Chapitre 47.

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Chapitre 47

Le retour était périlleux. Sibéal s'agrippait avec faiblesse aux aspérités de la roche humide pour atteindre la fine arête de galets ronds qu'avait découverte la marée descendante. Valérian, devant elle, soutenait Anak aussi sonnée et faible qu'elle. Le ciel s'était dégagé, des nuages blancs se déchiraient dans un ciel azuré. La mer noire avait pris une teinte bleu sombre, brillante sous les rayons du soleil. Les petites bourrasques séchaient ses vêtements raides de sels et ses cheveux. Laureline fermait la marche, seulement vêtue du t-shirt de Sibéal. Elle semblait transfigurée. Ses yeux avaient l'éclat lumineux du ciel, ses traits révélaient une jeunesse que le chagrin et la détermination avaient fait disparaître.

La malédiction avait été levée.

Sibéal avait dû mal à croire que tout était fini. Ce temps clément, paisible et bienveillant, faisait passer ces dernières heures pour un songe évaporé. Mais au loin, s'approchant du pic rocheux, la silhouette de deux navires lui rappelait avec acuité la perte du Modsognir. Ses pieds glissèrent sur la roche, elle s'arrêta un instant pour reprendre son souffle. Ses poumons étaient encore brûlants, ses jambes cotonneuses. Laureline la rattrapa et lui proposa de l'aider à passer un passage délicat.

« Si on avait accepté ton sacrifice, souffla-t-elle, tout ça ne serait pas arrivé...

- Vraisemblablement, acquiesça la sirène, c'était une sorte d'épreuve pour les humains. Anak et toi l'avaient réussi. »

Sibéal en aurait ri à gorge déployée si celle-ci n'était pas encore douloureuse. Elle ne se sentait pas vraiment victorieuse ou héroïque, elle avait simplement regardé l'eau monter et la noyade arriver sans être pour autant capable de tuer quelqu'un pour sa propre survie. Cet acte égoïste, condamner le monde à la malédiction pour ne pas briser sa propre morale et dépasser son dégoût, avait pourtant été celui attendu par la divinité.

« Les restes dans la grotte... 

- Ils ont dû tuer un des miens ou bien venir sans la possibilité de le faire.

- Probablement. »

Laureline l'aida à descendre d'un roc alors qu'elle s'assit pour en descendre. La sirène avait été prête à mourir pour les siens, à se sacrifier pour sauver son monde. Sibéal avait été aussi horrifiée qu'ébahie par ce sens de la dignité et du sacrifice. Que pensait-elle maintenant qu'elle savait avoir été dans l'erreur ? Qu'en tentant de manipuler Anak elle avait manqué de tous les faire sombrer sous les eaux ?

« Je dois vous remercier. J'étais dans le tord, mon empressement m'a aveuglé.

- Tu n'as pas à t'excuser d'avoir voulu tous nous sauver tu sais. Nous pensions aussi que tu avais raison, et même en sachant ça on a préféré tous nous condamner.

- Il n'empêche...

- Ton sens du sacrifice t'honore, assura Sibéal. »

Il n'y eut aucune parole échangée de plus. Elles ne se connaissaient pas assez pour, n'avaient plus la force ou les pensées à réfléchir à ce qu'il venait de se passer. 

Lorsqu'elles atteignirent l’arête de galets, Valérian et Anak main dans la main fixaient l'horizon. La Sioux faisait des gestes en direction des deux navires qui ne pouvaient s'approcher. Laureline se détacha d'eux, tendit son t-shirt à Sibéal et entra nue dans l'eau salée. Elle put observer avec émerveiller sa transformation. 

Des nageoires corail déchirèrent les vagues alors qu'une longue et sinueuse queue écaillée jaillissait de l'eau. Le regard qu’échangèrent Valérian et Laureline étaient brillants de larmes. Il laissa Anak, se déshabilla pour rejoindre sa jumelle. Il eut un instant d'apprivoisement, suspendu à un souffle avant qu'un sourire ne naisse sur leurs visages. Ils plongèrent dans l'eau, émergèrent un instant puis s'ébattirent comme des enfants. 

Ce spectacle irréel émerveilla Sibéal. Elle échangea un regard fatigué avec Anak. Elles avaient réussi.

 

OoOoOo

« Anak ! »

Sibéal se hissa à sa suite sur le catamaran, à bout de force. Laureline et Valérian les y laissèrent pour nager en direction du Mamui Ata. Elle se redressa difficilement, s'assit en s'appuyant sur le bastingage. Elle reprenait son souffle, douloureusement râpeux dans son palais. Ses yeux n'y voyaient plus clairs, papillonnant de lumière et d'eau entre ses cils. Quand elle se ressaisit, Mohvo était tombé sur sa sœur. Son visage brillait de larmes de soulagement. Anak le serrait à l'en étouffer alors qu'il vérifiait tant bien que mal qu'elle n'avait rien. Il parlait à toute vitesse pour tout lui raconter. 

« Quand le ciel est devenu bleu, on a compris ! Tu as réussi ! S'exclama-t-il.

- Yakta ? Chad ? bafouilla-t-elle.

- T'inquiète pas, on a eu Veirn et Ulmer ! Yakta l'a enfermé dans la soute ! Est-ce que c'est fini pour de bon ? Comment ? Comment tu as fait ? »

Avant que sa sœur n'ai eu le temps de lui expliquer. Wanda apparut alors, enlaça vivement sa coéquipière avant de leur proposer de l'eau fraîche. Sibéal, la tête lourde, acquiesça à cette proposition et lapa avec avidité le liquide. Il brûla les gerçures de ses lèvres salées. Elle s'étouffa presque, s'en passa sur le visage pour détendre sa figure asséchée par le sel. Quand elle reprit ses esprits, ses yeux se levèrent sur Yakta dont la main était emmaillotée dans un épais bandage et son bras en attelle. Une aura de fierté se lisait dans le regard qu'elle portait sur sa seconde enlacée par Chad. 

« Bien joué Nanouille, lâcha-t-il laconiquement. »

Sibéal sut à son air qu'il parlait moins du fait que la malédiction ait été brisée que du fait qu'elle était revenue en un seul morceau sur le Yak. Anak lisait sûrement bien mieux qu'elle l'intense soulagement chez son meilleur ami. Elle posa ses lèvres sur sa joue avant de se jeter dans les bras de sa capitaine. Celle-ci eut une grimace. 

« Hé ! Attention à ma patiente ! Rouspéta Wanda.

- Tu es blessé ! s'écria Anak en s'éloignant.

- Rien de grave, assura Yakta. 

- Ulmer en revanche, ricana mystérieusement Chad avec satisfaction. J'étais pour qu'on le noie m'enfin apparemment on doit le ramener aux « autorités compétentes ».

- Qu'est-ce qu'il est arrivé ?

- Peu importe, tu vas bien c'est ce qui compte, rassura-t-elle avant d'ajouter avec émerveillement, et tu as brisé la malédiction Anak.

- Comment tu as fait ? Qu'est-ce qu'il y avait sur ce rocher ? souffla Moh, faut tout nous dire.

- Plus tard, le coupa Yakta, elles sont épuisées. »

La capitaine fit s'asseoir Anak, repoussa affectueusement des mèches humides sur son front pour les coincer derrière son oreille. Sibéal discerna un tremblement dans ses épaules, comme si toute l'adrénaline et l'anxiété s'échappaient enfin de ses muscles noués. Elle se détourna, amorphe et porta son attention sur le Mamui Ata. 

« Apollo est à bord, lui apprit Wanda. »

Avec inquiétude, elle se redressa vivement. La médecin l'aida avec précaution, lui assurant que son ami allait s'en sortir. Elle descendit dans le grand et lumineux carré, ne sachant pas bien d'où elle tirait encore des forces pour se traîner jusqu'à la petite infirmerie de Wanda. Elle remarqua l'état affligeant d'une partie des meubles, les impacts de balles dans une cloison et le fait que le filet ne tenait plus qu'à un fil entre les deux flotteurs. Des éclats de verre jonchaient une partie du sol. Eux aussi auraient des choses à raconter.

Lorsqu'elle appuya sur la poignée, Apollo ouvrit les yeux sur elle. Son teint était cireux mais la fièvre semblait être tombée. Sibéal, émue de le savoir sain et sauf, se laissa glisser près de son lit et serra vivement sa main de peur de défaire le beau travail de la médecin en le prenant dans ses bras.

« Tout va bien ? Souffla-t-elle.

- T'inquiète pas.

- Ta blessure ?

- Ça va mieux, je sentais plus ma jambe mais Wanda a fait un petit miracle. 

- Tu ne sentais plus ta jambe ? Répéta-t-elle horrifiée.

- Il y a avait une sorte de poison...

- Nodens...

- Esteban et Fran savaient que c'était le même que celui d'une vive. 

- Tu auras des séquelles ?

- Pas grand-chose.»

Elle hocha la tête, plus trop capable d'emmagasiner de nouvelles informations. Elle n'avait plus d'énergie pour se relever. Elle se sentait simplement usée, sale de sel et de sueur. Elle voulait se lover sous sa couette, retrouver la paix de sa cabine. Mais sa maison avait disparu, une bouffée de tristesse la saisit. Apollo eut un maigre sourire, affaibli mais solide. Son équipage était toujours là, elle serra ses doigts entre les siens. Le principal était là.

« J'ai toujours trouvé très sexy les boiteux, lâcha Chad.. »

Un faible rire échappa à Apollo. Ce dernier sourit et s'approcha avec précaution. Il s'assit sur un bord de la banquette. Ses yeux verts, souvent acides et cyniques, était empli d'une tendresse déconcertante. L'écho terrifié de sa voix lorsque le monstre s'était dressé au-dessus du Modsognir résonna aux oreilles de Sibéal. Apollo caressa du bout des doigts ceux de Chad. Elle s'éloigna discrètement pour leur laisser plus d'intimité. 

« Sibéal ? »

Cotonneuse, elle se tourna vers Mohvo dans l'encadrement de la pièce. Il lui tendit gentiment une serviette. 

« On se retrouve avec le Mamui Ata sur une petite île à une heure de navigation. »

Une bouffée de gratitude l'étouffa un instant. Bientôt elle pourrait retrouver les bras de Nialh et Murdock. Une heure n'avait jamais semblé aussi longue.

« Tu veux te doucher ? »

Sa peau crissait comme du papier froissé au moindre de ses mouvements, ses cheveux séchés par le sel ressemblaient vraisemblablement à un nid d'oiseau. Elle perçut dans le couloir un claquement de porte, Mohvo eut un petit air désolé.

« Je crois qu'Anak t'a grillé la priorité. »

Sibéal secoua la tête, s'allongea sur la banquette pour détendre ses muscles crispés. Elle pouvait attendre.

« Elle en a pas pour longtemps, t'inquiète. »

Elle acquiesça, ses yeux se fermèrent instantanément.

OoOoOo

Elle eut un instant de surprise en voyant les étoiles au-dessus de sa tête avant de comprendre qu'elle s'éveillait dans le carré du Yak. Les évènements du jour ou de la veille, elle ne savait plus bien, lui revinrent dans le silence paisible du bateau. 

Ils s'étaient retrouvés sur une petite île touristique, elle était tombée dans les bras de son frère et de Murdock sale et assommée de fatigue. Ils s'étaient tous réunis puis Yakta avait relaté comment ils étaient venus à bout de Vern et Ulmer. Laureline, Valérian, Anak et elle avaient raconté ce qu'ils avaient vu, fait ou pas fait dans les entrailles de cette épine rocheuse. Il y avait eu un moment d'effarement sur l'attentisme d'Anak et Sibéal à ne pas se sauver et par là aussi le reste du monde. Elle se demandait ce qui se serait passé si une autre personne qu'elles, plus déterminée, plus froide et pragmatique, était venue dans le temple secret. 

Elle poussa un soupir de contentement, s'abreuvant du silence. Reposée, propre et emmitouflée dans les draps que leur avait sorti Moh en dépliant la banquette pour en faire une couchette. Son frère et Oriag reposaient sur le Mamui Ata amarré tout près, Apollo dormait dans l'infirmerie et Murdock contre elle. Elle fit glisser sa main vers lui pour ne rencontrer qu'un espace vide et tiède. 

« Murdock ? »

Elle se redressa, passa son regard sur les formes du carré dont beaucoup tenaient par des réparations de fortune. Elle se saisit de la polaire prêtée par Anak et l'enfila avant de faire rapidement le tour du bâtiment puis de monter jusqu'au pont. La demi-lune se reflétait dans les eaux paisibles du petit port de pêcheur. Elle le trouva assis dans le filet remis en place du catamaran. Elle se laissa glisser à côté de lui, une légère brise souleva quelques mèches de ses cheveux. Elle apportait avec elle une odeur d'algues.

« Le Mod n'a pas coulé en vain, murmura-t-elle. »

Murdock tourna son attention vers elle, un petit sourire satisfait en coin. Elle lisait dans ses yeux un vague à l'âme qu'il ne pouvait pas lui dissimuler. Elle se lova contre lui, posa sa joue sur son épaule en entourant ses jambes de ses bras.

« ça veut pas dire qu'on va se séparer et que c'est la fin de notre équipage, rassura-t-elle. 

- Pour se débarrasser de ton frangin de toute façon... »

Ils eurent un petit rire avant que le silence ne les enveloppe de nouveau. Le va et vient du ressac remontait jusqu'à eux depuis la plage au loin. Tous leurs petits bibelots amassés, leur photo, ses livres, les éraflures du bois poli par les années... toutes les petites améliorations, réparations qu'avait apportées Murdock à son navire avaient disparu. Lui qui tenait au Modsognir comme à la prunelle de ses yeux, dont la fierté et toutes les économies tenaient dans les cales du voilier disparu... Elle savait que cette perte l'affectait plus que le reste de ses coéquipiers. Un capitaine sans navire était comme un aveugle en mer.

« Au moins, il a coulé avec panache. 

- ça... marmonna-t-elle moins enthousiaste, tu as pas fait dans la finesse.

- On était pressé !

- Oui enfin... tu n’as jamais vraiment su faire dans la finesse non plus.

- C'est ce qui fait partie de mon charme Sib.

- Bien entendu, railla-t-elle.

- Tu n'as pas pu y résister, taquina-t-il narquoisement. 

- On va dire ça... »

Elle enroula ses doigts entre les siens avec douceur. Il resserra sa main autre de la sienne.

« Va falloir nous en trouver un autre, lâcha-t-il.»

Son cœur se serra de joie dans sa poitrine, elle nicha son nez dans son cou.

« Tu imagines comment notre prochain bateau ? »

Il fit mine de réfléchir, se grattant la barbe théâtralement.

« Avec une cabine en moins. 

- Allez sois sérieux, rabroua-t-elle. Et puis t’es bien content quand Nialh fait tes factures... est-ce que je dois te rappeler ce commissaire des comptes à Tønsberg ?

- Ce connard savait pas lire les cahiers de comptes.

- Tu as pris une amende sévère pour falsification.

- C'était pas falsifié, juste une p'tite erreur de calcul ! Fit-il d'un petit geste de la main.

- Ben voyons. »

Elle lui préférait cette voix pleine d'humour. Elle lui glissa un sourire tandis qu'il prenait une moue outrée peu convaincante. La lumière nocturne découpait des ombres chinoises sur son visage, piquant sournoisement ses entrailles de bonheur.

« J'pensais plutôt à délocaliser la grotte en bordel qui te sert de cabine dans celle du capitaine. »

Surprise, elle se détacha de son épaule. Une bouffée de chaleur envahit sa poitrine, il prit un petit air satisfait. Elle arqua un sourcil amusé pour dissiper l’émulation qui bouillonnait en elle : 

« La grotte en bordel ? 

- Change pas de sujet.

- Hum... C'est demandé si gentiment, je vais peut être y réfléchir... 

- Ben tiens, comme si t’allais…

- Ah ben je me disais bien que j'avais entendu quelqu'un ! s'écria une voix. »

Sibéal sursauta et se retourna sur Anak. La Sioux semblait bien plus fraîche et reposée, elle aussi venait vraisemblablement d'enchaîner de longues heures de sommeil réparateur. Ses cheveux volaient librement, propres et brillants autour de son visage détendu. Elle les rejoignit pour s'asseoir à côté de Sibéal. Elles échangèrent un regard affectueux et complice.

« Vous faites quoi ? Vous admirez les étoiles ?

- Pas grand chose à vrai dire.

- On avait un petit moment romantique là vois-tu gamine, lâcha Murdock sardonique. M'enfin maintenant que t'as décidé de squatter...

- Oh... s'excusa-t-elle avec une mine désolée.

- Enfin romantique..., temporisa Sibéal avec humour. Avec Murdock tu vois un peu le genre... »

Anak eut un éclat de rire qui lui arracha un sourire hilare. Murdock passa son bras autour de ses épaules avec autorité comme pour rajouter à son attitude faussement blessée. Elle posa sa joue sur son épaule.

« Et toi ? Tu n'arrives plus à dormir ?

- Ouais j’étais tellement épuisée, avoua-t-elle, 

- Ben je t'invite à retourner gentiment dans ta cabine et nous laisser hein, t'en dis quoi ? 

- Ben j’ai plus vraiment sommeil là…

- T’as jamais été doué pour les messages subliminaux, hein ? se moqua le demi-nain. »

Sibéal lui donna un petit coup de coude, Murdock sortit de sa petite moue railleuse avant de sourire à Anak. 

« Bon ben va chercher un jeu gamine, qu'on se fasse pas chier en plus. »

OoOoOo

L'escale aux îles Moluques fut bienvenue. L'île florissante et éclatante vibrait de couleurs et de senteurs, les touristes paressaient dans la lumière du soir sur la plage tandis que certains se rassemblaient autour d'un feu de joie. Adossée à un des palmiers bordant le littoral, Sibéal ne put s'empêcher de songer à tous ces gens qu'ils avaient interrogés ici même, cela lui paraissait une éternité auparavant. Savaient-ils que l'apaisement des tempêtes était définitif ? Avaient-ils compris que leurs îles n'allaient pas être avalées par l'océan ? 

Elle n'en était pas certaine, même si la radio avait craché des commentaires stupéfaits et confus de scientifiques et météorologues. Peu de personne ne pensait qu'une malédiction avait été levée, simplement qu'un passage météo difficile était passé. Certains faisaient cette supposition, car ils affirmaient avoir vu des sirènes et des monstres. La majorité les disait crédules et irrationnels. Les habitants des Moluques ne faisaient pas exception, pensant pour la plupart que ce n'était qu'une accalmie. Dans les années futures peut-être, quand la mer arrêterait d'éroder la côte, et que les ravages des typhons cesseraient de détruire les villes, tout le monde oublierait cette malédiction, la relayant à un simple conte folklorique.

« Tu fiches quoi Sib ? »

Nialh s'assit à côté d'elle, le pantalon neuf remonté jusqu'à mi-mollet. Le sable se collait à ses pieds humides, il sirota bruyamment son cocktail à palmiers multicolores. 

« Je me repose, je crois qu'on l'a bien mérité non ?

- Tu parles ! Ya intérêt que Murdock nous augmente parce que tout ça c'était pas dans nos contrats. Et j'sais de quoi je parle je les ai rédigés.

- Murdock a plus un rond... temporisa-t-elle, Enfin tant que Yakta n'a pas récupéré la récompense.

- On va être riche ! S'écria-t-il en levant son verre. La prime va être exceptionnelle !

- Je crois surtout qu'il va investir dans un nouveau navire.

- Pour quoi faire ? S'étouffa-t-il étonné.

- Ben j'imagine continuer à naviguer. 

- Mais… on a plus besoin de travailler. »

Il s'adossa à l’arbre, une expression contentée sur le visage. Un coup de soleil lui barrait le nez. Sibéal arqua un sourcil dubitatif.

« Tu te vois rester sur la terre ferme, toi ? »

Il resta songeur un court instant.

« Non, on s’ennuierait trop vite. »

Sibéal dissimula un petit sourire.

« Tu ne pourrais pas supporter d'avoir maman sur le dos.

- Elle arrête pas de me tanner mariage avec les fils de ses amies d'église tous mariés, grimaça-t-il. 

- Dis donc... s'amusa-t-elle, mais cela semble héréditaire. »

Nialh lui adressa une petite moue peu convaincue par sa remarque. Sibéal reporta son attention sur la plage, une musique entraînante s'élevait des instruments traditionnels molluques. Les cheveux de Fran virevoltant autour d'elle prenaient des accents cuivrés à la lueur du feu, Yakta, Oriag et Mohvo parlaient de façon animée avec des locaux. Laureline, Esteban et Valérian discutaient assis au bord de l'eau. Elle se demandait ce qu'il allait advenir des sirènes, ce que le peuple de l'eau allait décider pour son futur, vivre caché ou se dévoiler et renouer avec l'Humanité. Peut-être bien que ces trois-là inventaient le monde de demain de leur peuple tandis que Murdock faisait tournoyer Anak.

« J'ai pas hâte qu'on arrive à Hokianga-nui. »

Sibéal surprise, le dévisagea sans comprendre.

« Yen a un qui va nous faire suer avec ses tapisseries. »

Certes. Ils échangèrent un regard avant d'éclater de rire.

« Laisse faire Murdock, assura-t-elle, il saura le calmer. »

OoOoOo

« Je crois qu'avec cette photo, elle sera rassurée ! fit Anak. »

Sibéal approuva, envoya leur selfie à Eanna accompagné d'un message lui assurant qu'ils étaient bien arrivés à bon port à Hokianga-nui. Sa grande sœur avait été assez inquiétée à l'annonce de la fin du Modsognir. Elle avait fignolé une explication vague pour ne pas avoir à rentrer dans des détails qui lui auraient paru totalement délirants... Elle avait hâte de la retrouver, mais il faudrait encore un peu de temps avant que Murdock ne mette la main sur le voilier de ses rêves... Elle glissa un regard à son capitaine, il flânait entre les quais pour inspecter les différents navires qui y étaient amarrés. Il était comme un lion en cage dans le catamaran et arpentait le port depuis qu'ils étaient arrivés pour se projeter sur leur prochain bateau. 

« Quand est-ce qu'ils vont voir Gojo Mauro ?

- Cet après-midi j'crois, c'est ce que Valérian a dit !

- Hum... Tu crois qu'il a réellement autant d'argent à dilapider ou qu'il va essayer de nous arnaquer ? demanda-t-elle suspicieusement.

- Je pense pas...

- Parce que bon... cinq millions de florins c'est une fortune... peut-être qu'il pourrait ne plus vouloir payer.

- Le mec vit en peignoir en soie rose, assura la Sioux. Il a les moyens !»

Sibéal eut un sourire amusé, reporta son attention sur Murdock que suivaient Nialh, Wanda et Oriag. Apollo avait été conduit à l'hôpital pour des examens complémentaires même si son état était stable selon les dires des médecins de la clinique des Moluques. Chad lui tenait vraisemblablement la main dans une salle d'attente, tout en profitant de la clim. Elle se demanda si comme elle il commençait à penser à ce qu’impliquait maintenant la fin de cette épopée. Elle glissa un regard sur Anak. Elle mangeait sa glace sans arrière pensée en suivant d'un pas paresseux le trio de tête.

« ça va faire bizarre de se quitter. »

La Sioux redressa le visage, elle avait de la glace sur le menton et un simple air serein sur le visage.

« On se quittera pas longtemps ! »

Une bouffée d'affection et d'espoir lui serra la poitrine, elle lui prit gentiment la main. Tant de choses étaient arrivées en si peu de temps, il lui paraissait maintenant irréel de ne pas avoir Anak avec elle.

« Tu as raison. »

La voix de Murdock tonitrua tout à coup, les faisant se retourner sur lui. Il était monté sur le ponton d'un voilier à la coque d'un bleu sombre et admirait le voilage les bras croisés.

« Il est parfait !

- D'accord mais je ne suis pas sûre... commença Oriag.

- Il va être hors de prix, grommela Nialh pessimiste.

- Arrête de faire le rabat joie, le rabroua-t-il, on a touché le jackpot.

- Certes, enfin il faudra partager avec nous, rappela Wanda pointilleuse.

- Et faut  aussi penser à l'entretien ! continua son frère, Un truc pareil... ça doit chiffrer autour de...

- T'occupe, coupa-t-il, Sib ! Mate ça ! »

Elle les rejoignit, Oriag lui glissa un soupir, l'appelant du regard à raisonner leur capitaine. Nialh, vexé, faisait mine d'admirer le catamaran d'à côté avec Wanda. Murdock passa son bras autour de ses épaules pour lui désigner toutes les petites choses qui lui tapaient dans l'œil. Sa pupille pétillait d'excitation, un sourire enthousiaste restait plaqué sur son visage. Sibéal l'observa avec une affection débordante. Il lui montra alors le mécanisme d'enrouleur du winch avec appréciation.

« Automatisé ! C'est ce qu'il nous faut !

- ça va demander un peu de remise à niveau tout de même, songea la navigatrice. On est pas du tout habitué à ce genre de choses. On sera sûrement pas très efficace au début.

- Si on est plus rapide alors on a plus de réputation, grinça Nialh soudainement revenu.

- Ouais, m’enfin c'est plus safe pour ceux à la manœuvre, ajouta le demi-nain d'un air décidé.

- Automatisé ?! s'exclama son frère. Mais on aura plus besoin de trois personnes à la manœuvre !

- T'as peur de perdre ton poste ? sourit-il narquoisement. Tu seras cuistot t'inquiète.

- Super... j'aime faire la bonniche pour des ingrats, sourit-il avec une ironie irritée.

- Le tablier te va si bien, se moqua Murdock.

- Tu peux toujours rejoindre le Yak, proposa Wanda gentiment.

- Et finir noyé par Chad... souffla Sibéal à Anak. »

Elles eurent un petit rire, Nialh les foudroya du regard. 

« En tout cas je le trouve super beau ! apprécia la Sioux, en plus avec le pont en bois lustré, ça fait classe !

- Ah ! T'as vu gamine ? 

- Certes mais... fit Oriag.

- Sib, t'en penses quoi ? »

Elle prit le temps de l'observer. Il était assez différent du Modsognir et lancerait vraiment un nouveau chapitre de leur équipage mais... elle reconnaissait dans la forme, l'organisation et le voilage comme une ombre familière qui lui plaisait. Elle s'imaginait parfaitement parcourir les mers à son bord avec ses coéquipiers et capitaine.

« Il est vraiment super, approuva-t-elle. »

Murdock eut une mine satisfaite, resserra sa poigne autour d'elle. Un picotement chaleureux fit frémir son ventre. Elle avait hâte d'y être. 

« Hé ! Qu'est-ce que vous foutez sur mon ponton ! »

Ils se tournèrent vers la voix, un homme d'une cinquantaine d'années les toisait. Ses yeux bridés noirs les accusaient avec suspicion.

« On vient vous faire une offre ! lança Murdock.

- Le Hermès n'est pas à vendre. 

- Tout est à vendre, susurra-t-il, votre prix sera le mien. »

Le propriétaire leur désigna le quai avec agacement.

« Vous n'avez pas les moyens, fichez le camp. »

Murdock se départit de sa bonhomie, et prit un air dangereusement agacé. Sibéal s'apprêta à temporiser quand Nialh bondit entre eux. Son sourire commercial collé aux lèvres, il tendit sa main d'une voix mielleuse.

« Cher monsieur, laissez-moi vous dire combien votre navire est fantastique ! »

Sibéal arqua un sourcil, le propriétaire échangea une poignée de main avec lui. Son frère lui souffla alors, avec un air arrogant en direction de leur capitaine :

« Prends en de la graine Sib. »


 

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