Chapitre 45 : Isis

Par Zoju
Notes de l’auteur : Déjà une bonne année à tous ! Voilà enfin le nouveau chapitre ! J'espère qu'il vous plaira ! Bonne lecture ;-)

- Isis.

Mon prénom me sort des pensées où j’étais plongée. Magda se tenant en face de moi désigne la corde qui se trouve à mes pieds. Je m’empresse de m’abaisser pour la récupérer et lui passer.

- Pardon, j’étais distraite.

Elle me remercie et d’un geste ferme le sac qu’elle vient de remplir.

- Tu sais, Isis, me dit-elle après avoir fini ta tâche. Je te suis infiniment reconnaissante de m’avoir proposé ton aide, mais tu es encore en convalescence.

- Mon travail ne te convient pas ?

Elle secoue la tête.

- Il est parfait. C’est juste que si tu es fatigué, je ne t’en voudrais pas si tu souhaites te reposer.

- Je vais très bien, lui assuré-je. J’ai seulement eu un moment d’inattention.

Sur ce, nous reprenons en silence le tri des nouvelles denrées alimentaires qui nous sont parvenues la veille. Tandis que Magda s’occupe de peser la farine et le sucre, je me charge des pommes de terre. Mon poignet n’étant pas encore complètement valide, je me contente de tâches simples. J’ignore si je suis vraiment d’une quelconque utilité, mais impossible pour moi de rester sans rien faire. Tiphaine m’a pourtant ordonné de souffler un peu. Mais, en cet instant, je suis bien incapable de lui obéir malgré le manque de sommeil flagrant que j’accumule. J’ai besoin de bouger, me concentrer sur quelque chose pour ne plus penser à rien. C’est devenu une obsession. Depuis mon retour au camp, je ne parviens plus à être en paix. Les mêmes images reviennent sans cesse me hanter : le cadavre de l’homme que j’ai poignardé. Il me suffit de fermer les yeux pour me retrouver les mains couvertes de sang. Je ne compte plus le nombre de nuits où je me réveille en sueur, la nausée au bord des lèvres, terrifiée par ce que j’ai commis. Je me haïs. Je me haïs d’être encore en vie alors que j’ai assassiné quelqu’un. Légitime défense, me crie mon esprit. Meurtre, beugle mon cœur. Je n’ai jamais voulu… Je voulais simplement être utile. Me battre contre le mal. Face à cette naïveté, je n’ai qu’un désir : frapper l’idiote que j’étais. Et pourtant quand je me regarde maintenant, je vomis cette personne que je suis devenue. Je n’ai qu’une envie : hurler. Hurler ma détresse. Hurler ma rage. Hurler le dégoût que je ressens envers moi. Mais j’en suis tout bonnement incapable. Trouver du réconfort alors ? Auprès de qui ? Andy ? Madeleine? Les rebelles ? Ils seront comme Jude. Loin de me comprendre, ils me féliciteront. Luna? Depuis son retour du raid, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Je jette un coup d’œil à Magda. Elle, peut-être ? Par sa voix douce et ses gestes, je retrouve en elle quelque chose de maternel, mais étrangement une distance persiste entre nous. Car comme avec ma mère, je ne parviens pas à dévoiler entièrement mes secrets. C’est la figure de l’adulte, de l’aînée… Non, les seules personnes chez qui je pourrais me tourner ne sont pas à mes côtés. Elena est toujours prisonnière de ses tortionnaires et Hans est parti. Deux semaines se sont écoulées depuis qu’il a rejoint le camp secondaire et son absence me pèse. Lui aurait su trouver les mots de réconfort qu'il me faut. Alors, pour unique consolation, je me contente de pleurer à l'abri des regards dans mon coin tout en gardant le sourire en assurant que je me porte comme un charme. Sourire factice. Paroles édulcorées. Rien de plus facile. Je dois juste ne pas craquer en public. Qui aurait cru que jouer la comédie continuerait en dehors de la base ?

 

D’une main, je récupère le sac que je viens de remplir et l’amène dans la réserve ou une vingtaine d’autres est déjà entassée. La tâche accomplie, je rejoins Magda qui a presque fini avec sa mission. Le dernier paquet de farine fermé, elle relève la tête et un sourire détend ses traits.

- Petite pause, m’annonce-t-elle en s’essuyant les mains sur son tablier. Je me réchauffe du café. Tu en veux ?

- Pas refus.

- Ça marche !

L’instant d’après, je m’installe sur une caisse tandis que l’intendante prépare le breuvage. Quelques minutes plus tard, je me retrouve avec une tasse bien chaude entre les mains. Pas sûr qu’avec la chaleur étouffante qui nous assaille depuis plusieurs jours, ce soit la meilleure manière pour nous rafraichir, mais rien de tel comme boisson pour me remettre d’aplomb. Avant d’arriver au camp, je n’en buvais jamais. Trop amer, je n’appréciais pas ce breuvage. Andy a finalement réussi à me faire prendre goût. Il faut dire qu’il sait faire le café comme personne. Nous buvons sans échanger un mot. Je n’aime pas ce silence. Il est vrai que ces derniers jours, je ne supporte plus le calme. Le temps s’écoule. N’y tenant plus, j'engage la discussion sur le premier sujet qui me vient à l’esprit.

- Magda, pour Elena, je suis désolée.

Dès l’instant où je termine ma phrase, je me déteste un peu plus. Décidément, je ne suis pas bien ? Qu’est-ce qui me prend de retourner le couteau dans la plaie ? Un éclat de tristesse traverse les prunelles de ma voisine, mais contre toute attente, elle me fait un mince sourire.

- Ne le sois pas. Vous avez fait ce que vous avez pu.

Elle se tait, tourne le liquide brun dans sa tasse et poursuit aussitôt d’un ton un peu plus joyeux.

- Ma fille a toujours eu le café en horreur. Je ne te dis pas les kilos de sucre qu’elle mettait dans son thé le matin pour faire disparaitre la moindre amertume.

Pourquoi cette anecdote ? m’étonné-je mentalement. Un sourire nait sur mes lèvres.

- C’est vrai qu’à la base, elle n’en prenait jamais. D’ailleurs, Luna pestait sans cesse sur sa sœur qui touchait à peine au thé qu’elle lui faisait. Il faut reconnaitre que Luna infusait beaucoup trop.

L’amusement de mon interlocutrice apparait un peu plus.

- Je vois que les habitudes ont la vie dure. Juste par curiosité, Ellie cachait-elle des gâteaux ?

Je suis surprise par sa demande.

- Pas que je sache, mais les rares fois où l’on déjeunait ensemble, elle tartinait son pain avec une double couche de confiture.

Magda lève les yeux au ciel.

- Petite, elle se faufilait fréquemment la nuit dans la cuisine pour piquer des friandises dans les armoires. Je ne te dis pas le nombre de fois que j’ai dû les changer de places. J’ai même longuement hésité à mettre un cadenas, mais la connaissant, rusée comme elle est, elle aurait fini par chiper la clé.

Je ne peux m’empêcher de rire. J’ignorais cette facette de mon ancienne supérieure, mais étrangement je trouve que ça lui ressemble bien. Alors que nous discutons, quelqu’un entre dans la pièce. Dans un même élan, Magda et moi tournons la tête et découvrons Anna se dirigeant vers nous. La maigreur et le teint blafard de la nouvelle arrivante me sautent aux yeux. Pourtant, malgré les traces visibles de son précédent malaise, la sœur de Hans est comme moi. Incapable de tenir en place depuis sa sortie de l’infirmerie qui remonte à avant-hier.

- Tim désire te parler, Magda, nous annonce-t-elle aussitôt.

Dans un soupir, ma voisine se relève.

- Très bien. Surement, un état des lieux complet.

Hochement de tête d’Anna. Magda se tourne vers moi.

- Isis, inutile de m’attendre. Reviens demain si tu le souhaites.

- Tu sais bien que c’est avec plaisir que je t’aide.

Nous échangeons un sourire, puis sans rajouter quoi que ce soit, Magda quitte l’intendance. Anna porte son attention sur moi.

- Ça fait un petit moment, Isis, mais comment vas-tu ?

- Ça peut aller, déclaré-je laconiquement. Et toi ?

- Aussi. Au fait, je souhaitais m’excuser pour le raid. Si j’avais pu y aller, tu n’aurais pas couru un tel risque.

En écho à ce souvenir, j’ai l’impression que ma blessure me lance. Je me remémore la certaine euphorie qui m’avait gagné quand Tim m’avait proposé de participer à cette mission. De l’action, je n’attendais que ça et maintenant je n’ai que des regrets.

- Ne le sois pas, lui assuré-je en espérant que mon ton ne trahisse pas mon désarroi. Il fallait bien que je découvre la réalité un jour ou l’autre.

Son expression s’assombrit.

- Tu es un élément très prometteur, Isis. Je ne remets pas ça en cause. Ne m’en veux pas, mais je pense que c’était trop tôt.

- Probablement, toutefois, ce qui est fait est fait. Merci de t’inquiéter pour moi, Anna, mais je te promets que je vais bien.

- Si tu le dis. Viens me voir si tu désires parler.

À ses mots, l’image du cadavre rejaillit brusquement dans mon esprit. Je retiens in extremis mes angoisses. Libérer ce que j’ai sur le cœur, je n’ai envie que de ça, pourtant je bloque. Je me contente finalement d’opiner en taisant ce poids qui me pèse. Il est toujours plus facile de mettre à plus tard. La sœur de Hans me fixe en silence un moment, puis me fait un sourire chaleureux et me souhaite une bonne journée. Avant qu’elle s’éloigne, je l’interpelle. Étonnée, elle m’invite à continuer.

- Tu as des nouvelles de Hans ?

- Pas énormément, mais Tim m’assure qu’il va bien.

- Tu sais quand il rentre ?

- Pas dans l’immédiat en tout cas. Gleb doit encore lui faire passer quelques examens.

La déception se fait un peu plus mordante.

- D’accord.

Elle revient sur ses pas pour se placer à mes côtés.

- Ne fais pas cette tête, Isis. Mon frère sera à nouveau bientôt parmi nous.

Je lui fais un pauvre sourire. Je l’espère.

- Autre chose ? s’enquit Anna.

- Oui, prends soin de toi.  

- Promis et ça vaut pour toi aussi.

Un dernier signe et elle me laisse seule. 

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Sklaërenn
Posté le 31/01/2022
Holà ! Je faisais le point sur ma PAL et quelle ne fut pas ma surprise en voyant ce chapitre que je sais avoir lu et où j'étais persuadée d'avoir laissée un commentaire.

Désolé ;-;

"- Pas refus." Pas de refus, non ?

"- Ma fille a toujours eu le café en horreur. Je ne te dis pas les kilos de sucre qu’elle mettait dans son thé le matin pour faire disparaitre la moindre amertume." Ahah, je faisais pareil quand ma grand-mère voulait me faire boire du thé. Je ne sais combien de fois je l'ai vu faire les gros yeux devant la quantité de sucre que je mettais pour au final ne pas tout boire ^^'

"- Tu es un élément très prometteur, Isis. Je ne remets pas ça en cause. Ne m’en veux pas, mais je pense que c’était trop tôt." Hans a pourtant essayer de le faire comprendre, mais bon...

Pauvre Isis, elle a beaucoup a évacué. J'espère qu'elle trouvera quelqu'un avec qui elle pourra relâcher tout ça pour apaiser un peu ses regrets. J'ai envie de lui faire un calin <3
Zoju
Posté le 31/01/2022
Salut !

Aucun souci pour le commentaire ! Je suis déjà très contente de savoir que tu continues à lire ce récit. Désolée d’ailleurs pour les temps d’attente un peu long.

Effectivement, Anna pense comme Hans. Elle est celle qui a entraîné Isis aux combats et s’il y a bien quelqu’un qui la connaît sur ce point, c’est elle.

Isis prend beaucoup sur elle, trop même. Si physiquement, elle était prête à prendre part au raide, mentalement elle reste fragile.

Pour le thé, j’étais pareille aussi XD Maintenant, c’est plutôt le contraire, mais je n’aime toujours pas le café.

Quoi qu’il en soit, ça me fait toujours autant plaisir d’avoir tes retours. La suite est en cours d’écriture et devrait, j’espère, bientôt être publiée.
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