À la suite de notre échange, Stephen ne m’a plus jamais adressé la parole en privé et les rares fois où nous avons une interaction, il se contente de brefs signes ou ordres laconiques. Pour ma part, il suffit que nous soyons seuls ou qu’Enrik soit distrait pour que je tente de capter son attention par un regard ou un geste. Je sais qu’il fait tout pour m’ignorer de légères crispations le trahissent. J’espère l’avoir à l’usure, le souci c’est que pour l’instant il tient bon. Ce qui ne m’arrange en rien. Peu importe la méthode, peu importe les personnes, il est plus que temps que j’agisse. J'aimerais tant que ce soit aussi simple. Seule, je n’arriverai à rien. J’aurais beau concevoir toutes les stratégies possibles et imaginables, mon corps commence à ne plus parvenir à suivre. Tenir debout me demande trop d’effort et si je dois me battre autant rester enfermer ici. Je n’ai aucune chance. J’ai besoin d’aide. J’ai évoqué cet allié à Vincent. Comme craint, je n’ai eu droit qu’à un énième sermon. Il m’a traité d’imbécile et m’a intimé d’oublier ce stupide projet. J’ai protesté en lui assurant que Stephen était différent. Il a alors planté son regard sévère dans le mien et m’a dit :
- Crois-moi sur parole, Elena. On ne travaille jamais par hasard dans la section médicale. Jamais !
- Je pense que je n’ai pas été assez clair avec toi, Vincent. Crever dans ce trou à rat n’est pas dans mes plans. Quand comptes-tu me sortir d’ici ?
- Tu vas encore devoir te montrer patiente. Avec le dernier raid rebelle, ce serait du suicide de risquer quoi que ce soit.
En entendant ce mot, j’ai vu rouge et c’est avec peine que je ne lui ai pas craché ma fureur au visage. Patienter ? Il n’a que ça à me proposer. Avec le ton qu’il emploie, j’ai eu l’impression d’être un gosse capricieux. Ayant fini ce qu’il avait à faire, il s’est levé, m’a donné ses recommandations habituelles et est parti. La patience ? Je voulais hurler. Je me suis tue. Le problème, c’est que j’atteins mes limites.
Le lendemain, il ne s’est toujours rien passé. Je fixe le bout de tissu déchiré que je tiens entre mes mains. SOS. Trois lettres en trou. Stephen va comprendre que je ne compte pas lâcher l’affaire. Peu importe les ordres de Vincent, je ne laisserai pas tomber cette possible aide pour m’échapper de cet enfer. Pourquoi est-ce que je m’acharne ? Plus rien ne me retient dans ce monde. Il me serait si simple de voler l’une des lames de Vincent pour m’ouvrir les veines. Comme avec les cobayes, une coupure nette et c’est fini. Comparée à ce que je vis ici, la mort me paraitrait si douce. Une délivrance. Ces pensées, j’en ai honte. Depuis quand je préfère la facilité ? Pourtant, je sais qu’au fond de moi, j’en suis tout bonnement incapable. Je suis lâche, je suis terrorisée et ce n’est pas prêt de changer. Je retiens un ricanement. Tu es vraiment pathétique, Elena. Si ta misérable existence te plait, il ne te reste plus qu’à survivre. C’est bien ce que je compte faire.
Quand on vient me gaver mes médicaments, je suis prête. La porte s’ouvre et Stephen entre dans la pièce. Enrik demeure légèrement en retrait. Depuis l’arrivée de son supérieur, il ne prononce plus un mot, mais son regard chargé de haine en dit suffisamment. Voir cet homme remis à sa place ne m'apporte que jubilation. Qu’il n’oublie pas sa place ? Lui comme moi n’avons pas plus de valeur qu’un insecte. Un pas de travers, une parole de trop et on vous remercie. Il n’en reste pas moins qu’il peut se révéler dangereux. Il ne fait aucun doute qu’il souhaite faire tomber Stephen, peu importe la manière, il retournera la moindre faiblesse ou signe de traitrise du capitaine contre lui. Je sais tout ça, alors pourquoi est-ce que je glisse tout de même mon message dans une des poches de Stephen. Si Enrik ne peut rien voir de là où il est, le capitaine n’en a pas raté une miette. J’ai décidé de devenir agressive. Hésitation, désapprobation, colère traversent fugacement son expression. Ses yeux s’obstinent à ne pas croiser les miens. Que va-t-il faire ? Mettre la main dans la poche pour me rendre la missive ? Rien ? Il choisit cette option en se redressant avant de s’éloigner et de claquer la porte derrière lui. Je me recouche dans mon lit. Loin du soulagement, seule l’angoisse persiste. Les dés sont jetés et l’attente peut reprendre.
Le couvre-feu est déjà imposé depuis longtemps quand quelqu’un se présente devant ma prison. Sans surprise, c’est Stephen qui s’introduit dans la pièce. Il allume sa lampe et la gravité de ses traits me saute directement aux yeux, ce qui accentue davantage les importants cernes qu’il aborde. Il ne me laisse pas prendre les devants qu’il réagit à peine entré.
- Tenez, me dit-il en me lançant un paquet qui atterrit dans mes mains.
Mon regard passe du cadeau à Stephen sans comprendre avant qu’une odeur de nourriture atteigne mes narines. Je déballe le papier pour découvrir un sandwich avec ce qui me semble être du jambon à l’intérieur.
- Mon repas de ce soir, m’informe-t-il.
- Et toi ?
- Pas faim. Mangez, Elena. Ça vous fera du bien.
Bien que j’en meurs d’envie, je parviens à me contenir et dépose le pain à mes côtés. Je ne dois pas oublier pourquoi il est là et pourquoi je voulais le voir.
- Tu as donc bien reçu mon mot ?
De nouveau ce même malaise dans le regard pourtant, il ricane.
- Comment si vous l’ignorez.
- Alors ? insisté-je.
Il sort quelque chose de sa poche et je reconnais la missive que je lui ai transmise.
- C’est la dernière fois que je viens vous parler en cachette. Je vous demande de cesser tout contact avec moi. Vous êtes beaucoup trop imprudente. N’importe qui aurait pu tomber sur ce mot. Comme je vous l’ai dit, j’ai trop à perdre.
- Si tu étais à ce point vigilant, tu l’aurais déjà détruit. Laisse-moi, devinez, continué-je avant qu’il ne rétorque quoi que ce soit. Tu as peur ?
Ma voix n'est que reproche. Stephen ne cille pas.
- En quoi ce serait mal ?
Nous nous toisons en silence avant qu’il ne reconnaisse :
- Vous avez raison, je suis terrorisé, mais qui ne le serait pas à ma place ?
- Tu refuses donc de m’aider.
- Je pensais avoir été clair la dernière fois.
- Je t’assure sur ce point. J’ai compris. Simplement, c’est mal me connaître.
- Il est vrai que j’ignorais que vous étiez du genre tenace.
Mon ricanement résonne dans la pièce, mais la joie n’y est pas. Mon cœur est douloureusement serré. J’ai l’impression d’étouffer. Je sens que si je ne lutte pas, je risque de rebasculer dans cet abîme qui se languit de moi. J’ouvre ma main et fixe ma paume. Elle tremble.
- Tu sais, Stephen. Tu n’es pas le seul. Plus trouillarde que moi, c’est difficile à trouver. Pendant des années, j’ai accepté sans broncher qu’elle me paralyse. J’avais beau hurler ma détresse, elle ne cessait de me broyer. J’ai préféré me taire. Pour éviter de souffrir. Pour prouver que cette terreur ne me faisait rien (mon poing se serre). Quelqu’un m'a ouvert les yeux. Il m'a fait comprendre qu’avoir des faiblesses n’était pas une honte et que je devais les accepter pour aller de l’avant.
Je reporte mon attention sur le capitaine.
- Je suis toujours la même. Si je le pouvais, je me terrais dans un coin et laisserais le temps en finir avec moi. Le problème, c’est que je ne peux plus accepter cette vie. J’ai promis à Hans de survivre et c’est ce que je compte faire. Alors, je te le redemande, Stephen. Aide-moi !
Toute fausse assurance a disparu. Il sue à grosses gouttes et sa respiration est désormais irrégulière. Nos regards se croisent une fraction de seconde avant qu’il ne détourne le sien. Ne souhaitant pas le brusquer, je maintiens la distance qui nous sépare, même si je m’écoutais, je me lèverais pour le secouer. Il éponge son front avec la manche de son uniforme.
- Je… Je ne… Je ne peux… pas.
Si la dernière fois, la colère prédominait, ici une certaine indulgence m’envahit. Je sais à quel point il faut être courageux, presque fou pour s’opposer à mon père et à l’armée. Une détermination nouvelle semble éclore au fond de moi. Dans cette pièce, je ne suis pas la seule à devoir être sauvée. J’ai également mon rôle à jouer pour l’arracher à cet enfer. Le hic, c’est que tant qu’il ne me montrera pas de signe prouvant qu’il accepte de se rebeller, je ne peux rien faire. C’est de son plein gré qu’il doit agir et non sous une quelconque contrainte. Un déclic qui le fera changer. Une idée me traverse soudain l’esprit et elle franchit instantanément mes lèvres sans que je puisse faire quoi que ce soit.
- Je suis enceinte.
C’est la première fois que je l’énonce à voix haute depuis que Vincent m’a informé d’une possible fausse couche. Je crains que ma voix me trahisse, mais elle reste étrangement calme. À force de vouloir tuer cette tristesse ces dernières semaines, je ne ressens finalement plus rien qu’un froid glacé. Détourner le regard sur cette vérité est ce qui m’a semblé de mieux à faire et maintenant quand je parle, j’ai l’impression de ne pas être moi. D’instinct ma main s’est portée sur mon ventre comme signe de protection. Stephen a arrêté de respirer et me fixe avec horreur.
- En… enceinte ?
Hochement de tête de ma part.
- Co… Comment pouvez-vous savoir en étant enfermé dans cet endroit ? Votre dossier n’a jamais mentionné de grossesse.
Je retiens le gloussement au fond de ma gorge. Quelle naïveté !
- Parce que tu crois que je vais le crier sur tous les toits ? déclaré-je un peu sèchement. Si Assic le découvre, je sais que jamais je ne verrai mon enfant.
Il se tait un long moment pour assimiler avant de me demander :
- Depuis quand ?
- Trois mois, mentis-je. Avec Hans, nous avions décidé de nous enfuir bien avant qu’il ne soit contaminé, mais la situation ne s’y prêtait pas. Nous avons finalement dû déserter en urgence et la suite… Tu la connais.
Je suis moi-même étonnée par la facilité avec laquelle j’affirme ce mensonge. Je m’attends à ce que mon corps proteste d’une quelconque manière, mais il reste de glace. Je suis incapable de mentir. Va-t’il me croire ? Le capitaine se mord frénétiquement les lèvres. Son regard fuit le mien. Il est évident qu’il ne sait plus où se mettre. Le silence s’éternise. Beaucoup trop long à mon goût. L’angoisse s’insinue peu à peu en moi. Je crains ce qui va suivre. Stephen finit par expirer lentement et poser sa main sur la poignée de porte.
- Je vais vous paraître égoïste encore une fois, mais j’ai besoin de temps pour réfléchir. Seul. Ce que vous venez de me dire est trop grave pour que je vous donne une réponse maintenant. Je vous…
Il parle, mais je ne l’écoute plus. Je sens mon esprit sur le point de basculer.
Non… Non ! NON ! Je ne veux pas. Je ne veux pas perdre cet espoir. JE NE VEUX PAS !
Je me lève mécaniquement et me dirige vers lui. Il a un mouvement de recul. Je trébuche et tombe dans ses bras. Mes mains agrippent son uniforme. Plus de contrôle. Juste une pauvre fille terrorisée.
- S’il te plait… Je n’ai plus personne vers qui me tourner.
Ma voix est si fragile et je me hais d’être comme ça.
- J’ai… Nous avons besoin de toi, Stephen.
Il s’écarte et ouvre la porte.
- Je suis désolé, Elena.
Son ton se veut apaisant, mais pour moi il est tout simplement insupportable. Claquement, noir. Je tombe à genoux et mon front heurte brutalement le sol. La douleur m’est presque réconfortante. Toujours pas de larmes. Seule une lutte désespérée pour ne pas sombrer.
"Je sais qu’il fait tout pour m’ignorer de légères crispations le trahissent." Je couperai par un point ou une virgule après "m'ignorer'
" J’espère l’avoir à l’usure, le souci c’est que pour l’instant il tient bon." Une petite virgule après "souci" ?
"J’aurais beau concevoir toutes les stratégies possibles et imaginables, mon corps commence à ne plus parvenir à suivre" Je verrais plutôt de dire direction " à ne plus suivre '' mais c'est purement subjectif ^^
"Tenir debout me demande trop d’effort et si je dois me battre autant rester enfermer ici." Petite virgule après "battre" ?
"- Crois-moi sur parole, Elena. On ne travaille jamais par hasard dans la section médicale. Jamais !" Dis le gars qui y bosse et qui l'aide comme il peut '-'
" Je suis lâche, je suis terrorisée et ce n’est pas prêt de changer." Moi, je ne trouve pas qu'elle soit lâche ^^'
"Quand on vient me gaver mes médicaments, je suis prête." de médicaments ? Ça sonne mieux que "me gaver mes médicaments"
" Qu’il n’oublie pas sa place ?" C'est pas plutôt un point d'exclamation ici ?
"Il allume sa lampe et la gravité de ses traits me saute directement aux yeux, ce qui accentue davantage les importants cernes qu’il aborde" cernes qu'il arbore ? En encore je ne suis pas sûre que ce soit le plus adapté, mais c'est le seul mot qui me vient dans l'immédiat. Aborde ne collant vraiment pas à la situation ^^'
"Ne souhaitant pas le brusquer, je maintiens la distance qui nous sépare, même si je m’écoutais, je me lèverais pour le secouer. " Mais plutôt que même, non ?
"Si la dernière fois, la colère prédominait, ici une certaine indulgence m’envahit. " J'enlèverai le "ici" qui rend flou la compréhension de ta phrase.
"- Co… Comment pouvez-vous savoir en étant enfermé dans cet endroit ? Votre dossier n’a jamais mentionné de grossesse." le savoir ou savoir ça ? Je sais pas, il manque un petit truc du style pour moi ici ^^
Elena tient, mais combien de temps ? Je la sens à bout :/ J'ai peur qu'ils ne viennent trop tard... Vincent se rend-il compte de ce qu'il lui demande quand il lui dit de patienter ?
Merci pour ton commentaire :-) Je suis vraiment désolée pour toutes ces petites fautes d'inattention qui m'ont échappées. Je vais corriger ça tout de suite ! Concernant Elena, je suis contente de voir que l'on ressente bien qu'elle arrive à bout. J'ai hâte de faire découvrir la suite. C'est en cours d'écriture !
Encore merci pour ton soutien pour cette histoire !