Chapitre 46 : Elena

Par Zoju
Notes de l’auteur : Bonne lecture :-)

Je suis adossée au mur et observe mon bureau. Il est dans un piteux état. Mes dossiers sont éparpillés sur le sol et ma poubelle a volé à l’autre bout de la pièce. C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour extérioriser mes sentiments. Je sais que ce n’est pas assez. J’ai des envies de meurtres. Je n’en peux plus. Je ne réclame rien de compliqué, juste un petit bonheur tout simple, mais même ça Tellin m’en prive. Pourquoi ? Je n’aurais jamais cru que mon erreur d’il y a six ans serait aussi lourde de conséquences. Je me laisse glisser le long du mur. J’attrape ma tête et serre les dents. Je n’ai jamais voulu tout ça. Je souhaiterais tant remonter le temps. Avec Hans, tout semble si facile, mais sans lui, je ne sais plus quoi faire. Je me frappe le crâne du plat de mes mains. Je ne dois plus penser à lui. Cela a été une erreur, une de plus. Je n’aurais jamais dû accepter mes sentiments. À cause de moi, il va souffrir davantage. J’ai été stupide. Je voulais du changement, mais c’est impossible. Je ferai ce que Tellin me demande. Puisses-tu me pardonner Hans. Je secoue la tête. Non, il ne doit pas me pardonner ! Il doit me haïr, comme ça, il s’éloignera de moi et du danger. Je suis prête à me sacrifier pour lui. C’est ce que j’ai toujours fait et c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Cela ne va pas lui plaire, mais il s’en remettra, comme Nikolaï. Si je dois me retrouver seule pour le protéger, je n’hésiterai pas une seconde. Le monde peut me détester tant que ceux à qui je tiens vont bien, le reste m’est égal. Mon attention dérive vers la petite fenêtre de la pièce et se perd dans la couleur bleutée du ciel. Je ne peux pas m’empêcher de me demander quand ils rentreront. Je sais que je dois les oublier, mais ce n’est pas si simple. Maintenant que je prends le temps de réfléchir, je trouve que Hans a eu sa permission plutôt rapidement, trop même. C’est bizarre. Nous sommes en sous-effectif. La relève a du retard. Normalement, aucun soldat ne devrait pouvoir quitter la base. Je me dis que l’on a peut-être fait exception pour les deux frères. La famille, c’est important. Enfin, je crois. Je n’en ai jamais vraiment eu une. Toutefois, je trouve cela étrange. Je m’en veux de ne pas avoir plus questionné Hans. J’étais trop triste qu’il parte. Je dois m’inquiéter pour rien. Quoi qu’il en soit, je n’ai plus le droit de penser à lui. Je dois l’oublier, alors autant m’y mettre dès à présent.    

 

Il fait nuit noire, je suis assise à côté de Stephen. J’ai une nouvelle fois demandé à faire partie de la garde. C’est ici que je me sens le mieux d’habitude, mais aujourd’hui cela ne m’apaise pas. Je rumine inlassablement mes sombres pensées. Les autres discutent à voix basse. Je les regarde. Ils sont cinq. Il fait calme.

- Encore du thé colonel ? s’enquiert mon collègue.

Malgré le fait que je lui ai demandé de m’appeler par mon prénom, il s’obstine à utiliser mon grade.

- Non merci. Plus tard peut-être.

- Comme vous voulez.

Il étire ses jambes puis change de position.

- Il fait moins froid ce soir, continue-t-il.

- En effet.

- Désirez-vous une couverture ?

- J’en ai déjà une.

- J’suis bête ! s’esclaffe-t-il en se donnant une tape sur le front. N’hésitez pas à en demander une nouvelle.

Je serre ma protection autour de mes épaules, mais ne demande rien. Mon subordonné ne bouge pas puis me demande :

- Je vous ennuie avec mes questions ?

Je porte mon attention sur lui.

- Non. C’est juste que j’ai des… tracas.

- Vous désirez en parler ? 

- Non.

- Comme vous voulez. Alors je vais continuer mes questions. Il a fait beau aujourd’hui.

- C’est vrai.

- Comment avez-vous trouvé le repas de ce midi ?

- Infect comme d’habitude.

- Et celui du matin ?

- Idem.

Je réponds mécaniquement. Je ne vois pas où il souhaite en venir. Il poursuit sur sa lancée :

- Et le travail ?

- Rien de spécial.

- Au fait, vous voulez du thé ?

Je ne peux pas m’empêcher de pouffer en vue du ridicule de la conversation.

- Enfin ! s’exclame le sous-lieutenant.

Je le regarde, interloquée.

- Enfin, quoi ?

- Vous souriez.

Je suis un peu gênée qu’il me fasse la remarque.

- C’est donc si flagrant ?

- Assez.  

Je ramène mes jambes contre moi.

- Je ne voudrais pas que mon humeur gâche votre garde.

- Il n’en est rien. Chacun a ses problèmes, mais vous, c’est assez quotidien. Vous devriez vous détendre de temps à autre.

- J’aimerais bien, mais depuis la mort de ma sœur, je ne sais plus comment faire.

- C’est simple pourtant.

J’ai l’impression d’entendre Hans et cela me fend le cœur. Pourquoi faut-il que ce soit toujours si compliqué avec moi ? Je décide de partir. Je me lève et me tourne vers Stephen.

- Je vais vous laisser. Je n’aurais pas dû venir ce soir. Je vais prévenir Bévier.

Je n’attends aucune réponse de sa part, mais avant de le quitter, il m’interpelle une dernière fois :

- Colonel Darkan.

- Oui ?

- N’oublie pas que vous serez toujours la bienvenue ici.

Les autres soldats me saluent le sourire aux lèvres. Une boule se forme au creux de ma gorge. Ils sont tellement gentils avec moi.

- Merci, dis-je avant de descendre.

 

Bévier ne semble pas particulièrement ravi lorsque je lui annonce que je ne me sens pas bien et qu’il vaudrait mieux que je rentre. Il me laisse tout de même retourner à la base. Je regarde ma montre. Il est presque trois heures du matin. Je ressens la fatigue qui s’accumule dans mes jambes. Je dois me reposer et, pourtant, je ne veux pas me coucher. Je sais que mon sommeil sera de nouveau tourmenté. Je donnerais n’importe quoi pour dormir une nuit entière. Je pénètre dans ma chambre. Je me change et m’assois sur mon lit. Je me sens si vide. La fatigue a finalement eu raison de moi, mais une chose est sûre, cela n’a pas été un repos réparateur, bien au contraire. Je me suis réveillée deux heures plus tard comme à mon habitude ; les draps imprégnés de sueur, le cœur cognant dans ma poitrine et un sentiment de terreur ancré dans ma tête. J’ignore si j’ai crié. Je me retourne dans mon lit. Je ne pourrai pas me rendormir. Je serre ma couverture dans mes bras. Je suis tellement fatiguée de tout ça. J’hésite à prendre un somnifère, mais me rétracte en me rappelant que cela ne me fera rien. J’en ai trop abusé dans le passé au moment où je m’en gavais pour tout oublier même si cela ne durait que quelques heures. J’ai sombré dans un désarroi bien plus grand lorsque j’ai fait l’amère découverte sur le fait que je n’aurai plus le droit à ce moment de paix. J’aurais dû faire plus attention. Quand je repense au passé, je n’ai que des regrets. Pourquoi ? J’ai beau me poser inlassablement cette question, la réponse laisse toujours à désirer. Elle ne me satisfait jamais. Tout aurait été si simple si je m’étais enfuie au moment où je le pouvais, mais je n’ai jamais compris pourquoi je ne l’ai pas fait. J’ai vraiment été une idiote et cette faute de ma part m’a coûté ce qui m’était le plus précieux, ma liberté. 

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annececile
Posté le 24/05/2020
Maintenant que Elena le mentionne, c'est suspect en effet, ce depart des deux freres, si vite. A se demander si ce n'est pas manigance par Tellin pour qu'Elena se retrouve aussi isolee que possible. Et bien sur, :-) elle pense que tout est de sa faute. Je crois que Tellin la poursuivrait avec la meme persistence si elle n'avait pas cede il y a 6 ans.
Je suis vraiment curieuse de savoir ce qui va se passer.... A la limite, je trouverais satisfaisant que Elena et les deux freres passent a l'ennemi. Ils sont dans le mauvais camp et soutiennent de leurs talents et efforts un regime qui ne les merite pas. Mais bon, j'accepte sans probleme que ce n'est pas moi qui decide! ;-)
Bon courage pour la suite!
Zoju
Posté le 24/05/2020
Ah Elena et sa culpabilité ! Il ne suffit pas de se dire que l'on veut changer, il faut aussi le faire. Elle a encore du mal à s'en rendre compte. Je te laisse découvrir la suite :-) Merci de continuer à me suivre.
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