Chapitre 48.

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Chapitre 48

 “La malédiction est brisée, Gojo, nous en sommes certains, lui certifia Laureline, j’ai… je suis guérie.”

L’émotion était palpable dans la voix de la grande blonde et Valérian qui était assis près d’elle lui caressa avec affection le dos. Ils se trouvaient, les jumeaux, Anak et Yakta, tous les quatre en compagnie du multimilliardaire, confortablement installés dans le salon extérieur de sa terrasse, là où l’accord avait été prononcé. Ca faisait tout drôle à Anak d’être de retour ici, il lui semblait si lointain, presque étranger ; lorsque Gojo Mauro leur avait proposé d’entrer dans la course pour briser la malédiction et de potentiellement remporter la prime astronomique tant convoitée, aucun d’eux, pas même Yakta, ne pouvait imaginer les dangers qui se dresseraient devant eux et les traces que l’expédition laisseraient en eux.

En ce jour, il tombait une pluie douce à la mélodie apaisante dont ils échappaient grâce à la tonnelle au-dessus d’eux tout en profitant de la fraîcheur que l’intempérie diffusait autour d’eux. 

“C’est fantastique, Laureline, sourit Gojo, ses longs cheveux lui tombant sur le torse. Tu vois, je t’avais bien dit que la prophétie était claire sur un point. Les humains ont été la cause, ils seraient la solution.

-Quelle prophétie ? s’enquit Anak.

-Vous leur avez pas dit ? lança Gojo aux jumeaux avant de reporter son attention vers les deux Yaks. Ce qu’ils peuvent être fermés, de vraies huîtres, pas vrai ?”

Assise le sofa à sa gauche, Yakta paraissait tout aussi curieuse que sa seconde. Deux fins sourires s’allongeaient sur les visages de Laureline et de Valérian qui échangèrent un regard énigmatique, et Gojo s’installa plus confortablement dans le canapé qu’il occupait seul, étendant le long du dossier ses deux bras costauds de part et d’autres de lui. Il croisa également ses jambes devant lui, son peignoir s’écartant pour dévoiler un short type hawaien et des sandales, en peau de crocodile synthétique d’un vert criard, ornant ses pieds. 

“Une prophétie prédisait que les eaux porteraient les enfants des coupables jusqu’au temple sacré et qu’ils s’uniraient avec les descendants des vagues pour accomplir l’ultime sacrifice. Et qu’ainsi, le Dieu des Mers, dans son extraordinaire bonté, pardonnerait les crimes de la cité engloutie.”

Anak en eut le souffle coupé et son regard chavira en direction de Valérian qui affichait un air gravement solennel. 

“Alors… depuis le début, vous saviez que nous cherchions une cité engloutie ? s’indigna Yakta. Vous saviez également pour le sacrifice ! Et vous n’avez rien dit ? 

-Allons, allons, temporisa Gojo, nous envisagions une portée plus symbolique concernant ce petit passage de rien du tout sur le sacrifice… ce ne fut pas le cas, étrangement ! Les légendes sont parfois très explicites, c’en est décevant…”

Excédée, Yakta leva une main à son front en détournant les yeux comme pour ne pas commettre l’irréparable et riant nerveusement, Anak frotta le bras de sa capitaine dans une tentative pour la calmer. 

“Vraiment, confirma Valérian avec emphase, lui aussi redoutant une explosion de la part de Yakta ainsi qu’un ressentiment quelconque venant d’Anak, nous ne pensions vraiment pas qu’il serait question d’un véritable sacrifice !

-Je ne crois pas vouloir connaître davantage de détails, grinça Yakta, parlons plutôt affaires.

-Bien entendu, très chère. Bien que ce soit parfaitement inutile, assura le millionnaire, d’un ton courtois, vous serez payés comme convenu, cela va sans dire.

-En réalité, Monsieur Mauro, rétorqua Yakta en se penchant pour poser une main ferme sur la table-basse, j’aimerais rediscuter ce que nous avions convenu.”

Interdite, Anak laissait son regard voyager entre sa capitaine et Mauro qui se calculaient du regard. 

“Ah oui ? fit Mauro, et de quelle façon ?

-20% de plus.

-Je croyais m’être montré généreux.

-En lançant des pirates dans la compétition, pour ne pas dire des truands ? jeta Yakta. Je suis convoquée au poste de police, pas plus tard que dans trois heures, pour témoigner contre Ulmer et son équipage qui nous ont séquestrés, menaçant nos vies, tandis que vos précieuses sirènes n’ont pas daigné bouger la plus petite nageoire pour nous aider.

-A l’exception de Valérian !” appuya Anak.

Alors que Yakta levait les yeux au ciel ombrageux, Gojo plissait les yeux pour contrer puissamment : 

“Les sirènes devaient rester neutres ! Et vous aviez conscience des risques…

-Cela ne m’empêchera pas de glisser votre nom dans ma déposition…

-5%, offrit Mauro.

-Ce qui me fait penser que vous avez “oublié” de nous prévenir quant à l’existence de créatures marines s’apparentant à des monstres… savez-vous qu’elles ont manqué de nous envoyer dans les tréfonds de l’océan plus d’une fois ? poursuivit Yakta avant de lâcher, 25%.

-Allons, des monstres ! Ces créatures sont magnifiques, vous avez eu une chance incroyable de pouvoir les observer ! 10%.

-Quand sera venu le temps, vous voudrez certainement partager votre légende et révéler votre rôle dans la résolution de la malédiction ? rebondit Yakta d’un sourire flatteur. Nous accepterons avec joie les interviews pour appuyer votre récit et parfaire votre gloire. 30%.

-Vous savez quoi ?!”

Renforçant son exclamation soudaine, Mauro se leva en frappant la table-basse des deux mains. Face à cette réaction véhémente, Anak sursauta en écarquillant grand les yeux. Ce qui ne fut pas le cas de Yakta qui observait son adversaire en peignoir de soie avec un regard d’aigle. 

“Vous méritez une prime ! Oui, une prime ! annonça-t-il, joviale. 20% !”

Il se redressa en riant avec entrain tout en applaudissant de ses mains épaisses. Yakta se recula satisfaite dans le sofa, un fin sourire approbateur se dessinant sur ses lèvres, tandis que Mauro poursuivait sa scène de théâtre avec un : 

“Vous ne pouvez pas refuser, j’insiste.”

OoOoOo

Quand Murdock et Sibéal montèrent sur le pont du Yaktantton, Anak imprégnait son rouleau de peinture blanche afin de poursuivre le rafraîchissement des murs de son bâtiment principal. Bien que le catamaran n’ait pas connu la fin tragique du Modosognir, sombrant dans les profondeurs des eaux avec la dépouille d’un monstre-baleine, le Yaktantton avait connu des jours meilleurs. Tout l’équipage s’affairait donc à le réparer ; Chad et Yakta se chargeaient de la mécanique et de l’électronique ; Moh et Anak s’étaient occupés de combler les trous d’impacts de balles, et alors qu’elle poursuivait avec un coup de peinture, son petit frère était parti avec Wanda en courses pour remplacer les objets et fournitures cassés. 

“Heeeyy ! les accueillit Anak joyeusement. Vous venez nous aider ?”

D’un geste minutieux du poignet, elle redressa son chapeau de paille qui l’abritait du soleil, évitant tant que possible de le salir de peinture. Et Murdock brandit un pack généreux de bière : 

“Et vous ravitailler !

-Oh, par Wakan Tanka, merci, je crève de soif !” clama-t-elle.

Au même moment, Yakta apparut elle aussi sur le pont, débouchant du cockpit. Tandis que Sibéal ne perdait pas un instant pour séparer une canette de bière avant de l’ouvrir pour ensuite la tendre à Anak, la capitaine vint saluer les arrivants, présentant sa main à Murdock que celui-ci serra. 

“C’est du bon boulot, tout ça, les félicita le demi-nain, ça avance bien. Bientôt, il sera aussi beau qu’avant.

-Hm…, fit Yakta, tout en contemplant d’un sourire son bateau, il sera encore plus beau, j’y compte bien.”

En périphérie, Sibéal débarrassait Anak de son rouleau pour permettre à cette dernière de s’hydrater à coups de grandes gorgées fraîches de bière. Yakta sortit alors une enveloppe de la poche arrière de son jean’s et alors qu’Anak devinait de quoi il s’agissait, elle comprit aussi que sa capitaine attendait la venue de Murdock. Le demi-nain arqua un sourcil épais devant ce bout de papier et l’ouvrit pour y découvrir un chèque.

“Votre juste part, déclara Yakta.

-Mais… c’est plus que prévu… me dis pas que t’as eu pitié de moi parce que mon bébé a coulé ?”

Devant le début de vexation de Murdock, Yakta eut un rire en secouant négativement de la tête. 

“Non, c’est toujours 50-50, établit Yakta, les bons comptes font les bons amis, contrairement à la pitié.

-Notre capitaine est la meilleure ! intervint Anak avec vantardise. Elle a réussi à négocier 20% de plus !

-Eh ben, Yakta, apprécia Murdock en passant le chèque à Sibéal, tu sais parler à ta poule aux oeufs d’or, on dirait…”

Les yeux de Sibéal s’écarquillaient devant la somme qu’elle lut alors qu’une main se posait devant sa bouche ahurie, relevant les yeux sur Anak qui lui présentait un large sourire brillant de fierté.

“Avec ça, tu pourras t’acheter trois voiliers et plus encore, évalua Yakta.

-Un seul me suffit tant qu’il file droit.

-On m’avait parlé de l'opiniâtreté des nains mais pas de leur frugalité…

-Les nains, on les connaît seulement en buvant en leur compagnie, souligna Murdock en levant une seconde fois les bières.

-Et en bricolant avec eux aussi, j’espère ? souhaita Yakta.

-Tu perds pas le nord ! Bon point pour une capitaine !”

Et ils s’en allèrent ainsi rejoindre Chad qui les attendait près des entrailles du catamaran. Avant de disparaître, Murdock lança un clin d'œil à Sibéal et Anak, et la première lui fit un petit geste de la main en riant. Un petit sourire amusé aux lèvres, Anak suivit les adieux complices du couple et Sibéal ne manqua pas sa réaction. Clairement comblée et heureuse, Sibéal se contenta de hausser des épaules avant de lui apprendre : 

“Ce chèque tombe à pic, Murdock est impatient d'acquérir son nouveau navire…

-Son propriétaire a cédé ? s’étonna Anak.

-Pas encore, concéda Sibéal avant de baisser les yeux sur le papier entre ses mains, mais il nous manquait certains arguments de taille…”

OoOoOo

Chacun d’eux avait reçu un copieux salaire et Yakta leur avait offert deux bons mois de vacances pour couver les blessures et cicatrices, les peines et les traumatismes que cette expédition leur avait valu ; Chad avait prévu de partir en voyage dans un endroit reculé et de proposer à Apollo de l’y accompagner ; Wanda souhaitait plutôt investir dans un programme de spa et bien-être aussi solide que du béton, et des séances de shopping thérapeutique ; Moh voulait passer le plus de temps possible avec sa Cherry dans des parcs et des prairies, à laisser la nature et l’amour l’apaiser, sans avoir à partir bien loin. Quant à Anak, elle ne savait pas bien exactement ce qu’elle désirait de ce congé cher payé. 

La première chose qu’elle avait faite fut de courir à l’auberge de son père pour fondre dans ses bras et l’embrasser sur la joue. La deuxième fut de retrouver Tempête, son étalon qui lui avait tant manqué et de passer une journée entière avec lui, à galoper et à profiter du grand air. Comme si Valérian ne savait pas davantage qu’elle ce qu’il comptait faire, il n’était jamais très loin et ils se voyaient quotidiennement. Mais au bout de la troisième journée oisive, Chumani, le père Freeman, embaucha ses deux enfants pour l’aider au Grand Chêne et ils comprirent dès la première heure que c’était ce dont ils avaient réellement besoin. Leur cocon familial et une routine qu’ils reconnaissaient. 

A la fin du service du midi, Anak battait les nappes dehors alors que Yakta passait dans la rue dans une longue robe couleur crème, poursuivie par une flopée d'enfants de leur tribu qui lui demandaient les récits de leurs aventures. Un sac de lin pleins de légumes indiquait qu’elle revenait du marché. Ce n’était pas incongru de trouver Yakta entourée des membres de leur tribu, que ce soit enfants ou adultes. Après tout, elle était la fille du chef et elle leur succèderait. Au-delà de ça, ils l’aimaient tous énormément et ils savaient profiter des moments où elle restait à Hokianga-nui.

“Ben dis donc, notre capitaine a plein de fans ! remarqua-t-elle.

-ANAAAKK !!” s’écrièrent la volée d’enfants.

Au comble de la surprise, Anak suspendit ses gestes en les voyant accourir sur elle dans des exclamations bruyantes qu’elle peinait à démêler. Derrière eux, Yakta approchait avec amusement.

“Je leur ai dit que tu avais été celle dans la grotte, lui rapporta Yakta, et que tu avais brisé la malédiction avec des sirènes…

-Raconte-nous, Anak ! demanda Timothé, un garçonnet de neuf ans. Yakta a dit que y’avait tout plein de monstres !

-C’est vrai, confirma Anak en se penchant sur lui dans une mimique monstrueuse, tout gluants, pleins de baves et de tentacules.

-Trop méga cool !”

Autour de Timothée, les enfants se répandaient en grimaces de dégoût et Anak les regarda en riant affectueusement. Tous ces mini-sioux qu’elle connaissait depuis leur naissance et qui grandiraient comme elle avant eux. Ca lui faisait chaud au coeur, ça la rendait fière. Le gros de leur prime reposait dans les fonds communs de la tribu, Yakta n’avait pas eu à le leur dire, ils le savaient tous. C’était l’usage, c’était la motivation première de leur métier. Leur tribu les avait tous aidés un jour ; elle avait financé l’auberge de Chumani ; elle avait accueilli Chad et placé un toit au-dessus de sa tête. Et à la tribu, ils rendaient. Au centuple, s’ils le pouvaient pour aider les enfants Yaks à réaliser leurs rêves plus tard comme elle les avaient eux, avant. 

Elle releva les yeux sur Yakta grâce à qui elle avait appris que c’était la meilleure façon de vivre, la seule qui en valait la peine pour eux, vivre avec et pour les leurs. 

“Et diiis, Yakta, je pourrais aller sur ton bateau ? demanda une fillette de six ans en s’accrochant à la robe de celle-ci, diiis ?

-Non, moi ! renchérit un autre.

-Moi, je veux aussi ! pialla un troisième.

-Du calme, du calme,” les stoppa Yakta.

Et elle se pencha vers eux, alors qu’ils lui obéissaient avec diligence et l’observaient tous en silence désormais. Les yeux noir de Yakta se mirent à pétiller alors qu’un sourire crépitait à sa bouche et toute proche de leurs visages pris d’anticipations, elle leur fit une promesse qu’aucun d’eux n’oublierait jamais.

“Un jour, l’un de vous sera le capitaine de mon bateau.”

OoOoOo

“Et voilà pour vous, mes mignons.

-Mais Sandy, protesta Anak en regardant le dessert qu’on venait de déposer entre eux, on n’a rien demandé !

-Pas besoin de demander, enfin, alors, tu es la fille du proprio, je te rappelle…”

Anak contempla un instant la surface moelleuse de la grosse mousse au chocolat accompagnée de ses meringues avant d’offrir des remerciements souriants à Sandy. Celle-ci la balaya d’un geste de la main avant de déclarer : 

“Allez, je file, les jeunes ! Je vous laisse en amoureux.”

Et elle jeta une oeillade à Valérian suivi d’un clin d’oeil complice pour Anak qui en rit de bon cœur. La bonne humeur de Sandy ne lui faisait jamais défaut et était des plus contagieuse. Anak savait pertinemment que la femme était de beaucoup dans le large sourire qui mangeait le visage de Chumani lorsqu’il passait la tête dans l’ouverture qui reliait la salle de réception du restaurant aux cuisines. C’avait été avec une certaine timidité attendrissant que leur père avait annoncé à Moh et elle leur début de relation sentimentale, entre lui et Sandy, et le frère et la soeur n’auraient pu être plus heureux par la nouvelle. Ce n’était pas trop tôt !

“J’aimerais leur dire qui je suis…, regretta Valérian, je ne veux pas qu’ils le prennent mal si un jour ils le découvrent.”

Le souvenir de la réaction de Yakta était encore fraîche dans sa mémoire et Anak savait qu’il craignait que ça ne se reproduise. Malheureusement, même si la malédiction n’était plus, la situation n’était pas encore propice à ce que les sirènes puissent vivre librement auprès des humains sans dissimuler leur identité. Les mentalités n’avaient pas changés et les populations humaines n’étaient pas encore prêtes pour la grande révélation. Ce genre de choses prenaient du temps et il n’était jamais bon de les précipiter, même s’ils rêvaient tous d’un monde où ils pourraient tous vivre en harmonie.

“En temps voulu, on leur dira, lui promit Anak de son ton le plus rassurant, prenant la main de Valérian dans la sienne, Mon père est la tolérance même et Sandy aussi. 

-Je n’en doute pas…”

Malgré son affirmation, l’inquiétude était omniprésente sur le visage de Valérian et Anak l’observa alors qu’il enfonçait le bout de sa cuillère dans la surface molle de la mousse. Avant qu’elle n’ait pu lui poser la question, il s’expliqua de lui-même : 

“Ma soeur et moi sommes convoqués au Grand Palais pour un rapport. Notre reine a appris ce qu’il s’est passé et…, marqua-t-il une pause pour glisser un regard à Anak, pour nous aussi.

-Nous ?

-Oui, nous deux. Hanabi et Kenneth sont allés tout lui dire. Et chez nous, les relations avec les humains sont formellement interdites.

-Vraiment ? s’horrifia Anak avec une mine défaite. Mais pourquoi ? On peut quand même faire ce qu’on veut !”

Devant l’indignation farouche d’Anak qui s’était redressée abruptement dans sa chaise, il ne trouva aucun réel argument et après un soupir impuissant, il admit :

“Malheureusement, il n’en est pas ainsi chez nous…

-Je viendrai avec toi, alors, et on lui dira ensemble !

-Au fond de l’océan ? argua Valérian avec amusement.

-J’ai toujours mon matériel de plongée !

-C’est bien plus profond qu’aucun être humain n’ait jamais été, Anak, lui expliqua-t-il patiemment. Écoute, ne t’inquiète pas, c’est sans doute moi qui me fais du souci pour rien. Laureline pense que notre reine nous passera tout puisque nous avons brisé la malédiction.”

Loin d’être convaincue, Anak ne perdait pas sa moue rancunière. Qu’est-ce que c’était que toutes ces histoires, encore ? Le royaume des eaux paraissait encore plus intolérant et rétrograde que le leur. Qui était cette reine pour décider de qui pouvait et ne pouvait pas s’aimer, et pourquoi devraient-ils lui demander l’autorisation ? Anak n’avait pas survécu à tout ça pour que la reine d’elle-ne-savait-où mette des bâtons dans les roues de son couple. Qu’elle attende donc qu’Anak enfile ses palmes et elle verrait de quel bois on se chauffait sur la terre ferme !

Remarquant l’humeur bouillonnante de sa petite copine, Valérian regretta de s’être montré si pessimiste et il se rapprocha d’elle pour l’enlacer contre lui avant d’opter pour une approche plus positive de la chose :

“Oublie mes bêtises, d’accord ? C’est juste des procédures !

-Hmhm.”

Suite à son marmonnement dubitatif, Anak se tourna dans ses bras pour lui faire parfaitement face et ce fut parée d’une expression d'autorité qu’elle le prévint, un doigt rebondissant sur sa poitrine pour appuyer ses mots : 

“En tout cas, ta reine a intérêt à te laisser repartir, ou bien je viendrais te chercher.”

Valérian ouvrit la bouche pour protester mais Anak l’interrompit d’un doigt sévère avec un “tutut” avant d’insister :

“Au fond de l’océan ou pas, je viendrais te chercher. Dis-lui bien.”

Le blond se fendit d’un sourire qu’il échoua à réfréner et rendant les armes devant l’air calme mais implacable d’Anak, il acquiesça avant d’accepter : 

“D’accord, mon coeur, je lui dirai.”

OoOoOo

“Valérian n’est pas là ? s’étonna Oriag en la voyant arriver.

-Non, désolée, répondit Anak, il avait des affaires pressantes… mais il m’a chargé de vous dire au-revoir pour lui.

-J’espère que ce n’est rien de grave.”

Anak se retourna vers Sibéal qui approchait sur le quai et lui présenta aussitôt un grand sourire. Oriag, qui s’était adressée à elle depuis le pont du voilier, lui fit un signe de la main avant de disparaître et Anak y répondit avant d’enlacer Sibéal en guise de salutation. Les deux jeunes femmes n’avaient pas pu beaucoup se voir durant le mois passé, bien qu’elles soient sur le même continent. Sibéal avait été prise, aux côtés de Murdock, dans les affaires autour de l’acquisition du nouveau voilier, chose qui résultait en énormément de paperasses et procédures. Quant à Anak, en plus d’aider à l’auberge et de passer le plus de temps possible en famille, assistait Yakta pour les affaires de la tribu. En outre, dès qu’elle avait un petit moment de libre, elle allait se faire pardonner auprès de son étalon qui avait toujours tendance à la bouder après une trop longue absence, même si chaque Yak s’occupait de tous les chevaux des plaines.

“J’espère aussi ! Mais Laureline pense que non, rapporta Anak, ils ont été convoqués tous les deux chez eux au sujet de la malédiction. 

-Ah oui, ça parait logique.

-Oui mais ça fait deux semaines maintenant…

-Je suis sûre qu’il y a pas de quoi s’inquiéter,” la réconforta Sibéal en posant une main sur le bras d’Anak.

Celle-ci acquiesça en invoquant l’univers pour que tout se passe bien du côté de Valérian et de Laureline. Mais il n’y avait de raison, pas vrai ? Après tout, les jumeaux avaient grandement participé à briser la malédiction qui affectait une partie de leur peuple. Ils étaient certainement devenu des héros, personne avec une conscience ne s’en prendrait à ses sauveurs…

Anak se tourna vers le voilier à la coque bleu et qui semblait impatient qu’on libère ses voiles pour qu’il goûte de nouveau aux vents salés. Murdock et son équipage l’avaient choyé pour qu’il soit tout rutilant et beau, et le résultat était chouette. Peint fraichement, son nouveau nom était affiché à la vue de tous. 

“Fafnir, lut Anak, c’est joli et mystérieux !

-J’aime assez aussi, s’accorda Sibéal, les mains sur les hanches, et un sourire aux lèvres, c’est un dragon dans la mythologie nordique. 

-Un dragon pour voler sur les vagues, c’est plutôt pratique !

-J’suis contente d’avoir ton approbation, gamine.”

Anak tourna les yeux en direction de la voix grave et satisfaite qui était intervenue, et la main sur le front pour la protéger du soleil, elle vit que Murdock était là un peu plus loin, sur le pont, une chemise claire retroussée à ses coudes. 

“Alors, tu prends le large avec nous ? demanda-t-il.

-Bah non, que ferait Yakta sans moi ?”

Le capitaine eut un rire tonitruant qui attira le reste de l’équipage. Anak aperçut alors Wanda qui s’était redressée sur une banquette, où elle était confortablement installée avec Nialh derrière un magazine people, et les deux commères lui adressèrent des gestes de salutations.

“T’as raison, fit Murdock, on sait jamais quand y’aura un autre millionnaire pour vous demander de briser une malédiction.

-Absolument, confirma Anak gaiement, si jamais ça arrive, on manquera pas de vous appeler.

-Alors, c’est pas que j’apprécie pas la pensée…, commença Murdock.

-MAIS NON MERCI !! termina Nialh, la prochaine fois, gardez les traquenards pour vous !”

Une hilarité générale frappa les environs aux mots de Nialh qui n’avaient pourtant rien d’une blague, et Anak tourna un regard pétillant vers Sibéal qui riait encore. 

“Mais on viendra quand même, promit Sibéal.

-Je sais,” répondit Anak.

Les deux amies échangèrent un regard qui valait mille mots. En ce monde, il était bien rare de rencontrer des personnes qui méritaient votre entière confiance et qui viendraient à votre secours quoiqu’il arrive, qu’il faille traverser des ouragans et des tempêtes, et pourtant, ça arrivait. Anak était reconnaissante d’en avoir rencontré plus d’une durant sa vie.

Avant cette aventure, elle n’avait eu qu’une famille, qu’un équipage. Désormais, elle en avait deux, et en dépit de tout le reste, elle pouvait remercier le Dieu des Océans pour ce don des mers.


 

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