Chapitre 45 - Yi

   Sacha a perdu connaissance pendant la téléportation.

   La porte de la maison abandonnée a été simple à forcer, un coup de pied a suffi. Vide total à l’intérieur. J’ai allongé Sacha sur le sol et m’agenouille à ses côtés. Elle est encore plus blanche que d’habitude. Elle ouvre à peine les yeux et alors que je prends son pouls, sa main agrippe fermement la mienne. La bouffée d’énergie lui permet d’ouvrir complètement les yeux. Elle geint de douleur.

   - Ça va aller. Reste avec moi. Ça va aller.

   Je ne sais pas quoi lui dire d’autre. J’ai l’impression de paniquer. Il faut que je me reprenne.

   Il faut que je m’occupe de Sacha.

   Je la force à me lâcher et j’enlève mon gilet. Son beau visage, couvert de sueur et de terre battue, se tord de douleur, mais son regard est empli de courage. Du bout des doigts, je repousse une mèche de son front et je laisse ma main sur sa joue quelques instants. Je me concentre pour lui transmettre toute l’énergie que je peux. Elle ferme les yeux et l’expression de son visage s’apaise un peu.

   Pendant qu’elle est forte de cette bouffée d’énergie, je soulève son tee-shirt au-dessus de son ventre. Je plie mon gilet, le pose sur la blessure et appuie pour essayer d’arrêter le saignement. Sacha se mord les lèvres pour ne pas crier. Sa main droite m’attrape le poignet et elle serre de toutes ses forces en plantant ses ongles dans ma peau.

   Elle a besoin d’énergie. Elle a besoin de notre énergie. Celle qui passe entre nous au moindre contact. Je la laisse me broyer le bras.

   Elle peine à rester éveillée.

   - Reste avec moi. Eh, Sacha, reste avec moi ! Regarde-moi. Écoute-moi ! Oh ! Écoute-moi… Je suis désolé. Je suis désolé, Sacha. Je suis terriblement désolé.  

   Sa tête se balance de gauche à droite. Je dis n’importe quoi.

   - Eh ! Eh ! Regarde-moi ! Écoute-moi ! Peut-être que je n’aurais pas dû t’embrasser… Peut-être que je méritais cette gifle… Mais tu n’avais qu’à pas venir te coller contre moi toutes les nuits ! Tu m’entends ? Oh, regarde-moi !

   Ses paupières tremblent, elle n’arrive pas à les ouvrir complètement.

   - Eh ! Tu m’écoutes ? C’est de ta faute dans le fond ! Tu m’as franchement laissé croire que t’embrasser ne serait pas une mauvaise idée. Faut pas faire ça ! Faut pas jouer avec les gens comme ça ! Je t’aime bien, moi ! Je suis désolé, mais je t’aime bien !

   Elle écarquille les yeux subitement.

   Je crois d’abord que c’est en rapport avec ce que j’ai dit, mais des tremblements la parcourent violemment. Tout son corps se soulève à deux reprises et elle se tortille dans tous les sens en hurlant. Ses doigts restent fermement accrochés à mon poignet.

   Puis les tremblements s’arrêtent tout aussi abruptement qu’ils ont commencé. Le gilet a été déplacé et la blessure se retrouve à l’air libre. Je veux le remettre, mais la main de Sacha me coupe en plein vol. D’un mouvement brusque, elle écrase la mienne en plein sur la plaie ouverte. Je n’ai même pas le temps de réagir. La décharge d’énergie me coupe le souffle tandis que Sacha inspire une profonde bouffée d’air.

   Tout son corps se calme.

   Elle retire nos deux mains de sa blessure et un petit nuage de fumée noire s’en échappe. Ses muscles se relâchent, son visage s’apaise, sa respiration aussi. L’épée s’était vraiment désintégrée partiellement en elle et son corps était intoxiqué. Comme avec les potions de Kari, notre échange d’énergie a fait fuir le poison.

   Je remets délicatement le gilet en place, laissant ma main pressée sur son ventre, la sienne par-dessus.

   Mon soulagement de la voir aller mieux se traduit par un babillage incessant. Je ne me reconnais pas. Je continue à lui raconter n’importe quoi pour qu’elle ne perde pas connaissance.

   J’espère un peu qu’elle oubliera ce qui sort de ma bouche, mais en même temps, ça fait un bien fou d’exprimer tout ce que j’ai sur le cœur. Je lui parle de l’effet qu’elle m’a fait dès le moment où on s’est rencontrés, du bien-être que me procure son énergie dès qu’elle entre en contact avec moi, de la sensation de bonheur qui m’envahit à chaque fois. Je lui dis que c’est la fille la plus forte que j’aie jamais rencontrée et qu’elle pourrait se remettre de n’importe quelle blessure, même causée par des démons. Je lui dis aussi que je serais incapable de gagner un combat contre elle sans avoir les yeux bandés pour m’éviter de plonger dans son regard qui m’absorbe tout entier. Je lui raconte que je n’ai pas été habitué à m’attacher aux gens, que mes parents m’ont élevé comme un soldat avec pour seul but de sauver le monde, que je n’ai jamais ramené de copine à la maison parce que ça aurait été un signe de faiblesse. Peut-être qu’elle est devenue ma faiblesse, mais avec elle je me sens tellement plus fort.

   Je suis en train de blablater depuis une éternité lorsque le grincement de la porte m’interrompt.

   De ma main libre, je prépare une boule de feu. Les pas qui s’approchent résonnent avec intermittence, comme ceux de quelqu’un qui boiterait.

   Le visage de Paul apparaît soudain dans l’encadrement de la porte. Ce n’est rien que Paul. J’éteins tout de suite la flamme au-dessus de ma paume.

   Il s’approche et je lui fais un compte-rendu de l’état de Sacha. Il m’explique de son côté comment s’est terminé le combat et ajoute qu’une nouvelle alliée nous a rejoints. Je lui demande de qui il s’agit et il me répond simplement « tu verras ».

   Sa jambe n’a pas l’air en bon état, mais il m’assure que la potion de Kari fait son effet et qu’il peut nous téléporter jusqu’aux autres qui attendent tous en sécurité.

   Je prends Sacha dans mes bras. Elle s’accroche à mon cou sans même prendre le temps de protester d’un grognement. Paul pose une main sur mon épaule et l’autre dans le dos de Sacha. Je lui fais confiance.

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Eryn
Posté le 20/07/2020
Génial ce débordement d'émotions ! Il y a tout qui sort d'un coup, et on n'a rien de la réaction de Sacha, on ne sait pas ce qu'elle pense du discours de Yi, vu qu'elle n'est pas en état de répondre... J'aime bien le fait qu'on le sente perdre les pédales pendant son discours, il se laisse emporter par l'émotion et il y a tout qui sort sans contrôle, mais en même temps, c'est la vérité qui sort. Bon j'ai envie qu'on retrouve Alex par contre !!
Schumiorange
Posté le 21/07/2020
Merci pour cette belle interprétation de Yi, c'est exactement ça ! Il se retrouve dépassé par ses propres sentiments et il perd tout contrôle.
Quant à Sacha, vu son état, ce n'est même pas sûr qu'elle ait entendu la moitié de ce qu'il raconte... La réponse bientôt ; )
Renarde
Posté le 15/07/2020
Coucou Schumiorange,

Super chapitre !

J'aurais presque aimé avoir les confessions de Yi en discours direct, pour qu'on soit plus "avec lui". C'est un reproche que l'on m'a souvent fait pour mon histoire, et c'est en lisant ton chapitre que j'ai vraiment percuté pourquoi. On est moins dedans, et quand ça touche au sentiment et que c'est mimi comme tout, on a envie de vivre le truc d'un peu plus près.
Donc super instructif pour moi !

Je me demande comme Sacha va gérer tout ça d'ailleurs. Va-t-elle faire mine de ne rien avoir entendu ? Ou est-ce qu'elle va se dégeler un peu au contact de Yi ? Vi, elle était facile :p
Schumiorange
Posté le 15/07/2020
Salut Renarde !

Elle est facile, mais elle est bonne XD
Le glaçon est plutôt épais, ça va prendre un peu de temps, mais au soleil, tout finit par fondre...

Merci beaucoup pour ta remarque sur le discours indirect ! C'est vrai que ça a tendance à créer une distance avec le lecteur, et là en plus, ce n'est pas juste pour débattre du temps qu'il fait dehors. Sur le coup, j'avais dû considérer que Yi avait déjà suffisamment parlé tout seul dans ce chapitre ; ) Mais je note ça pour la relecture à venir !

Merci encore pour ta lecture assidue et tous tes commentaires ! <3
Renarde
Posté le 16/07/2020
Pareil que moi. Généralement, je basculais en discours indirect pour couper les dialogues par peur d'avoir un trop plein de discours direct. Mais quand tu lis, le ressenti est visiblement tout différent que lorsque tu écris !

C'est assez amusant d'ailleurs. Je ne me suis jamais dit "y a trop de dialogues" en lisant un livre quand j'y pense...
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