

OoOoOo

Adossée à l’un des murs de la cavité, Anak observait avec lassitude Laureline qui s’échinait à analyser les graphismes de l’arche sous toutes les coutures. Le décor mural était majoritairement constitués de détails marins, des coquillages, des silhouettes de vagues et de raz de marées, et de créatures marines parmi lesquelles comptaient les sirènes. Mais le plus important de l'œuvre résidait à son dans sa partie supérieure, juste en dessous du sommet de l’arche, un être humanoïde y était représenté, constitué d’une barbe et chevelure de coraux, et son œil perçant et sévère semblait les fixer. Selon Laureline, il s’agissait d’une représentation d’Ouraghoué, le Dieu des Océans que les sirènes vénéraient et à qui ils devaient la malédiction. Il était étrange pour Anak d’entendre subitement son nom et de se retrouver face à son portrait. Laureline avait précisé à Anak que ce dessin n’était qu’une interprétation et qu’aucune créature terrestre ne pouvait se targuer de connaître l’apparence d’une divinité. 

“Les instructions sont là, j’en suis sûre, insista Laureline en continuant de fixer le mur indéchiffrable. Dans ces dessins, dans ces écritures… si seulement je connaissais ce langage…”

Anak poussa un soupir en jetant un coup d'œil au puits de lumières au-dessus de leurs têtes. Il était particulièrement rageant de rester ici, au fin fond de l’estomac d’un caillou paumé dans les eaux, à essayer de tirer quelque chose des décorations murales d’une porte qui refusait de s’ouvrir et qu’elles ne pouvaient absolument pas forcer physiquement. Anak ne savait pas exactement ce qui la retenait d’abandonner. De laisser Laureline à ses spéculations creuses et rebrousser chemin jusqu’au Zodiac. Ici, elle était inutile mais si elle retournait sur le catamaran, elle pourrait peut-être aider son équipage. Ou alors sur le Mod, au bord duquel Sibéal et Murdock avaient sûrement besoin de bras supplémentaires. Ou même sur le Mamui Ata, pour s’assurer que Valérian allait bien. Mais non, elle restait là, adossée à un mur, à compter les secondes qui s’écoulaient vainement. 

“Je pense qu’une sirène ou un triton doit pouvoir l’ouvrir, poursuivait Laureline. Notre Dieu ne laisserait pas notre sort entre les mains exclusives des humains.

-Ah bon ? s’irrita Anak. Alors, pourquoi vous n’avez toujours pas brisé cette foutue malédiction ? Pourquoi vous êtes dispersés sur des bateaux humains à les laisser faire tout le travail pour vous ? Et pourquoi vous vous êtes associés à Gojo Mauro ?”

Durant cette succession de questions piquantes, Laureline s’était détournée du mur pour la regarder avec précaution. Alors qu’elle rongeait son frein dans son coin, et que les scenarii les plus cruels s’amoncelaient dans sa tête, Anak avait développé une certaine rancœur envers Laureline qui avait refusé de faire demi-tour pour la laisser prêter secours aux autres. Une rancœur encore plus forte que les arguments de Laureline faisaient tous sens, aussi froids et dépourvu de sentiments qu’ils puissent être. Ces arguments, Anak les avait en travers de la gorge et elle peinait encore à les avaler. Elle digérait encore l’ordre de Yakta qui l’avait poussé à partir seule du Yak alors qu’ils se faisaient aborder par leurs ennemis, et voilà qu’une nouvelle voix la propulsait sur une route qui s'éloignait de celle de son cœur. Elle pouvait accepter de trahir sa propre volonté pour sa capitaine mais il s'agissait maintenant de Laureline qui, si elle n’était pas la sœur jumelle de Valérian, ne représenterait rien pour elle. Et en qui elle n’avait pas la moindre confiance, ni estime. Et c’était de sa bouche qu’elle avait dû entendre ces arguments déplaisants, et s’y soumettre. Sa révolte avait fait son petit bonhomme de chemin dans sa tête depuis, et elle n’avait plus envie d’obéir.

Oui, elles tenaient peut-être le sort des humains et de la population des sirènes entre leurs mains. Certes, peut-être que l’avenir de leur planète dépendaient d’elles. Mais était-elle obligée de s’y plier ? Etait-elle devenue une esclave, une servante enchaînée au monde ? Devait-elle vraiment tout sacrifier pour briser la malédiction ? Pourquoi elle ? Elle n’était pas une héroïne, elle n’avait rien demandé. Elle avait une famille qui l’attendait à la maison, des amis qui étaient aux prises à mille dangers, elle avait Valérian, mais elle devait les oublier tous pour cette fichue malédiction qu’elle n’avait pas provoqué. 

“C’est à vous de briser la malédiction, répondit Laureline comme si elle lisait dans ses pensées, c’est vous qui l’avez causé.

-Non, cingla Anak, c’est votre Dieu. Il aurait pu choisir une autre punition qui n’aurait ciblé que les vrais coupables mais c’est pas ce qu’il a fait. Il a préféré jouer avec la planète toute entière comme un enfant gâté ! Quel Dieu fait ça ? 

-Tais-toi ! claqua Laureline en faisant un pas vers elle. Tu n’as aucun droit de parler de mon Dieu comme ça !

-Je te demande pas ta permission ! éclata-t-elle en se séparant du mur pour foudroyer Laureline des yeux. Mes amis, ma famille est peut-être en train de mourir au moment où on parle, tout ça à cause de ton putain de Dieu ! Il peut aller au diable s’il n’y est pas déjà !

-Chut.

-Je t’ai dit que je ne me tairai pas, j’en ai plus qu’as-...

-CHUT, répété Laureline avec plus de ferveur, tais-toi.”

Laureline avait changé drastiquement d’expression faciale. Elle n’était plus en colère, ni même offensée. Ses sourcils dorés étaient froncés dans une intense concentration, aussi Anak rangea sa propre fureur pour faire le silence. Un écho les rejoignait depuis le tunnel, glissant dans l’ombre. Quelqu’un approchait. 

D’un commun accord, elles se précipitèrent vers un renfoncement reculé, une crevasse très mince qui, si elles n’avaient pas analysé le moindre petit caillou des lieux depuis leur arrivée, elles n’auraient pas même repéré. Laureline s’y faufila d’abord et Anak la suivit, bataillant avec son fusil qui se révélait très encombrant en pareille occasion. Ce fut lorsqu’Anak avait reculé suffisamment pour être camouflée dans l’ombre du trou que deux personnes s’avancèrent d’un bon pas dans la salle rocheuse. 

“On y est,” dit l’une d’elles.

Une voix féminine qu’elle reconnut avant de pouvoir la voir. Vanessa. Un rire gras et masculin appuya le propos et la masse de Dani entra dans le champ de vision restreinte d’Anak. Ils repérèrent naturellement l’arche dans le mur et s’en approchèrent sans attendre. Ils leur tournaient le dos, bien qu’ils jetaient tous deux des regards aux quatre coins de la cavité.

“Pourquoi y'a personne ? s’interloqua Vanessa. Y’avait leur zodiac, ils sont forcément dans cette grotte.

-Ils s’sont perdus, répondit Dani, ou bien bouffés par une bête. Dommage, je m’serais bien occupés d’eux moi-même.”

Ils avaient beau regarder un peu partout, ils ne les virent pas, pas plus qu’ils ne remarquèrent la crevasse dans lequel elles étaient cachées. Leurs regards étaient fixés majoritairement sur la fresque murale, celle-ci étant la seule preuve de civilisation des environs. 

“C’est quand même bizarre… ils se seraient engagés dans les plus petits tunnels alors qu’il suffisait d’aller tout droit ?

-On s’en tape, Vaness’ ! Le plus important c’est qu’on soit là avant eux ! Ulmer sera content.”

Anak sentait le souffle faible de Laureline contre son épaule laissée nue par son débardeur mouillée et elle respirait tout aussi précautionneusement. Ses mains étaient serrées contre son fusil plaqué à la verticale contre son torse et elle s’attendait à devoir l’utiliser à tout moment. Si Vanessa continuait à s’étonner de leur absence et qu’elle commençait à fouiller l’endroit, ils les trouveraient et alors, il faudra à tout prix qu’Anak les surprenne avant qu’ils ne le fassent. Eux aussi étaient armés, des pistolets pesant à leurs mains et elle ne devait pas les laisser tirer les premiers. 

Les réflexions de Laureline devaient l’avoir menée à la même conclusion puisqu’elle lui murmura la question fatidique à l’oreille.

“Tu peux leur tirer dessus ?”

Anak se contenta de secouer la tête négativement. C’était impossible. La crevasse était trop mince, elles y tenaient déjà par miracle, Anak ne pourrait jamais positionner le fusil afin de pouvoir viser et tirer. Pour ce faire, elle devait d’abord s’en extirper et alors, ils les verraient et ne les manqueraient pas. 

“Bon, fit Dani, allez, brise-la.

-Quoi ? s’enquit Vanessa sans comprendre. Tu veux parler de la malédiction ? Comment tu veux que je la brise ?!

-Bah, on y est, donc brise-la maintenant !

-Et comment, petit génie ?! Y’a juste un mur ! C’était le taffe des Yaks, ça, mais au lieu de les utiliser, Ulmer a préféré nous envoyer en solo pendant qu’il pourchassait Yakta comme un chien en rut ! Je suis la seule avec un cerveau sur ce satané bateau.

-Si t’es si intelligente, brise cette putain de malédiction !”

Vanessa soupira avec exagération avant de lancer un geste d’humeur à Dani : 

“Pousse-toi, tu me gênes. Va plutôt garder l’entrée et si l’un de ces connards arrive, tu ne lui tires pas dessus, ok ? Tu le braques et tu le traines ici, qu’il fasse le boulot pour nous.

-J’suis pas débile.

-Ouais, bah prouve-le pour une fois.”

Dani s’en alla en traînant des pieds et en murmurant une insulte pour sa camarade vexante, et il disparut du champ de vision d’Anak. Alors que Vanessa continuait de se plaindre, campée devant l’arche dont elle n’avait pas encore soupçonné le passage secret, Anak commença à comprendre qu’elles étaient, Laureline et elle, bloquées, piégées dans cette petite faille, jusqu’à ce qu’une opportunité viable se présente.

Ou bien que Vanessa parvienne à déverrouiller l’arche. Anak en venait à espérer qu’elle y arrive. Que pour une fois, Kozak leur ouvre la voie et que ce soit à leur tour d’en récolter les lauriers. S’ils étaient suffisamment distraits, Anak pourrait peut-être les braquer et les désarmer.

Mais, à en croire les marmonnements et bougonnements que Vanessa pestait telle une sérénade pour les gravures millénaires, cette possibilité semblait peu probable…

OoOoOo

Les membres d’Anak commençaient à s’endormir, et ses muscles endolories protestaient face au calvaire de rester si longtemps immobile, debout, dans cet endroit exigu sans pouvoir ne serait-ce que bouger un orteil. Dans ses bras, le fusil lui pesait et elle remerciait la sangle qui le retenait contre elle. Elle n’était, cependant, pas la seule à commencer à perdre patience. S’agaçant contre le mur et ses inscriptions, Vanessa commençait à désespérer.

“Faut sûrement faire un espèce de rituel ou d’incantation…, imagina celle-ci, mais alors, c’est vraiment pas clair… si on doit tout essayer, ça va nous prendre dix ans.

-Ouais bah on a pas dix ans !

-Non, cingla Vanessa, mordante, sans blague ? On t’a déjà dit que t’étais hyper utile comme mec ?

-Alors , qu’est-ce qu’on fait ?

-Contacte Ulmer, dis-lui que c’est la merde et qu’il va falloir réfléchir à un plan, et un vrai, cette fois.”

Anak entendit le soupir de Dani voyager dans la cavité avant d’ensuite l’entendre sortir son talkie-walkie et de commencer à tenter de joindre Ulmer. Le bourdonnement de l’appareil de communication fit écho dans la grotte ainsi que ses cents pas. Dani commençait à transmettre à sa collègue l’information qu’Ulmer ne répondait pas quand un grand fracas l’interrompit en milieu de phrase. Il y eut des bruits de coups, et un tir de pistolet partit, tonitruant, résonnant d’une manière effroyable dans la grotte et Anak grimaça face à l’assaut douloureux qui frappa ses tympans. Laureline s’agrippa à son épaule en grognant. Fort heureusement, personne ne remarqua leur réaction, Dani et Vanessa avaient clairement essuyé un assaut surprise. Qui, cependant, trouva rapidement une résolution. Anak ne pouvait se fier qu’à son ouïe pour essayer de suivre la tournure des événements, la lutte se déroulait hors de sa fenêtre de vision, mais certains gémissements et cris lui provoquaient une sueur froide. Elle connaissait ces voix, elle les reconnaissait avec horreur. C’était Sib et…

“Valérian,” souffla Laureline derrière elle.

Après un dernier coup, un calme relatif se fit et Dani entra dans son champ de vision, envoyant valser Valérian au sol comme une vulgaire poupée de chiffon. Pour faire bonne figure, il lui expédia un coup de pied dans les côtes qui fit gémir Valérian de souffrance. Il tenait Sibéal par les cheveux et la poussa vers Vanessa qui la tint aussitôt sous le joug du canon de son pistolet. La gorge d’Anak se serra. La situation ne faisait que s’empirer d’instant en instant. Désormais, non seulement Laureline et elle étaient coincées dans une brèche, soumise à la ténacité de leurs deux adversaires, mais désormais ceux-ci tenaient Valérian et Sib après les avoir amochés. 

“Qu’est-ce qu’il s’est passé, bordel ?! s’écria Vanessa.

-Ils m’sont tombés dessus sans prévenir !

-Tu croyais qu’ils allaient te prévenir, tête de noeuds ? C’est pas possible d’être aussi con !

-Tu m’as dit de contacter Ulmer, connasse ! J’peux pas tout faire !

-Je t’ai dit de surveiller l’entrée ! aboya Vanessa avant de pointer un peu plus agressivement son arme sur Sibéal, et toi, tu bouges pas, pétasse.”

Se massant  d’une main son crâne chevelu que Dani avait malmené, Sibéal tentait de se distancer le plus possible de Vanessa qui, étant donné sa fureur, menaçait de la gifler à tout instant. Voir son amie insultée et agressée de la sorte, terrifiée et perdue, révolta Anak qui crissa des dents à ce spectacle. Respirant fort alors qu’il se tenait les côtes, Valérian dardait un regard féroce sur Dani qui l’observait de haut. 

“Où sont-elles ? lança Valérian.

-De qui tu parles, enculé ? lui répondit Dani en le menaçant de le frapper de nouveau.

-Ma sœur et ma copine, qu’est-ce que vous leur avez fait ?”

Dani et Vanessa échangèrent un regard alors que Valérian se redressait sur ses mains avec un air sévère au visage. De son côté, Anak commençait à comprendre avec horreur que Sib et Valérian étaient venus pour les aider, et un souffle chevrotant s'extirpa de ses lèvres.

“On sait qu’elles sont là, ça sert à rien de mentir.

-Et où tu veux qu’on les cache ? ironisa Vanessa. Tu vois bien qu’elles sont pas là ! Par contre, maintenant que vous l’êtes, vous allez vous rendre gentiment utiles. Toi, pointa-t-elle Sib du canon, Nialh m’a dit que tu parlais pleins de langues. Traduis ce qui est écrit sur ce mur.

-Je ne peux pas connaître toutes les langues qui existent, il y en a plusieurs mill-

-Commence pas à faire l’emmerdeuse avec moi ou je bute le blondinet, la prévint Vanessa Il se la ramènera moins après ça.”

Tout en déglutissant, Sibéal jeta un coup d'œil à Valérian qui participait à un impressionnant duel de regards avec Dani, puis elle se mit à marcher prudemment vers le fameux mur tout en surveillant que Vanessa ne fasse pas de geste agressif. La situation commença petit à petit à prendre une tournure favorable. Le focus s’était déplacé et désormais, Dani et Vanessa leur tournaient le dos, inconscients que Laureline et elle se trouvaient derrière eux à attendre le moment opportun, mais ils étaient encore bien trop tendus. Anak préférait attendre que leurs esprits se déconcentrent un peu plus tandis que Sibéal réfléchissait à la traduction.

“C’est une langue ancienne.

-On te demande pas de nous faire un cours, grinça Vanessa, traduis.

-C’est difficile… mais ça évoque un passage. Un passage qui doit s’ouvrir pour un peuple. Des élus, je crois.

-Comment ?

-Une mélodie ou un chant…

-Qu’est-ce qu’elle raconte, cette abrutie ? s’énerva Dani.

-La ferme, fit Vanessa avant d’ordonner à Sib, continue. Quel chant ?

-Le chant du peuple des eaux.”

Un silence accueillit cette réponse et Anak sentit Laureline se tendre contre elle. 

“Mais c’est quoi ces conneries ? s’enquit Dani. Elle veut qu’on fasse chanter des dauphins ?

-Le chant d’une sirène, crétin, s’exaspéra Vanessa alors que son regard se dirigeait sur Valérian qui s’était relevé, et t’es bien un triton, non ?

-Je ne vais sûrement pas vous aider, refusa Valérian.

-Ah ouais, tu veux pas chanter pour nous, la sirène ? susurra Dani en s’avançant vers lui, Mais j’vais te faire chanter, moi.”

C’était le moment qu’elles attendaient. Alors que Dani poussait Valérian contre une paroie dans la claire intention de lui refaire le portrait et que Vanessa était entièrement tournée sur Sib pour s’assurer qu’elle ne tente rien, Anak se glissa discrètement hors de la fente rocheuse pour approcher Dani dans son dos, fusil en avant. Braquant son arme en direction des omoplates de Dani, Anak fit connaître sa présence alors que ce dernier levait le poing pour l’abattre sur Valérian. 

“Je ferais pas ça si j’étais toi, l’avertit-elle.

-Qu’est-ce que…”

Profitant de l’effet de surprise, Anak s’apprêtait à s’emparer du pistolet de Dani qu’il avait éloigné de Valérian et ce, en gardant précautionneusement une main sur son propre fusil, mais la situation échappa à son contrôle. D’une manière effroyable. Laureline s’était elle aussi tirée hors de la crevasse et tandis qu’Anak s’était occupée de Dani, la sirène s’était chargée de Vanessa mais d’une manière tout à fait différente. Armée d’un couteau qu’Anak n’avait pas remarqué, Laureline n’avait pas attendu un seul instant pour égorger Vanessa dont le corps s’écroulait à présent au sol de la grotte dans des bruits de succion ignobles, son sang crachotant depuis sa trachée dénudée. Choquée et le cœur soulevé, Anak ne réagit pas tout de suite alors que Dani se ruait, fou de rage, sur Laureline pour venger son amie agonisante, et quand elle le fit, ce fut par automatisme. 

Depuis son fusil, Anak libéra une salve de balles filantes qui se juchèrent dans les jambes et le bas du dos de Dani, et celui-ci s’effondra à un mètre de Laureline. Le fusil se leva dans les mains tremblantes d’Anak telle une bête sauvage et lorsqu’elle cessa le feu, l’écho de l’évènement se répercutait encore contre les parois de la cavité pour lui revenir en plein visage. Elle chancela sur ses talons en voyant Dani qui hurlait de douleur au sol, dans le sang encore chaud de Laureline dont le corps effectuait ses derniers soubresauts, et elle sentit les mains de Valérian qui l’entourèrent pour la soutenir. Le décor tanguait autour d’elle, et elle n’entendit qu’à peine Laureline crier à son frère qu’il fallait qu’ils bougent de là. Les yeux d’Anak tomba sur la lame que la sirène tenait à sa main, encore dégoulinante de sang. Sibéal était figée, ahurie, dans un coin de la cavité, les mains se protégeant encore les oreilles du bruit des détonations. 

A son oreille, un son étrange et suraiguë fila dans les airs, sinuant et entêtant, et ce ne fut que lorsque le mur finement sculpté s’ébranla dans un bruit de pierre qu’elle comprit que la mélodie irréel émanait de la bouche de Valérian. Son chant marin avait éveillé l’arche de pierre qui roula sur elle-même, disparaissant dans la paroi rocheuse pour dévoiler un passage. Valérian la propulsa en avant et Anak marcha comme un robot devant elle, enjambant avec un vertige le corps sans vie de Vanessa. Ses pieds produirent un bruit atroce dans la flaque rouge qu’elle n’oublierait jamais. Sibéal traversa l’arche éventrée, puis Laureline et finalement, Valérian la guida à leur suite. 

Quand elle se retourna, la lourde porte se refermait déjà, remplissant une nouvelle fois l’arche, et elle ne put qu'entr’apercevoir Dani qui rampait au sol comme un escargot sans coquille. Le noir se fit autour d’eux, aussi subitement et facilement qu’une bougie dont on souffle la flamme. Un instant, Anak crut s’être évanoui. Ou pire, crut être morte avec Vanessa. 

Mais la voix de Valérian s’éveilla à son oreille : 

“Tu es gelée… et trempée. Anak ? Est-ce que ça va ?

-Je…

-On est où ? demanda Sibéal quelque part dans le néant.

-Que personne ne bouge, décréta Laureline, j’ai trouvé une torche. Je vais l’allumer.”

Anak essayait de se concentrer sur les mots prononcés et les questions posées, mais elle tremblait de tout son corps, peinait à respirer et elle se sentait comme déséquilibrée. Sur l’écran noir, la flaque de sang grossissait et un gros plan se faisait sur la gorge ouverte de Vanessa.

La tenant, son torse contre son dos, Valérian lui frottait les bras pour la réchauffer. Un rond de lumière chaude bondit alors à la droite d’Anak. Fidèle à sa parole, Laureline venait d’incendier une torche à l’aide d’un briquet et elle poursuivait sa tâche tout en longeant le mur de la pièce où ils se trouvaient pour faire de même avec les suivantes. S’éveillant comme les étoiles après le coucher du soleil, les torches révélèrent alors une salle au plafond immense et en forme de rond. Au centre de celle-ci, des marches en cercles se succédaient pour mener jusqu’à un plateau où reposait un socle de marbre blanc.

“Nodens, jura Sibéal, où avons-nous atterri ?

-C’est incroyable,” jugea Laureline avec fascination.

Anak regarda Laureline qui, lentement et avec révérence, mettait le pied sur la première marche et elle crut rêver. Laureline venait d’égorger quelqu’un et à la regarder, c’était comme si c’était déjà oublié. Se mordant la lèvre pour ne pas défaillir, Anak se délogea doucement de la prise de Valérian pour aller s’asseoir contre un mur et il la suivit, inquiet. Il s’assit près d’elle et posa une main réconfortante sur son genou avant de jeter un coup d'œil autour d’eux.

“C’est bien beau, accorda Valérian, mais on dirait bien que c’est encore un cul de sac.

-Tu ne réalises pas, Valérian ? lui demanda sa sœur. On y est. Là où tout a commencé.”

Laureline était désormais sur le plateau culminant et elle s’avança vers le socle pour caresser avec vénération la surface plane et dure . Quand sa voix reparut, elle glaça encore un peu plus Anak :

“Là où tout finira.”

OoOoOo

Valérian, bien que lui lui aussi trempé, l’avait longtemps gardée contre lui tout en la frictionnant et maintenant que ses habits commençaient tout doucement à sécher, elle souffrait bien moins du froid. Elle n’avait pas quitté sa place assise, si ce n’était pour faire un bref tour des lieux mais lorsqu’elle était tombée sur les multiples ossements, d’origine clairement humaine, qui jonchaient son itinéraire, elle avait ressenti un nouveau besoin de s’asseoir. La journée avait tout bonnement viré au cauchemar et elle avait délaissé le fusil le plus loin possible d’elle. Fort heureusement, Valérian ne la quittait pas et elle commençait à retrouver un semblant de sérénité. 

Laureline avait convoqué Sibeal sur le plateau supérieur pour que cette dernière lui prête assistance. Anak n’y était pas encore montée mais visiblement, le marbre du socle blanc était recouvert de nouvelles inscriptions. Et dans le roc de celui-ci, les deux femmes avaient trouvé une dague en os de baleine -selon Laureline- logée dans une fente et solidement accrochée par le manche avec une chaîne de métal afin de garantir que l’arme ne disparaisse pas. Cette découverte n’avait pas affolé Laureline, pas plus que celle des squelettes abandonnés, mais elle avait jeté un froid glacial sur les trois autres. 

Pourquoi auraient-ils besoin d’une dague ? 

“Je suis sûr qu’ils vont bien, la rassurait une énième fois Valérian, même si nous n’avons pas réussi à les rejoindre, j’en suis convaincu. Yakta et Chad savent se défendre.

-Oui mais tout peut arriver…

-Le Mod a tué le Yullop, et Chad a abattu Jasper, énuméra-t-il. On sait de source sûre que Dani et… Vanessa, prononça-t-il le prénom avec difficulté, ne peuvent plus leur faire le moindre mal. Il n’y a plus qu’Ulmer et Veirn.”

Anak opina du menton, se laissant convaincre par ces arguments rassurants, ses yeux tombant sur la fine pellicule d’eau qui tapissait les lieux. Valérian lui avait rapporté dans les moindres détails le récit des événements qu’elle avait loupé -Sibéal l’y avait aidé jusqu’à ce que Laureline nécessite son aide- et elle avait appris la manière quasi-suicidaire avec laquelle Murdock avait pensé à faire exploser le voilier pour éliminer le Yullop -elle avait par la même occasion appris le nom du monstre que Valérian, de par son identité, connaissait bien. Il lui avait aussi expliqué que, comprenant que Laureline et elle étaient partis en mission solitaire, il avait tenu à les rejoindre et que Sibéal avait voulu l’accompagner. N’ayant plus de zodiac, ils avaient dû y aller à la nage en usant de la forme aquatique de Valérian, ce qui expliquait qu’ils étaient tous les deux aussi mouillés qu’Anak. 

“C’est vrai, au moins on sait que le Mod va bien, souligna Anak dans un soupir, maintenant il ne nous reste plus qu’à sortir de là…

-A briser la malédiction, rectifia Laureline, dont l’ouïe ne semblait jamais rien manquer, il ne faut pas que tu oublies notre véritable objectif, Anak.”

Excédée, Anak leva les yeux au ciel avant de jeter un regard explicite à Valérian qui rit doucement. Sa sœur était tout bonnement insupportable. Étant désormais assise sur la première marche de l’escalier sphérique, Anak se retourna et leva les yeux sur la position supérieure où se trouvaient Laureline et Sibéal. 

“Rien de tout ça ne t’inquiète ? s’enquit Anak. Des gens sont morts, ici. Par dizaines ! Et il n’y a pas d’autre issue si ce n’est ce mur qui s’ouvre quand il veut !”

Après quelques minutes de captivité, Valérian avait ressenti la claustrophobie qui s’installait chez Anak et dans l’espoir de la rassurer -en dépit de Dani qui pouvait encore se trouver de l’autre côté, bien qu’agonisant-, il avait tenté de chanter de nouveau pour provoquer l’ouverture de l’arche. Celle-ci était restée hermétiquement close, les ignorant avec superbe. 

Face aux défis qu’Anak lui présentait, Laureline baissa son regard océanique vers elle et ce fut sur un ton condescendant qu’elle lui répondit : 

“Il suffit de faire ce qui nous est demandé et tout sera résolu.

-Ouais… dommage que ton Dieu nous ait laissé un post-it indéchiffrable, ironisa Anak.

-Je vais y arriver, Nanak, lui promit alors Sibéal, il faut juste que je fasse appel à ma mémoire.”

Piquée de culpabilité, Anak adressa une moue désolée à son amie. Elle n’avait pas voulu remettre en doute les facultés de traductrice de Sibéal. Au contraire, au stade où ils en étaient, seule Sibéal pouvait les sortir d'affaires. Mais cette situation lui mettait les nerfs à rude épreuve. Dès qu’ils arrivaient à bout d’un obstacle, il se voyait remplacé par un nouveau et leur progression se tâchait un peu plus de sang et de boyaux. Anak était fatiguée, éprouvée physiquement et mentalement, émotionnellement aussi. Elle voulait juste sortir d’ici et retrouver sa terre natale, retourner dans l’auberge de son père avec le Yaktantton et le serrer fort dans ses bras. 

Et Laureline… Laureline ne l’aidait vraiment pas à supporter la situation. Pour la consoler, Valérian lui caressa le dos. 

“Ca parle d’un cadeau, je crois, reprit Sibéal.

-Un cadeau ? demanda Laureline.

-Oui…”

Sibéal ne semblait pas très à l’aise en la compagnie seule de Laureline et s’en apercevant, Anak décida de quitter sa position assise tout en bas de la structure pour grimper à son tour les marches. Son amie parut soulagée de la voir arriver et elle lui offrit un petit sourire de gratitude qu’Anak lui rendit. Le bloc de marbre était intimidant vu de près. Rectangulaire, aux angles acérés, et recouvert entièrement de mots par centaines. Sibéal avait confirmé qu’il s’agissait de la même langue que celle de l’arche, même si Anak en avait oublié le nom depuis. 

Attiré comme un aimant, le regard d’Anak s’accrocha au manche de la dague qui dépassait du socle. 

“Une offrande, plutôt, précisa Sibéal.

-On dirait une table, lâcha Anak. 

-Je suis d’accord,” appuya Valérian.

Il venait d’arriver lui aussi sur le plateau. 

“Ça ne précise pas de quel cadeau il est question ? interrogea Laureline.

-Si mais ça n’a aucun sens. Ils utilisent les mêmes termes que sur le mur. Le peuple des eaux.

-Une offrande du peuple des eaux ? 

-C’est ce que je pensais, oui, mais la tournure de la phrase indiquerait plutôt…”

Sib ne termina pas sa phrase, se censurant volontairement tout en bloquant son regard sur Anak. Tout doucement, une intuition grandit dans l’esprit d’Anak, jetant une ombre froide dans son être qui ne cessait de croître. Elle se trouvait en cet instant précis dans les dispositions parfaites pour que les pires conclusions se fassent d’elle-même.

C’était bien une table. 

“Que le peuple de l’eau est l’offrande, c’est ça ? acheva Anak.

-Oui,” souffla Sibéal.

Une table sacrificielle.

OoOoOo

“Ça ne peut pas être ça, refusait Valérian, tu as sûrement mal compris. Il y a tellement d’écritures, tu n’as traduit que quelques mots. Continue de traduire.

-Je ne fais que ça ! certifia Sib avant de pointer du doigt un autre passage, Là, il parle de sacrifier un être marin avec la dague et de répandre le sang sur la table pour rougir ses gravures.

-Non, non…”

L’écho de l’entêtement de Valérian à nier l’évidence revenait à Anak, clair et sinistre, tandis qu’elle était descendue pour trouver une issue à cette cage qui s’était refermée sournoisement sur eux. Leur discussion au sommet de l’édifice n’avait duré que quelques minutes, pourtant lorsqu’elle en était descendue, la flaque d’eau qui recouvrait le sol de la salle ronde s’était épaissie de quelques centimètres. Et alors qu’elle faisait le tour, tâtonnant, s’agenouillant pour chercher une nouvelle crevasse dans les murs, griffant le sol en quête d’un mécanisme caché qui ouvrirait une trappe, l’eau continuait de monter. Elle avait déjà dépassé la moitié de ses mollets et Anak commençait à redouter le pire. 

“L’eau monte ! cria-t-elle. 

-Quoi ? lui répondirent Valérian et Sibéal d’une même voix. 

-Il y a une infiltration et l’eau monte, expliqua-t-elle avec un accent de peur, elle ne cesse de monter !

-Oh, nodens… j’ai lu quelque chose concernant la montée des eaux, mais je pensais que cela concernait celle des océans. 

-Que tout le monde garde son calme, intervint fermement Laureline, on commence tous à voir plus clair sur les enjeux qui entourent la malédiction.”

Alors que la conversation se prolongeait autour de la table de marbre, Anak marchait à grands pas empressés dans l’eau, longeant les murs, et retournait près de l’arche. Il devait forcément exister un moyen de l’ouvrir. Elle plaqua ses deux mains au centre de cette porte et les fit glisser, tâtonnant, comme à la recherche d’un interrupteur. 

“En quoi voyons-nous plus clair, Laureline ?! éclata Valérian. Ils nous demandent un sacrifice ! C’est absurde.

-Nous savions dès le début que ce ne serait pas chose aisée de briser la malédiction, Valérian.

-A en juger par les squelettes, nous ne sommes clairement pas les premiers à être arrivés jusqu’ici et personne n’a réussi à briser la malédiction. Ces gens sont morts ici !

-Parce qu’ils n’ont pas suivi les instructions ! protesta Laureline.

-Non mais tu t’entends ?!”

Leurs cris résonnaient dans ce vaste endroit clos et une migraine s'immisçait dans le crâne d’Anak comme la pointe d’un canif. L’eau lui chatouillait désormais les genoux, portant sur sa surface des ossements creux qui flottaient et venaient se coller à elle. De frustration, elle frappa des deux mains la paroi. Bien sûr, l’arche ne s’ouvrit pas. Ils étaient pris au piège, ici, et ils allaient finir noyés. 

“A L’AIDE ! hurla Anak contre l’arche. AIDEZ-NOUS ! ON EST ENFERMES !”

Sibéal et Valérian l’appelèrent, tandis qu’elle entendait Laureline soupirer que son attitude était ridicule. Anak s’en fichait éperdument. S’il existait la plus petite chance que quelqu’un l’entende, n’importe qui, de l’autre côté, elle persisterait. 

“UNE SIRÈNE DOIT CHANTER POUR OUVRIR LA PORTE !”

Peut-être que Yakta et Murdock étaient venus les chercher, peut-être qu’ils étaient dans le tunnel et qu’ils pourraient les entendre si elle criait suffisamment fort. Et Esteban, ou Fran, ou n’importe quelle sirène ou triton pourrait ouvrir l’arche de l’extérieur, et ce mauvais rêve se terminerait. Ils ne reviendraient jamais ici, jamais, jamais. 

“Personne ne t’entendra ! s’exaspéra Laureline. Et il n’y a pas d’autre issue ! On doit faire ce qui nous est dit de faire.

-LA FERME ! explosa Anak en faisant volte-face pour la fusiller des yeux. FERME-LA ! Tu es complètement folle !

-Au contraire, je suis la seule sensée ici.”

Anak avait envie de pleurer. D’exploser en sanglots et de hurler ses pleurs. Sur le plateau, Sibéal semblait elle aussi retenir ses larmes, tandis que Valérian persistait dans son déni. Un silence s’imposa quelques secondes avant que Laureline ne pousse un soupir et s’empare de la dague pour la lever à son cœur mais Sibéal se jeta sur elle pour retenir son geste. 

“NON ! Ça ne servira à rien ! La table dit qu’un humain doit tuer la sirène pour que ce soit valide.

-Tu mens, l’accusa Laureline, tu veux juste m’empêcher de régler la question parce que vous êtes tous faibles.

-Non, je ne mens pas. C’est écrit très clairement.”

Chacun resta en suspens un instant tandis que la gorge nouée, Anak s’adossait à l’arche en fixant le niveau de l’eau qui progressait contre ses cuisses, berçant les restes de leurs prédécesseurs. Personne n’avait donc eu le courage -ou la lâcheté-, la cruauté -ou la force- de faire le nécessaire pour briser la malédiction. Étaient-ils venus sans représentant du monde marin et n’avaient donc pas pu sacrifier une sirène sur cette maudite table ? Ou alors avaient-ils renoncé à commettre une telle atrocité ? Dans tous les cas, tous les os qui flottaient autour d’elle avaient appartenu à des personnes qui, par delà les siècles, étaient arrivés jusqu’ici et s’étaient vu enfermés face à cet effroyable dilem sans ne jamais exécuter les ordres inscrits dans le marbre blanc. 

“Alors, fais-le,” lui commanda Laureline.

Cette dernière tendit abruptement l’arme vers Sibéal mais celle-ci recula si fort qu’elle manqua de dégringoler les marches. Face à ce refus catégorique, Laureline se tourna pour baisser les yeux vers Anak qui l’ignorait superbement. 

“Tu ne m’apprécies pas, au point où actuellement tu dois même me détester,” analysa Laureline.

Anak ne s’embêta pas à essayer de le nier. Elle détestait Laureline, honnissait chacun des mots qui sortait de sa bouche, ne pouvait qu’à peine la regarder sans grimacer. Elle ne se rappelait pas avoir éprouvé tant d’animosité envers quelqu’un par le passé et Anak savait parfaitement que ces sentiments étaient intrinsèquement liés au cauchemar qu’ils vivaient. Ses émotions étaient décuplées, elle les ressentait si fort qu’elle en tremblait. 

“Ca me semble donc approprié que tu t’en charges,” décréta Laureline.

Jusque-là, Anak ne la regardait pas mais à ces mots, elle leva les yeux vers elle, écoeurée par ce qu'elle entendait.

“Je ne vais certainement pas faire ça, refusa-t-elle.

-C’est la seule façon, le seul moyen. L’eau monte, tu l’as dit. Seul Valérian pourra en sortir vivant, je ne suis pour ma part qu’une sirène par le sang mais je me noierai comme une humaine. Sibéal, moi, toi, nous sommes toutes condamnées, de toute façon.”

Sibéal se plaqua la main contre la bouche pour camoufler ses pleurs et Anak se mordit la lèvre pour retenir son souffle saccadé. Les mots de Laureline rebondissaient dans sa tête, saccageant tout sur son passage. Si elle la détestait aussi fort, c’était uniquement pour les immondes vérités dont elle était la seule à posséder le courage nécessaire pour les prononcer. 

“Tu as tiré sur Dani pour me protéger, lui rappela Laureline, je sais que tu en es capable. Que tu peux le faire pour protéger ton amie et mon frère. C’est aussi ce que tu dois faire pour sauver la planète.”

Anak secouait la tête pour rejeter chaque mot. Non, elle ne pouvait pas. Dani, c’était différent. Dani était un ennemi, il avait fait du mal à Wanda, à chacun d’eux, il méritait toutes les balles qu’elle lui avait envoyées, même si l’acte l’avait horrifié. Laureline était différente. 

“Laureline, arrête, intervint Valérian, elle ne peut pas faire ça, elle…

-Elle peut, le coupa-t-elle sèchement, elle peut et elle va le faire. Anak, rejoins-nous.”

Ses yeux se posèrent sur les morceaux de squelettes, sur cette représentation si réelle de la mort et de ce qui les attendait, sur l’eau également qui se hissait quasiment à sa taille. Et elle avança. Elle était congelée, de l’extérieur à l’intérieur. Elle mit le pied sur la première marche et gravir chacune des suivantes lui faisait presque mal. Quand elle arriva au sommet, ni Sibéal, ni Valérian n’osait la regarder et Laureline s’imposa à elle, lui tendant la main. Elle ne sut pas pourquoi elle accepta de la prendre. 

“Ce n’est pas un meutre, lui assura Laureline avec douceur et conviction, c’est un sacrifice volontaire de ma part et je te le demande comme une faveur. Pour ton peuple et pour le mien.”

Désormais, il n’y avait plus seulement Sibéal qui pleurait, Valérian lui présentait son dos mais Anak savait que c’était pour lui cacher ses larmes. Il ne supportait pas de regarder la scène qui se déroulait juste à côté de lui, de sa propre sœur qui implorait sa copine de la tuer. Anak elle-même n’arrivait pas à croire que tout ça était réel, que toute l’animosité qu’elle avait alors ressenti pour Laureline s’était muée en une sorte de confiance parce qu’elle savait qu’elle disait la vérité. 

Que c’était leur unique chance. A elle-même, l’unique solution pour qu’elle ne meurt pas ici, pour qu’elle retrouve son père et Moh, Yakta et Chad, et tous ceux qu’elle connaissait et aimait. Pour qu’elle ne meurt pas à vingt-sept ans dans une grotte perdue dans l’océan, pour rien, juste par faiblesse. Mais à Sib aussi, pour qu’elle sorte d’ici et vive son histoire d’amour avec Murdock qui n’était qu’à son auror, vive auprès de Nialh et de leurs amis, de leur famille.

Pour qu’elles vivent toutes les deux, Anak devait tuer Laureline qui était, de toute façon, tout aussi condamnée qu’elle. 

La main de Laureline fut remplacée par le manche de la dague, tiédi par la chaleur corporelle de la sirène qui l’avait tenu jusqu’à maintenant. Avec un frémissement, elle baissa les yeux sur l’arme tandis que Laureline refermait les doigts d’Anak autour du manche composé du même marbre blanc que la table à laquelle il était enchainé.

“Fais-le, Anak, lui souffla Laureline, fais-le maintenant. Mets fin à tout ça.”

Anak leva la dague de ses mains tremblantes et par le rideau flou des larmes qui recouvrait ses yeux, elle fixa Laureline. Pendant de longues secondes, elle s’imagina le faire, visualisa le geste. Elle voulut se faire violence et le faire. Elle se hurla de le faire comme un mantra.

FAIS-LE, ANAK ! PAR AMOUR POUR TOUS CEUX QUE TU AIMES, FAIS-LE ! POUR SIB, FAIS-LE ! POUR TOI, FAIS-LE ! FAIS-LE, FAIS-LE, FAIS-LE…

Un sanglot apparut, s’éjectant de sa gorge et balaya tout le reste. De ses mains tremblantes, la dague s’échappa et rebondit au sol, et elle engouffra son visage dans ses mains tout en s’excusant mille fois. Elle ne pouvait pas, elle en était strictement incapable. Valérian vint la recueuillir dans ses bras et Sibéal lui caresser le bras en lui assurant qu’elle avait fait le bon choix. Ils pleuraient tous les trois. 

“Alors, soupira Laureline, on va vraiment toutes mourir ici pour rien.”

OoOoOo

“Anak… je ne veux pas que tu meures, ni toi, ni Sibéal, ni ma soeur, je…”

Adossée contre la table sacrificielle et consummée par leur désespoir, et ce puits de tristesse qui se révélait sans fond, Anak avait abandonné tout espoir de quitter cet endroit. Sibéal se trouvait dans un état d’abattement apathique similaire au sien et la joue posée contre l’épaule d’Anak, elle restait silencieuse et immobile. Leurs larmes s’étaient depuis longtemps taries, elles restaient humaines et leurs corps ne pouvaient pas produire des fluides à l’infini, elles n’en avaient de toute façon plus la force.

Valérian tenait Anak contre lui et il était le seul à ressentir encore le besoin de parler. Peut-être était-ce parce qu’il savait qu’il serait le seul à sortir d’ici vivant. Un triton ne pouvait pas se noyer. 

De son côté, Laureline était debout et suivait l’avancée des eaux avec un air lugubre et accusateur qu’elle tournait régulièrement vers le trio, pour leur rappeler que tout cela était de leur faute. Que tout ce qui se produirait à partir de maintenant était causé par leur faiblesse, leur couardise et leur égoïsme. Que les eaux engloutiraient cette grotte et poursuivraient leur ascension jusqu’à avaler chaque lopin de terre de leur planète, et que lorsqu’ils avaient eu l’opportunité d’empêcher cette fatalité, ils n’avaient pas su se montrer à la hauteur. 

“C’est- c’est idiot, bégaya-t-il, c’est du gachis.

-Tais-toi, je t’en supplie,” répondit Anak.

L’eau glissait dorénavant sur le plateau supérieur. Bientôt, ils n’auraient plus aucune surface sur laquelle se reposer. Il leur faudra flotter, tout comme les ossements, flotter jusqu’a ce que l’eau atteigne le plafond et que la mort les prenne. 

“Je ne sais pas si je pourrais vivre avec ça, lui murmura Valérian, je crois que je préfère être mort.”

Anak ferma les yeux, attendant que Valérian lui demande l’intolérable. Finalement, aucun autre mot ne fut prononcé en ce sens. Il n’avait ni la force, ni le courage de lui demander une telle chose. N’était-ce pas précisément ce qui les condamnait tous dans cette grotte ? 

Ayant certainement entendu l’échange, les pleurs de Sibéal revinrent et Anak la serra contre elle dans l’espoir futile de la réconforter.

Leurs pleurs, pas plus que leur étreinte, n'auraient bientôt plus la moindre importance.

      OoOoOo

Les jambes de Valérian s’étaient métamorphosées en sa longue queue argentées terminées de nageoire, et il les soutenait physiquement pour les aider à rester à la surface malgré l’épuisement. Laureline, elle, s’était allongée contre la surface de l’eau en une planche passive sans se soucier que le plafond lui frôlait se rapprochait à une allure folle. Anak était jalouse de sa sérénité, de la manière dont elle acceptait la mort alors qu’elle s’échinait de battre des jambes et des bras, et de maintenir sa tête au-dessus de l’eau. 

Ils y étaient, le moment approchait. L’eau les avait poussés contre le plafond et désormais ils n’étaient plus qu’une question de secondes avant qu’il ne reste plus un seul centimètre d’air libre. Toutes les torches étaient sous le niveau des eaux depuis quelques temps et autour d’eux, les lieux étaient emprisonnés dans un noir complet.

“Il n’est pas trop tard, répétait parfois Laureline, nous pouvons encore plonger jusqu’à la table.”

Anak avait un peu espéré que face à la proximité féroce de la mort, une fois plaquée au plafond et qu’elle lutterait pour sa vie, sa morale dégringolerait et qu’elle serait capable de prendre la seule décision qui les sauverait. Mais elle ne l’était pas, et Sibéal non plus. Elles ne pouvaient pas s’y résoudre même alors que leurs larmes amères se mêlaient à l’eau sale et que leurs cranes se cognait au plafond. 

“Préparez-vous ! leur lança Valérian, au bord de l’hystérie. Laureline, prépare-toi ! Laureline !

-Préparons-nous, oui, approuva-t-elle platement, préparons-nous à la mort.

-Putain, écoutez, poursuivit Valérian contre elle, au dernier moment, il faut que vous preniez la plus grande bouffée d’air possible et que vous la reteniez. Je vais-je vais essayer de… d’accord ?

-Oui,” accepta Sibéal à bout de souffle. 

Anak se contenta d’acquiescer, même si personne ne pouvait voir son geste. Elle ne savait pas bien pourquoi elles se battaient, résistaient, cherchaient par tous les moyens à survivre à l’insurmontable mais c’était naturel, c’était instinctif. Anak se tenait à l’épaule de Valérian et il la portait par la taille pour qu’elle ne se fatigue pas trop. C’était une comédie bien cruelle de se débattre contre une telle force. 

Sibéal et elle durent rapidement adopter elles aussi la position de la planche, la pellicule d’air qui les séparait du plafond était aussi fine que le dos d’un livre.

“Maintenant !” ordonna Valérian.

Anak bloqua une trombe d’air dans ses poumons et luttant contre la panique, elle ferma les yeux et essaya de faire le vide, relâchant tous ses membres pour réduire son besoin en oxygène. Elle sentit encore brièvement les mains de Valérian contre elle avant qu’elles ne disparaisse, et elle résista pour ne pas réagir. Elle ne devait pas ouvrir un chemin à la peur. 

Elle s’imagina en méduse. Libre et sans restriction, sereine là où elle flottait, voguant au gré des eaux. Soudainement, on la tira dans les profondeurs et elle faillit presque relâcher tout son stock d’air dans un cri muet mais elle n’ouvrit que les yeux. Le noir était encore insondable et parfait, et elle les referma. Même si elle ne pouvait pas le voir, elle savait qu’il s’agissait de Valérian. D’un bras lui encerclant la taille, il la maintenait fermement contre son torse alors qu’il nageait puissamment. Elle sentait les trombes d’eaux qui filaient autour d’elle et elle acceptait le déplacement sans comprendre son but. Que cherchait-il à faire ? L'entraîner dans les profondeurs de la salle ? Dans quel but ? 

Mais ses réflexions cessèrent ici alors que l’air venait à lui manquer douloureusement. Son absence était telle du sable contre une plaie fraîche, griffant, rayant sa gorge et ses poumons, embrasant son corps tout entier. Elle luttait pour ne pas céder à l'asphyxie et garder les quelques molécules d’air qui leur restait dans son corps mais ça faisait tellement mal, c’était insupportable. 

Le temps s’allongeait comme un élastique qui se tendait à l’infini, l’écartelant au passage et elle luttait, bataillait de toute sa volonté. Son corps tout entier se révulsait, protestait, ses poumons se rétractaient, et chaque battement de son cœur était insoutenable, jusqu’à ce que finalement toutes ses forces s’épuisèrent avec le reste de son air.

Et le vide se fit.

Le vide, un battement, un deuxième, puis un choc. Son corps fut secoué si fort que son crane percuta le sol et un éclair la traversa de part en part. Elle se redressa vivement, une vague d’eau déferlant de sa gorge qu’elle cracha, et alors qu’elle se retrouvait sur les coudes, en clignant des yeux avec affolement, elle se rendit compte qu’elle était couchée sur une surface rocheuse. Qu’un vent puissant fouettait tout son corps, réveillant ses sens et que des mains l’entouraient. Quand elle eut la présence d’esprit de chercher son sauveur des yeux, Valérian lui apparut, les yeux baignés de larmes, et rayonnant de soulagement. Il l’attira brutalement dans ses bras tandis qu’elle peinait encore à respirer convenablement. 

“Tu es en vie, mon dieu, dit-il contre elle, j’ai eu tellement peur…

-Que s’est-il passé ?” parvint-elle à demander.

Peu à peu, elle découvrit le décor environnant. Ils se trouvaient à nouveau dans une espèce de grotte mais celle-ci donnait directement sur l’horizon, le ciel et la mer s’allongeaient devant eux. Non loin d’elle, Sibéal connaissait le même réveil éprouvant qu’elle avait subi à l’instant grâce au massage cardiaque que Laureline lui prodiguait. Ahurie, croyant délirer, les yeux d’Anak tombèrent sur la longue queue aux écailles, couleur corail, qui était désormais attachée à la taille de la sœur jumelle de Valérian. 

“Une trappe s’est ouverte dans une paroi, lui expliqua Valérian, et Laureline… Laureline s’est transformée. On a pu vous sortir de là juste à temps pour réussir à vous réanimer. 

-Où sommes-nous ? 

-Tout en haut du rocher, révéla Laureline avec un sourire éclatant, et je crois bien qu’on a réussi.”

L’émotion était apparente dans les yeux de Laureline. Anak se tourna vers Valérian qui l’aidait à se redresser. Le même émerveillement comblé magnifiait son beau visage et après avoir chassé les mêmes folles qui barrait le front d’Anak, il éclaircit les propos de Laureline : 

“Laureline est guérie, ce qui ne peut signifier qu’une chose. On a brisé la malédiction.”


 

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